Moi je lui fait confiance, je sais qu'Ebony-dono ne nous trahira jamais.
Bim, bam, boum, là où personne ne l'attendait...
Chapitre 3
Après plusieurs minutes de déambulations dans l'obscurité, l'encadrement lumineux d'une porte se dessina dans les ténèbres, marquant un terme à la progression des deux hommes. Sans se retourner, Dakin pénétra le premier dans la pièce, révélant brièvement les murs inégaux du tunnel qui les avait conduit jusqu'ici. Après s'être assuré d'un ultime coup d'œil en arrière qu'il n'était pas suivit, Aris s'engouffra à sa suite d'un air solennel
Presque immédiatement, et en dépit de la clarté aveuglante qui emplissait la pièce, le rougegarde découvrit avec étonnement qu'ils venait de s'aventurer dans ce qui ressemblait fortement à une chambre d'auberge. Ayant scrupuleusement compté ses pas dans le souterrain, le chasseur de primes se livra à une brève estimation au terme de laquelle il jugea qu'ils se trouvaient sans doute toujours dans un endroit relativement isolé de la ville.
Couverts de meubles débordant d'ouvrages aux couvertures rongées par le temps, les murs obstruaient deux des trois fenêtres communiquant avec l'extérieur, laissant filtrer un unique rectangle de lumière blafarde au centre de la pièce. Encombrée de deux lits et d'un lourd bureau de chêne criblé de tâches d'encre et enseveli sous une montagne de manuscrits, la pièce était munie sur le flanc gauche d'un second battant de bois communiquant probablement avec le reste du bâtiment, sans doute désert s'il faisait confiance à la tendance isolationniste du Dunmer. Ce rapide examen des lieux acheva de rassurer le Alik'r. Tout portait à croire qu'ils ne seraient pas dérangés ici, lui laissant ainsi le loisir de se focaliser pleinement sur leur conversation imminente.
Sans perdre un instant, l'elfe noir s'était dirigé vers le bureau trônant au centre de la chambre, et avait ouvert l'un de ses tiroirs, faisant dangereusement osciller les piles de livres qui y reposaient. Sous le regard intrigué du rougegarde, il en extirpa une épaisse carte en peau, se tourna face à la fenêtre pour profiter du peu de visibilité qu'il pouvait en tirer, et entreprit de dérouler parchemin avec minutie.
Aris demeura dans l'attente durant un instant. Un millier de questions lui brûlaient les lèvres, menaçant de jaillir en un flot ininterrompu qu'il doutait de pouvoir endiguer s'il se risquait à poser la première d'entre elles. Pourquoi se retrouvait-il soudain en compagnie d'un membre de l'Ordre des Marcheurs, alors qu'il n'avait reçu aucune nouvelle de qui que ce soit depuis une éternité ? Comment l'elfe l'avait-il retrouvé ? Était-il seulement digne de confiance, ou avait-il au contraire un lien avec les assassins venus l'assaillir un peu plus tôt ?
Malgré sa curiosité dévorante, le Alik'r se contint tant bien que mal. Aussi insistante pouvait-elle être, sa soif de réponses devrait attendre que son interlocuteur soit prêt à y répondre, exigence qui paraissait bien loin d'être remplie. Car, s'il avait bien retenu une chose des années qu'il avait passé avec le Dunmer, c'était que ce dernier ne laissait jamais rien au hasard. En cet instant précis, il paraissait évident que leurs retrouvailles étaient loin d'être simplement dues à une volonté de son hôte de renouer avec leur amitié passée.
- Alors c'est ici que tu vis... lâcha simplement le mercenaire en faisant glisser son doigt le long du mur pour en déloger une fine couche de poussière.
- L'endroit est calme, et c'est tout ce dont j'ai besoin, rétorqua l'elfe noir sans lui accorder plus qu'un regard distrait. Je préfère autant que possible éviter que de parfaits inconnus ne se mêlent de mes recherches.
- Dakin Dolovas, menant son existence au beau milieu des rues de la capitale... murmura Aris, songeur. À vrai dire, même si je me doute bien que ce bâtiment est complètement désert, je m'étonne de faire ta rencontre dans un endroit pareil. Sentinelle est une bien grande ville pour un loup solitaire comme toi.
- Fuir la société m'apporterait bien plus de problèmes que de commodités, lâcha l'intéressé. Je dois bien me nourrir, et me cloîtrer dans un manoir ou un lieu vierge de toute présence humaine me forcerait à chasser, et donc à perdre un temps qui m'est trop précieux pour être dépensé à la légère. Par ailleurs, et comme tu en as fait l'expérience, cet endroit est parfaitement sûr.
- J'imagine que peu de gens penseraient à se jeter au travers d'un mur, fût-ce pour te débusquer, ricana le rougegarde, avant d'embrayer malgré lui sur une première interrogation. Quel genre de maléfice était-ce ? Je n'aurais pas l'audace de me considérer comme un expert en arts occultes, mais je n'avais jamais rien vu de tel, et je suis sûr qu'il s'agit de plus que d'une simple illusion.
- Je crains que nous ne soyons pas ici pour discuter des sortilèges qui protègent cet endroit, l'interrompit l'elfe d'un ton impérieux en se retournant brusquement. L'heure est grave, Aris.
Plaquant fermement les paumes de ses mains longilignes contre la carte qu'il venait de déplier, le Dunmer se mit à dévisager son compagnon d'antan d'un air presque cérémoniel.
Presque aussitôt, un étrange pressentiment s'empara du mercenaire. Peu de choses pouvaient pousser un elfe noir à coopérer avec d'autres individus, et Dolovas ne faisait pas exception à la règle. Devinant que la teneur de leur échange ne s'avèrerait guère des plus légères, le voyageur laissa consciencieusement une façade de gravité recouvrir son visage balafré, avant d'hocher la tête en silence.
- Puisque tu sembles prêt à y répondre, dit-il distinctement, ne laissons pas une telle question en suspense. Pourquoi suis-je donc ici ?
Quittant des yeux la carte à son bureau, l'ancien camarade du chasseur de primes se redressa, faisant cliqueter les rivets de son gambison dans un concert métallique aussi froid que son regard.
- Des choses se sont passé durant tes... périples, grinça l'elfe noir en accompagnant sa remarque d'un coup d'oeil clairement orienté en direction de la lame de son acolyte.
- De l'eau a coulé sous les ponts, c'est le moins que l'on puisse dire, corrobora le rougegarde en faisant l'impasse sur ce qu'il n'aurait su interpréter comme une pique ou une simple remarque désintéressée. Puisque je ne doute pas d'avoir manqué certains événements dignes de mon intérêt, éclaireras-tu ma lanterne ?
- Je n'éprouverais en temps normal pas le besoin de spécifier qu'une guerre civile a récemment éclaté en Bordeciel, mais je préfère être sûr que nous nous comprenons correctement. Je te laisse deviner ce que ce genre de conflits signifie pour nous.
- La révolte Sombrage de l'année dernière ? répondit Aris en haussant un sourcil dubitatif. Mis à part de vagues échos saisis au coin d'une taverne de temps à autres, je n'ai pas particulièrement prêté attention aux nouvelles concernant le Nord. Pourquoi m'en parles-tu donc ?
L'elfe marqua une pause et balaya prudemment la pièce du regard, comme s'il s'était attendu à ce que quelqu'un les épie en dépit du silence presque étouffant qui les entourait.
- Tu sais qui est derrière cela, n'est-ce pas ? reprit-il à demi-voix en se penchant de nouveau en avant, faisant trembler le bureau sous son poids.
