J'ai toujours mon pavé de feuilles qui m'attend moi
Chapitre 26
Dakin suivait Ernard d'un pas hâtif, se demandant si le reflet distordu de sa silhouette dans les flaques qui jonchaient les rues faisait écho à sa propre incertitude.
De son côté, le vieux bréton ne prenait même plus le temps de se retourner suspicieusement comme à son habitude, et se trouvait plus près de la course que de la marche.
Ainsi, à peine cinq minutes après avoir laissé Aris partir de son côté, le Dunmer se retrouvait à pester silencieusement contre l'entreprise pour le moins hasardeuse sur laquelle cette journée l'avait entraîné.
«Me voilà lancé au service de ce fourbe, pour le meilleur comme pour le pire... Et par Diagna, cette vieille loque avance vite pour un octagénaire décrépit ! Les politiques de cette satanée capitale passent-t-il toute leur vie à courir ? »
- Dakin, haleta Afranius sans ralentir. Nous sommes suivis !
- Quoi ?
Bien évidemment, cette réaction n'était qu'un simulacre de surprise. Dakin Dolovas avait repéré leurs poursuivants lorsque lui et Aris s'étaient séparés. Les joyeux lurons chargés de leur filature s'étaient montrés sur les toits pour guetter la scission de leur petit groupe, révélant leur position à tout être doté d'une vision à peu près convenable. Lorsque lui et Ernard avaient rebroussé chemin, ils avaient pour les suivre fait un boucan tel que le Dunmer s'était d'ailleurs demandé si ces derniers n'avaient pas justement pour but de se faire remarquer. Presque comme s'ils espéraient faire peser la menace de leur présence sur eux... ou tout du moins, celle qu'ils pensaient représenter sans savoir qu'ils avaient affaire à un membre des Marcheurs.
Il y avait trois personnes : deux femmes et un homme. L'un des individus était probablement un elfe noir; quelque chose dans son sang le lui disait. Passé les débuts chaotiques de leur opération, ils s'étaient relativement bien dissimulés pour des amateurs, mais cela ne trahissait que leur vraisemblable habitude pour ce genre de pratiques. Il était malgré tout étonnant que le bréton aie pu s'en rendre compte : son ouïe était pour le moins surprenante compte tenu des maigres décennies qui l'attendaient avant de rencontrer sa belle mort, et il n'avait pas usé de la moindre forme de magie... à moins d'avoir un talent suffisant pour masquer le lancement d'un sortilège à un praticien adepte des arcanes, auquel cas les membres du trio à leur trousses étaient faits comme des rats.
S'ils avaient observé sa conversation avec af-Ozalan depuis un bâtiment proche, leurs poursuivants ne s'étaient toutefois pas approché à distance d'écoute, ce qui laissait penser que les secrets qu'il partageait avec le rougegarde importaient peu à ces individus. Leur intérêt se portait vraisemblablement sur quelqu'un d'autre...
D'après l'agitation du noble se ruant presque devant lui comme si sa vie en dépendait, Afranius n'était pas complètement étrangers aux tenants et aboutissants de cette filature. Et à sa place, le Dunmer n'aurait pas eut de doute non plus concernant son statut de véritable cible mouvante.
D'une foulée, il se hissa à la hauteur du bréton.
- Savez-vous qui en a après vou... après nous ?
Le Dunmer se mordit la lèvre jusqu'au sang. Le contrebandier était peut-être sans défense, mais il n'était pas stupide : de petites erreurs comme celle-ci auraient tôt fait de révéler qu'il en savait plus qu'il ne voulait bien le faire croire.
Bien heureusement, ce dernier semblait complètement hermétique à ses maladresses. La panique se lisait clairement sur ses traits, même depuis la position du Marcheur, qui pouvait voir le sommet dégarni de ses tempes se plisser sous le coup de rides inquiètes. Chacun de ses mouvements respirait la peur, plus encore que lorsqu'ils avaient pénétré dans le ghetto.
Il n'avait toujours pas répondu.
- Hé ! Si vous tenez à ce que je vous protège, vous auriez tout intérêt à me...
- Inutile de vous en faire... Nous avons presque regagné les quartiers fréquentés. Ils n'oseront pas se montrer face aux soldats de sa Majesté Daric !
Le ton du conseiller était presque triomphant.
Dakin se serait habituellement étonné d'un changement d'humeur aussi radical, mais la vision d'un groupe de passants un peu plus loin lui confirma qu'ils atteignaient en effet une zone plus animée.
Cela confirmait ce que le magelame s'était dit plus tôt. Privé du déguisement permanent qui lui avait permit de dissimuler son identité à Sentinelle, Ernard se retrouvait maintenant sans couverture. Et si ceux qui les suivaient craignaient de s'aventurer dans les zones gardées de la ville, ils devaient probablement avoir un lien direct avec les révolutionnaires... s'ils n'en faisaient pas tout simplement partie.
Dans tous les cas, certains semblaient plus que résolus à mettre la main sur le conseiller, quitte à lacérer quelques gorges en chemin.
« Les rebelles... Ceux-là même qui ont envoyé un navire de corsaires nous assaillir au beau milieu de la nuit... »
Il frissonna. Si le simple fait d'être aperçu dans un quartier pouvait les conduire à être suivis ou pris dans un guet-apens un peu plus loin, alors le réseau d'information circulant entre les mains des ennemis de la couronne était mieux implanté dans la capitale qu'il ne l'avait pensé. Avec plus de moyens humains et un meilleur armement, une telle organisation pouvait tout à fait prendre le contrôle d'une partie de la ville... ou pire.
Mais le Dunmer n'était pas sourd aux travers secrets qui figeaient les mouvements des belligérants. Il savait que l'équilibre, bien que fragile, était encore maintenu par des légions de charognards, venus guetter l'opportunité à travers le maillage de cette paix titubante. Les rebelles étaient puissants, mais c'était sans compter sur les esprits solitaires s'enrichissant sur le chaos, ou sur les espions et agents venus des quatre coins du monde pour œuvrer dans les intérêts des divers royaumes de Tamriel. Ce statu quo devait certainement bénéficier à quelques hommes particulièrement influents, et cela ne rendait la situation que plus complexe à appréhender.
À n'en pas douter, il se trouvait ici des dizaines, voire des centaines d'agents sous couverture, qu'ils soient à la solde de l'Empire ou du Thalmor. Et tandis que les alliances, trahisons et pots-de-vin prenaient précautionneusement place, ces deux forces officieusement toujours en conflit depuis la Grande Guerre égrénaient les cartes de leur jeux respectifs, à un rythme bien trop lent pour qu'un individu isolé comme lui puisse en saisir les subtilités.
Ici, ceux qui en avaient après les Marcheurs n'étaient plus ses seuls ennemis. Se montrer trop curieux pourrait lui valoir les foudres des hommes comme des elfes, si ce n'étaient celles des proches de la couronne en personne. La prudence n'était plus suffisante, et s'il voulait que tout se déroule sans encombre, il devrait allier à celle-ci réflexion, sang-froid et préparation minutieuse.
Avec un sourire crispé, il pensa que retrouver Nash-gro-Shagol était une récompense tout à fait digne d'un tel risque.
- Soyez tranquille, Dolovas, ils n'en ont plus après nous.
Le bréton sortit le Dunmer de ses pensées. Il hocha la tête, faisant mine de croire le noble sur parole.
L'instant suivant, les doigts de sa main gauche traçèrent un signe invisible sous le pan de sa robe, courbant la réalité autour de lui.
Au moment précis où son geste prit fin, les contours de sa vision se couvrirent de noir. L'obscurcissement se poursuit rapidement, et ce fut au tour du ciel, des bâtiments, des passants, puis de la rue devant lui de disparaître de sa vision pour plonger dans les méandres d'une inconscience momentanée. Alors que son esprit lui paraissait entrer en contact avec l'essence même d'Aetherius, il eut la sensation de plonger dans un sommeil tranquille et profond.
Son corps n'eut cependant pas le temps de s'écrouler par terre. Quelque part dans l'infini de sa conscience, un lien se forma entre lui et les forces qu'il avait cherché à invoquer. S'extirpant brusquement de l'évanouissement, il regagna son équilibre durant la même foulée qui avait vu son âme s'écarter du plan mortel, et rouvrit les paupières au moment où son talon touchait le sol, reprenant sa marche comme si de rien n'était. Vu de l'extérieur, il n'avait fait que cligner des yeux. Mais en réalité, bien plus s'était déroulé.
Tout paraissait semblable, et pourtant, rien n'était identique. Le monde vibrait de toutes ses pores, inondant son regard de détails métaphysiques dont la compréhension aurait échappé à beaucoup. Quelque part entre ses pupilles et l'âme qui supportait son existence, quelque-chose avait changé. Car à présent, il ne faisait plus qu'un avec le flot de l'énergie universelle cheminant sous terre, dans les cieux, les eaux ou les forêts.
Autour du Dunmer, tout chose que la vie animait se teinta peu à peu d'un million de nuances de rouge. Comme si leurs veines s'étaient mise à vibrer d'une énergie brûlante, les silhouettes des passants se mirent à luire avec intensité, couvrant leurs membres, leurs bustes et leurs visages d'un halo rougeoyant en l'espace de quelques instants. Très vite, le paysage qui l'entourait parut scintiller de mille soleils incandescents, le forçant à plisser les yeux pour ne pas être aveuglé. Ainsi plongé dans cet état, rien ne lui échappait : la sève cheminant dans les branches des arbres, le sang pulsant dans les vaisseaux sanguins des animaux et la force vitale de chaque être doté de conscience étaient autant de signes simultanés que ce qu'il avait en face des yeux était bien réel. Mais cette aptitude extraordinaire venait avec un prix.
Jusqu'à ce que le sortilège s'évanouisse, il était capable de remarquer tout être vivant à distance de vue, du plus petit criquet à la moindre graine germant sous ses pieds. Et, même s'il était complexe de maintenir un niveau de concentration suffisant pendant plus d'une poignée de secondes dans une ville grouillante de monde, il n'avait généralement pas à l'employer bien longtemps.
Il patienta un peu le temps de reprendre ses esprits. Il fallait en moyenne trente à quarante secondes pour qu'il récupère le plein contrôle de ses facultés, mais il n'avait pas ce luxe. Sentant déjà les vaisseaux de ses pupilles palpiter sous le coup de l'effort, il se retourna en arrière, là où se trouvaient toujours supposément leurs poursuivants. Effectivement, les trois présences suspectes s'étaient volatilisées des toits, et seul le fouillis grouillant de formes et d'ocres spectraux que laissaient derrière eux les citadins s'offrit à son observation rapide mais minutieuse.
Il rompit le sortilège avec un soupir de soulagement, et sentit l'invisible masse pesant contre son crâne s'envoler.
Oui, ils étaient bien parti. Mais cela n'était pas nécessairement synonyme de réjouissances.
«Ils en ont maintenant après Aris, pensa-t-il presque aussitôt. Après nous avoir perdu de vue, ils tenteront probablement d'entrer en contact avec la dernière personne ayant interagi avec Ernard. Ce qui, en dehors de moi ou de ces étranges sectaires muets, ne leur laisse pas beaucoup d'options.»
Le Dunmer songea un instant aux implications de savoir son ami potentiellement traqué par toute une organisation révolutionnaire.
Il n'avait aucun moyen viable de le prévenir. Certes, il maîtrisait un sortilège de communication, et ce dernier pouvait se lancer depuis n'importe quel miroir ou surface réfléchissante. Mais il s'avérait complexe à lancer, et pouvait être particulièrement épuisant. Dans son état, cela était hasardeux au mieux, dangereux et irresponsable au pire. La communication serait de toute manière probablement interceptée par la moitié des mages de la ville, ce qui devait sans doute inclure une poignée de rebelles qui se feraient une joie de remonter jusqu'à leurs positions respectives.
Aris s'était déjà montré plus que digne de confiance. Il ne lui restait donc qu'à prier pour que ce dernier réagisse à temps en cas de problème. S'il avait survécu aux bandes rivales et aux trafiquants de Sentinelle, Daguefilante ne serait qu'une étape de plus sur le long périple que représentait sa vie depuis le grand retour en Tamriel.
