Content que ça plaise
Chapitre 52 :
La nuit était maintenant bien avancée. Il ne restait plus dans l’auberge que quelques ivrognes endormis, la tête dans leurs chopes, et deux ou trois serveuses occupées à nettoyer les tables. Le seul endroit d’où provenait encore des conversations était celui où étaient attablés Roderick, Shuzug, Fenrir et Lynris.
L’Orque mangeait avec appétit, comme s’il n’avait rien avalé depuis des jours, et c’était peut-être vrai.
Il engloutissait les crevettes à une vitesse impressionnante, les saisissant et leur arrachant la tête dans le même mouvement avant de les jeter dans sa bouche et de les déglutir presque sans les mastiquer.
Le petit Dunmer partageait ses manières et des dizaines de têtes de crevettes étaient éparpillés sur son plateau. Il léchait ses doigts dégoulinant d’eau salée et de jus avec un grand sourire.
Roderick, s’il mangeait plus proprement, n’en dévorait pas moins tout ce qui lui passait sous la main. Il avait d’ailleurs déjà vidé six chopes, ce qui avait impressionné Fenrir qui, lui, avait avoué ne pas tenir l’alcool. Mais le Bréton avait beau être doué, il ne surpassait pas encore Shuzug qui s’enfilait bouteilles sur bouteilles, et qui n’était pas radin quand il s’agissait de réclamer encore de la bière et de glisser quelques piécettes dans les poches des serveuses.
La seule personne à manger un tant soit peu convenablement était Lynris, pourtant réputée à Hellstrom, parmi les gardes, pour ses capacités tout à fait masculine quand il s’agissait de nourriture et de boisson.
C’était dire la compagnie dans laquelle elle se trouvait.
-Que veux-tu dire par « impossible à tuer » ? demanda Fenrir à Shuzug entre deux fruits de mer.
-Je veux dire que le Rôdeur a abandonné toute humanité, répondit l’Orque. Pour acquérir ses pouvoirs, il s’est enfoncé dans des ténèbres plus noirs que ce que vous pouvez imaginer.
-C’est très dramatique, dans la forme.
-Dans le fond aussi.
-Mouais.
Pendant quelques instants ne retentirent dans l’auberge que des bruits de mastication, de déglutition, et du son de choppes qui se vide. Finalement, Roderick s’essuya la bouche du revers de la main.
-Et si je veux tuer le Rôdeur, je fais comment, moi ? Parce que j’étais venu pour recevoir l’appui des Biz-Khil. Etant donné qu’ils m’ont rejeté, je vais bien être obligé de m’occuper de ce problème moi-même.
-T’attaquer de front au Rôdeur est bien la dernière chose à faire, répondit Shuzug en secouant la tête.
-Alors qu’est-ce que je dois faire ? Hein ? Croiser les bras et attendre qu’il vienne me tuer ? Quitte à mourir, autant le faire avec panache, et me battre jusqu’à la fin. Je ne suis pas d’une nature à me tourner les pouces.
-Si ton maître a échoué face au Rôdeur, crois-tu que toi tu y arriveras ?
-Ecoutez, je ne sais pas comment vous savez autant de chose sur mon maître mais… je ne suis pas elle. J’ai peut-être des armes qu’elle ne possédait pas ? Et puis, j’ai l’avantage d’avoir déjà été rattrapé deux fois par le Rôdeur et d’être toujours là pour en parler. Je commence à le connaître.
-Tu es loin de connaître le Rôdeur, mon jeune ami. Nombreux sont ceux à avoir cru cela et à s’en être mordus les doigts. Moi le premier.
Fenrir suça bruyamment l’intérieur d’une crevette avant de boire une gorgée de bière.
-Je suis d’accord avec Roderick sur le coup, fit le Dunmer. Ca ne rime à rien d’attendre sagement. Son maître a peut-être échoué, mais qui sait quel sera le résultat avec lui ? De toutes évidences, vous avez plusieurs éléments qui nous échappent concernant le Rôdeur. La vie de Roderick est en jeu. Je serais d’avis que vous partagiez ce que vous nous cachez.
Shuzug sembla hésiter. Il repoussa lentement son plateau de fruits de mer et se gratta le menton.
-Il y a… une chose. Une seule, qui peut atteindre le Rôdeur et te permettre de le tuer.
Roderick se leva à moitié.
-Dites-moi ce que c’est !
-Du calme, mon gars. Si c’était aussi simple, le Rôdeur serait déjà mort depuis longtemps. Il s’agit d’une arme. Une flèche. Unique au monde. Touchée par une puissante bénédiction. Cet artefact a été perdu il y a longtemps, et si ton maître a été assassiné jadis c’est… parce qu’elle recherchait cette flèche. Elle n’était pas la seule, d’ailleurs. De nombreuses personnes ont courus après toute leur vie sans jamais trouver la moindre piste à son sujet. Tu connais d’ailleurs l’uns d’entre eux, Roderick. Ou du moins, tu as vécu quelques mésaventures à cause de lui.
-Qui donc ?
-Un certains Helleniste. Remarquable tireur d’élite.
-Oh… Lui… Pourquoi voulait-il cette flèche ?
-Cette flèche possède une propriété. Un simple contact avec sa pointe peut tuer n’importe qui. Quel que soit sa nature, qu’il soit un homme, un animal, un démon, un daedra ou un dieu… Te rends tu compte de la valeur d’une telle chose ? C’est presque aussi précieux qu’un Parchemin des Anciens.
Fenrir émit un petit rire.
-Foutaises.
-Pardon ?
-J’ai une longue carrière de voleur derrière moi, et j’ai eu mon lot d’artefact légendaires et mystérieux. J’en ai même tenu entre mes mains. Et je peux vous dire qu’une telle flèche n’existe pas. Croyez-moi.
Ce fut au tour de Shuzug de rire.
-Tu es loin de tout connaître du monde, mon gars. Quand tu auras autant voyagé que moi, vu autant de chose, vécu autant d’expérience… Une telle relique ne te semblera pas si surprenante.
Le petit Dunmer fronça les sourcils et reposa sa choppe.
-J’ai comme l’impression que tu sous-estimes mon expérience. Je ne sais peut-être pas grand-chose de toi mais tu n’en sais pas plus de moi.
Shuzug haussa un sourcil.
-Inutile de te mettre dans un état pareil pour ça. C’était juste…
Roderick frappa contre la table du plat de la main, faisant sursauter Lynris.
-S’il-vous-plait ! Nous étions dans une conversation sérieuse ! Ca ne vous intéresses peut-être pas, mais moi, c’est ma vie qui est en jeu, alors j’aimerais un peu d’attention ! Shuzug, si ce que vous dites est vrai, et que cet artefact existe réellement… Comment puis-je me le procurer ?