- Bien sûr, lâcha le mercenaire sans s'appesantir en formules détournées. Qui d'autre que le Thalmor pour semer la discorde parmi les rangs des hommes ?
- La situation ne semble pas t'alarmer, fit remarquer le Dunmer d'un air platonique.
- L'Empire a mis fin à la rébellion avant qu'elle ne prenne trop d'ampleur, si mes souvenirs sont bons. Il est impossible que les mages du Domaine aient pu profiter du chaos pour... réaliser ce à quoi tu penses. La population n'est pas sous leur emprise.
Dakin hocha sobrement la tête, et se mit à fixer le parchemin qu'il avait déroulé sur le meuble, soudain en proie à une intense réflexion.
- En effet, leurs hauts-gradés n'ont pas du mettre les pieds chez les nordiques bien longtemps, reprit-il d'un air pensif. Mais je suis convaincu que cette fois-ci, leur objectif était ailleurs.
D'un regard suspicieux, Aris jeta un œil à la carte que l'elfe immobilisait sous ses paumes aussi religieusement que s'il redoutait que quelqu'un ne surgisse de sa propre ombre et ne s'en empare. Sur le parchemin, les contours de Tamriel -visiblement tracés à main levée- se découpaient sous une impressionnante couche de poussière et de résine, rendant difficile l'identification des différentes villes qui y étaient répertoriées. Seul un tas de marques rouges concentrées sur le flanc Ouest du continent attirèrent l'attention du mercenaire.
Relevant la tête en direction de son camarade, il réalisa que celui-ci avait suivit son regard avec un intérêt particulier.
- Tu n'es pas au courant, n'est-ce pas ? souffla le Dunmer avec gravité.
Avant même de comprendre précisément où son compagnon souhaitait en venir, le rougegarde secoua la tête en signe de négation.
- Je me suis tenu à l'écart de notre passé commun ces derniers temps. Trop d'obligations, trop de contrats, et trop peu de raisons de m'en détourner... Jusqu'à aujourd'hui.
- Heureux que tu prennes au sérieux mon invitation, acquiesça Dakin. Avant que je te fasse part de ma requête, tu dois savoir que nous sommes en danger. Toi, moi, mais aussi tous les membres de l'Ordre présents en Tamriel.
Sans que son visage ne laisse transparaître la moindre trace d'étonnement, le Alik'r fit quelques pas en direction de la fenêtre, et parcouru du regard la ruelle déserte qui se trouvait en contrebas. Bien que n'ayant pas encore franchi l'horizon, la marque de Magnus déclinait inlassablement dans le firmament, imprimant les chaudes couleurs de l'après-midi jusque sur la paroi de verre. Cela faisait sans doute des mois qu'il n'avait pas pensé à ses anciens camarades en contemplant le couchant de la sorte.
- En danger, dis-tu ? demanda Aris, occultant d'une main de maître toute trace d'intérêt de son intonation. Et pour quelle raison serions-nous menacés ?
- Il se trouve que, pour une raison qu'il me reste à découvrir, l'un des nôtres a décidé que le monde se passerait volontiers de notre présence. Il souhaite éliminer toute trace de notre passage sur Nirn, y compris notre existence.
- Si je te suis bien, articula le mercenaire avec détachement, un traitre se cache parmi les rangs de l'Ordre ?
- C'est bien cela.
- Comment peux-tu en être certain ?
- J'ai mes sources, n'aies crainte. Il a déjà commencé à frapper un peu partout en Tamriel, et il ne compte visiblement pas s'arrêter en si bon chemin.
- Dakin, s'il s'agit là de ta demande, je me dois de la décliner. J'ai du travail devant moi, et je doute de trouver le temps ou même l'intérêt de prendre part à vos querelles intestines.
L'elfe noir étouffa un ricanement de dépit.
- Tu sais pertinemment que je ne t'ai pas fait venir ici pour étaler ma nostalgie sur la table, commença-t-il d'un ton acerbe. Je n'ai que faire de la charité ou de la bonté que je doute qu'un mercenaire puisse encore déployer après des années de service. Non, c'est un problème urgent, et c'est à ton égoïsme que je fais appel. Tu as besoin de moi si tu souhaites survivre, et l'inverse est tout aussi vrai.
- Nous entraider ? s'étonna le rougegarde. Contre un seul homme ? Ne me fait pas rire, Dakin. J'ai autre chose à faire que de perdre mon temps avec ces plaisanteries.
- Penses-tu qu'il s'agisse d'une plaisanterie ? grinça le Dunmer. Je ne t'aurais pas fait venir ici si je pouvais régler ce problème seul. Si tu ne t'en charges pas à mes côtés, tu finiras par devoir le faire seul.
- Je vais reformuler, lâcha le Alik'r sans dissimuler un agacement naissant. Votre sort à tous m'est parfaitement égal. Douze ans ont passé depuis que j'ai adressé une parole à l'un d'entre vous. As-tu la moindre d'idée de ce que cela représente ? Des enfants sont nés, puis sont morts emportés par la maladie, des forteresses se sont dressées, avant de s'effondrer, des fleuves se sont taris et des forêts ont brûlé avant de rejaillir de leurs propres cendres. Douze longues années d'attente, puis d'indifférence, passées à spéculer sans jamais recevoir le moindre signe de vie venant de Yokuda ou de l'Ordre. Et du jour au lendemain, me voici, ici même, en train de converser avec toi d'un passé dont j'avais presque commencé à oublier l'existence. Quelle sombre plaisanterie est-ce donc ? N'as-tu à m'offrir qu'une flopée de requêtes puériles, au lieu de m'apporter les réponses que j'attends ?
- Je comprends que tu ne portes plus les Marcheurs dans ton cœur, tiqua Dakin. Je n'ai pas non plus été débordé de nouvelles venant du continent, et je sais que tes interrogations sont parfaitement légitimes. J'y répondrait en temps voulu, je t'en donne ma parole. Cependant, le temps presse : nous devons nous débarrasser de cet homme, et ce aussi vite que possible. Pour le peu de choses que nous avons encore en commun, je te le dis de nouveau : accepte de joindre tes forces aux miennes avant qu'il ne soit trop tard.
- Une telle insistance ne te mènera nulle part, l'arrêta sèchement le rougegarde. En nous sortant des ruines fumantes de la ville de Refuge, l'Ordre nous a donné à tous une chance d'échapper à la guerre. J'ai saisi cette opportunité aussi bien que vous, et je pense à Diagna chaque matin en remerciement pour l'existence qu'il m'a permis de mener. Nous ne nous tenons encore debout et en vie que grâce à lui, et j'en suis le premier conscient. Je me suis plié à son autorité et j'ai suivi ses directives durant l'intégralité de mon séjour par-delà la mer Abécéenne, mais ce temps est à présent révolu, et contrairement à la tienne, ma ferveur religieuse s'arrête là où commence mon intérêt personnel. Je ne laisserais pas derrière moi tout ce que j'ai bâti pour te suivre dans une stupide croisade à la poursuite d'un homme dont j'ignore sans doute jusqu'au nom. Pas au nom d'un Dieu auquel je ne dois plus rien.
- Tout ce que tu as construit ? lança le Dunmer, faussement surpris. Ces longues semaines passées à errer dans le désert t'auraient-elles fait perdre la raison ?
Face au regard circonspect du mercenaire, Dakin poursuivit avec lenteur, fixant ce dernier de ses deux pupilles rougeoyantes.