Malgré ces constats en demi-teinte, l'elfe noir se surprit à laisser échapper un infime soupir. Il se sentait lourd et fatigué, et le fait de se dire qu'il goûterait à la douce étreinte du sommeil sans avoir à tirer sa lame au clair l'emplissait d'un réconfort coupable. Il étouffa ce dernier d'une simple pensée. Après tout, Aris n'était-il pas le genre d'homme à ne vivre que pour l'extase du combat ? Si l'un des deux Marcheurs devait trouver son compte dans cette situation, c'était bien lui.
Par chance, Ernard avait fini par ralentir, et imposait désormais un rythme nettement plus tenable, ce qui lui permit, en plus de souffler un peu, de profiter de la vision pittoresque des quartiers commerçants.
L'architecture de la ville n'avait pas changé, mais il lui semblait que chacune des façades était plus sombre et rouge qu'à l'accoutumée. Il n'aurait su dire s'il devait cela à la persistence des effets magiques ou à ses yeux, probablement aussi injectés de sang que ceux d'un vampire sorti de sa léthargie centenaire.
Leur étrange coloration mise à part, les bâtiments étaient relativement agréables à l'œil. À vrai dire, la zone dans laquelle il venaient de pénétrer se faisait plus commode à chaque croisement qu'ils empruntaient et chaque minute qui passait. Les balcons et les palliers n'étaient pas aussi garnis de fleurs que ceux du quartier qu'ils avaient visité en arrivant, mais demeuraient d'un agencement bienvenu d'assortiments et de combinaisons rafraîchissantes. Les bleuets trônaient aux battants des portes en hommage à une quelconque tradition locale, les bosquets de pensées et d'orchidées venaient agrémenter la promenade de touches colorées, et les étals de fleuristes débordaient de roses et d'autres graminées exotiques dont il fut surpris d'ignorer la provenance comme le nom.
- Quel jour sommes-nous ?
Afranius se tourna vers lui. Toute trace d'anxiété avait déserté ses traits, laissant la teinte rosée du bréton mettre en relief la surprise se lisant sur son visage austère.
- Le 3 de Sombreciel, pourquoi cette question ?
- Y a-t-il... une fête ou une célébration en approche ?
- Pas vraiment... Le festival de la Lune se déroulera la semaine prochaine.
Un sourire ponctua l'expression du conseiller.
- Croyez-le ou non, tout ce à quoi vous assistez constitue le quotidien de nos concitoyens. La prospérité des beaux quartiers de notre ville a de quoi faire des envieux aux quatre coins du monde, n'est-ce pas ?
- Je dois admettre que je n'imaginais pas les choses aussi... colorées.
- Vous dites avoir passé quelques années dans le pays, je me trompe ? Je ne compte pas insister au risque de raviver de douloureux souvenirs, mais... c'est votre première visite à Daguefilante ?
L'elfe mit une seconde pour se souvenir des détails de sa couverture, et une de plus pour se rappeler que le bréton en savait probablement bien plus à son sujet qu'il n'aurait pu l'imaginer jusqu'au matin même.
Mais sa stratégie demeurait inchangée : jouer le jeu du contrebandier, et le laisser croire qu'il disposait d'une longueur d'avance.
Dakin se racla silencieusement la gorge et adopta une mine pensive avant de hocher la tête.
- Oui. J'ai tout au plus aperçu les murs de la ville lors d'un voyage avec ma famille.
Pour une fois, le Dunmer s'était contenté d'un demi-mensonge : s'il avait effectivement passé quelque temps dans la ville, il ne s'était jamais aventuré dans ce coin de la cité, persuadé que gro-Shagol n'y mettrait par principe jamais les pieds. L'Orsimer avait bien peu d'estime pour la haute noblesse, et même l'absolue nécessité de disparaître sans laisser de traces ne pouvait le mener à se cloitrer dans un tel endroit.
Ils continuèrent à marcher sans parler pendant un moment, conscients que le brouhaha ambiant aurait tôt fait de compromettre toute tentative de discussion construite.
De temps en temps, les deux hommes traversaient une place ou un croisement animé par divers musiciens et jongleurs. Malgré l'encombrement croissant des rues, les marchands n'hésitaient pas à tenir boutique à même le sol, entre les comptoirs de guilde et les mendiants faisant l'aumône.
Les cris se mêlaient les uns aux autres, décuplant un vacarme déjà intelligible duquel ne s'échappaient que les voix les plus fortes.
- L'arène recrute de nouveaux combattants ! Faites exploser votre bourse et fendez vos adversaires dans de glorieux combats !
- Filet de combattant de Cyrodiil péchés ce matin ! Trois septims les quatre !
- Cuissardes en cuir à cinq pièces ! Dernière offre du jour !
Le Marcheur s'apprêtait à dresser une comparaison mentale des prix entre Daguefilante et Sentinelle pour tromper l'ennui, quand le bréton leva le bras pour désigner quelque chose sur son côté.
- Regardez sur votre gauche, cria-t-il presque pour couvrir la cohue.
L'elfe s'exécuta. Il ne constata tout d'abord rien, en dehors des bâtiments les entourants. Puis il leva les yeux.
Dépassant à peine des toits, la flèche du château royal perçait les cieux, illuminée en son sommet par les derniers éclats d'un soleil depuis longtemps disparu du champ de vision des citadins. Comme une lance directement dressée vers les dieux, la pointe de pierre et de bronze était si haute que le simple fait de la regarder suffisait à donner le vertige. Et à n'en pas douter, la splendeur de la construction n'avait pas à rougir devant les édifices des panthéons humains ou elfes.
- Je n'avais pas réalisé que nous étions si proches du palais, lâcha le Dunmer. C'est là que vous m'emmenez ?
- Laissez donc au vieil homme que je suis le plaisir de vous surprendre ! rit le Manmer. Par les Neuf, Dakin, vous êtes d'un sérieux !
- Par les Neuf ?
- Quoi, vous avez peur que nos voisins maritimes nous entendent ? Qu'ils viennent, et nous leur montreront que notre sang elfe vaut bien le leur !
La bonne humeur du veillard contrastait tant avec son inquiétude encore récente que le magelame se demanda presque s'il ne feignait pas le contentement pour chasser sa crainte. Évidemment, il se garda bien de le lui demander.
- Votre patience sera bientôt récompensée, Dolovas. Nous avons juste un petit tour à faire avant d'arriver.
Il regarda son guide d'un air neutre.
- Si vous le dites.
L'elfe noir reporta son attention sur les alentours. Par ici, les rues restaient animées en dépit de l'heure presque tardive et du froid insistant qui commençait à s'insinuer entre les vêtements, et les quelques troupes armées croisant leur chemin avançaient à pas détendu, la main négligemment posée sur le pommeau de leur épées. Dans quelques jours, l'hiver serait là, et quelque chose lui disait que la neige se teinterait de rouge avant que la saison froide ne s'efface en faveur de l'an 204 de cette quatrième Ère.
Les passants étaient richement vêtus. Les colliers d'argent ou de métal précieux ornaient le cou des femmes, les bagues serties de pierres les doigts de leurs courtisans, et la fréquence d'apparition des chapeaux à frange se multiplia en un rien de temps, jusqu'à ce tous les chefs en dehors du sien soient couverts de soie ou de cuir. Dominant tout le monde d'une demi-tête, l'elfe avait droit à la vision comique d'une centaine de plumes oscillant autour de lui, au rythme de la démarche mi-pressée mi-rêveuse des jeunes nobles s'en allant conclure ou mener leurs affaires. Ici, tout semblait sourd aux ténèbres froides et crasseuses des ruelles desquelles ils revenaient, pourtant situées à seulement quelques quarts d'heure de marche.
Une parfaite illusion de paix et de normalité, aveugle aux terribles prémices de ce qui pourrait bien s'avérer être la plus sanglante révolte des siècles à venir.
Le bréton fit une pause lorsqu'ils arrivèrent devant une place plus spacieuse que les autres. Un grand édifice circulaire maintenu par des colonnes sculptées en occupait toute la partie Nord, et plusieurs groupes d'érudits se tenaient assis sur les marches de l'entrée, entre deux statues de marbre noir.
Au dessus des gradins de pierre blanche, l'entrée sombre du bâtiment laissait aller et venir des dizaines de sages et d'aristocrates à chaque seconde qui passait.
Ernard s'arrêta, puis désigna la construction d'un signe du menton.
- Voici l'académie la plus réputée du quartier marchand. C'est ici que j'ai appris tout ce que je sais aujourd'hui.
- Et dire que je vous avais réellement prit pour un contrebandier...
Répondant à la flatterie avec une fierté mal dissimulée, le bréton se gratta le crâne en esquissant un sourire.
- L'art du mensonge est une valeur indispensable à tout homme politique qui se respecte. Tout le monde a des idées pour améliorer les choses. Je dirais même que chaque homme aspirant à atteindre le sommet pourrait changer le monde si on lui en donnait les moyens. Sauf que dans ce milieu, cela ne suffit pas. Il ne s'agit pas d'avoir les meilleures solutions, mais de faire croire aux autres que les vôtres sont meilleures.
« L'art du mensonge ? , pensa Dakin. Vous ne croyez pas si bien dire, vieil homme...»
Le duo se remit en marche, attirant parfois le regard de quelques nobles. Certains paraissaient reconnaître Ernard, le gratifiant parfois d'un signe de tête, tout en restant soigneusement à distance de son étrange acolyte. D'autres au contraire lui jettaient des coups d'oeil méfiants, de ceux que l'on adresse à un vieux rival devenu un peu trop influent.
Le Dunmer reprit la parole, toujours à l'attention du noble bréton.
- Dites-moi, je me posais une question à propos de cette école... Pourquoi est-elle si éloignée de l'extérieur de la ville ? À Sentinelle, les plus prestigieuses enseignes se trouvent à l'abri des murailles.
- À l'abri de quoi ? Des engins de siège ? Sans doute. Mais pas des révoltes ou des pillages occasionels. Dans cette ville, les coins les plus riches sont les plus proches du palais.
Il fit une pause, avant de reprendre :
- Mes excuses, les événements de cette journée m'en ont fait négliger mon devoir de guide. Aimeriez-vous une présentation plus détaillée des zones de notre belle ville ?
Le Marcheur hocha la tête. Le conseiller se racla la gorge, et prit un air calme et grave, en bon professeur.
- Au nord, vous avez le quartier des artisans. À l'est, où nous accueillons généralement le plus d'aventuriers et de marchands des terres intérieures, se trouvent les temples et les arènes de la ville, ainsi que la plupart des guildes. À l'ouest, que je vous déconseille vivement, sont regroupés plus de la moitié des tavernes, auberges et bordels de la cité. Et, par la même occasion, vous y trouverez l'immense majorité des rebelles les plus dangereux hantant les bas-fonds. Même la garde ne patrouille plus dans certaines zones une fois la nuit tombée. L'économie y suit un cours déréglé et incontrôlable, et nous aurions trop de meurtres à gérer si nous devions tenter d'y instaurer l'ordre.
- Vous voulez dire que vous avez affaire à une sorte d'auto-régulation ?
La mine du noble s'assombrit.
- Hélas, oui. Les bandes rivales s'entre-déchirent constamment, le marché noir se développe en parallèle, et parfois même en avance du commerce officiel, et les rumeurs les plus folles courent à tout-va. On raconte même que la guilde des voleurs se terrerait là-bas, mais si j'étais vous, je n'y prêterait guère attention.
- Mais...?
L'air maussade du Manmer se métamorphosa en un sourire.
- Vous commencez à comprendre comment les choses fonctionnent ici. Bon travail, l'ami !
Il se racla de nouveau la gorge, tentant de prolonger son barraton au maximum.
- Vous avez raison, tout n'est pas noir ou blanc. Pour un noble comme moi, s'aventurer là-bas relève du suicide, et comme vous avez pu le constater, une petite heure a suffit à ce qu'une bande de coupe-jarrets se lance à nos trousses. Mais pour d'autres... Les rumeurs attirent les aventuriers et les guerriers en quête d'accomplissement, les crimes font venir les paladins et les enquêteurs les plus renommés du monde, et le trafic illégal constitue probablement près d'un quart des flux financiers qui franchissent nos portes. Les voyageurs se font certes détrousser, mais les voleurs doivent boire et manger comme tout les hommes.