-Eh bien, lâcha le petit Dunmer en sauçant du jus sur son plateau avec un morceau de pain, si l’Orque ne ment pas, crois-moi, tu auras du mal à la trouver. Tu sais, si autant de personnes ont échoués, tu ne vas pas y arriver comme ça.
-C’est à moi qu’il a posé une question, fit Shuzug.
-Exprime-toi, je t’en prie, répondit le Dunmer d’un ton volontairement moqueur.
-Suffit ! siffla Roderick.
Shuzug se cura les dents du bout des ongles.
-En Elsweyr… Il existe une confrérie.
-Oh non, dit Fenrir. Je sais à quoi tu penses. Ne l’écoutes pas, Roderick, c’est un mauvais plan.
-Qu’est-ce que c’est que cette confrérie ?
-L’Ordre des Jiikarhys.
-Je n’en ai jamais entendu parler.
-Et c’est tout à fait normal. Cette confrérie n’est connue que de quelques poignées de personnes dans le monde. Dans la langue ancienne, Jiikarhys signifie : « Pied-Léger ». C’est une guilde dont l’existence remonte à des temps immémoriaux, bien avant même l’arrivée des humains en Tamriel.
-Qu’ont-ils de si particulier ?
Ce fut Fenrir qui répondit.
-Ils maîtrisent un art ancestral appelé le Pas-de-Brume. Une technique de renforcement musculaire et spirituel des jambes et des pieds, leur permettant de se déplacer sans bruits, et même d’effacer leur propre poids. Même vêtus d’armures, ils sont capables de se tenir en équilibre sur un œuf cru. Les maîtres de cet art seraient capables de gravir des surfaces verticales sans utiliser leurs bras. En… courant. Et même de marcher sur l’eau. On dit qu’un Jiikarhys ne craint ni les murs, ni les portes. Ils peuvent aller partout, même dans les endroits les plus inaccessibles, et rien ne les arrête. Un vieux dicton dit qu’un jour, un Jiikarhys s’est retrouvé devant une limite infranchissable. A ton avis, qu’a-t-il fait ?
-Je ne sais pas.
-Il l’a franchit.
Le petit Dunmer émit un petit rire.
-En quoi peuvent-ils nous aider ? fit Roderick, sceptique.
-Ce que tu demandes à l’Ordre des Jiikarhys, tu l’obtiens, répondit Shuzug. Quel que soit l’objet, l’endroit où il se trouve, et la difficulté pour se le procurer, tu l’obtiens.
-Même un artefact mythique recherché depuis des milliers d’années par des milliers de personnes mais qui n’a jamais été trouvé ? dit le Bréton en haussant un sourcil.
-Il suffit de leur demander, et tu l’auras.
-Ce sont donc des voleurs ?
-En un sens oui, répondit Fenrir, et en un sens non. Ils sont bien plus que ça. Tout voleur veut leur ressembler. Ils sont une sorte d’idéal. Moi-même, j’ai toujours rêvé de les rencontrer et d’entrer dans leur Ordre. Mais on dit qu’ils ne sont qu’une minuscule poignée. Quand ils te désirent dans leurs rangs, ils te contactent. Il n’y a pas d’autres moyens.
Roderick secoua la tête en souriant.
-Attends, attends, attends… On parle d’une espèce de guilde des voleurs légendaire à laquelle il suffit de demander quelque chose pour l’obtenir à coup sûr ? Si c’était aussi simple, cet artefact aurait été trouvé il y a longtemps par le premier péquenaud qui aurait eu l’idée de contacter ces… Jiikarhys. Non ?
Shuzug et Fenrir se regardèrent d’un air sombre. Il y eut un silence. Roderick tapota des doigts sur la table.
-Il y a un prix. N’est-ce pas ?
-Il y a un prix pour toute chose, souffla Fenrir. Et il y a bien une raison pour laquelle personne n’ose demander les services des Jiikarhys, ou du moins, toute personne sensée.
Shuzug se racla la gorge pour obtenir l’attention de Roderick.
-Connais-tu le conte de Kalestor et de l’Epée Ensorcelée ?
-Non.
-C’est une très vieille légende. Laisse-moi te la raconter : Il y a très longtemps, plus longtemps que tu ne pourrais l’imaginer, vivait un roi, en Hauteroche. Ce roi était connu pour sa grande bonté et pour avoir une fille absolument magnifique que tous les hommes du pays, voire du continent, rêvait d’avoir dans son lit. Aussi, ses prétendants étaient nombreux, mais le roi était sage et il attendait de tomber sur le bon pour donner la main de sa fille. Un jour se présenta devant un lui un jeune homme d’une grand beauté et d’une intelligence rare qui charma le roi. Sa fille également était tombée immédiatement amoureuse. Il la demanda en mariage, et le roi accepta. Pourtant, le jeune homme n’avait ni blason, ni richesses, et n’était connu de personne, mais il dégageait quelque chose de surnaturel qui empêchait quiconque de lui refuser quoi que ce soit. Les fiançailles eurent lieues, mais au moment où la jeune fille allait l’embrasser, le jeune homme révélé sa véritable apparence : Il était en fait un sorcier démoniaque au visage déformé par le vice et la cruauté, qui avait usé d’un sortilège pour se faire passer pour un autre et s’approcher de la fille. Le temps sembla s’arrêter. Le mage tira un poignard de sa ceinture et taillada la main de la princesse. Celle-ci s’évanouit. Le sorcier se tourna vers le roi, lui fit une courbette moqueuse, et lui dit : « Mon roi, je me nomme Kalestor. Pardonnez-moi pour mon geste mais j’avais besoin du sang de votre fille pour finir un rituel magique. Aussi ais-je été forcé d’utiliser ce subterfuge pour entrer en contact avec elle, car il est connu que vous êtes un père très protecteur. Cependant, je n’ai pas pu m’empêcher d’imbiber ma lame de poison, avant de venir. Pauvre enfant, la toxine est sans doute déjà en train de se répandre dans ses veines. Elle va connaître une mort longue et douloureuse. » Et, sur un rire final, le sorcier disparut dans un nuage de fumée et le temps reprit son cours.
-J’ai du mal à voir le rapport avec les Jiikarhys.
-Attends la suite, dit Fenrir qui semblait connaître ce conte.
Shuzug reprit.