- Tu t'en doutes, je me suis amplement renseigné avant de venir te trouver. À vrai dire, je n'aurais pas pensé te voir en Martelfell, et encore moins en tant qu'exécuteur de basses besognes. Aussi ironique que cela puisse paraitre, certains dans cette ville voient le mercenariat comme une source de prospérité aussi bien éthique que financière. Le meurtre paye remarquablement bien par ici, surtout lorsque la garde de la ville ne s'y risque plus même lorsque cela est nécessaire. Mais tes exploits guerriers sont bien loin d'attiser mon admiration étant donné la virulence avec laquelle ton penchant mal avisé pour la boisson te pousse à dilapider ton or presque plus vite que tu ne l'amasses. En entendant ton nom pour la première fois depuis si longtemps, je m'attendait à trouver un tout autre homme que celui que je contemple à présent. Tu empestes l'alcool et le sang, Aris. N'as-tu donc fuit Hauteroche que pour pouvoir t'effondrer ivre mort entre deux tables une fois le soir tombé ? Je t'en prie, ne te moque pas de moi en prétendant avoir fait honneur à la vie que l'Ordre t'a offert. La seule chose que tu aies érigé ici est une montagne de cadavres et de bouteilles vides.
- Où souhaites-tu en venir ? gronda le Alik'r, piqué au vif par le ton sentencieux de son camarade.
- Te voilà bien facile à froisser, ricana l'elfe noir avant de reprendre son sérieux. Tu restes prévisible, après tout. Pour être honnête, je m'attendais à une telle réticence de ta part.
- Alors pourquoi m'avoir fait venir perdre mon temps ici ? l'interrogea impétueusement le rougegarde.
- Parce dès l'instant où j'ai vu ton visage, j'ai su que tu accepterais ma proposition, poursuivit le Dunmer avec une assurance indéfectible. Et c'est ce que tu vas faire d'ici très peu. Je sais pertinemment qu'il faut bien plus que de l'or ou des femmes pour te faire sortir hors de ces habitudes pitoyables. Mais même le plus entêté des imbéciles peut faire preuve d'un peu de bon sens lorsque sa vie est en jeu.
- Est-ce une menace ? souffla af-Ozalan tout en rapprochant imperceptiblement sa main du pommeau de son glaive.
- Ne joue pas à l'aveugle, Aris, l'avertit-il froidement. La menace ne vient pas de moi, et tu le sais très bien... L'assassin dont je te parle a déjà tué plusieurs des nôtres, et il continuera tant que personne n'aura mis un terme à ses agissements.
- Ainsi, mon esprit ne m'aurait point dupé ? rétorqua le Alik'r avec un haussement de sourcils. Te voilà bel et bien effrayé par un simple spadassin ? Non, je dois mal saisir la situation. Dakin Dolovas ne craignait rien ni personne avant de s'enfermer dans une chambre d'auberge il y a quelques années de cela.
Un éclat de rire nerveux souleva soudain la poitrine de l'elfe noir, et se réverbéra contre les parois de la pièce avec une intensité sinistre durant de longues secondes. Sentant un malaise inexplicable le gagner, Aris fit méticuleusement pivoter ses appuis en direction de la porte se trouvant au fond de la pièce, peu confiant à l'idée d'emprunter le chemin hasardeux qui l'avait conduit jusque-là si les choses dégénéraient. Devait-il pour sa propre sécurité mettre fin à leur échange en dépit des questions qu'il avait à poser ?
À peine cette éventualité venait-elle de traverser son esprit que le Dunmer se tut brusquement, faisant disparaître ses émotions sous un masque de gravité. Après avoir ponctué son silence d'un bref soupir, il se remit à dévisager le rougegarde de sa mine fermée, cherchant judicieusement les prochains mots qui franchiraient ses lèvres.
- Cette fois, le Thalmor est de la partie, lâcha-t-il simplement. Cet homme va nous retrouver, les uns après les autres, et il laissera ses amis du Domaine se charger de nous. Et tu peux être certain qu'ils le feront, parce que la seule chose qui leur importe est de nous supprimer, nous et tous ceux à avoir fait partie des équipages ayant fui vers les côtes de Yokuda il y a maintenant vingt ans.
Fronçant les sourcils, Aris se remit à dévisager son acolyte. La prestance martiale de l'elfe noir n'avait pas décru, et pourtant, l'air inquiétant avec lequel ce dernier le fixait faisait presque passer sa déclaration pour un aveu de faiblesse. Mais il y avait bien plus important.
- Le Thalmor ? souffla le rougegarde d'un air grave, le front plissé par les stigmates d'une inquiétude aussi soudaine que viscérale. En es-tu certain ?
- J'ai brûlé les rares documents qui sont passé sous ma main, mais il n'y a pas d'erreur possible, répondit le Dunmer, chargé d'amertume. Et si notre nouvel ennemi a décidé de faire appel à eux, c'est qu'il compte bien accomplir sa macabre tâche, même si cela le force à collaborer avec Aldmeri.
- Le Thalmor n'entrera pas ici, répondit le rougegarde à brûle-pourpoint en se mettant nerveusement à faire les cent pas. Martelfell surveille attentivement ses frontières maritimes, et les elfes ne courent pas les rues de Sentinelle. Si je reste attentif, ils ne pourront...
- D'autres avant toi ont probablement tenu un discours similaire, trancha l'elfe noir. Certains bien plus forts, plus malins ou plus fourbes que tu ne le sera jamais. Mais les belles paroles ne t'auront amené à rien lorsqu'ils soulèveront ton cadavre fumant pour le jeter dans un puits. Tous avant nous ont pensé être à l'abri, et tous étaient convaincus avoir amplement les moyens de se défendre. Peu importe. Ils se trompaient, et ils en ont payé le prix.
En se retournant, Aris se rendit compte avec stupéfaction que l'elfe noir se tenait prostré en avant, tête baissée. Crispées au point d'en blanchir, ses mains restaient figées sur la carte telles deux pierres tombales.
C'est en contemplant la surface jaunie du cuir que le rougegarde comprit avec horreur qu'il s'était trompé. Les mot griffonnés hâtivement au-dessus de chaque croix n'étaient pas des villes.
- Dakin, balbutia le Alik'r, à présent obnubilé par la quantité de marques couvrant le croquis. Toutes ces marques... Ce sont des noms ?
- Te souviens-tu d'eux ? demanda l'elfe d'un souffle inaudible. La plupart de leurs visages ne me revient toujours pas. Et désormais, je sais que je n'aurais plus jamais l'occasion de me les remémorer.
Cette vision surréaliste laissa le rougegarde interdit durant plusieurs secondes, laissant un silence de plomb s'abattre sur les deux compagnons. Soudain effrayé à l'idée de croiser le regard de son acolyte, le Alik'r se retourna, et laissa s'écouler une minute supplémentaire. Incertain, la tête rivée en direction de la fenêtre avec une attention redoublée, le mercenaire tentait en vain d'assimiler le flux d'informations toutes plus sinistres les unes que les autres auquel il se retrouvait brusquement confronté. Et pour chacune, un éventail d'incertitudes sordides se déployait immanquablement, ne faisant que s'ajouter à la liste déjà trop fournie de ses interrogations. Quel genre de situation désespérée pouvait donc bien pousser un être ayant frôlé et déjoué la mort un nombre incalculable de fois à se tenir recroquevillé dans sa demeure, réduit à s'en remettre à l'aide de ses anciens camarades, alors même que les menaces pouvant possiblement planer sur son existence devaient se compter sur les doigts d'une main ? Comment Dakin Dolovas, prestigieuse fine lame de l'Ordre des Marcheurs et combattant rompu à la maîtrise de toutes les armes, pouvait-il réellement craindre pour sa vie ?