- ... et j'imagine que les taverniers qui se chargent de les nourrir paient des impôts à la couronne ?
- C'est exact. Pour tout vous dire, cette situation arrange a peu près tout le monde a l'exception de notre roi. C'est un idéaliste de naissance, que voulez-vous...
- Revenons-en à l'organisation de la ville, fit Dakin. Nous sommes arrivés par la porte sud, si je me souviens bien...
- Oui. C'est le quartier le plus peuplé de la capitale, celui des marchands. La partie extérieure regroupe les secteurs de la pêche et du commerce maritime, puis laisse place à celle des étoffes et produits régionaux. Enfin, l'intérieur où nous nous trouvons se compose des instituts de formation au commerce, à la musique, à l'éloquence et aux arts.
- J'ai un peu de mal à vous suivre, dans tous les sens du terme. Vous avez la démarche rapide, et je dois vous avouer que notre petit périple m'a laissé désorienté à bien des reprises.
- Je comprend. Pour vous donner une vague idée, nous avons prit plein nord en entrant dans la ville. La taverne où vous avez fait la rencontre de Sa Majesté se trouvait plus à l'ouest, à la limite de la zone peu recommandable dans laquelle nous avons malheureusement dû déposer votre acolyte af-Ozalan. Depuis, nous n'avons fait que remonter vers le centre, jusqu'à ce que je vous montre le château.
- Vous voulez dire que nous nous trouvions encore dans le quartier ouest avant de bifurquer ?
- Comme je vous l'ai dit, la prospérité globale augmente à mesure que l'on se rapproche du palais. Même de ce côté-ci, les abords du château représentent une zone tranquille tant que l'on ne s'en éloigne pas trop.
Ernard Afranius s'arrêta soudainement.
- Oh, tenez, nous voilà justement arrivés.
Au bout de la rue se dévoilant sur leur flanc gauche, la chaussée s'élargissait brusquement, se métamorphosant ainsi en une avenue noire de monde. En plein milieu de celle-ci se trouvait une grande enceinte fortifiée, au pied de laquelle un attroupement conséquent semblait se presser. Elle paraissait en tout point similaire à celle de l'entrée, mis à part ses dimensions diminuées de moitié, et le fait que les pierres qui la composaient semblaient ici mieux entretenues.
Ils s'approchèrent.
Une porte perçait le rempart. Elle était relativement modeste comparée à celle de l'entrée sud de la ville, quoique assez imposante pour y laisser passer cinq soldats de front.
Le battant de droite était grand ouvert, et quatre gardes surveillaient les allées et venues des passants richement vêtus s'y engouffrant les uns après les autres.
Plus loin sur la gauche, à quelques mètres de la file, Dakin remarqua une petite porte à moitié dissimulée par des piles de tonneaux et de caisses. Celle-ci paraissait soigneusement fermée, et était faite d'un bois clair et solide sur lequel un regard contemplant la muraille glissait sans s'attarder. Devant l'accès dérobé, aucun soldat, ni aucune âme qui vive.
- La porte ouverte mène directement au palais et aux habitations des membres de la cour, l'informa Ernard. À moins que le roi vous y invite officiellement, je doute qu'on vous laisse entrer. Aujourd'hui, nous pourrions l'emprunter, mais pour des raisons de sécurité, nous allons prendre celle de gauche.
Sur ces mots, le contrebandier se dirigea vers la petite porte, invitant son hôte à le suivre. En s'approchant, le Marcheur remarqua une fine écoutille de bois sur le battant. Le bréton y frappa quatre fois, espaçant chaque coup d'une seconde, puis deux fois supplémentaires, plus rapidement. Il y eut un instant de flottement, puis le panneau coulissa, laissant apparaître deux pupilles perçantes au travers des trois barres de fer formant l'ouverture.
- C'est pour quoi ? fit une voix dure et cassante à moitié effacée par l'épaisseur de la porte.
- Ernard Afranius, fit le noble en ôtant la capuche de sa pèlerine. Je viens pour l'audience.
Le regard du gardien valsa deux fois entre le bréton et l'elfe noir, avant que l'éclat de ses yeux ne s'étrécisse imperceptiblement sous le coup de la réflexion. Au bout d'une seconde, le panneau se referma dans un claquement sec. Puis, quelques cliquetis plus tard, la porte s'ouvrit dans un grincement plaintif. Deux gardes armés de piques sortirent immédiatement de l'obscurité épaisse qui régnait à l'intérieur, et se postèrent de part et d'autre de l'entrée, attirant le regard des passants, qui se mirent à lorgner sur la scène en chuchotant.
Sentant l'attention compromettante se portant sur eux, Afranius traîna presque le Dunmer de force pour le presser dans le passage ouvert. Avant qu'il ne puisse jeter un coup d'œil au-dehors, le battant se referma sur eux, les plongeant dans l'obscurité.
Il leur fallu quelques instants pour s'habituer au noir, que même l'interstice réduit de la porte ne suffisait à désépaissir sur plus de quelques centimètres.
Ils se trouvaient dans une petite salle meublée de quelques chaises, simplement ornée sur le mur opposé des vestiges d'un cadre de porte rongé par les xylophages. Rien ne transparaissait au-delà de l'ouverture, seulement les ténèbres denses et infinies.
La silhouette du gardien qui leur avait ouvert fit presque sursauter Dakin lorsqu'il la remarqua, campée dans un coin du hall et statufiée dans une position de garde-à-vous militaire. Son expression affichait une droiture morbide, et il ne cilla pas le moins du monde en sentant le regard à la fois curieux et inquiet du Dunmer se poser sur lui.
Après un instant, le soldat sortit brusquement de transe, s'animant tel un spectre arraché à son repos éternel. Cette mise en mouvement soudaine aurait fait sursauter l'elfe noir s'il n'avait pas reporté son regard en direction du conseiller, qui affichant une immobilité patiente.
Toujours sans un mot, le gardien s'avança vers la porte d'une démarche d'automate, et entrouvrit brièvement le panneau pour jeter un œil au dehors, avant de le refermer d'un coup sec.
Cette brève fenêtre d'éclairage permit au Marcheur de réaliser qu'un autre soldat se tenait dans la pièce, et bloquait l'entrée en face d'eux par sa simple largeur d'épaules.
Derrière lui, les gonds rouillés de la porte donnaient sur un long tunnel de pierre taillé à même la roche. Le corridor était à peine assez large pour laisser passer un homme, et la nudité suintante et abrupte de ses parois se retrouvait exposée par la lueur incertaine mais régulière des torches disposées tous les dix mètres environ.
Aucun bruit ne filtrait, exception faite de l'eau dégoulinant des parois et de la respiration du colosse devant eux.
- Après vous, maugréa ce dernier en se plaçant à côté de l'entrée en guise d'invitation.
Le contrebandier secoua posément la tête et s'arrêta avant de s'engouffrer dans le conduit.
- Passez devant, nous vous suivrons de près.
Le regard de Dakin s'étrécit. Le bréton avait haussé les épaules au début et à la fin de sa phrase.
Devant eux, l'homme sourit à l'attention du vieillard :
- Allons, Ernard, pas de code secret avec moi. Vous êtes un habitué !
- Vraiment ?
Le ton du conseiller s'était raffermit.
- Pas de code, dites-vous ?
Le garde baissa les yeux, plus par respect que pour regarder son interlocuteur dans les yeux par une noirceur pareille. Afranius se rapprocha de lui, adoptant un air colérique que l'elfe noir ne l'avait jamais vu adopter face aux marins de son équipage.
- Eh bien, lâcha-t-il sèchement, peut-être que le jour où un ennemi du roi revêtira mon apparence, vous reviendrez sur cette mégarde en réalisant qu'elle lui a coûté la vie ! Enfin, vous êtes le seul rempart qui le protège des dangers du monde extérieur ! La sécurité de notre monarque ne vaut-elle pas quelques protocoles ?
- Mes excuses, se plia honteusement l'homme malgré sa carrure importante. Vous avez parfaitement raison. Simplement...
- Simplement quoi ?
Le géant secoua la tête avec un air d'enfant puni.
- Rien, monsieur. Je vais vous conduire.
Afranius répondit d'un soupir.
- La procédure est claire, Frederic. Vous le savez comme moi. Veillez à ce que ceci ne se reproduise plus.
Le soldat saisit une torche gisant au sol, et fit s'embraser l'extrémité du bois rien qu'en la secouant. Son brandon allumé en main, il se mit à avancer, sans un regard en arrière. Ernard le suivit, le pas ample et la démarche assurée, sans commentaire sur le fait pourtant impressionnant qu'un simple garde soit capable de lancer un sortilège élémentaire sans incantation.
Dakin avait observé la scène avec intérêt. De ce qu'il avait vu jusqu'à présent, les interactions du bréton avec ses pairs suscitaient bien des émotions chez ces derniers. Et, qu'il s'agisse de convoitise, de haine ou de respect, il paraissait être de la trempe de ceux qui ne laissaient pas grand-monde indifférent. N'importe qui au château devait probablement avoir un avis à donner sur le vieillard, que ce soit pour le couvrir d'éloges ou au contraire d'opprobre et d'injures.
Les trois hommes entamèrent leur avancée dans le corridor, laissant rapidement l'exiguïté âcre et humide de la cavité les isoler de tout repère extérieur.
Le seul son parvenant aux oreilles de l'elfe était celui de leurs bottes, se répercutant sur le sol et contre les parois en un écho sinistre et discontinu. Comme pour accroître cet inconfort, le boyau, en pente légèrement montante, pivotait imperceptiblement vers la gauche, engloutissant les extrémités du tunnel en coudes que la noirceur venait envahir en dépit des flambeaux jonchant le chemin.
Durant sa progression, l'esprit du Dunmer analysait toutes les traces et informations à sa disposition. Et, si l'incertitude enfouissait rapidement la plupart d'entre elles, une seule subsistait justement concernant l'éclairage étrange qui les guidait.
Il ne ressentait pas la moindre chaleur en passant à côté des brandons ornant les murs, et il était parfaitement impossible que ces derniers demeurent systématiquement allumés par une telle humidité, surtout en l'absence apparente d'entretien régulier. Par ailleurs, la luminosité semblait décroître continuellement, en dépit de toute logique. Les flammes étaient pourtant toutes d'une taille rigoureusement similaire, et leur écart était resté relativement inchangé depuis le début de leur trajet...
Si une chose était certaine, c'était donc bien celle-ci : les torches étaient magiques.
Il méditait encore sur une façon de tirer un quelconque intérêt d'une telle découverte, quand la zone de lumière diffuse portée par le dénommé Frédéric rencontra le pied d'un escalier. Ce dernier paraissait vertigineux, et ses hauteurs vides d'éclairage se perdaient dans l'obscurité la plus totale.
Le Dunmer songea qu'ils devaient se trouver profondément enfouis sous terre, avant de se rappeler que le chemin qu'ils avait parcouru pendant une durée indéfinissable n'avait cessé de monter, lentement mais sûrement.
Sans attendre, Frederic s'empressa de gravir les premières marches, s'éloignant avec l'unique flambeau du groupe. Ils lui emboitèrent le pas.
Les degrés de pierre glissante laissèrent rapidement place à un second couloir, guère mieux entretenu que le précédent. Il se poursuivit sur une quinzaine de mètres, avant de s'affaisser en faveur d'un autre escalier. Cette fois, le passage s'enfoncait dans les abysses du sol, pareil à la gueule noirâtre et fétide d'une créature de cauchemar.
La descente fut plus longue que la montée précédente, et il leur fallu descendre un total vertigineux de deux cent trente-deux marches pour en voir le bout.
Ce petit jeu n'était pas près de cesser. À peine arrivés en terrain plat, un troisième escalier en colimaçon se profila, timidement éclairé par la torche de Frederic.
- C'est une mauvaise blague, maugréa Dakin. Cet escalier monte !
- C'est exact, répondit Afranius. Et vous n'êtes pas au bout de vos surprises, Dolovas !
- Je ne sais pas ce que les architectes avaient en tête en nous faisant avancer ainsi, mais je crois sans mal pouvoir dire qu'une simple ligne droite eut été plus commode... À quoi bon nous faire grimper et dévaler à répétition pour en revenir au même point ?