-Le roi envoya ses hommes aux quatre coins du royaume mais personne ne retrouva le sorcier. Et, durant ce temps, la princesse se mourait, dans sa chambre, atteinte d’une maladie rare transmise par le poison. Le roi, désespéré, fit appel à un grand mage appartenant à l’Ordre des Psijiques, pour lui dire quoi faire. Celui-ci lui révéla que Kalestor avait appartenu à leur Ordre mais qu’il était un renégat de la pire espèce. Il fabriquait une épée magique à l’aide d’un rituel ancien et interdit, et le dernier élément était le sang de la fille du roi. L’épée était maintenant terminée, et les dieux seuls savaient quel projet Kalestor avait, et de quelle manière il allait s’en servir. « Vous savez où il a caché cette épée ? » demanda le roi. Le Psijique répondit que oui, mais que même lui et ses compagnons ne pouvaient la chercher, car elle était trop bien gardée. Le Psijique offrit au roi une vision de l’endroit où se terrait Kalestor. En pleine mer, dans un endroit où les courants sont si violents qu’aucun navire ne peut s’en approcher, et que les éclairs zèbrent sans cesse le ciel, empêchant quiconque de venir par voie aérienne, une tour gigantesque se dressait, de soixante étages, sans portes, ni fenêtres. Chaque étage était surveillé par soixante démons invoqués par Kalestor, patrouillant sans relâche, aux sens plus affûtés que n’importe quel homme. Et, au plus profond de la tour, se trouvait l’épée, ainsi que Kalestor, qui ne la quittait jamais des yeux. Le Psijique s’en alla, mais le roi ne comptait pas abandonner. Il avait appris que Kalestor avait lié sa vie à cette épée, et que sans elle, il mourrait. Le problème était de s’emparer de cette épée, sachant que le seul à pouvoir entrer et sortir de cette tour inviolable était Kalestor, grâce à un sort connu de lui seul, bien entendu.
-Et ? fit Roderick.
-Le roi fit appel à des magiciens. Tous lui dirent qu’il était impossible d’entrer dans la tour. Puis, il envoya toute son armée. Aucun homme ne revint. Il envoya un message aux meilleurs voleurs et aux plus grands assassins du continent, mais personne ne réussit jamais à ne serait-ce que pénétrer dans la tour. Alors, il entendit parler d’une confrérie secrète, en Elsweyr. Les Jiikarhys. Il se rendit là-bas seul et parvint à entrer en contact avec eux. Le conte ne mentionne pas comment. Les Jiikarhys acceptèrent le travail et assurèrent le roi qu’il pouvait rentrer chez lui serein. Leur Ordre s’occupait de tout. Quant à leur prix… il le saurait bien assez tôt. Le roi fit donc le chemin de retour pour revenir en Hauteroche, tandis qu’un Jiikarhys partit de l’autre côté. Un seul. Le roi arriva à son château. Exténué, il monta les escaliers menant à la chambre de sa fille, pour s’enquérir de son état, et ouvrit la porte. Sur le lit se trouvait l’épée. Comment avait-elle été déposée là alors que seul le roi détenait la clé de la porte et que toutes les fenêtres étaient fermées de l’intérieur, et que nul serviteur n’avait vu quelqu’un entrer ? Mystère. En tout cas, dans le lit, il n’y avait que l’épée. La princesse avait disparut. Mais Kalestor était mort. Et le roi eut beau revenir en Elsweyr, plus jamais il ne réussit à contacter les Jiikarhys pour leur demander ce qu’ils avaient fait de sa fille.
Shuzug se tut. L’histoire était terminée. Fenrir avait le regard dans le vague. Roderick était devenu pâle.
-Ce que tu as de plus cher, dit le petit Dunmer. Voila le prix des Jiikarhys, Roderick.
petit up
Dommage que t'es pas beaucoup de lecteurs (ou pas) ta fic est pas mal voir ARCHI MEGA BIEN Mais voila ya pa guerre en irak et des hippocampes sont a ma porte et veulent me tuer.
Perso je suis cette fic depuis le début et elle est toujours aussi bien, et c'est pas parce qu'il ya pas beaucoup de commentaires que ya pas beaucoup de lecteurs, moi j'ai jamais commenté par exemple mais meme si ya pas beaucoup de lecteurs continue
Deuxième up :Noël:
Chapitre 53 :
Roderick enfourcha son cheval, une magnifique monture à la robe brune que lui avait acheté Shuzug. Il n’avait pas le cou épais des chevaux de trait, travaillant aux fermes, ou le corps musculeux et solide des destriers de bataille, mais des muscles secs et fins. Un cheval taillé pour la vitesse.
Fenrir était venu avec le siens, qu’il avait laissé dans les écuries de la cité. Un étalon d’un noir de jais, aux yeux brillant d’intelligence, et à la crinière grise, nommé Souffle. Sa carrure était à peu près identique à celle du cheval de Roderick, mais il semblait plus petit et calme.
Shuzug avait également sa propre monture, un immense cheval à l’allure effrayante et aux sabots énormes. Lynris, à la grande surprise de tous, ne savait pas monter, alors Shuzug lui avait proposé de s’installer derrière lui. Sa monture était largement assez forte pour supporter le poids de deux personnes.
-Tu es sûr de vouloir voyager à nos côtés ? lança Roderick à Shuzug.
L’Orque flatta l’encolure de son cheval.
-Je dois réparer mes erreurs. Le Rôdeur est mon œuvre. Je n’ai pas su contenir ses pulsions. Je dois en finir avec tout ça.
-Bien parlé.
Il fixa Lynris.
-Lynris… Tu sais que je suis contre le fait que tu nous accompagnes.
-Et pourquoi ça ?! répondit la Dunmer d’un ton effarouché. Pour Shuzug, il n’y a aucun problème, mais moi, par contre, je n’aurais pas le droit de vous suivre ?!
-Shuzug est un guerrier. Il est compétent, sait se battre, survivre, et ne sera pas un poids.
-Parce que moi je le serais, peut-être ?!
-Oui, répondit Roderick du tac-au-tac. Tu as frôlé la mort un très grand nombre de fois depuis qu’on a quitté Helstrom, toi et moi, et à chaque fois, tu as eu beaucoup de chance. Ca ne durera pas. Nous ne partons pas faire une randonnée, Lynris, que ce soit clair. Nous ne pourrons pas te protéger constamment.
-Je n’ai pas besoin d’être pr…
Fenrir émit un claquement de langue, coupant Lynris au milieu de sa phrase.
-Tu sais manier l’épée ?
-Non.
-La hache, la masse ?
-Non plus.
-Tu sais tirer à l’arc avec précision, ou chasser ?
-N… Non.
-Tu sais crocheter des serrures, voler, te déplacer silencieusement ou escalader ?
Lynris baissa les yeux, ne prenant même pas la peine de répondre, trop consciente de son infériorité par rapport à ses compagnons. Fenrir la regarda, presque avec peine. Il secoua lentement la tête et lâcha un soupir.
-Je suis désolé, mais je suis d’accord avec Roderick. La vérité est parfois dure, mais tu ne feras que nous ralentir, et nous ne pourrons pas constamment veiller sur toi. Tu agis égoïstement en insistant pour venir, en sachant parfaitement que tes capacités ne te permettent pas de…
-Holà, rugit Shuzug avec un grand sourire, j’ai comme l’impression que vous sous-estimez grandement cette demoiselle. Fenrir, tout à l’heure tu m’as défendu de juger de tes talents sans rien connaître de toi, alors de quel droit vous permettez-vous tous les deux de faire la même chose avec elle ? Je pense que vous ne savez pas du tout ce dont elle est capable.