Un coup d'œil supplémentaire au parchemin poussa Aris au bord de la nausée. Sous son regard, les marques semblaient se multiplier, surgissant de sous les fleuves et de derrière les montagnes pour couvrir la surface du papier quel que soit l'endroit où le menaient ses yeux. En quelques instants, la mort semblait s'être propagée à travers tout le continent, transformant ce qu'il avait pris pour une simple carte en un gigantesque cimetière. Tous ces noms ne lui disaient rien, mais il était presque certain que ceux qui les portaient étaient bel et bien morts. La pensée de ces vieux confrères disparus, dont il n'avait aucun souvenir et auxquels il ne vouait aucune empathie ni aucune affection particulière, suffit malgré lui à lui écraser la poitrine au point d'en rendre sa propre respiration douloureuse.
- Étions-nous seulement si nombreux ? murmura le Alik'r, soudain à l'étroit dans son propre pourpoint.
L'absence de réponse de son acolyte laissa rapidement ses pensées bouillonnantes reprendre leur cours. Pourquoi n'avait-il reçu aucun message, ni aucune directive, alors que ceux qui marchaient jadis à ses côtés tombaient par dizaines ? Combien restait-il d'entre eux ? Étaient-ils les derniers survivants ? Qui était cet assassin ? Quel genre d'homme pouvait bien être capable d'agir avec autant d'efficacité ?
Peu à peu, Aris commençait à comprendre que le danger dont lui faisait part le Dunmer était peut-être bien plus grand qu'il ne l'aurait pensé au premier abord.
- Comment peux-tu être certain qu'il s'agit de l'un d'entre nous ? manda de nouveau le rougegarde en faisant taire ses émotions. Le Thalmor a amplement les moyens de s'informer sans interagir avec l'un des nôtres.
- Il est vrai que ceux qui en sont à la tête disposent d'assez de moyens et d'informations pour nous attaquer de front, acquiesça l'elfe noir en effleurant lentement la pile de livres reposant sur la table. Mais s'il le fallait, le Domaine déferlerait sur Yokuda du jour au lendemain, et nous ne pourrions pas l'en empêcher. Pourtant, ils n'ont pas entreprit une seule action à notre encontre depuis des années, et nous traquer un par un à travers Tamriel semblait jusqu'à maintenant bien trop fastidieux et coûteux en ressources pour qu'ils s'y risquent sachant que leurs relations avec l'Empire se dégradent continuellement depuis la mort de l'Empereur Titus Mede II. Ce qui signifie...
- ...que quelqu'un est en train de leur offrir nos têtes sur un plateau d'argent, compléta le Alik'r.
- Qui de mieux qu'un membre de nos rangs pour duper notre confiance et venir à bout de nous de l'intérieur, après tout ? acquiesça l'elfe noir. J'ignore comment il est parvenu à mettre la main sur tant de nos membres, mais en plus d'être déterminé, il semblerait qu'il sache exactement où et quand nous trouver.
- Dakin, le coupa Aris. Suis-je le premier à converser avec toi à ce sujet ?
Le Dunmer opina silencieusement du chef.
- Tu étais le seul interlocuteur de confiance dont je pouvais rapidement remonter la trace dans la région. Avant de retrouver les autres, il me fallait essayer de te rallier à notre cause.
- Tu sais où sont les survivants ? bondit le rougegarde en faisant volte-face. Combien sont-ils ?
- J'ai gardé contact avec une poignée d'entre eux, mais je n'ai aucun moyen de savoir s'ils sont en sécurité à l'instant où nous conversons. Les nouvelles se font de plus en plus rares, et l'éloignement n'arrange rien...
Dakin suspendit sa phrase, pensif, puis se leva prestement, avant de se tourner vers le mercenaire, un éclat solennel dans le regard.
- Je partirais demain à la première heure avec Neloth. Feras-tu équipe avec nous ?
Au ton de son compagnon, Aris devina immédiatement que son interlocuteur posait cette question pour la dernière fois.
- Je ne sais pas, soupira le Alik'r au bout d'un instant de réflexion. Je veux bien croire à ton histoire, mais j'ignore si je peux faire confiance à un homme que je n'ai pas vu depuis une décennie. Tu ne m'en a pas dit assez.
- Hélas, c'est impossible, regretta le Dunmer. Si je te révèle quoi que ce soit d'autre et que tu refuses de m'accompagner, je serais forcé de m'assurer de ton silence de façon définitive, et je sais qu'aucun de nous deux ne désire cela. Te laisser porteur de tant d'informations nous condamnerait tous si le Thalmor finissait par te retrouver.
- Comment suis-je supposé te croire sur parole si tu refuses de me donner le moindre détail ?
- Tu es en vie. Cette preuve ne te suffit-elle pas à comprendre que je suis de ton côté ?
- J'aimerais que les choses soient aussi simples, soupira le mercenaire. Mais ce n'est pas le cas, et tu le sais très bien. Je me suis attaché à cet endroit, et ce que tu penses de la façon dont je passe mes soirées n'y changera rien. Je n'ai pas envie de quitter Martelfell sans savoir précisément dans quoi je m'engage.
- Je comprends, fit Dakin en se laissant tomber dans son siège avec dépit. Eh bien, si tout ce que je t'ai dit n'a pas suffi à te faire changer d'avis, je doute que quoi que ce soit d'autre soit en mesure de le faire. Neloth t'attend là où nous l'avons laissé. Un mot de ta part, et il te conduira jusqu'à la...
- Un instant, l'interrompit le rougegarde. Je n'ai pas dit que je refusais ton offre.
La surprise illumina brièvement les traits du Dunmer, qui se releva lentement, comme s'il craignait que son empressement ne le fasse changer d'avis.
- Il est vrai que me lancer avec toi dans l'inconnu sans avoir une traître idée de ce qui m'attend me répugne, mais je préfèrerais mourir maintenant plutôt que de passer douze années de plus sans obtenir les réponses aux questions qui me tiraillent depuis mon retour en Tamriel. Et même si je ne porte aucun espoir ni aucun attachement envers votre petite entreprise, je n'hésiterai pas à te suivre à la trace pendant des semaines s'il s'agit là du seul moyen de voir ma curiosité satisfaite.
- Ce qui signifie... ? commenta l'elfe noir en haussant un sourcil interrogateur.
- Ce qui signifie que je t'accompagnerais aussi longtemps que je l'estimerais nécessaire, conclut Aris en s'avançant au niveau de son camarade d'antan.
S'armant d'un air aussi formel qu'il était possible de le concevoir, le Dunmer hocha la tête à plusieurs reprises, réajusta fermement son gambison, se dressa de toute sa hauteur, et tendit subitement sa main à Aris.
- Si telle est ta décision, af-Ozalan, alors je ne peux que t'en féliciter. Bon retour parmi l'Ordre.
Amazing
Le 04 mars 2018 à 16:45:04 Jack_of_blood a écrit :
Amazing
Tapalu
Je découvre en ce qui me concerne. Je ferai un petit retour plus tard dans la soirée !
Ok, merci bien l'ami
Le 04 mars 2018 à 21:51:52 Elekfr a écrit :
Au boulot, toi aussi t'as une fic à écrire si j'ai bonne mémoire
Le 04 mars 2018 à 22:36:25 TheEbonyWarrior a écrit :
Le 04 mars 2018 à 21:51:52 Elekfr a écrit :
Au boulot, toi aussi t'as une fic à écrire si j'ai bonne mémoire
il paraît
Mais je suivrais aussi celle la en attendant
Je up comme ca y'a deux fics en première page
Désolé pour le retard...