Le bréton se contenta de sourire d'un air espiègle.
- Cet accès tire un peu sur les jambes, vous êtes prévenu !
Le Dunmer préféra ne pas demander ce par quoi le terme "un peu" pouvait bien se traduire.
Leur progression dura bien plus qu'il ne le redoutait.
Les escaliers se succédèrent les uns après les autres, droits ou bifurquants, assez spacieux pour y faire passer une charrue ou presque trop étroits pour que Frederic s'y faufile, à marches larges et bien taillées ou constitués de vulgaires blocs de pierre branlants...
Dakin avait cessé de compter les marches, puis de compter tout court. Il n'avait plus aucune notion de hauteur ou de profondeur, ignorait tout de l'heure ou de la proximité de leur objectif, et se contentait d'avancer pas après pas au rythme des gouttes, guidé par la lueur inflexible que brandissait leur guide.
Aux murs, tout éclairage avait depuis longtemps disparu. Et, à en juger par les traces de rouille ornant les murs tous les quelques pas, les torches avaient volontairement été retirées de leurs attaches.
Au bout d'un certain temps, bien après que le Dunmer eut cessé de penser à la douleur qui avait engourdi ses pieds, un rai de lumière vertical leur apparut.
Il mit un moment à réaliser qu'il s'agissait là de la preuve d'une porte entrouverte, et non d'une vague forme spectrale venue s'emparer de l'âme des malheureux égarés dans le dédale souterrain.
- Comment vous sentez-vous ?
Ernard s'était retourné, mais la lueur ténue du flambeau ne lui permit pas de noter le regard assassin de l'elfe.
- L'acte de vous répondre honnêtement entrerait en conflit avec ma volonté de rester courtois en ces lieux, grinça ce dernier en serrant les dents.
- N'ayez crainte, c'est probablement la première et la dernière fois que vous aurez à passer par ici.
Le mot "probablement" fit courir un frisson de déplaisir le long de sa nuque.
- Puisque vous parlez, j'imagine que nous sommes arrivés ?
En guise de réponse, le bréton tendit un bras vers la lumière, plongeant le bout de sa main dans les ténèbres le séparant de l'ouverture.
- Après vous, Dolovas. Oh, et ne nous attendez pas. Nous vous suivrons quand le moment sera venu.
Poussé par une impatience aux allures de désespoir, le Marcheur ne tergiversa pas, et se rua presque en direction de la porte. Il dépassa le contrebandier, puis le garde, et poussa le battant.
La lueur l'aveugla tout d'abord. Celle-ci était chaude et accueillante.
Il pénétra davantage dans la pièce, laissant ses yeux s'adapter à la lumière après leur séjour prolongé dans l'obscurité.
Le rouge fut la première couleur qui accueillit son regard. Le sol était tapissé d'un velours épais et moelleux que la propreté rendait aussi vive un lit de pierres précieuses.
Il leva la tête.
Les murs étaient couverts de gravures, de sculptures, de somptueux miroirs et de tableaux, parfois aussi hauts qu'un homme. Le Dunmer ne reconnu aucun visage parmi les quelques portraits affichés au fond de la petite salle, mais il n'avait guère besoin de poser un nom sur ces traits pleins de droiture pour deviner qu'ils étaient ceux des membres de la haute noblesse.
Sous le velours et au plafond, la pierre froide et grise laissait place au marbre, bordant la pièce de veines rocheuses aux tons noirs et blancs aussi somptueux que contrastés.
Les décorations, sobres mais luxueuses, serpentaient le long des gravures en les reliant par l'intermédiaire de deux piliers minutieusement sculptés disposés au centre de l'espace. Encadrés par de larges bandes d'imitations végétale couvertes de feuille d'or, les scènes de bataille ou de festin gravées à même l'onyx semblaient tirées d'un autre âge, voyant créatures mythiques et héros de légende livrer combat côte à côte ou mourir face à face.
Dakin reconnu les figures de Pélinal Blancserpent et d'Ysgramor parmi la multitude de faciès divins surchargeant presque les représentations, mais il ne s'attarda pas sur cette vision expensive.
Au fond, assis sur un trône immense compte tenu des dimensions de l'endroit, un être tout aussi important en ces lieux que n'importe quel guerrier de légende se tenait assis.
L'elfe noir retint son souffle. Assurément, le roi de Hauteroche dégageait une toute autre aura que celle qu'il avait perçu dans la taverne au début de cette journée.
Vêtu d'un long peignoir de soie blanche, la barbe soigneusement coiffée et les cheveux plaqués sur le côté du crâne, le souverain émettait une impression de majesté propre à ceux qui étaient nés pour régner.
En croisant son regard à la lueur des bougies flamboyantes déposées autour des lettres et des conventions envahissant son bureau, il remarqua que ses pupilles n'étaient pas d'un banal marron noisette comme il l'avait tout d'abord pensé, mais d'un brun ambré dont l'éclat pétillant semblait brûler d'intérêt.
Ce court échange laissa les deux hommes présents dans la pièce bien informés de leurs états d'esprit respectifs : la méfiance de Dakin et l'intérêt curieux du roi ne faisaient plus aucun doute, et aucun d'eux ne cherchait plus à dissimuler ses intentions.
Daric se réajusta légèrement sur son trône, et offrit d'un geste un siège à son invité. Ce dernier hésita à rester debout, mais prit néanmoins place dans le grand fauteuil de chêne noir disposé face à son hôte.
- Bienvenue à vous, fit le souverain. J'espère que le voyage n'aura pas été trop désagréable.
L'elfe retint un rictus mesquin par égard à la position de son interlocuteur.
- Dakin Dolovas, reprit-il. Je souhaitais vous parler.
- Inexact. Vous voulez marchander.
Un sourire amusé traversa le faciès noble du roi aussi rapidement qu'un éclair.
Derrière eux, la porte du passage s'était refermée sans un bruit, coupant toute trace de leur conversation au dehors des quatre murs les encadrant.
- C'est exact, Dakin. Nous sommes ici pour négocier. Et nous avons du travail devant nous...
UP
Chapitre 27
- Combien d'hommes avez-vous tué ?
La question surprit Dakin. Il songea un instant, puis se plongea dans le regard mystifiant du souverain.
- Qu'est-ce que je gagnerais à vous répondre ?
Daric haussa un sourcil :
- Qu'y perdriez-vous ?
- Bien plus que vous ne le pensez.
- Votre méfiance égale... non, elle surpasse même celle de votre ami. N'est-ce pas ?
- La prudence sauve des vies tous les jours. Ce n'est pas vous qui me contredirez.
Le roi sourit tristement. Au centre du décor somptueux et ostentatoire de la pièce secrète, leur entrevue durait ainsi depuis dix minutes, dans une série de réponses aussi courtes que cinglantes. Celui qui serait le premier à faire part de ses revendications prendrait le lourd risque d'exposer ses faiblesses, et chacun des deux hommes savait pertinemment que son interlocuteur était plus qu'en mesure d'exploiter la moindre information à son avantage comme moyen de pression ou de chantage. Par conséquent, aucun camp ne paraissait disposé à céder la confiance dont ils avaient pourtant besoin pour poursuivre. Si cela s'éternisait davantage, toute parlementation future serait vouée à l'échec.
- Savez-vous à qui appartenait cette pièce ?
La voix de Daric contenait un semblant de chagrin. Il attendit un instant, puis reprit :
- Non, bien sûr, vous ne savez pas. Comment le pourriez-vous, d'ailleurs ?
Brusquement, le bréton se leva, croisant religieusement les mains dans son dos. Nappé de sa longue robe aux manches à pans larges, il n'allait pas sans rappeler à Dakin l'apparence caractéristique des prêtres de l'Ordre. Mais là où ses maîtres régnaient sur un continent tout entier, lui ne régnait que sur une région... Et peut-être plus pour très longtemps.
- La couronne possède d'innombrables ennemis, Dakin Dolovas. L'étendue des forces qui me menacent en permanence vous donnerait sans doute le vertige.
Dakin s'installa plus confortablement sur son siège, sentant l'imminence d'un long discours.
- Aujourd'hui comme toujours, des légions d'adversaires se pressent à nos frontières, à nos murailles... Et parfois jusqu'aux portes de cette pièce.
Le Dunmer voyait très bien où les menait cette discussion.
- Elle était occupée par l'un de mes plus fervents défenseurs, savez-vous ? Un homme du nom d'Alexandre. Après Ernard, c'est sans doute à lui que je dois le plus. Il a passé des années à consolider ma position, à défendre mes intérêts et à livrer bataille à mes contestataires.
- Jusqu'au jour où...?
Le roi lui tourna le dos, entamant la contemplation d'un portrait suspendu au mur.
- Autrefois, une splendide fenêtre ornait cette pièce. Au travers de celle-ci, on pouvait apercevoir toute la partie Sud de la ville, et, au-delà, la mer de la Baie d'Illiaque.
La position du roi rendant futile toute forme de retenue, le Dunmer plissa conjointement yeux et lèvres, interloqué par la nouvelle.
« Apercevoir toute la ville ? Mais c'est impossible ! Daguefilante est immense... Il faudrait pour cela que nous nous trouvions à plus d'une centaine de mètres du sol !»
- Ces murs ne sont plus ce qu'ils ont été. L'observatoire de la guilde des mages est une chose, mais c'est d'ici que les constellations apparaissent les plus vives lors des nuits de nouvelle lune... L'été, il est possible d'apercevoir a constellation du guerrier dans son intégralité, croyez-le ou non.
Tandis que le roi enchaînait les élucubrations astronomiques, le Dunmer demeura figé. Il commençait à comprendre. Le sol très peu pentu du boyau, cette série invraisemblable d'escaliers de toutes longueurs et formes, le rétrécissement infinitésimal des parois, la chute graduelle de luminosité... Tout était fait pour donner l'impression d'une longue et tortueuse descente dans les entrailles de la ville... mais la longueur du trajet rendait pratiquement impossible la conservation de l'attention minutieuse nécessaire pour réaliser que cet accès montait, lentement mais sûrement, vers les plus hauts étages du palais.
Même la taille variable des marches jouait en défaveur du repérage : les compter pour estimer sa hauteur était complètement vain, surtout étant donné leur nombre.
Le Marcheur se voyait forcé de reconnaître que le tour avait fonctionné. Il ne se serait certainement pas attendu à se trouver dans les étages du château, et encore moins au point culminant du donjon royal.
Mais pourquoi avoir prit la peine de lui faire emprunter ce long et fastidieux chemin pour tout lui révéler d'entrée de jeu ? Il ne semblait guère être le genre d'homme à faire étalage de sa puissance par simple vantardise...
Malgré lui, il sentait que les manigances du souverain lui échappaient. Cerner un tel homme allait probablement se révéler complexe. Quoi de plus normal, après tout ? Il avait face à lui un dirigeant capable de réunir des armées, de façonner des villes et d'abattre des royaumes si le cœur lui en disait. Aucune forme de maitrise martiale ne pouvait suffir à entrevoir le pouvoir que cet individu détenait au creux de sa main. Et, si la simple éventualité de comprendre les pensées des grands Marcheurs lui avait toujours paru ridiculement lointaine, celle d'appréhender les manigances d'un roi s'avérait en cet instant tout aussi inaccessible.
- Je l'ai trouvé, un matin, dans cette exacte position...
Dakin leva les yeux, portant un œil attentif au dirigeant bréton. Celui-ci n'avait pas bougé d'un pouce.
- Je lui faisait confiance comme à mon propre frère. Et pourtant, quand j'ai poussé la porte par laquelle vous êtes entré, il se tenait là, le bureau couvert de missives déchiquetées, et le front ridé par l'échec. Les seigneurs avoisinants qu'il avait tenté de convaincre de me renverser avaient décliné ses harangues, les uns après les autres. Allez savoir s'ils m'étaient véritablement fidèles, ou s'ils attendaient simplement un meilleur moment pour frapper... Toujours est-il que, devant leur refus, Alexandre s'était finalement résigné à attenter à mon règne et ma vie de manière plus directe. Je venais toujours seul et désarmé dans cette pièce, et il le savait mieux que personne.
- Je remarque que vous êtes toujours debout, lâcha l'elfe noir. Que s'est-il passé ?