-Mais… tenta de répliquer le petit Dunmer.
-Je me porte garant de sa sécurité durant notre voyage. C’est moi qui la protègerais. Quelqu’un a quelque chose à y redire ?
Fenrir voulut envoyer une réplique cinglante mais Roderick fit un geste de la main et le stoppa dans son élan. Il fixa Lynris pendant un long moment.
-Très bien, finit-il par dire à l’attention de Shuzug. Elle vient. Mais tu te désignes donc comme son protecteur, aussi je ne me préoccuperais pas de ce qui lui arrivera. Et s’il t’arrives quelque chose… Elle se débrouillera.
Il replongea son regard dans celui de Lynris, et la Dunmer eut l’impression de retrouver un autre Roderick. Celui qui, dans la jungle, avait tué le fauve, et avait menacé de la tuer si elle le gênait. Un Roderick… qu’il ne valait mieux pas énerver.
-Nous sommes d’accord ?
-Oui, répondit-elle. Merci Shuzug. Je te jure que je ne serais pas un boulet.
Comme si tout avait été dit, Roderick hocha la tête et fit pivoter son cheval. Le soleil se levait sur la ville endormie. Le silence régnait encore sur les rues. Le moment idéal pour partir.
La suite du voyage était simple.
La petite troupe se dirigerait vers le Sud, jusqu’à Havrelâme, et prendrait un navire pour Senchelle, en Elsweyr. Ils aviseraient ensuite de leur route.
Ils étaient à Gidéon depuis maintenant quelques jours. Les préparatifs étaient terminés.
Fenrir vérifia que sa dague coulissait bien dans son fourreau, Roderick compta une dernière fois le nombre de flèches qu’il possédait et si la corde de son arc était bien tendue et Shuzug passa son doigt le long de la lame de sa hache, afin d’en tester le tranchant.
Lynris, elle, s’était vue offrir un fouet à manche d’argent. La lanière en cuir noir, enroulée sur elle-même, se balançait à sa ceinture. C’était Shuzug qui lui avait acheté la veille afin qu’elle puisse se défendre si un danger se présentait.
L’Orque passa son regard sur ses troupes, comme au temps où il était général de la Légion, et renifla avant de lever le bras.
-Allez, en route !
Ils chevauchèrent pendant de nombreuses heures. Gidéon et sa région ayant été sous occupation Impériale pendant longtemps, c’était uns des rares endroits du Marais Noir a ne pas être totalement envahis par les marécages et à disposer de routes et de champs dégagés, également du à la proximité de la frontière avec Cyrodil.
Ainsi, la petite troupe emprunta une route de campagne vers le Sud, jusqu’à arriver à un ruisseau et une clairière où ils firent une halte dans les environs de midi, histoire de laisser leurs montures se désaltérer et eux-mêmes manger un morceau.
Fenrir en profita pour étaler la carte de la province par terre.
-Shuzug, lança-t-il.
-Ouais ? répondit l’Orque.
-Dans combien de temps devrions-nous arriver à Fort K’tarak ?
-Dans la soirée. C’est plutôt près mais pour y arriver nous devrons quitter la route et s’engager dans la forêt, ce qui va considérablement nous ralentir.
-Pourquoi ne pas tout simplement suivre le chemin vers le Sud en direction d’Havrelâme et s’arrêter aux auberges ? demanda Lynris en grignotant un quignon de pain.
-Parce qu’on ne tiens pas spécialement à se faire remarquer, répondit Roderick à la place de Shuzug. Fort K’tarak est abandonné depuis des siècles.
-Je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de nous cacher.
-Peut-être parce que l’uns d’entre nous est poursuivit par le Rôdeur ? répondit Fenrir en jetant un coup d’œil appuyé au Bréton.
Roderick ne s’en préoccupa même pas. Il défit son carquois de ses épaules, ôta son arc, jeta ses vêtements sur un rocher et plongea dans le ruisseau. Shuzug regarda le jeune homme sortir la tête de l’eau et exécuter une brasse tranquille vers l’autre rive.
Fenrir lui tapota l’épaule.
-Qui-y-a-t-il ?
-On se le fait à deux ? souffla le petit Dunmer en retirant lentement ses vêtements.
-Hein ?
-On le coule ? répéta Fenrir.
Shuzug le fixa un instant avant de sourire.
-Cap’ ? insista le Dunmer.
-Allons-y.
L’Orque se releva et, sous le regard médusé de Lynris, jeta ses pièces d’armure par terre. Le Dunmer et lui s’approchèrent lentement de la rive en prenant soin de ne faire craquer aucune branche sous leurs pieds, pour ne pas alerter Roderick qui nageait à quelques mètres de là et leurs tournaient le dos.
Shuzug s’approcha de l’eau, près à bondir, quand il sentit un poids derrière lui et deux bras entourer ses épaules.
Fenrir venait de lui sauter dessus.
-Roderick ! hurla-t-il. Amènes-toi ! On le coule !
Shuzug émit un grognement et bascula dans l’eau, avec le Dunmer sur son dos. Roderick se retourna à une vitesse impressionnante et éclata de rire en comprenant la situation, avant de rejoindre l’endroit où les deux hommes étaient tombés d’une nage fluide.
Fenrir sortit la tête de l’eau et plissa les yeux pour tenter de voir le fond de la rivière.
-Tu crois qu’il s’est noyé ? demanda le Bréton avec un sourire.
-Possible. Ils sont tellement empotés ces Orques.
-Qui est empoté ?
Fenrir se retourna pour faire face à l’immense Orque qui le fixait avec un air féroce. Shuzug avait refait surface discrètement derrière le Dunmer et serrait maintenant les dents, lui donnant un air effrayant.
-Euh, commença Fenrir d’un air faussement terrifié, je voulais dire, monsieur, que…
-Je te laisse régler ce problème tout seul, ricana Roderick en s’éloignant. Quelque chose me dit que tu vas changer d’avis sur les Orques.
Les énormes mains de Shuzug se refermèrent sur les épaules de Fenrir et le soulevèrent au-dessus de l’eau avec une facilité déconcertante. Shuzug entreprit de secouer le petit Dunmer en vociférant.
-Qui est empoté, hein ?
-J-J-J-e… d-d-d-i-s-a-i-t… ç-ç-a… p-p-p-o-u-r… -r-r-i-g-o-l-e-r !
-Tu vas voir comment on rigole chez les Orques !
Roderick vit Fenrir voler au-dessus de sa tête avant de disparaître dans les flots, vite rejoint par Shuzug qui, pour l’occasion, nagea étonnement vite, et le ressortit de l’eau pour l’y replonger juste après, accompagné par le fou rire de Lynris.