Pour le moment, je trouve l'histoire vraiment intéressante, l'écriture assez agréable. En revanche, je pense que tu abuses un peu trop des incises dans les dialogues, ça alourdit ces derniers.
Le 09 mars 2018 à 18:26:33 DaemonFeunoyr a écrit :
Désolé pour le retard...Pour le moment, je trouve l'histoire vraiment intéressante, l'écriture assez agréable. En revanche, je pense que tu abuses un peu trop des incises dans les dialogues, ça alourdit ces derniers.
Pas faux, j'essaye en général d'en mettre beaucoup (parce que je comptais en l’occurrence mettre un maximum d'informations sur les personnages en un minimum de chapitres pour raccourcir), mais c'est vrai que c'est pas très digeste si j'en abuse.
up
Petit up pour prévenir que le chapitre avance bien et sera sans doute là pour ce weekend
mais mais mais
mais
le chapitre 1 a deja redisparu
LA MODÉRATION QUI ME SABORDE
Je fais une demande de restauration, je le reposterai si besoin
Coucou, tenez, un chapitre :
Chapitre 4
Nérévar ne craignait point le froid.
Drapé de son ample manteau d'ébène et de brocart doré, l'Altmer progressait avec fermeté, en dépit des éléments déchaînés l'assaillant de toutes part comme pour le rejeter vers les côtes qui l'avaient vu rallier le continent.
Une bourrasque à coucher un arbre le cueillit de plein fouet, soufflant sa crinière blonde en arrière et agitant furieusement le tissu de ténèbres chatoyantes encadrant son visage anguleux pour se déployer à sa suite au gré du mistral, semblable au plumage d'un immense corbeau traversant la tourmente glaciale. Empêtré jusqu'aux genoux dans la poudreuse et soumis à la rage des cieux hurlants, un elfe normalement constitué aurait dû lutter de toutes ses forces dans le simple but de tenir debout, mais celui-ci suivait sans mal la cadence des voyageurs le précédant, envouté par la perspective imminente de voir sa mission enfin achevée au point d'en oublier l'épuisement ayant gagné ses membres engourdis.
Loin devant lui, les hommes continuaient de se mouvoir maladroitement, comme un funeste cortège de spectres incertains aux contours délavés par le blizzard. Bien que rendus imperceptibles par le souffle acharné de la tempête, il pouvait sans mal deviner les gémissements qui les animaient à chaque pas supplémentaire, annonciateurs de leur inévitable défaite face à l'impétuosité de la terre ingrate qui les avait vu naître.
Ils avançaient à présent depuis plusieurs heures. À la faveur du zénith, le groupe avait repris la route, s'estimant naïvement à l'abri des intempéries cataclysmiques qui balayant pourtant presque quotidiennement les rivages de la Mer des Fantômes. Tel une mère louve sentant les intrus pénétrer en son vaste domaine, la tourmente avait surgit sans prévenir, obscurcissant du même coup le ciel et les visages déjà inquiets des guerriers s'étant aventurés si loin de toute civilisation depuis leur départ de Fordhiver, presque trois jours plus tôt.
Jusqu'à présent, tout s'était plus ou moins déroulé comme prévu. Ayant accosté plus d'une semaine auparavant au milieu de nulle part, l'Altmer avait dû marcher durant plusieurs jours afin de remédier à la dérive de son navire, mais le cours des évènements avait tourné en sa faveur sitôt qu'il avait rejoint Aubétoile. Bien qu'ouvertement hostiles à la présence d'un elfe arborant les insignes du Thalmor en ville, les habitants s'étaient vu forcés de céder face aux penchants cosmopolites du Jarl Brina Merilis, lui offrant une immunité temporaire aux soupçons susceptibles d'entraver ses faits et gestes. Intercepter le corps expéditionnaire avait été un jeu d'enfant. Éreintés par la longue route qu'ils venaient de parcourir, les voyageurs s'étaient arrêtés une journée entière dans la cité, lui laissant tout le loisir de se préparer au voyage qui les attendait. Depuis leur départ, ils n'avaient plus croisé âme qui vive, et les prédateurs hantant la toundra l'avaient complètement ignoré, préférant s'attaquer à la cible plus facile que constituait un groupe d'hommes inégalement équipés se dispersant fréquemment afin de chasser ou de se repérer. Contrairement aux humains, les bêtes avaient la prudence bienvenue de se tenir loin de lui.
Nérévar laissa son visage se fendre d'un sourire cruel, révélant une dentition aussi immaculée que le paysage qui les entourait. Le temps n'avait fait que jouer en sa faveur, et désormais, l'issue de son entreprise lui apparaissait avec clarté. En cas de besoin, il pouvait balayer ces hommes inattentifs à la vigueur entamée d'un simple geste du poignet. Aucun n'avait encore conscience de sa présence, et lorsque tel serait le cas, pas un seul ne serait en mesure de s'opposer à lui. Restait à attendre, et espérer qu'au moins une partie du groupe serait capable de rejoindre Saarthal sans encombre.
Vestiges de la civilisation des premiers hommes et ultime insulte à leur règne passé, les ruines de la cité nordique avaient toujours suscité un intérêt non dissimulé au sein des rangs de ses confrères de l'Archipel. Soucieux de se parer à toute éventualité, les grands pontes du Domaine avaient décidé, à l'aube du second siècle de l'Ere quatrième, de dépêcher plusieurs agents sur le continent afin de réunir des informations au sujet de la ville disparue des Atmorans. Couplée à cette mesure, l'arrivée en Bordeciel d'un agent de la guilde des mages de Kvatch, Ancano, avait contribué à parachever la mise en mouvement de leurs pions au sein d'une partie qu'ils pensaient gagnée d'avance.
Mais après de longs mois d'échanges infructueux, une lettre du chancelier leur était parvenue. Refusant catégoriquement de leur communiquer l'essence de ses découvertes, Ancano avait néanmoins daigné les informer que le contrat qui le liait au Domaine Aldmeri ne représentait à ses yeux plus qu'une grossière perte de temps.
Gardant avec dépit la mémoire du général Naarifin et des manigances officieuses qui leur avaient coûté le contrôle la Cité Impériale durant la Grande Guerre, les décideurs du conseil d'Alinor avaient précipitamment chargé un groupe d'hommes d'enquêter au sujet du renégat. Et les nouvelles avaient été pour le moins déconcertantes.
Non contente d'avoir découvert la présence de l'Œil de Magnus dans les catacombes de Saarthal, l'Académie avait communément décidé de dissimuler l'artefact dans le plus grand secret, sans même en avertir la Guilde des Mages. Privés du seul partenaire de confiance en mesure de les tenir au courant des plans de l'Archimage, les dignitaires d'Aldmeri avaient ainsi eut vent avec de la trahison et la mort d'Ancano, puis à la disparition –que tous craignaient définitive- de la relique en même temps que le commun des arcanistes du continent, soit près d'une semaine trop tard pour espérer agir. Lorsque l'intervention des Psijiques avait éclaté au grand jour, l'Œil était déjà confiné depuis de longues heures, hors de l'atteinte du Thalmor.
Comprenant qu'il avait été doublé, et qu'il le serait sans doute de nouveau à moins d'investir des ressources considérables dans la surveillance de leurs effectifs exfiltrés, le Conseil avait unanimement décidé de mettre fin au projet, signant le rapatriement d'une bonne cinquantaine d'agents secondaires disséminés à travers le continent pour épier les faits et gestes de la Guilde de Bordeciel.