- Il ne m'a fallu qu'une fraction de seconde en entrant pour comprendre ses intentions. Et il en était probablement conscient. Après m'avoir tué, il allait devoir passer le restant de ses jours à fuir pour échapper à mes hommes... Mais cela devait peu lui importer : j'ai à cet instant lu dans son regard qu'il ne quitterai cette pièce qu'une fois mort ou après m'avoir tué. Mais la surprise d'une telle trahison m'a brièvement rendu naïf. Cet homme m'avait vu grandir et régner, il avait assisté à mes premières parties de chasse, à mes échecs, et pour ainsi dire à tout ce qui touchait au développement du souverain que j'étais malgré moi devenu à la mort de mon oncle. Je ne pouvais croire que cet homme, qui avait tant fait pour moi, puisse un jour se retourner contre moi, alors j'ai tenté de lui parler avant que les choses ne dégénèrent.
Daric fit une pause. Son ton se faisait plus rapide, comme si le souvenir de la scène avait suffi à le plonger dans la détresse qu'un homme face à le mort.
- Il n'avait que faire de mes bonnes intentions. Il a attendu que je me sois assis dans le fauteuil que vous occupez actuellement, avant de sortir un long poignard de son manteau.
La texture du bois contre le dos et les cuisses du Dunmer lui sembla soudain bien plus abrupte et inconfortable que lorsqu'il s'y était installé.
- Il s'est rué sur moi en hurlant. Je n'avais jamais lu pareille rage dans les yeux d'un homme.
- La colère d'un ressentiment accumulé est sans doute la plus insaisissable de toutes. D'autant plus si cette dernière se trouve issue de pensées contestataires inavouables.
- Vous avez probablement raison. Et c'est pour ça que je n'ai pas hésité quand il fut sur moi. Je l'ai désarmé d'un mouvement qu'il m'avait vu apprendre et répéter pendant des années avec mon maitre d'armes. Une technique sommaire et simple, de celles que tout prétendant au trône se doit d'apprendre pour survivre. Puis, en le voyant sans défense, la colère m'a emporté. Cet homme qui gisait misérablement devant moi m'avait trompé, moi, son seigneur ! Je n'ai frappé qu'une fois, de toutes mes forces, éclaboussant de son sang la lame sensée verser le mien.
Il fit une pause.
- Je m'en souviens comme si c'était hier. Je revois ses yeux perdre leur éclat alors que la vie fuyait son corps, en même temps que les réponses aux mille questions qui me tourmentent encore à ce jour.
Il se retourna. Et, tandis que le Marcheur s'était attendu à un air triste ou songeur, il se retrouva face à un faciès colérique et amer.
- Alors je vous le redemande, Dakin. Combien d'hommes avez-vous tué ?
Soudain, Dolovas comprit. Il comprit que, si les prémices de cette conversation se basaient sur de fades stratagèmes visant à en apprendre plus sur lui, cette question précise prenait racine dans un fondement d'honnêteté indiscutable.
Ses yeux n'étaient pas ceux d'un homme animé par le regret. Au contraire : ils brillaient d'une sûreté que seuls pouvaient arborer ceux qui avaient sauvé leur vie en prenant celle d'autrui. Mais l'elfe savait d'expérience que cette sûreté dissimulait maladroitement une incompréhension qui jamais ne pourrait être défaite.
- Trente-sept.
La réponse avait échappé au Dunmer, presque contre son gré.
Aucune marque de satisfaction ne vint perturber les traits inquisiteurs du roi.
- Avez-vous compté...?
Sa phrase était resté en suspens, et flotta dans le silence jusqu'à ce que l'elfe noir ne daigne répondre.
- Les membres de l'équipage de Zefir ? Oui, je les ai compté.
Le souverain hocha la tête en silence.
- Alexandre était un homme bon. Je dirais même que son aptitude à comploter était loin de concurrencer son efficacité lorsqu'il s'agissait de servir mes intérêts... Je n'ai bien entendu jamais connu les raisons de son acte. Et, quand bien même je lui aurais demandé, la réponse m'aurait sans doute échappé. Je ne vais pas vous mentir, Dakin : ne serait-ce que songer à un tel gâchis a le don de me mettre en furie...
Le Marcheur contempla le plafond en silence.
- Puisque voilà ce point éclairci, dites-moi plutôt... Quand votre choix s'est-il porté sur moi et mon camarade ?
Un éclat de rire authentique éclipsa la mine maussade du roi. Ce brusque revirement rappela a Dakin qu'en bon souverain bréton, Daric était sans doute un manipulateur hors-pair.
- Enfin, pourquoi poser cette question ? fit-il avec une pointe taquine dans la voix. Vous connaissez la réponse... n'est-ce pas ?
- Comment avez-vous su ?
Le Dunmer s'était retenu de poursuivre. Davantage de questionnements n'auraient fait qu'illustrer la vulnérabilité de sa position.
Comme s'il venait seulement de prendre conscience d'où et avec qui il se trouvait, il sentit ses sens s'affûter en prévision du conflit verbal imminent. L'issue de l'affrontement qui allait se jouer se déciderait sur l'information, et le vainqueur serait en position de poursuivre la dangereuse partie se profilant à l'horizon selon ses propres conditions. Bien sûr, le Marcheur préférait éviter de devoir se plier à celles de l'homme qui lui faisait face. Mais il n'avait pas eût a livrer pareille bataille diplomatique depuis ce qui lui semblait être des années, et son adversaire était de taille.
- Vous savez, songea Daric à voix haute, je me demandais si vous viendriez vraiment. Je dois dire que je suis étonné que mes corbeaux aient échappé à votre vigilance tout ce temps.
Enfin, le seigneur sortait le grand jeu.
- Alors c'était bien vrai... Depuis Sentinelle, vos chiens nous suivent à la trace...
- Je me suis douté que vous aviez compris à l'instant où vous êtes entré dans cette salle. Vous agissez avec une extrême prudence... Charger votre apprenti de votre petite besogne en ville et ne sortir qu'en cas d'extrême nécessité...
Le sang de Dakin se glaça. Il faisait valoir ses atouts bien plus rapidement que prévu.
- Vous savez pour Neloth ?
- Allons... Pour qui nous prenez-vous, Dolovas ? Je porte la couronne de Daguefilante ! Croyez-moi, il n'y a rien que je puisse ignorer indéfiniment si je m'en donne les moyens. Lorsque vous êtes venu fouiner dans les affaires de la ville pour la première fois, vous avez laissé des traces. Dans votre recherches, vous avez attiré l'attention de mes hommes, et votre départ précipité n'a fait que renforcer mon intérêt pour vous. À Sentinelle, j'ai cependant perdu votre trace... pour un temps. Malheureusement pour vos petits secrets, vous n'avez pas pris la peine de dissimuler vos emplettes en enquêtant dans ma ville : gemmes spirituelles, ingrédients alchimiques, parchemins coûteux... Nous n'avons eu qu'à observer les commerces de la capitale rougegarde pendant quelques semaines pour remarquer la présence d'un jeune Dunmer, faisant tous les jours le trajet entre les apothicaires et les enchanteurs de la ville avec une liste manuscrite à la main. Même la quantité de nourriture qu'il achetait quotidiennement vous trahissait. Mes hommes n'ont même pas eu à le pister jusqu'à l'endroit d'où vous guettiez le monde avec crainte pour affirmer qu'il s'agissait bien de vous.
- Premièrement, il n'est pas mon apprenti. Mais surtout... vous parlez de crainte ? Qu'en savez-vous exactement ?
- Vous redoutez quelque chose de bien plus féroce que les quelques roublards qu'une rencontre avec Aris aurait pu mettre sur votre route... Ces derniers ne sont pas de taille à vous causer du trouble, et vous ne semblez pas du genre à attirer inutilement les problèmes ou les effusions de sang.
- Certains sont plus sanguinaires que vous ne pourriez l'imaginer... fit le Marcheur, cynique.
Nullement dupe, le roi se contenta de sourire.
- Les tueurs de masse ne comptent pas leurs victimes. Et je doute que les trente-sept malheureuses âmes dont vous avez fait mention soient de parfaits samaritains.
Il se racla la gorge.
- Enfin, passons ces détails triviaux. À Sentinelle, vous étiez si focalisé sur cette menace que vous en avez même négligé la présence de mes agents sur place. Pourtant, pour quelqu'un armé d'un sens de déduction aussi affûté que le vôtre, les repérer aurait dû être l'histoire de quelques jours... Je ne peux que trop bien me douter de la nature d'un danger capable d'altérer le comportement d'un guerrier de votre acabit pendant les mois qui ont séparé votre première visite de votre récent retour.
« Serait-il au courant pour le Thalmor ? , se demanda l'elfe. Pour les Marcheurs ? Non... Si c'est le cas, alors mon avantage est bien plus maigre que je ne le pensais... »
Il aurait aimé poser ces questions au bréton, mais se contenta d'une autre, plus discrète.
- Vous avez parlé de mon soi-disant apprenti. Que comptez-vous tirer de lui ?
Affable, Daric croisa les doigts. Cette vision rappela à l'elfe celle d'Ernard Afranius lors de leur première rencontre : faussement bienveillant, et terriblement certain de son avantage.
- Eh bien, je comptais découvrir pourquoi vous l'aviez envoyé parcourir les dangereuses plaines sablonneuses de l'Est. Si vous souhaitiez simplement le mettre à l'abri pendant votre absence, les monstres et les bandits qui rôdent dans la région vous auraient dissuadé de le laisser quitter la ville.
Dakin ne dit rien, laissant le monarque poursuivre :
- Vous savez, je n'ai ni le temps, ni les moyens de lancer mes hommes à la recherche de votre... ami. Ils ne sont pas formés pour affronter les dangers de la nature, et mourraient sans doute avant même que ce dernier n'atteigne sa mystérieuse destination. Il serait bien plus amusant de l'entendre de vos lèvres. Enfin, vous semblez hermétique à ce sujet, et le sort d'un garçon, fusse-t-il lié à votre affaire, m'importe peu en comparaison des nombreux problèmes qu'il m'incombe de régler au plus vite.
Le silence s'installa.
L'attitude de Daric se faisait plus suffisante à mesure que le temps passait. L'homme débordait de confiance en lui, comme un chat se contentant de jouer avec une souris qu'il savait incapable de lui échapper. En d'autres jours, le Dunmer aurait trouvé un tel comportement à vomir. Mais il s'agissait de plus que de simples pourparlers. Sans l'aide et les moyens du roi, il se retrouverait tout aussi démuni qu'il l'avait été lors de sa dernière visite en Hauteroche. La présence d'Aris était rassurante, mais pas suffisante. À vrai dire, le rougegarde lui serait de bien peu d'utilité lorsqu'il s'agirait de trouver une stratégie de défense face à leurs ennemis. Af-Ozalan en savait trop peu sur l'Ordre et le restant de leurs camarades, et ses talents d'épéiste ne lui seraient d'aucune aide face à qui viendrait l'assaillir en parfaite connaissance de ses capacités. Les autres ne s'étaient pas laissés cueillir un par un sans résister.
Il haïssait l'admettre, mais il lui fallait suivre le plan du rougegarde en l'attente d'une meilleure option. Et cela signifiait devoir ravaler sa fierté, dans la mesure du possible.
- Je suppose que savez pourquoi je vous ai convié ici ?
- Absolument, rétorqua le Marcheur sans hésiter. Vous vous attendez à ce que je vous rende un service. Pour quoi d'autre un roi ferait-il appel à un reître ou un bandit de grand chemin ?
La surprise traversa le regard du souverain.
- Est-ce vraiment ainsi que vous vous voyez ? Comme un vulgaire chasseur de tête ?
- Mon compagnon ne saurait trouver d'appellation plus précise. Et je présume que vous n'avez pas fait venir le Tigre de Skaven par hasard.
- Pourtant, c'est bien à Aris, et non au Tigre, que j'ai décidé de faire appel. Et ce, bien qu'il me soit forcé de reconnaître que les compétences guerrières de votre ami lui seront sans doute particulièrement utiles dans les semaines à venir...
- Si vous pensez qu'il lui faudra plusieurs semaines pour se charger de la tâche que vous lui confiez, alors vous commettez une lourde erreur.