La petite troupe reprit la route une demi-heure plus tard. Ils quittèrent le sentier quand le ciel se teinta de rose et de jaune, pour s’enfoncer dans la forêt. Roderick se repérait parfaitement bien dans la nature, et Shuzug encore mieux, ce qui surprit tout le monde.
L’Orque semblait avoir grandi dans un bois.
Fenrir, lui, grommelait un peu. Bien plus à l’aise en milieu urbain, à sauter de toits en toits, crocheter des serrures, escalader des bâtiments ou se fondre dans la foule pour échapper à ses poursuivants, le voleur ne se sentait pas franchement à l’aise, entouré d’arbres.
Il grognait à chaque fois qu’une branche d’arbre le frôlait et manquait de le faire tomber de sa monture, ou quand un insecte volait autours de sa tête.
Pour Lynris, c’était pire. Elle qui n’avait jusqu’alors quasiment jamais quitté Helstrom, sauf lors de son escapade avec Roderick pour échapper aux Nagas, était bien heureuse de monter le même cheval que Shuzug et de sentir la présence rassurante de l’Orque devant elle, même dans le noir.
Malgré l’obscurité qui gagna la forêt, une fois la nuit tombée, la voix de Roderick finit par retentir, à l’avant.
-Fort K’tarak en vue !
-Ce Bréton doit avoir des ancêtres Khajiit, grogna Fenrir. Comment peut-il voir quoi que ce soit dans le noir ?
-Je t’ai entendu ! lança Roderick.
-Qui ça ? Moi ? C’est Lynris qui a parlé !
Malgré la pénombre, la main de Lynris, qui chevauchait tout près de Fenrir, s’abattit avec précision sur la joue du Dunmer, et le claquement sec résonna, suivit du rire tonitruant de Shuzug.
-Je vous avais pas dit qu’elle savait se défendre, la petite ?
sweet
Salut à tous,
ben je viens de dévorer cette fic d'une traite et que dire si ce n'est vivement la suite^^
Petit passage de détente qui contraste totalement avec le reste de la fic. Et c'est une très bonne chose, je commençais à avoir l'impression que Nirn était vraiment sombre et impitoyable (ce qui n'est pas faux)
Bons chapitres dans l'ensemble. Ça fait du bien de te lire, donc : Sweet ?
C'est vraiment la meilleure fic du forum.
La mieux écrite et construite en tout cas.
Chapitre 54 :
Fort K’tarak se présentait comme n’importe quelle forteresse Impériale, à la seule différence qu’elle était à moitié en ruine, abandonnée depuis des lustres, et que la nuit et le silence lui donnaient un air inquiétant.
Il était composé d’un bâtiment principal et de quatre tours, à chaque angle. La Tour de l’Aigle et la Tour de la Plainte, respectivement orientée vers le Sud-Est et vers le Nord-Ouest, était complètement effondrée sur elle-même.
La Tour de l’Aube, au Nord-Est, était branlante mais encore sur pied. Quand le vent soufflait, il arrivait que de gros blocs de pierre se détachent du sommet et s’écrasent en contre-bas.
La Tour de la Gueuse, orientée vers le Sud-Ouest, était la seule à se dresser encore intacte, bien que des fissures étaient visibles dans le toit.
Uns des pans d’uns des murs du bâtiment principal était écroulé.
Les murs étaient couverts de lierres. Les poutres de bois soutenant le toit de l’écurie, à l’entrée, pourries par l’humidité. Les fenêtres étaient soit condamnées, soit fracassées, et la cour, autours du fort, était envahi par la mauvaise herbe.
La grande porte, à moitié détruite, claquait à cause du vent nocturne, comme si un spectre s’amusait à l’ouvrir et à la fermer en y mettant toutes ses forces.
Les chevaux hennirent en s’approchant, flairant l’aura malsaine qui entourait ces lieux.
-Chouette endroit pour passer la nuit, remarqua Fenrir.
Roderick fixa le château d’un air fermé. Lui-même n’était pas tout à fait à l’aise, alors il comprenait l’anxiété de Lynris, à côté de lui, qui était pâle et se cramponnait au dos de Shuzug.
Les Marais Noirs et la culture Argonienne regorgeaient d’histoires en tout genre, et certaines faisaient plutôt peur. La plupart de ce genre concernaient cet endroit. Itan lui en avait contée quelques unes, du temps où il voyageait encore avec Zwee-Toï et sa bande.
L’histoire du duc Miziryo, qui tua et mangea ses propres enfants lors d’un banquet. Celle du chevalier fou, Aenon le Sans-Yeux. Ou la légende du Chuchoteur, le mystérieux monstre qui hanterait les souterrains de la forteresse et dont on entendrait les murmures, la nuit tombée.
Pour sûr, si on connaissait tous ces comptes, Fort K’tarak n’était pas l’endroit le plus chaleureux de la région. Même en les ignorant, l’endroit avait un air suffisamment sinistre.
-Bon, fit Shuzug d’un ton tendu. Laissons les chevaux dans les écuries et allons explorer un peu les lieux.
-Bien chef ! répondit Fenrir dans une tentative –ratée- de détendre l’atmosphère.
Les montures furent attachées dans l’écurie et la petite troupe se dirigea vers les portes principales. Shuzug prit la tête.
Il fit un geste et une petite lumière se mit à flotter au-dessus de sa tête. Fenrir haussa un sourcil.
-T’es un mage, toi ?
-Non, répondit Shuzug, mais tous les généraux de la Légion reçoivent une formation mineure en magie. C’est souvent utile.
-Qu’est-ce qu’on fait ? lança Lynris.
-On se sépare.
-Quoi ?! Ici ?!
-Pas de panique, jeune fille. On se sépare en deux groupes de deux. Tu viens avec moi. Fenrir, Roderick, vous restez ensemble.
-Je n’ai pas peur d’un château abandonné, fit Roderick en reniflant.
-Tu devrais, répondit Shuzug. Lynris et moi allons inspecter la Tour de la Gueuse et l’étage supérieur du fort. Vous, vous explorez le bâtiment principal et le sous-sol.
Fenrir hocha la tête. Roderick s’empara d’une torche qu’il alluma et regarda Shuzug et Lynris s’éloigner. Le petit Dunmer leva la tête vers Roderick.
-Moi non plus, je n’ai pas peur des châteaux abandonnés, hein !
-C’est ça… Allez, voyons voir ce que cache cette vieille bâtisse.
Les deux compagnons traversèrent le hall, désert. Le sol était couvert de poussière et des toiles d’araignées s’agitaient sur leur passage, à chaque coin de mur. La lueur de la torche faisait danser des ombres lugubres tout autours.
Ils marchèrent pendant quelques minutes.
-Regarde ça, dit Fenrir en montrant un mur du doigt.