Et, pour la première fois en un demi-siècle d'existence, Nérévar avait désobéi aux ordres. Aidé d'une poignée de camarades, l'Altmer avait profité d'une tempête de haute mer pour détourner l'un des trois navires censés regagner l'Archipel, exécutant le capitaine et faisant passer par-dessus bord deux malheureux ayant tenté de les en empêcher. Se jetant dans l'océan à bord de l'unique barque dont disposait le galion, il avait ramé durant presque deux jours entiers, abandonnant derrière lui tout espoir de retourner à Gardeciel couvert de louanges.
Mais peu lui importait. En souvenir des innombrables mois qu'il avait passé à tisser ses propres relation à Bravil, en souvenir des efforts qu'il avait vu réduits à néant par les égarements d'Ancano, il découvrirait la teneur de ce qu'il savait se tramer à Sarthaal. Les affronts faits à sa patrie par les ordures qui en gangrénaient les rangs en avaient trop longtemps fait vaciller les fondations millénaires d'Aldmeri sur lequel il avait été assez crédule pour fonder ses espoirs d'achèvements personnels. Il avait certes échoué, mais loin de le décourager, cet échec lui avait ouvert les yeux. Jamais plus la folie d'un autre ne nuirait à sa propre ascension. Et s'il devait raser un village, massacrer les siens ou ruiner l'honneur de sa lignée pour sauvegarder le sien, il n'hésiterait pas une seule seconde.
Les hommes firent bientôt une halte, incapables de poursuivre davantage. Les oreilles bourdonnantes en raison du vacarme ambiant, Nérévar posa un genoux à terre, se fondant dans le décor lugubre qui les environnait. À travers le voile presque opaque qui s'abattait sans discontinuité sur eux, aucune forme ne transparaissait à l'horizon. Pas un arbre à des kilomètres, pas un signe de vie, pas un seul son familier susceptible de lui évoquer les terres luxuriantes qu'il avait abandonné derrière lui presque cinq ans auparavant. Rien que le crissement des flocons contre sa cape et le froid immaculé s'étendant au-delà de toute compréhension, engloutissant peu à peu les restes vacillants des civilisations qui avaient précédé les leur.
En dépit du manque d'informations dont il disposait concernant leur progression, l'Altmer était persuadé qu'ils longeaient à présent la banquise. Cela faisait plus d'une heure que son regard n'avait pas croisé le moindre relief, et la dureté croissante du sol sous ses bottes le confortait dans ses estimations. Leur objectif n'était sans doute plus qu'à quelques centaines de mètres.
Plus loin, un vieil homme leva les bras au ciel, comme pour implorer la miséricorde des divinités perverses ayant jonché leur chemin d'embûches. Lesquels vénéraient-ils donc ? Shor ? Azura ? Lorkhan ?
Non, ceux-ci étaient soumis à la volonté d'un mortel, d'un homme ayant foulé le continent bien avant qu'ils ne voient le jour. Après quelques secondes d'incertitude, Nérévar se souvint que, contrairement aux dieux, ce dernier ne possédait qu'une seule et unique appellation.
Ysgrammor, meneur des colons d'Atmora et fondateur des premières cités humaines de Bordeciel. Les Cinq-Cents... Combien étaient-ils, à présent ? Quelques dizaines, peut-être ? Question futile. Ceux qu'il contemplait à présent n'avaient de Compagnons que le titre usurpé. Les hommes qu'il scrutait froidement étaient d'une toute autre étoffe que ceux qui avaient décimé les rangs de ses ancêtres. Les elfes s'étaient vu déloger des étendues glaciales par de véritables colosses aux pouvoirs démesurés et à la force surnaturelle. Mais ceux-là étaient fragiles. Peureux. Cassants. Comme les créations imparfaites qu'ils étaient, ils avaient facilement plié devant la menace d'une nation plus glorieuse. Combien de temps résisteraient-ils encore avant de voler en éclats ?
Très bientôt. Très bientôt, cette poignée d'aventuriers reposerait pour toujours sur le sol inhospitalier d'une terre qui les punissait chaque instant d'avoir osé s'y installer pour prospérer.
Perdu dans ses pensées, l'elfe fut tiré de sa léthargie contemplative par l'exclamation d'un second homme s'étant avancé davantage dans la tempête. Vêtu d'une imposante fourrure brune, le Compagnon remua grotesquement son faciès disgracieux et rougi par le froid dans une tentative d'attirer l'attention de ses camarades. L'un d'entre eux se leva, et jura à son tour, rapidement imité par plusieurs de ses camarades.
D'une lente rotation de la nuque, l'Altmer parcouru d'un regard circonspect le paysage désolé.
Les pupilles dorées qui animaient son visage s'étrécirent brusquement à la vue d'une ombre floue, située à moins d'une trentaine de mètres du groupe. Il y avait quelque chose.
Révélée par le déclin progressif de la tempête, une immense paroi de glace se émergea soudainement du brouillard, percée d'un puit de ténèbres inhospitalières. Criblée d'énormes poutres de constructions gelées, la galerie semblait s'enfoncer dans les profondeurs du monticule, desquelles il crû brièvement distinguer la lueur fugace d'un flambeau dansant au milieu de l'obscurité. Déjà, les premiers membres de l'expédition saisissaient les bagages qu'ils venaient à peine de déposer, et se relevaient un par un pour s'avancer hâtivement en direction de la cavité, galvanisés par la proximité inattendue de leur objectif. Saarthal était là, sous leurs yeux, attendant patiemment d'être conquise.
Nérévar attendit patiemment que tous les hommes aient pénétré dans l'alcôve, et maintint un immobilisme total durant près d'une minute supplémentaire avant de se relever. D'une démarche glissante, l'Altmer s'approcha lentement du boyau, esquissa un rictus fier en contemplant ce dernier, puis s'en détourna. Consciencieusement, il entreprit de longer la paroi abritant la caverne, maintenant une distance de quinze pas avec celle-ci au cas où l'un des voyageurs soit pris d'une soudaine envie de rebrousser chemin pour se jeter à corps perdu dans le blizzard. Il marcha durant quelques temps, laissant les cieux tourmentés s'éclaircir davantage au-dessus de lui. Lorsque la muraille naturelle se mit enfin à décroitre sur son flanc droit, la voute céleste s'était nettement dégagée, laissant un instant de répit à ses tympans malmenés par les sifflement ininterrompu des vents polaires au cours des dernières heures. Profitant de l'accalmie, il pressa le pas, impatient de régler au plus vite une tâche qu'il devinait pénible. Très vite, le paysage surgit enfin à sa droite, révélant une après-midi déjà bien entamée.
Au loin, les étendues d'ivoire se jetaient dans les flots écumants de la Mer des Fantômes, irisée de reflets pourpres sous l'éclat impassible du soleil hivernal. Peu touché par la scène magnifique se présentant à lui, l'Altmer jeta un coup d'œil circulaire autour de lui. Il était temps d'avertir son nouvel équipage de sa réussite.
Trouver de l'eau aurait probablement été la tâche la plus difficile de sa journée s'il n'avait pas été formé aux arts des arcanes. S'accroupissant dans la neige, Nérévar tassa la poudreuse sur une petite zone circulaire juste devant lui, puis entreprit de déchirer un pan de sa manche. Faisant s'embraser le tissu d'un claquement de doigts, l'Altmer déposa ce dernier au sol, et attendit quelques minutes que la chaleur produise l'effet escompté.
Lorsqu'une quantité d'eau suffisante fut accumulée dans le puit ainsi formé, il se positionna au-dessus de la flaque, et prononça à voix basse une formule ayélide complexe.