Daric sourit sans rien dire. Il se rassit calmement, sans toucher aux accoudoirs de son somptueux trône, ne serait-ce qu'avec ses amples vêtements. Il paraissait ténu comme un spectre, ainsi vêtu de blanc et le front dénué d'apparat... mais le cachet si particulier de sa voix posée suffisait à assurer le magelame qu'il était loin de faire face à une apparition. Pour l'heure, son Altesse était vivante, et bien disposée à faire valoir ses talents oratoires pour lui tirer les vers du nez.
- Vous dites que je vous ai fait venir pour vous confier une tâche. Eh bien, figurez-vous que vous n'avez qu'en partie raison. Vous méritez une récompense pour le service que vous avez d'ores et déjà rendu à la couronne en sauvant la vie d'Ernard Afranius. Sans vous, mon conseiller serait probablement au fond de la mer, ou aux mains des révolutionnaires. Et je ne saurais dire lequel de ces sorts lui serait le moins enviable...
- Vous ne m'achèterez pas. Mes conditions sont on-ne-peut plus claires... et non négociables.
- Vous n'en démordrez pas, et j'en suis bien conscient. Je voulais simplement vous assurer que vous serez récompensé pour le service que vous m'avez rendu, peu importe l'issue de cette conversation. Mais avant d'en arriver là, j'aurais en effet une mission à vous confier. Vous savez de quoi il s'agit ?
- Dites toujours, ironisa Dakin. Les surprises se font aussi rares que bienvenues par les temps qui courent.
- Comme vous avez dû le remarquer par la petite altercation qui a marqué notre rencontre, certaines âmes de cette bonne ville n'hésitent pas à exprimer librement leur hostilité à mon égard. Et ça ne concerne pas que les citoyens de la capitale.
Quelqu'un frappa à la porte.
Le Dunmer et le roi se tournèrent en même temps vers l'origine du son, avant que le battant de l'unique porte de la pièce ne s'ouvre.
Une femme entra. Elle était vêtue d'une robe blanche similaire à celle que portait son souverain, mais cette dernière s'ouvrait sur un corset de cuir noir, que des ficelles dorées venaient resserrer jusqu'au niveau de la gorge. Des mèches d'un brun opaque encadraient son visage, plongeant son regard tranchant dans l'ouverture blafarde de ces rideaux ténébreux. Elle était belle, mais son charme demeurait voilé par une dureté inexplicable.
- Seigneur, dit-elle d'une intonation étrangement évocatrice. Monsieur Afranius vient de rentrer de voyage.
- Entendu, Sirane. Je l'accueillerai dès que j'en aurais fini ici.
La femme s'inclina profondément, avant de quitter les lieux, ponctuant sa sortie d'un regard prolongé en direction de l'elfe noir.
Ce dernier, sans voix, était bien trop concentré sur un autre détail pour prêter attention à l'insistance de la servante. Avant que la porte ne se referme, il avait pu entrevoir le décor de la pièce adjacente. Il s'agissait d'une grande salle aux murs bien éclairés, peuplée de plusieurs servants et invités noblement vêtus. Rien à voir avec le conduit caverneux duquel il s'était extirpé un quart d'heure plus tôt.
Il regarda le roi, puis l'encadrement maintenant clos de l'entrée. Aucune trace d'habits de rechange dans la pièce. Pourtant, la traversée d'un tunnel aussi humide et insalubre aurait immanquablement dû laisser des traces sur sa tunique blanche...
Lorsque les pas de la servante se furent éteints derrière le battant, le silence retomba lourdement.
Au bout de quelques secondes, voyant que la stupeur avait figé l'elfe, Daric parla :
- Cette forteresse est réputée imprenable, Dakin. Qu'ils soient cinquante, cent ou dix mille au-dehors, ils ne pénétreront ici que si je le veut bien.
Sans savoir pourquoi, Dakin fut convaincu que Daric disait vrai.
- Qu'est-ce que c'était ? Une illusion ?
- Une illusion ? Un portail ? Je n'en sais trop rien, et je préfère laisser ces détails aux mages de la cour chargés de faire en sorte que seuls pénètrent dans cette pièce les gens que j'y autorise.
- Vous avez raison. Peu importe ce dont il s'agit, en réalité. Puisque vous êtes si sûr de votre sécurité, pourquoi demander mon aide ?
- Car dix mille révolutionnaires serait hélas un chiffre très en-dessous de la réalité... Comme je l'ai dit, Daguefilante est grande, mais sa population n'est rien à côté de celle du royaume que je dirige. Des millions d'hommes se trouvent hors de ces murs, et la distance ne les incite probablement pas à laisser de côté leurs petites manigances politiques. Combien de temps avant qu'ils ne coupent les chariots de vivres ravitaillant le palais ? Combien de plus avant que mes propres conseillers ne finissent une fois de plus par songer à me remplacer par un prétendant plus jeune ou plus expérimenté ?
- Nous sommes en Hauteroche, ricana Dakin. Vous ne seriez pas le premier à tomber sous les coups de seigneurs rivaux... et certainement pas le dernier.
Le bréton saisit une tasse posée sur son bureau, et trempa ses lèvres dans le breuvage ambré qu'elle contenait.
- Ne trouvez-vous pas cela ironique ? Tout le pays semble m'en vouloir, et je ne sais même pas pourquoi. J'ose espérer que les révolutionnaires se terrant dans les bas-fonds savent au moins pour quelle raison ils souhaitent voir ma tête séparée de mon corps !
Un sourire tira les traits du Marcheur.
- Et voilà Aris parti se charger de découvrir leurs intentions. Quel heureux hasard !
- Je crois deviner que vous désapprouvez ?
- Je désapprouve toute action impliquant d'ôter la vie à une bande de malheureux dans le service d'intérêts étrangers.
- Mes intérêts sont les vôtres, n'en doutez pas. J'avais tout d'abord pensé vous récompenser par de l'or ou des titres, comme ce fut le cas bien des fois avant celle-ci. Mais je sais que pour vous, l'argent n'est qu'un moyen d'accomplir vos objectifs. Autrement, vous auriez tranché la gorge d'Ernard et de ses hommes une fois arrivés sur la terre ferme, et seriez partis en emportant tout son butin avec vous.
- Quelqu'un s'en est chargé à notre place. Afranius ne vous en a-t-il pas informé ?
Daric soupira de nouveau.
- Si, et c'était à prévoir. Mais c'est bien la vie de mon serviteur que je souhaitais avant tout protéger. Pour un service pareil, je pourrais vous offrir des terres...
- Encore faudrait-il pouvoir les défendre, fit Dakin. Je m'endors chaque soir en ignorant ce qui m'attendra le jour suivant. Que ferais-je d'un château sur un sol aussi instable que la patrie brétonne ? Il ne se passerait pas vingt ans avant qu'un seigneur voisin ne me le réclame ou qu'un de vos successeurs ne décide d'annuler vos décrets territoriaux.
- Quel âge avez-vous ?
- Je suis trop jeune pour que ma longévité elfique ne puisse vous tromper quant à mon apparence physique. Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus.
- Je me doutais que vous étiez jeune. Et, croyez-le ou non, viendra un moment où la tranquillité vous appellera, vous aussi. Vous n'êtes pas de ces avides magiciens passant leur vie à lire et pratiquer les arcanes dans l'espoir de ramener des dieux disparus ou d'obtenir la vie éternelle.
- Qu'en savez-vous ? répliqua le magelame, piqué au vif par le ton savant du souverain.
- Vous avez le regard d'un homme traqué, Dakin. Et chacune de vos actions me conforte dans cette impression : vous ne dormez pas d'une oreille tranquille, et c'est précisément pour cela que c'est à Aris et non à vous que j'ai demandé d'écumer les ghettos de ma capitale.
- Vous êtes perspicace, ma foi, fit l'elfe d'un ton glaçé.
Le roi posa ses mains sur la table et fixa intensément le Dunmer. Puis, il parla d'une voix calme et assurée :
- Vous ne voulez pas mon argent. Les terres vous sont égales... Alors que voulez-vous vraiment ?
- Vous le savez. Nous cherchons quelqu'un.
Daric éclata de rire.
- Enfin, Dolovas, nous savons tous les deux que ce n'est pas vrai ! Du moins, pas entièrement. Pourquoi le chercheriez-vous si avidement, au point de vous exposer à l'inconnu qui vous fait tant horreur ? Vous avez déserté votre petit nid douillet à Sentinelle et vous êtes rendu vulnérable par deux fois aux forces qui en ont après vous !
Le roi s'était joué de lui tout du long. Prétendre les embarquer à l'improviste avec Afranius, faire en sorte de jouer la carte de l'ignorance pour qu'ils prennent leurs aises... Depuis le début, Daric avait précisément orchestré l'instant présent, en espérant le coincer pour le forcer à révéler son objectif. C'était désormais chose faite... et il n'avait rien vu venir.
La rage bouillonnait dans la poitrine du Dunmer. Pourtant, sourd à sa colère, Daric n'avait pas encore décidé de conclure son interrogatoire.
Sans attendre, il reprit ses questions, négligeant la menace que pouvait représenter son interlocuteur s'il cédait à sa haine grandissante.
- Désirez-vous la gloire ? Ou bien de pouvoir ? Voulez-vous diriger une armée, ou passer vos jours à la tête d'une puissante confrérie ? Les places sont vacantes par les temps qui courent ! Pourquoi ne me demandez-vous pas simplement ce que vous souhaitez ? Personne ici n'est mieux placé que moi pour vous l'offrir, Dolovas !
Tandis qu'il haussait progressivement le ton, emporté par ses harangues, Daric regardait fixement le magelame, soutenant son regard brûlant comme s'il cherchait à y trouver ce que ses paroles ne lui disaient pas. Ses pupilles ambrées brillaient d'un éclat de désir sans pareil. En cet instant, la curiosité qui accrochait le bréton à son invité venait d'atteindre son paroxysme. L'homme qui régnait sur Hauteroche ne désirait actuellement qu'une chose : savoir ce que recherchait cet elfe aux cheveux de jais et au teint cendré.
- Que pensez-vous savoir de mes intentions, au juste ? cracha ce dernier, profondément irrité par les assauts répétés du seigneur.
- Vous voulez la vérité ? Absolument rien ! Et plus je vous regarde, moins j'en sais sur vous. Votre ami rougegarde est arrogant et sanguin, cela saute aux yeux. En apprenant qu'il était entré en contact avec vous, je ne pouvais pas laisser passer l'occasion de vous avoir tous les deux à mon service. Le tigre de Skaven et le mystérieux inconnu l'accompagnant, vous imaginez le tableau ?
Son ton se durcit.
- Mais je ne peux rien offrir à Aris qu'il n'ait pas déjà. Il refuserait tout de moi. L'argent, l'alcool, les femmes... Il peut se procurer ceci à n'importe quel instant : tout ce qu'il a à faire est de choisir la prime au montant le plus élevé sur les tableaux des auberges, et de faire ce qu'il sait faire de mieux. Il poursuit un but simple et personnel... aussi ne puis-je qu'espérer. Attendre, et espérer qu'il me restera fidèle au long de la périlleuse histoire dans laquelle nous nous sommes lancés...
Daric marqua une pause, observant le Dunmer avec une intensité redoublée. Il mesurait chacun de ses mots, pesait chaque syllabe, et mit quelques instant avant de reprendre la parole :
- Mais vous, vous êtes... fascinant. Déconcertant, même. Vous dîtes ne rien vouloir, mais pourtant... Vous m'avez démontré le contraire à l'instant.
- Expliquez-vous.
- C'est pourtant tout simple, fit le roi avec amusement. Dans cette taverne où nous nous sommes rencontrés, vous êtes resté, là où votre ami est parti. Si vous étiez persuadés que je ne pouvais rien vous apporter, vous auriez pu... non, vous auriez dû partir en même temps que lui. À vous en croire, vous ne souhaitez ni terres, ni gloire, ni informations, ni quoi que ce soit d'autre... Vous ne ressemblez pas à un érudit, vous n'avez rien d'un fou... Vous êtes trop voyant pour un simple vagabond mais trop cynique pour un visionnaire. Vous n'êtes pas venu pour entrer à mon service, ni pour m'assassiner...