Une série de tableaux étaient accrochés là. L’uns d’eux représentait une femme d’une grande beauté, une Impériale aux longs cheveux noirs, bouclés, lui tombant sur les épaules, mais au regard triste et aux lèvres pincées.
-C’est la duchesse Leïla, dit Roderick. Qui vécut ici il y a plusieurs centaines d’années.
-Ah, oui, l’épouse du chevalier Aenon… Elle était mignonne.
« Mignonne, ça oui, pensa Roderick. Avant qu’Aenon ne lui plonge le visage dans une marmite d’huile bouillante, lors d’unes de ses crises de folie. »
Ils se remirent en marche et traversèrent un couloir. Un rat passa entre les jambes de Fenrir et disparut dans l’ombre.
-Parait que quand une ville est assiégée, dit le petit Dunmer en se grattant le menton, les habitants finissent par manger les rats. J’me demande quel goût ça peut avoir, ces bestioles.
-Avant les rats, ils mangent les chiens et les chats. Et après les rats, ils mangent les enfants.
-T’as déjà vécu un siège, toi ?
-Non. Et toi ?
-Pour l’uns de mes boulots, dans le temps, j’ai du m’infiltrer dans une cité assiégée pour dérober un vieux manuscrit appartenant à un sorcier. ‘Pas une mince affaire, c’est moi qui te le dis. Et ça a de quoi te foutre un coup au moral, si tu as l’esprit fragile. Les gens décharnés, je veux dire. Et l’odeur… L’odeur des cadavres.
Le petit Dunmer déglutit.
-Ca peut te poursuivre des jours entiers. Un ami voleur avec qui je travaillais, lui, repensait aux gémissements. Je ne sais pas ce qui est pire. Ne plus être capable de manger quoi que ce soit sans dégueuler à cause du souvenir des odeurs ou ne plus pouvoir fermer l’œil de la nuit, avec tous ces bruits dans la tête.
-Tu es plus sensible que tu n’en as l’air, ricana Roderick.
-Bah, j’étais jeune et inexpérimenté, répondit Fenrir en haussant les épaules. On passe tous par là à un moment où à un autre.
Roderick se tut et repensa à la première fois qu’il avait vu une guerre. Ou plutôt un champ de bataille, après une guerre entre deux clans Elfes, au Val-Boisé, avec son maître. Les montagnes de cadavres et les nuages de mouches…
Alors enfant, il avait eu du mal à se défaire de cette vision, et avait vécu avec pendant longtemps.
La voix du Dunmer le tira de ses pensées.
-Au bout d’un certains temps, on se déshumanise, pas vrai ?
-Sans doute.
-Au début, tu vomis. Puis t’as des nuits blanches. Puis t’y repenses de temps en temps et tu te sens mal. Puis tu prends l’habitude de détourner les yeux et d’oublier. Puis tu peux regarder sans problèmes. Puis tu ne fais plus attention du tout.
-Et parfois, tu finis par même y prendre du plaisir. Comme quoi…
-T’y prends du plaisir, toi ? A tuer ?
-Honnêtement ? Je me suis arrêté au stade du « Je n’y fais plus attention ». Et ce n’est pas plus mal.
Fenrir hocha la tête, comme satisfait.
-Et toi ? demanda Roderick.
-Pareil. Enfin je crois. J’espère. Faudrait que je tue quelqu’un pour voir.
Les deux hommes éclatèrent de rire et le son résonna longtemps dans le fort abandonné. Ils arrivèrent jusqu’aux cuisines.
Un hachoir rouillé était encore fiché dans une table en bois.
« Peut-être celui avec lequel le duc Miziryo découpa ses enfants avant de les faire bouillir, songea Roderick. Ou alors il se servit d’une scie. Je ne me souviens plus de ce passage de l’histoire. Il faudra que je demande à Itan ou… »
Il se rappela qu’Itan était mort. Alors il baissa les yeux et se dépêcha de quitter les cuisines, l’air sombre.
-T’iras où après ta mort ? demanda soudain Fenrir alors qu’ils traversaient un corridor.
-T’es bavard, toi.
-Je sais.
-Pourquoi ça t’intéresses ?
-Je ne sais pas… Ils vont où les Brétons quand ils meurent ?
-Et les Dunmers ?
-Je ne me suis jamais posé la question.
-Par une troublante coïncidence, moi non plus.
Roderick et Fenrir se fixèrent pendant quelques secondes en tâchant de garder leur sérieux avant d’éclater de nouveau de rire. Discuter leur permettait de se détendre dans cet endroit si sinistre. Et puis, au final, ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de faire connaissance.
Fenrir était quelqu’un de bavard et d’espiègle, qui ne restait jamais en place une seconde et ne supportait pas de garder la bouche fermée. Il riait de bon cœur à toute sorte de plaisanteries, même aux siennes, et possédait un registre faramineux d’histoires et de légendes en tout genre qu’il passait ses journées à raconter à ses compagnons, au point de les en agacer.
C’était bien loin de l’idée que Roderick se faisait des voleurs, froids, silencieux, mystérieux, solitaires…
-Pourquoi es-tu devenu voleur au fait ? demanda-t-il.
Fenrir sembla réfléchir intensément. Il se tourna vers Roderick.
-As-tu déjà fait quelque chose qui te semblait impensable, sans savoir pourquoi précisément ?
-Ca m’est déjà arrivé, oui.
-Eh bien c’est mon cas. Je n’ai pas de raison à te donner. Je suis fils de pêcheur, né sur les côtes de Morrowind, destiné à devenir capitaine d’un navire et d’un équipage de… Non, mais sérieusement, tu me vois capitaine d’un navire ?
-Pas vraiment, répondit Roderick en masquant un sourire.
-J’ai commencé à voler dans les poches des passants, à dérober des bourses, fouiller des sacoches discrètement… Puis j’ai exécuté mes premiers cambriolages, de nuit. Quelques bijoux. Je me suis fait des relations un peu partout. Et quand je me suis rendu compte que ça ne me suffisait pas, je suis passé à la vitesse supérieure. Des casses préparés, des vols de haut niveau, des effractions, des falsifications de documents secrets. J’ai découvert l’adrénaline, le frisson… La sensation que tu as en t’enfuyant d’une demeure par une fenêtre, les gardes à tes trousses et le vent de la nuit te fouettant le visage, c’est… comment dire…
-Inoubliable ?
-Entre autre. Mais bien plus que ça. Sans m’en rendre compte, je suis devenu accro, comme l’est un Khajiit au skooma. Alors qu’au début je volais pour m’enrichir, je me suis surpris à voler pour le plaisir. Crois-le ou non, je suis même souvent revenu sur les lieux de crime pour y reposer ce que j’avais volé la veille.
-Sérieusement ? demanda Roderick.