Bien évidemment, sa prononciation était irréprochable. La surface du liquide s'agita brusquement, se fendit en deux selon une ligne verticale parfaitement droite, puis se mit à vibrer lentement. Quelques incantations supplémentaires, et la démarcation entre les deux hémisphères se troubla, avant de disparaître complètement, laissant le mage face à son propre reflet.
À la surface de l'eau, les traits de l'Altmer se régorganisèrent soudain. Son nez aquilin s'allongea brusquement, ses pommettes gonflèrent, sa chevelure blond platine se couvrit d'un noir de jais, et une teinte émeraude remplaça le doré de ses pupilles.
Il se tenait à présent face à Anthar le Sans-Paumes, capitaine improvisé de la bande de déserteurs qu'ils formaient depuis peu. En dépit de son jeune âge et de son physique intimidant, l'Altmer avait déjà commencé à présenter quelques signes de faiblesse : deux rides sillonnaient son front, et ses joues semblaient creusées par une fatigue inhabituelle. Si ses aptitudes magiques lui avaient évité de souffrir du roulis ou des privations endurées par leur flotte au cours de ce retour précipité vers l'Archipel, Nérévar devinait que ses compagnons supportaient mal les effets confondus du froid et de la faim. Anthar ne devait pas faire exception.
- Comment avance ta mission ? s'enquit ce dernier d'une voix grondante déformée par le sortilège.
- Le cours des événements dépasse mes espérances, répondit Nérévar avec un léger sourire. Les Compagnons viennent de trouver l'entrée de Sarthaal.
- Pas de signe de l'Académie ?
- Non, aucun. Ces imbéciles surveillent toujours l'entrée principale en pensant que personne ne chercherait à les doubler. Je doute qu'ils aient connaissance de cet accès, et si tel est le cas, ils n'ont pas daigné nécessaire de le garder. Je déroberai le fruit de leurs efforts une fois qu'ils se seront chargés de dégager la voie.
Alors qu'une réponse s'apprêtait à animer les lèvres de son interlocuteur, un choc sourd retentit à travers la projection, et son visage se perdit dans un déluge de couleurs, ne reparaissant qu'après plusieurs secondes.
- Pardonne-moi, je ne regardais pas où je mettais les pieds, ricana le capitaine. Par Auriel, les vagues de cette maudite terre sont encore plus féroces que les ignares qui la peuplent.
- Il me faudra bientôt mettre au point une nouvelle formule, acquiesça l'Altmer en observant de minuscules cristaux se former à la surface du liquide. En Cyrodiil, je pouvais maintenir ce sortilège plusieurs minutes, mais le gel rend nos échanges pénibles. Comment vont les choses de votre côté ?
- Nous n'avons pas encore été dérangés. Les spectres de glace se tiennent sagement à l'écart pour le moment, et je doute que le reste de notre flotte fasse demi-tour pour se débarrasser d'une quinzaine de mutins.
- C'est une bonne chose. Restez proches du rivage en attendant de mes nouvelles. Je vous recontacterai à l'aube si le destin le permet, mais dans le cas contraire, considérez notre mission comme un échec.
- Nous sommes prêt à faire cap sur ta position au moindre signal, articula Anthar, le visage hideusement déformé par le givre naissant en périphérie du cercle aqueux. Puisse ma bénédiction purifier tes mains du sang de nos ennemis lorsqu'elles en seront couvertes.
D'un hochement formel du chef, Neverar passa le plat de sa main au-dessus de l'eau, rompant l'effet de l'incantation. Fermant les yeux en adressant une prière muette au reste de l'équipage, l'Altmer effleura du bout des doigts la lame dissimulée sous la ceinture de son manteau. Le poignard du précédent capitaine reposait toujours contre sa peau, glacial et acéré, comme une larme vengeresse figée dans la colère de son défunt propriétaire. Il était grand temps de montrer qu'il était plus digne de porter les attributs d'un général que n'importe qui d'autre à la surface de ce continent.
L'elfe se releva à moitié, et ponctua son geste d'un ultime regard en direction de son présupposé reflet, désormais rendu indiscernable par les glaces ayant recouvert son cercle d'incantation. C'est alors qu'un fait déconcertant lui parvint.
Les pupilles trônant au sommet de sa silhouette brouillée par le froid ne semblaient pas aussi clairs qu'ils auraient dû l'être.
Déconcerté par ce détail intriguant, l'arcaniste n'eut que le loisir de réaliser sa méprise : ces yeux aux reflets orangés n'étaient pas les siens, mais ceux de l'ombre juchée juste derrière lui, attendant patiemment d'être remarquée.
Le temps qu'il se retourne, les contours de l'homme avaient déjà disparu.
L'assaut qui suivit fut si rapide qu'aucun autre son qu'un grognement de douleur ne s'échappa d'entre ses lèvres. Nérévar heurta le sol avec violence, et le bref assourdissement qui emplit sa boite crânienne laissa place au crissement vaporeux de la neige se dissolvant au contact de sa joue ensanglantée.
- Une seule bribe d'incantation, et tu es mort, siffla la voix de son agresseur tandis que la semelle de sa botte s'abattait fermement contre les omoplates de l'elfe.
Perplexe, Nérévar crispa les mâchoires de toutes ses forces afin de contenir le grondement furieux s'élevant de ses entrailles. D'où cet homme surgissait-il ? Absorbé dans sa discussion, il n'avait rien remarqué. Se faire surprendre ainsi ne lui ressemblait pas, et une telle mégarde lui aurait peut-être valu d'être tué sur-le-champ si son adversaire avait eu la présence d'esprit d'essayer de l'éliminer tant qu'il le pouvait encore.
Profitant du fait que son bras gauche couvert par son ample robe échappe à la vigilance de son adversaire, il glissa sa main dans l'ourlet intérieur de sa tenue, accédant ainsi à son poignard. Jaugeant le temps qui lui serait nécessaire afin de planter sa lame jusqu'à la garde dans la cheville de l'impudent qui l'avait miraculeusement surpris, l'Altmer décida de jouer la carte de la sureté.
- À qui ais-je l'honneur ? grogna-t-il d'une voix étouffée.
- À un homme soucieux de voir ses camarades rentrer en chez eux en un seul morceau.
- N'aie crainte, je n'éprouve aucun plaisir à tailler dans la chair des singes, ricana Nérévar. Voir leurs carcasses fumantes embaumer l'air du tombeau de leur ancêtres me suffira amplement.
- Alors je suis tombé sur un poète, hein ?
S'attendant à recevoir un coup, le mage se crispa imperceptiblement, mais ne ressentit qu'une chose : le poids de son adversaire se volatilisa en même temps que la pression exercée par sa jambe, le laissant ainsi libre de ses mouvements.
Hésitant face à un comportement atypique de la part d'un guerrier pourtant conscient qu'il faisait face à l'ennemi, l'originaire de l'Archipel tourna la tête.
À sa grande surprise, l'homme n'était pas nordique.
Presque aussi grand que lui –ce qui, venant d'un simple Men, était digne d'être relevé-, son vis-à-vis était un rougegarde au crâne rasé, dont la courte barbe noire lui couvrant le bas des tempes, du menton et du cou, assombrissant encore davantage son visage. Vêtu d'un pourpoint de cuir noir et d'un ceinturon de fer duquel s'extirpaient d'éparses touffes de fourrure grisâtre, l'homme avait les mollets et les avant-bras complètement exposés, se laissant ainsi à la merci du vent glacial.
Contre toute attente, il ne disposait pas d'arme, ou tout du moins la dissimulait-il bien : aucune épée ne pendait à sa taille, et sa tenue étroite ne tolérait pas la présence d'une lame cachée, même de faible longueur.