Le roi se mit à sourire fébrilement, alors qu'il perçait uns à uns les derniers remparts se dressant entre lui et l'intention véritable de son interlocuteur.
- Vous n'êtes pas vraiment venu ici pour trouver l'un de vos amis... Mais pour quelque chose que vous ne pouvez obtenir qu'en agissant de la sorte. Je ne peux prétendre savoir quoi, mais vous recherchez quelque chose qui vous hante, quelque chose qui vous empêche de dormir la nuit venue. Et je vous le demande donc une dernière fois, d'homme à homme : que recherchez-vous ?
Un changement brutal se produisit soudain dans les yeux du Dunmer. Un changement si radical et violent que le seigneur douta un instant de la personne qu'il avait en face de lui. Les pupilles nobles et calmes du Dunmer étaient maintenant d'un froid mordant, cassantes comme le givre. Et, sous la surface immobile de son regard silencieux, un océan de rage se déchaînait furieusement.
Un océan qui venait d'être exhumé par ses investigations, et dont il doutait en cet instant de pouvoir saisir toute la profondeur.
Dakin se leva brusquement, comme l'aurait fait son camarade à sa place. Il marcha sans un mot vers la porte, puis se retourna vers Daric pour lui asséner :
- Vous êtes condamné. Le peuple veut votre tête, vos bannerets veulent votre tête, et très bientôt, vos amis les plus proches se retourneront contre vous ou sauteront du navire avant le naufrage. Vous ne serez bientôt rien de plus qu'un nom supplémentaire sur la longue liste des rois brétons renversés ou trahis par leurs pairs avides de pouvoir. Vos jours sont comptés, tout comme le sont ceux de l'être écœurant qui prendra votre place, et de tous ceux qui viendront ensuite. Alors à quoi bon vous faire part de mes désirs ? À quoi bon révéler quoi que ce soit à un homme en sursis dont la tête finira probablement l'an 203 au bout d'une pique ?
Daric ne se leva pas. En réalité, il ne bougea pas d'un pouce, et ne jeta même pas un regard dans sa direction. Sa voix monta dans la pièce, emplissant l'espace entre les murs d'un ton aussi assuré que mélancolique.
- Parce qu'il n'existe pas de meilleur gardien aux secrets qui vous hantent qu'un homme en sursis. Parce que, comme un brasier, ces secrets feront doucement fondre la carapace de glace que vous avez dressé pour vous en protéger. Et, lorsqu'ils referont surface, il sera trop tard pour en parler, à moi comme à votre ami. Car vous ne serez plus que l'ombre de l'elfe fier et sûr de lui que j'ai convié dans cette pièce.
Un sourire empreint de rancœur et de ressentiment déchira la mine impassible de Dolovas en un rictus sardonique, et l'éclat de ses yeux redoubla d'agressivité.
- Alors, votre Altesse, cracha-t-il, fulminant. Dites-moi donc une chose... Pouvez-vous faire revenir les morts à la vie ? Pouvez-vous rattraper les ans, les décennies perdues, ou réparer le déchirement causé par leur disparition ? Pouvez-vous plonger vos yeux dans ceux de vos compagnons disparus une fois la nuit venue ? Pouvez-vous, comme ils le réclament en s'accrochant à vous de leurs mains spectrales, couvrir de sel et de sang la terres de vos ennemis les plus omniprésents pour venger les vôtres ?
Sur ces paroles, l'elfe noir saisit la poignée de la porte, et l'ouvrit pour sortir, laissant la chaude lumière de la salle de réception se déverser dans la pièce.
- Laissez moi répondre à votre place : non, vous ne pouvez pas.
- Et vous ? fit le roi.
Le Marcheur s'arrêta.
Saisissant sa chance, Daric enchaîna :
- Pouvez-vous soutenir le regard de ceux que vous n'avez pu sauver ? Pouvez-vous les venger ?
Dakin n'hésita pas.
- Pas encore. Mais un jour viendra où la revanche que je convoite s'offrira à moi. Voilà ce que je recherche, puisque vous vouliez tant le savoir : la vengeance.
Dakin ne claqua même pas la porte. Au lieu de cela, il franchit le seuil, et s'éloigna hors du champ de vision du souverain.
Contemplatif, ce dernier croisa lentement les mains, réfléchissant à ce que son invité lui avait dit.
- Je réunirai votre conseil, lança-t-il à la volée, sachant que son interlocuteur demeurait à portée de voix. Servez moi, et je ferai tout pour que votre vengeance s'accomplisse !
Le Dunmer emprunta la première porte qui se trouva sur sa route, descendit une volée de marches, puis s'aventura dans les couloirs, cherchant à noyer sa colère sous le déluge visuel de briques et d'apparats qui accueillait son regard où que ses yeux se portent. Pourtant, et malgré la volonté qu'il mobilisa pour les retenir, les décors se retrouvèrent rapidement floutés par des larmes qui, il le savait, n'iraient jamais jusqu'à dévaler la pente abrupte de ses pommettes.
- Un jour viendra, murmurait-il continuellement dans un souffle à mi-chemin entre le rire et le sanglot. Et, quand l'adversaire se montrera, croulant sous la pestilence infecte et méprisable de ses inexpiables fautes, le sol s'embrasera sous ma volonté pour l'emporter dans les cendres.
Sur son passage, les servants s'écartaient, mus par un réflexe de survie primaire. S'il avait prêté attention à leur expression, il n'y aurait lu qu'un semblant de respect terrorisé. Il ne devait à leurs yeux pas avoir l'ombre d'un doute sur ce qui attendait celui qui se mettrait en travers de ses foulées furieuses. Les regards craintifs et les exclamations apeurées ponctuèrent son errance pendant de longues minutes, durant lesquelles sa colère ne fit pourtant que croître. Chaque visage sur son chemin représentait tout d'un monde dans lequel n'importe qui pouvait cacher n'importe quoi. Un monde où la survie était devenue seule règle, et les privilèges, le seul moyen de tenter de s'y réfugier.
Sans qu'il n'y prête attention, ses pas avaient cessé. Il regarda autour de lui, mettant plusieurs secondes à identifier l'endroit où il se trouvait. Il s'agissait d'une aile isolée et peu éclairée du palais, sans doute très peu fréquentée. Ici, loin de toute oreille indiscrète, son air hargneux se mua lentement en un sourire fanatique.
Dans le couloir, les torches vacillèrent. Un instant plus tard, elle s'agitèrent de nouveau, cette fois pour s'éteindre définitivement. Plus un bruit ne régnait, hormis celui de sa respiration, devenue saccadée. Alors que la colère incommensurable qu'il avait accumulé se dissipait brusquement, l'air s'épaissit, devenant irrespirable pour quiconque se serait trouvé à proximité.
Au creux se ses mains, une lueur rougeâtre semblable à celle qu'avaient vu les hommes de Zefir avant de mourir s'était mise à vibrer calmement, pareille au ronronnement d'un gigantesque fauve prêt à bondir. Bercé par la seule lumière que son corps émettait, il ferma les yeux, laissant l'obscurité l'envelopper de son étreinte mélancolique.
Mais cette fois, tout semblait différent. Tout était clair et calme. Étrangement lucide, il fronça les sourcils, incertain.
Il y avait quelqu'un avec lui, ici, dans ce couloir.
Sa présence n'était pas physique, et pourtant, il pouvait la sentir comme si cette entité surnaturelle s'était tenue par-dessus son épaule. Il connaissait cette sensation. Inspirant profondément l'air lourd et âcre qui avait empli les environs, il compta jusqu'à treize, avant d'expirer avec lenteur et contrôle, cherchant à chasser tout l'air de ses poumon.
Il répéta l'opération une dizaine de fois, jusqu'à ce que son de son souffle se fonde complètement dans le néant sensoriel semblant avoir envahi cet portion du palais.
- Ô, Diagna, articula-t-il, sans savoir si sa voix résonnait entre les murs du corridor ou au sein de son propre esprit. Prête-moi ta force dans cette terrible lutte, afin que ma lame puisse figer le temps et abattre les forces chaotiques de Nirn. Que ton bras arme le mien, que tes rêves emplissent mon âme, que les mille soleils d'Aetherius guident les murmures des Rivages jusqu'au creux de mon oreille mortelle. Aujourd'hui comme chaque jour à venir jusqu'à l'Effondrement, je requiert ta bénédiction, car le combat des Anciens n'est pas terminé.
Quand les lumières se rallumèrent, l'émotion avait quitté son visage. Seule demeurait une détermination inébranlable, animée par la conviction que ses prières avaient été entendues.
Ca faisait un moment que j'etais pas venus...
c'est bientot le passage de la goule non ?
Le 11 novembre 2019 à 13:16:12 ODST-01 a écrit :
Ca faisait un moment que j'etais pas venus...
c'est bientot le passage de la goule non ?
Pas tout à fait, mais on se rapproche
Chapitre 28
- Plus que quelques mètres.
Le rougegarde ne répondit pas.
- C'est là. Attention où vous mettez les pieds, le sol glisse par-ici.
Le corbeau bifurqua à droite, talonné par un Aris redoublant de vigilance.
Depuis plusieurs minutes déjà, son esprit ne parlait plus la langue mortelle, mais celle des lames, des embuscades, des poursuites et des contre-attaques. Si un homme avait eut la malchance de se tenir au tournant, le rougegarde l'aurait probablement décapité par réflexe sans forme de préavis.
C'est dans cet état de concentration guerrière absolue qu'il atteint la destination promise par son guide de mauvais augure.
L'endroit était pour le moins lugubre. Encerclée de bâtiments à moitié écroulés, la place à l'extrémité de laquelle ils venaient de déboucher était infestée par une végétation sauvage et luxuriante. Les racines délogeaient impitoyablement les pavés de leurs encoches, et les mauvaises herbes hantaient chaque recoin disponible, rendant le sol bombé et irrégulier presque invisible par endroits. Çà et là, de vastes mares de boue et de détritus rendus indéfinissables par le temps macéraient dans les crevasses et les rigoles, faisant planer dans l'air un relent pestilenciel tout juste soutenable.
L'état de décrépitude des lieux n'avait fait que s'accroître depuis qu'il suivait l'agent du roi, mais un seuil venait d'être dépassé. Ici, toute activité humaine semblait impossible.
Sans rien dire, l'agent se mit à avancer, visiblement guère gêné par l'aspect sinistre des lieux. Aris lui emboita le pas, ponctuant ses premiers pas d'une grimace dégoutée.
L'humidité n'arrangeait rien. Chaque enjambées était difficile tant la pierre s'avérait traître, et avancer avec de l'herbe jusqu'aux genoux ne contribuait guère à l'idée qu'af-Ozalan se faisait du confort citadin. Le sol était couvert de feuilles mortes, de journaux déchiquetés et d'un sable noir et visqueux, dont il se garda bien de chercher à déceler l'origine. Plusieurs fois, il lui sembla sentir un regard braqué sur eux, guettant dans l'ombre. Son intuition fut confirmée lorsqu'il aperçu la silhouette rampante d'un rongeur se faufiler entre les touffes d'herbes pour les observer avec curiosité de ses petits yeux brillants.
Après une quinzaine de mètres de tâtonnements et de sauts mal assurés visant à éviter les mares d'eau stagnante, ils parvinrent au bout de cette véritable lutte contre la nature. Ils s'arrêtèrent devant une grande fontaine, vaguement située au centre de la place.
- La place de la Fontaine, sussura l'individu sous son impénétrable pèlerine. Si vous avez besoin de retrouver votre chemin, demandez à n'importe qui. Cet endroit est connu de tous dans le coin.
Aris se tourna vers le corbeau. La silhouette encagoulée avait une voix fluette, mais ce timbre nasillard s'ancrait dans une fermeté de ton qui contrastait avec sa carrure frêle. C'était à se demander si les mots qui s'élevaient dans l'air vicié des lieux émanait véritablement de cet agent aux obscures directives.
- Alors... C'est d'ici que je suis censé opérer pour le roi ?
- Précisément. Ça n'a pas l'air accueillant, je vous le concède... Mais c'est pour le mieux, croyez-moi. Personne n'aura l'idée de venir vous débusquer dans cet endroit.
- Avec une puanteur pareille, je vous crois sur parole, grogna l'épéiste. On dirait que personne n'a mit les pieds ici depuis des lustres.