-Ca m’amusait. La seule chose qui m’intéressait, c’était d’affiner mes techniques, de perfectionner mon art. Le vol est un art, enfin c’est comme ça que je le considère. Chaque mouvement, chaque respiration, chaque crochetage de serrure, tout cela fait partie d’une grande et belle chorégraphie. Oh, dis-moi si je parle trop.
-Si je te le disais, tu t’arrêterais de parler ?
-Non.
-Alors continue, c’est intéressant ce que tu dis, pour une fois.
-Pardon ?!
-Continue, je te dis.
-Bon, je disais… Oui, une chorégraphie. Mais pas préparée, ça non. Tu veux que je te dise ce qui me plait le plus, dans le vol ?
-Vas-y.
-L’improvisation. Tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Moi j’adore.
-Tu as rejoint la Guilde des Voleurs ?
-Je m’en suis toujours tenu à distance. Oh, ils m’ont contactés plusieurs fois, c’est sûr. Quand j’ai commencé à me faire un nom et une réputation dans le métier. Ils m’ont même menacés, parfois. Ils m’ont dit que si je continuais mes activités sur leur territoire sans leur consentement, ils me casseraient les deux bras, ou pire.
-Pire ?
-Les voleurs ont un certains code de l’honneur, du moins les professionnels. Ils détestent tuer, du moins directement. Faire appel à des assassins ne leur pose en revanche aucun problème. La vie a été difficile, au début de ma carrière, mais je n’ai jamais cédé.
-Pourquoi ? La Guilde aurait pu t’offrir beaucoup.
-J’aurais perdu encore plus. Retiens bien ça, Roderick. Ce qui caractérise un voleur, c’est sa liberté. A partir du moment où il rejoint une quelconque organisation et accepte de se plier à des règles, ce n’est plus un vrai voleur. Ceux-là, je les méprise.
-Mais le code des voleurs dont tu me parlais…
-Je m’en tamponne pas mal ! Ils peuvent se le mettre où je pense !
Fenrir partit dans un grand rire. Roderick l’accompagna.
Ils arrivèrent devant une grande porte grise en métal. L’entrée des souterrains.
-A toi l’honneur, dit le petit Dunmer.
Petit inspiration sur GoT et le passage avec Bran, Hodor et les Reed dans un des châteaux abandonnés du mur?
En tout cas, génial!
Ouais, petite inspiration pour ce bref passage, mais la suite n'aura rien à voir.
Toujours excellente cette fic ! Tu es vraiment talentueux pour écrire
Merci. Y'a pas beaucoup d'activités en ce moment.
Chapitre 55 :
Shuzug fit un geste ample du bras pour éclairer la pièce. La petite sphère lumineuse au bout de ses doigts émit une brève lueur qui dévoila un plancher à moitié pourri par l’humidité, des fenêtres fracassées, des meubles renversés et des tâches de sang séchées sur les murs depuis des siècles.
L’Orque émit un sifflement.
-Eh ben… C’est pas du joli.
-Que s’est-il passé ici ? demanda Lynris, la main sur le fouet à sa ceinture.
Shuzug lui lança un regard.
-Tu ne connais pas l’histoire de Fort K’tarak ?
-Non.
Il y eut un silence.
-Eh bien racontes-la moi !
-D’accord, d’accord… Mais elle ne risque pas de te plaire.
-Dis toujours.
Shuzug se racla la gorge tout en écartant de son passage une immense toile d’araignée.
-Elle débute il y a plusieurs centaines d’années, alors que Gidéon et ses environs étaient encore sous occupation Impériale. A l’époque, c’était un duc appelé Miziryo qui vivait ici avec sa famille. C’était un noble Argonien, très proche de l’Empire. Aussi, il transforma sa demeure en forteresse militaire, abritant les soldats de passages et plusieurs généraux. Le duc avait cinq enfants. Cinq adorables bambins. Un jour, un officier du nom d’Aurius se présenta et réquisitionna le fort pour y placer ses troupes. Les temps étaient difficiles, et les guerres fréquentes, entre les différents royaumes. Fort K’tarak, se trouvant presque à la frontière, fut pris entre deux feux. D’un côté, les forces d’Helstrom qui s’étaient rebellées. De l’autre, la Légion, qui entendait bien garder Gidéon. Fort K’tarak était un point important que tous s’arrachaient, car il offrait une position idéale pour ravitailler les troupes, que ce soit au Nord où à l’Est, et surveiller le passage des marchandises par la grande route, à quelques kilomètres. Les troupes du général Aurius se retranchèrent à l’intérieur et se barricadèrent. Très vite, la forteresse fut assiégée. Miziryo manqua bientôt de nourriture dans ses réserves. Un beau jour, il ne resta vraiment plus rien. Tous étaient affamés. Les soldats étaient maigres à faire peur, et le général Aurius malade, au bord de la mort. Miziryo lui-même ressemblait à un lézard desséché. Bien vite, l’ambiance dans le fort devint tendue. Les hommes se lançaient des regards, et on aurait dit qu’à la place de voir leurs compagnons, ils ne voyaient que de la viande. Et une nuit, alors que la Lune était haute dans le ciel et que le fort était silencieux, un soldat se rendit dans la grande salle de banquet et trouva Miziryo, attablé seul, en train de manger des pièces de viandes au fumet délicieux, sans en avertir personne. En apprenant cela, les soldats devinrent comme fous et torturèrent Miziryo pour qu’ils leur disent où il avait caché ses réserves secrètes de nourriture, et qu’eux aussi en voulaient. Alors, avant même que Miziryo ne parle, ils remarquèrent que cela faisait un moment qu’ils n’entendaient plus les enfants, et ne les voyaient même plus dans le fort, comme tous les jours. Ils comprirent que le duc avait tué et mangé ses propres enfants. Horrifiés, ils le pendirent. Le général Aurius mourut dans la même nuit, à cause de la faim, et, désespérés, les soldats restants ouvrirent les grandes portes. Les armées Argoniennes déferlèrent, les massacrèrent, et prirent la forteresse. Finalement, une fois la guerre terminée, elle fut laissée à l’abandon et oubliée de tous. En revanche, l’histoire du duc Miziryo, elle, resta dans les mémoires.
Shuzug se tourna vers Lynris.
-Satisfait fillette ?
-Est… Est-ce que c’est vrai ? Je veux dire… Ca c’est vraiment passé comme ça ?
-A la guerre, de telles anecdotes sont courantes. Les gens deviennent fous et sont poussés à commettre des actes atroces. Personne ne sait si cette légende est vraie, mais ça ne me surprendrait pas si elle l’était.
Lynris déglutit et se tut.
Ils traversèrent une grande salle avant d’arriver devant des escaliers.
-La Tour de la Gueuse, dit Shuzug. Les anciens quartiers du duc Miziryo et de sa famille. Allons voir si on ne peut pas trouver quelque chose d’intéressant.