Nérévar aurait aimé prendre cet homme pour un fou, tendre le bras et vaporiser l'eau contenue dans ses organes en un instant, mais quelque chose avait retenu son attention. Quelque chose de bien plus important que sa race, sa taille ou son accoutrement.
Au centre de son visage, les reflets de crainte ou de ressentiment qu'il avait l'habitude de voir naitre chez les hommes en les côtoyant demeuraient muets, étouffés par une lueur démesurément plus menaçante.
Scintillant puissamment sous ses larges arcades sourcilières, deux orbes orangés le fixaient sans ciller, brulant d'une ardeur surnaturelle si vive qu'elle semblait illuminer toute la partie médiane de son faciès.
Nérévar comprenait à présent pourquoi il n'avait pas ressenti la présence de cet homme bien plus tôt, ou pourquoi il n'avait pas été en mesure d'échapper à son premier assaut. Il comprenait également pourquoi celui-ci n'avait pas d'arme, ni de protection contre le froid mordant. Il n'en avait simplement pas besoin.
Cependant, sa présence n'en demeurait pas moins profondément paradoxale.
- Comment une créature de ton espèce peut-elle seulement se tenir debout ? lança l'Altmer en fixant les cieux dégagés. Le soleil ne brille-t-il pas au-dessus de nos têtes ?
Le rougegarde leva les yeux, et paru presque surpris par la présence de l'astre radieux les surplombant.
- Dis-moi plutôt, rétorqua ce dernier en détournant son regard du ciel. C'est l'Ambassade qui t'envoie ?
- Ces informations me concernent, cracha l'elfe. Répond à ma question.
- J'ai bien peur que tu ne sois pas en position de discuter.
Faisant fuser un juron intérieur à l'égard de son adversaire, le mage dissimula minutieusement son poignard avant de se relever. Le froid accumulé contre sa mâchoire anesthésiait la douleur de la coupure qui parcourait sa pommette gauche, mais il bouillait d'en découdre. Malheureusement, le rougegarde n'avait pas tort. Le vampirisme était bien plus qu'une simple maladie; c'était une malédiction. Et sous-estimer un être atteint de la plus ancienne malédiction de Nirn était une erreur qu'il ne commettrait pas, pas alors que celui-ci paraissait prêt à faire fi de la plus élémentaire clause du contrat censée le reclure loin de la lueur du jour.
- L'Ambassade n'a rien à voir avec tout ceci, admit l'Altmer avec un rictus acide. Pas plus que l'Académie que vous essayez si gentiment de duper en ce moment même.
- Puisque tu parles de l'Académie, je suppose que ta présence à nos trousses relève de plus que d'un vulgaire hasard. Comment as-tu découvert notre objectif ?
- La Guilde des Mages dispose de plus de racines que tu ne l'imagines, rougegarde. Une chance pour vous que les Compagnons n'attirent que des brutes sans cervelle; aucun de nous ne se risquerait à errer au milieu des sauvages pour le plaisir éventuel de glaner quelques informations utiles.
- "Aucun de nous" ? murmura l'homme, songeur. Où sont donc tes amis ? Quelque part sous nos pieds, ou bien trop loin de toi pour avoir la moindre idée des ennuis dans lesquels tu viens de te jeter ? D'après ce que j'ai saisi de ta petite conversation avec eux, la deuxième option me semble légèrement plus envisageable.
Nérévar grimaça. Jusqu'où le combattant avait-il prit connaissance de son échange avec Anthar ? Cette conversation ne semblait pas pouvoir tourner à son avantage dans l'immédiat, mais si une chose était sûre, c'était que l'elfe avait tout à gagner à la faire durer. Le soleil réchauffait à présent la surface de leurs visages au point de leur en faire oublier les affres glaciales du climat local, et la témérité du rougegarde serait grassement punie lorsque ses forces se mettraient à décliner sous le zénith. S'il rusait, l'arcaniste pouvait peut-être même espérer glaner quelques renseignements quant à son objectif, ce qui faciliterait par la suite considérablement ses recherches.
- Tu peux garder le silence si tel est ton souhait, reprit le rougegarde. Mais, juste au cas où tes manigances aient excédé mes prévisions, j'aimerais rejoindre rapidement mes camarades afin d'être sûr qu'ils sont en sécurité. Ne faisons pas traîner cette histoire plus que de raison, entendu ?
- La chaleur vous pèse ? railla l'Altmer en levant le visage droit en direction de l'astre méridional. La faveur d'Auriel plane sur moi comme le témoin de mes accomplissements à venir. Combien de temps tiendras-tu encore ?
- Es-tu également venu pour le livre ?
L'air sembla se figer autour d'eux. Suffoqué, Nérévar sentit son cœur manquer un battement à l'instant même où un frisson parcourait le long de son échine, rendant le contact entre sa peau et sa tenue étrangement désagréable. La poitrine comprimée par un déplaisir coupable, l'elfe dégagea le col devenu moite de sa robe, sous le regard amusé de son interlocuteur.
- Alors j'avais vu juste, fit ce dernier, éminemment satisfait. Voilà pourquoi tu es venu seul. Comptais-tu annoncer à ton équipage que tu ne rétablirait jamais le contact avec eux ? Ou bien préférais-tu les laisser imaginer que quelque chose t'étais arrivé et les abandonner en partant de ton côté une fois l'ouvrage en ta possession ?
- C'est impossible ! éructa l'Altmer. Comment as-tu su ?
- Pense-tu un seul instant que le livre restera en ta possession plus d'une journée si jamais tu parviens à t'en emparer ? Les Psijiques retrouveraient ta trace en l'espace de quelques secondes si jamais tu parvenais à faire sortir ces pages de la protection que constitue Saarthal. Finalement, tu es comme tous les autres t'ayant précédé.
- Les... autres ?
- Crois-tu être le premier à venir ici ? Le Thalmor joue avec le feu sans faire attention aux feuillages dans lesquels il s'enfonce, s'imaginant que dresser une protection entre lui et ses sortilèges lui évitera de se brûler. Mais le vent souffle avec ardeur ces derniers temps, et sitôt la première branche calcinée, il sera trop tard pour endiguer l'incendie. Il périra avec les arbres qui l'entourent ou fera marche arrière, mais les flammes provoquées par son inattention entameront immanquablement ce plumage dont il est si fier.
Le rougegarde, soudain immense, s'avança vers l'elfe jusqu'à plonger dans la pénombre son visage éclairé par le soleil.
- Il y a une regrettable approximation dans les prévisions de la tête pensante du Domaine. Une erreur de calcul, une mégarde, si ténue qu'elle semble passer inaperçu lorsque l'on contemple le tableau avec recul. Mais chaque jour qui passe contribuera à la rendre plus visible, jusqu'à ce qu'Aldmeri, interpelé par cette tâche gangrenant sa splendide œuvre de domination, soit forcé de se pencher en avant pour constater une erreur qu'il sera d'ici-là trop tard pour réparer.
Désormais obsédé par les paroles du rougegarde, Nérévar contemplait ce dernier avec immobilisme, ensorcelé par les deux pupilles trônant au-dessus de lui comme un couple d'étoiles mortifères.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis de ceux qui savent, articula l'homme. Je suis de ceux chez qui la jeunesse arrachée par la guerre n'a engendré que de la rage en guise de courage pour se relever, et dont les serments résonnent haut dans le noir une fois la nuit tombée sur les pantins qui les entourent. Je suis de ceux sur lesquels les mensonges du Thalmor glissent comme des ombres sous la lumière d'une flamme révélatrice. Mon nom est Shazam, membre des Marcheurs. Et je sais ce que vous voulez.