-Je ne crois pas que ce soit une bonne idée…
-Ne t’en fais pas. Les fantômes des enfants de Miziryo se promènent encore dans la tour, la nuit, et poussent des gémissements, des cris et pleurent, mais généralement, ils ne sont pas dangereux.
-Oh mon dieu, arrête ! C’est glauque !
Shuzug émit un rire tonitruant qui résonna dans tout le bâtiment avant de monter les marches. Lynris le suivit de près. Elle ne se sentait pas bien ici. Elle ne se l’expliquait pas mais l’atmosphère dans la tour était lourde et oppressante.
Et il faisait chaud… si chaud.
Pourquoi faisait-il si chaud alors que dehors, la nuit était glaciale ?
Lynris se secoua la tête pour se tirer de ses pensées.
-Dis Shuzug…
-Quoi ?
-Tu crois que Roderick me déteste ?
-Pourquoi te détesterait-il ?
-Parce que… Je ne suis pas comme lui. Je suis faible. Je joue à la courageuse et à la guerrière mais ce n’est qu’une façade. J’ai peur du noir, je ne suis pas à l’aise dans la forêt, je manie plutôt bien les armes mais je frissonne en voyant du sang couler…
-Etre faible n’a jamais été un crime.
-Oui mais Roderick, lui, est fort, et j’ai l’impression qu’il ne supporte pas la faiblesse. Il est parfois froid et distant… Comme s’il repensait à des choses. J’ai l’impression que sa vie n’a pas été facile et qu’il s’est habitué à être impitoyable, même avec lui-même. Alors avec les autres…
-Tu n’es pas Roderick, et Roderick n’est pas toi. Lui se bat depuis son plus jeune âge. C’est son monde, sa vie. Ne le blâme pas d’être habitué à vivre là-dedans. Dès sa naissance, on lui a appris à ne jamais relâcher sa vigilance, à mépriser la douleur, la peur et les remords. Il est capable de tuer de la même façon qu’un autre respire. C’est naturel pour lui parce qu’on l’a élevé comme ça. Il savait sans doute tirer à l’arc et viser le cœur avant de savoir marcher correctement. Là est la différence entre toi et lui.
-Mais avec Fenrir et toi, il sourit, il rit.
-Parce qu’il est habitué à côtoyer des gens comme nous. Son monde c’est la guerre, la mort, le danger. Nous le partageons avec lui.
-J’aurais aimé naître comme vous, être un homme et qu’on m’apprenne à me battre dès ma naissance.
-Tu ne sais pas ce que tu dis.
-Oh, si…
Ils se turent et continuèrent leur ascension.
-Tu ne sais pas ce que c’est que d’être faible, souffla Lynris à Shuzug quand ils furent arrivés au sommet. Et tu ne le sauras sans doute jamais. Alors tu ne peux pas comprendre.
Shuzug se garda bien de répondre. Il garda le silence et entreprit d’explorer les lieux.
Ils étaient dans une chambre sombre et poussiéreuse. Une chambre d’enfant. Cinq petits lits étaient disposés dans la pièce, mais il ne restait plus que les matelas déchirés. Les couvertures et les draps, en tissus précieux sans doute, avaient été pillés voila bien longtemps.
Des jouets cassés étaient éparpillés un peu partout. Un silence de mort régnait.
Lynris s’essuya le front. Elle transpirait.
« Qu’est-ce qu’il fait chaud, pensa-t-elle. On dirait un four. J’ai l’impression de me trouver dans une marmite, sur le feu, et de bouillir. »
Elle se mit à haleter. L’air était lourd. Pourtant, Shuzug n’en semblait pas affecté. Il se tourna vers la Dunmer.
-Ca va Lynris ?
-O… Oui… Ca va. J’ai juste un peu chaud.
-Chaud ?
Shuzug fronça les sourcils.
-Il fait pourtant froid, dit-il. L’air glacé s’infiltre par tous les trous dans les murs et par les fenêtres. Comment peux-tu avoir chaud ?
-Je… Je ne sais pas.
Au fond de la pièce il y avait une porte fermée. Celle donnant sur la chambre du père des enfants. Le duc Miziryo.
-J’ai l’impression de cuire, lâcha-t-elle.
-Cuire ?
Lynris s’approcha de la porte. A mesure qu’elle avançait, la chaleur se faisait de plus insupportable. Elle se mit à entendre des bruits sourds. Et des sortes de « glou glou », comme une louche remuant le contenu d’une marmite. Et des pleurs. Des pleurs d’enfants.
Elle posa sa main sur la poignée et frémit. Le contact froid du métal lui évoqua celui d’un hachoir bien aiguisé. Un hachoir dont on se sert pour trancher la viande et la réduire en morceaux. Pour ensuite la faire cuir dans un four… Ou une marmite.
Et les pleurs d’enfants…
Elle allait ouvrir la porte quand la main de Shuzug se posa sur son épaule et la tira en arrière.
-Non, dit-il d’une voix péremptoire.
-Que…
-Pas par là.
-Pourquoi ?
De l’autre côté de cette porte… Il fallait qu’elle voit la chambre de Miziryo. Il y avait quelque chose derrière qu’elle devait voir.
Les pleurs… La chaleur… Le son de la marmite en ébullition. Tout cela semblait venir de l’autre côté. Elle en avait le préssentiment.
-On redescend, fit Shuzug, les dents serrées. C’était une erreur de monter dans cette tour. On s’en va. Viens.
-Mais…
-Viens !
Cette fois, Lynris obéit. Le ton de l’Orque n’aurait admis aucune désobéissance.
Ils se dirigèrent vers la sortie et descendirent les escaliers à toute vitesse.
A mesure qu’elle s’éloignait de la chambre, Lynris sentait la chaleur s’estomper, jusqu’à disparaître. Enfin, ils arrivèrent en bas.
Lynris se plia en deux et tenta de reprendre sa respiration. Shuzug se pencha.
-Ca va aller ?
-Oui… Je crois… Shuzug, là-haut… Les enfants…
Elle étouffa un sanglot.
-J’ai tout ressenti ! Tout ! Même leur peur en sentant leur père arriver, un hachoir à la main… Par les Neufs…
-Nous n’aurions pas du nous arrêter dans ce fort, grogna Shuzug. C’est toi qui avais raison. Il faut partir, et vite.
-Exact.
Ils se retournèrent brusquement pour faire face à Roderick, dont la face était blême. Derrière lui, Fenrir ne semblait pas dans un meilleur état.
-Il faut qu’on s’éloigne de ce fort, fit le petit Dunmer d’une voix blanche. Qu’on s’en éloigne le plus possible.
-Qu’est-ce qui s’est passé ? lança Shuzug. Vous avez trouvés quelque chose dans les souterrains ?
-Non, répondit Roderick. Quelque chose nous a trouvés.