Un silence se fit. "Débusqué". Le corbeau n'avait probablement pas employé ce terme à la légère. Cette vilaine histoire allait visiblement lui attirer de nouveaux ennemis. Mais avec un peu de chance, il aurait déjà quitté cette ville avant que les choses n'atteignent un stade critique... L'idée d'empiler les corps d'inconnus ne lui paraissait pas reluisante, même si les victimes en question ne lui laissaient pas d'autre choix.
S'il avait bien retenu une leçon de ses années à l'Ordre des Marcheurs, c'était celle-ci : tuer n'avais jamais été un moyen. Ôter la vie d'un être était un acte si symbolique et profond qu'il devait toujours être considéré comme une fin en soi. Et s'il avait douté de la chose en débutant sa carrière de mercenaire, il savait à présent que le bruit de sa lame dévorant la chair ennemie était bien plus transcendant à ses oreilles que le son d'une bourse pleine atterrissant au creux de sa paume. Un chasseur de primes... Le terme même était erroné. Ces hommes n'avaient jamais tant chassé les récompenses que les têtes qui leur permettaient de les obtenir.
Mais ici, c'était différent. Il se voyait forcé de reconnaître qu'il était des choses en ce monde qui attisaient davantage son feu intérieur que les batailles et les traques. La connaissance en faisait partie. Et désormais, voir le jour suivant se lever était une chance supplémentaire d'en apprendre davantage sur Dakin et de percer les mystères de l'Ordre.
- Vous essayez de vous transformer en arbre à rester planté là comme ça ?
Le rougegarde laissa échapper un vague grognement, et rattrapa l'acolyte.
Depuis le centre du terrain, l'impression d'abandon était plus frappante encore. La place se divisait en une demi-douzaine de rues, réparties comme les branches d'une étoile en partant de son centre. Devant chaque croisement, de vieilles pancartes de bois pourri aux inscriptions rendues indéchiffrables tanguaiant au rythme du vent nocturne, pareilles à des épouvantails plantés au milieu d'un champ désert.
Au dessus de leurs têtes, les bâtiments délabrés semblaient vouloir se refermer sur eux, fracturant le ciel de six abruptes bâtisses aux airs de gigantesques pierres tombales. Même la clarté lunaire ne paraissait pas vouloir s'aventurer jusqu'ici, plongeant les façades décrépites dans un ombrage opaque et étouffant.
Malgré tout, et même s'il se garda bien d'en faire part à son acolyte provisoire, le mercenaire se surprit à éprouver une certaine sérénité en ces lieux. Quelque chose dans le calme et l'isolement presque exagéré de l'endroit contribuait à l'assurer que sa tranquillité ne saurait être troublée fréquemment s'il venait à y demeurer.
L'agitation lui avait toujours déplu, que ce soit dans les rues de Sentinelle pendant ses années de mercenariat, ses déambulations dans les halls de l'Ordre des Marcheurs, ou même son enfance dans les quartiers populaires de Refuge. C'était d'ailleurs une des raisons qui rendait à ses yeux la traque des grands criminels si trépidante. Ces derniers se cachaient, conscients que quelqu'un venait probablement pour leur tête en tout point du jour ou de l'an. Par conséquent, ils évitaient scrupuleusement les grandes villes et les axes commerciaux, et finissaient bien souvent par établir leurs campements dans des endroits reculés.
C'était là ce qui avait, pendant des années, fait tout l'intérêt du métier à ses yeux.
Il y avait quelque chose dans le calme venteux du désert dont il n'avait jamais su se lasser. Le silence précédant l'affrontement était si particulier qu'il en devenait presque spirituel : rester immobile, à guetter la troupe ennemie dans l'expectative du signe qui lui permettrait de passer à l'action... Le calme avant la tempête, avant l'inévitable moment ou les cris et le sang finiraient par jaillir de la gorge de ceux qui se tenaient entre lui et sa cible.
Récemment, il s'était surpris à n'éprouver cette sensation que de plus en plus rarement, pour ne plus la retrouver qu'en de rares occasions. Dans le dédale de ruelles au sein duquel l'avait conduit Neloth pour le mener à Dakin, il avait pu sentir ce silence. Bien qu'il eut craint que ce dernier ne soit cette fois tourné contre lui, et qu'un groupe de coupe-jarrets ne surgisse d'une fenêtre ou d'un toit pour l'assaillir, il avait brièvement goûté à cette sensation de calme intérieur.
En cet instant, il croyait à nouveau pouvoir en entraperçevoir l'essence. Et, bien que la sensation ne soit pas complètement identique, elle demeurait suffisamment similaire pour qu'il soit certain d'une chose : jamais il ne s'était senti aussi à l'aise depuis qu'il avait reposé le pied sur le sol bréton. Cette sensation était d'autant plus contradictoire qu'il n'avait aucune intention de verser le sang en ces lieux.
Un constat surprenant le frappa : c'était la première fois que lui et Dolovas se retrouvaient séparés depuis leurs retrouvailles. Peut-être la présence de l'elfe était-elle plus drainante qu'il ne l'avait pensé... ou peut-être avait-il simplement oublié comment collaborer avec autrui...
- Vous allez traîner encore longtemps ? Je pensais que vous étiez pressé.
Le corbeau s'était à nouveau éloigné de quelques mètres. Aris le rattrapa, causant sur son passage de multiples éclaboussures fétides.
- Des gens vivent-ils ici ?
L'agent secoua la tête en signe de négation.
- Pas à ma connaissance. Ce coin est le point de rendez-vous des trafiquants et des criminels, mais il est vide l'immense majorité du temps. Vous n'y trouverez que quelques mendiants de passage à la tombée du jour, si vous avez de la chance. Enfin, si vous êtes encore assez stupide penser que la chance aie quoi que ce soit à voir là-dedans.
Le rougegarde n'appréciait guère le ton de l'homme. Il se retint de rétorquer, et se contenta de lui emboiter le pas.
Le guide s'immobilisa de nouveau, devant l'un des bâtiments bordant la place. La porte ne tenait plus à son encadrement que par le gond supérieur, et les planches la constituant ne cachaient plus grand-chose de ce qui se trouvait de l'autre côté.
Ils pénètrent dans le taudis.
À l'intérieur, l'obscurité était étouffante. Il fallu plusieurs secondes aux deux visiteurs pour percevoir leur entourage, laissant le temps aux mites et aux cloportes de venir se réfugier sous le plancher corné et dans les fissures des parois pour échapper au regard des intrus.
Aucun mobilier. Le plafond et les murs, sombrant dans l'obscurité vaporeuse des toiles d'araignées, semblaient tapisser la pièce, et paraissaient confiner jusqu'à la lueur de la torche que le corbeau venait de se résoudre à allumer. Il brandit le flambeau orangé au niveau de son visage, et s'approcha du fond de la salle.
- Faites comme chez vous, af-Ozalan, ricana l'espion.
- Vous vous fichez de moi ? dit ce dernier en pivotant vers l'ombre. Un gobelin ne se risquerait pas à passer une seule nuit ici !
- Vous avez de la ressource... Vous n'aurez aucun mal à prendre vos aises, j'en suis persuadé.
Le rougegarde s'avança au fond à gauche de la salle, et se figea devant la porte condamnée supposée mener à l'étage. Vu l'état du vestibule, les pièces du dessus ne devaient guère être plus habitables. Il regarda les poutres du plafond, rongées par l'humidité et les insectes. Il était presque étonnant que la bâtisse tienne encore debout. Une chose était sûre : l'éventualité de se réveiller sous une pile de décombres alimentait suffisamment ses tendances claustrophobiques pour qu'il ne passe pas la nuit dans cet endroit.
- Vous voulez me faire croire que le croulant a décidé de m'installer ici ?
- Faites preuve d'un peu d'égards quand vous parlez de messire Afranius. Sans lui, vous seriez encore à Sentinelle en train de vous ôter le sable des oreilles.
Aris fronça les sourcils.
- Que voulez-vous dire ?
- La tempête dure toujours. Vous n'étiez pas au courant ?
La nouvelle surprit l'épéiste. Il n'avait pas réellement consulté les journaux depuis qu'ils avaient accosté. En réalité, l'inconfort constant causé par leur retour précipité sur ces terres lui avait fait perdre certaines des habitudes cruciales qui avaient contribué à garantir sa sécurité et remplir son carnet de travail des années durant. Dont celle, entre autres, de porter une oreille attentive aux ragots qui s'échangeaient à voix basse. Peut-être aurait-il été pertinent de discuter de ce sujet avec Dakin avant leur séparation...
Quoi qu'il en soit, cette information n'augurait rien de bon : la prospérité de la capitale rougegarde dépendait largement de sa capacité à commercer à l'échelle locale et continentale. Compte tenu de l'imminence de l'hiver, les contrées avoisinantes allaient cesser d'exporter leurs denrées alimentaires et camper sur leurs provisions jusqu'aux prochaines récoltes, et l'amaigrissement des stocks de la ville allait probablement se faire sentir jusqu'au début de l'été prochain. Si le Domaine se décidait à attaquer les côtes dans de telles conditions, Sentinelle ne tiendrait pas plus d'un mois en cas de siège.
«Satanés elfes ! pesta-t-il en tentant de rester hermétique face à l'homme. Même le climat semble jouer en leur faveur... »
- Enfin, fit le corbeau en le rejoignant face au mur, je ne vous ai guère conduit ici pour échanger des politesses.
L'agent fit glisser sa main contre le bois du mur. Aris souri en entendant un déclic de l'autre côté de la cloison.
La paroi s'ouvrit, révélant un couloir taillé dans la pierre.
- Après vous, af-Ozalan, dit l'ombre d'un ton qui se voulait vaguement chaleureux.
Le rougegarde s'avança. Quelques mètres à peine, et une fine lueur tamisée lui parvint. Le froid corridor s'ouvrait sur une petite pièce d'allure douillette, munie d'un bureau, d'un lit sommaire mais visiblement confortable, et d'un large placard entrouvert laissant apparaître couverts et denrées alimentaires. Dans un coin, une petite bibliothèque semblait l'attendre sagement, pleine d'ouvrages volumineux aux couvertures épaisses. Les murs n'étaient pas vraiment décorés, mais cela lui seyait parfaitement : les distractions matérielles n'avaient jamais été son fort.
Le corbeau s'était arrêté à l'entrée du couloir.
- Vous trouverez tous les détails dans les papiers des tiroirs. Si vous avez des questions, écrivez-moi sur une lettre et laissez-la sur le bureau. Je viendrai la chercher quand vous sortirez. Si d'aventure vous souhaitez vous adresser à moi, messire Afranius ou même à sa Majesté Daric, écrivez le nom au dos de l'enveloppe. Tout sera transmit avec discrétion et confidentialité, et une réponse vous sera fournie dans les meilleurs délais.
- Merci, fit simplement le rougegarde.
La silhouette appuya contre une brique du couloir. Il leva la tête, pour la première fois depuis leur rencontre, révélant l'esquisse d'un sourire narquois.
- Eh bien, lâcha sa voix nasillarde, puisque vous semblez prêt à investir vos appartements... Bienvenue chez vous !
Et le battant se referma devant le corbeau, laissant le mercenaire seul avec le poids de sa nouvelle mission.
Bon ben j'ai tout avalé en 3 jours alors que je suis en plein partiels, du coup je te remercie qu'à moitié
Franchement bravo, c'est vraiment bien écrit, les rares petits reproches qu'on pourrait faire ont déjà été fait il y a longtemps et ont été corrigé depuis, et je ne suis pas vraiment un grand critique littéraire de toute façon.
J'aime beaucoup l'histoire et les personnages, et surtout l'utilisation du lore, j'ai pas mal traîné sur le forum et je me rappelle de ton pseudo vu que je venais particulièrement sur les topics de lore (en bon ghostfag bien souvent) donc je sais que tu connais assez bien le lore profond et c'est bien amené dans le récit, c'est pas lourd et c'est pas chargé de toutes les notions complexes qu'il pourrait y avoir, ce qui est très bien vu que ça rend le récit vraisemblable et ça permet de garder "les pieds sur terre". Même si j'aime vraiment beaucoup le lore profond des TES quand c'est trop présent dans une fiction je trouve ça assez dommage.
Autant j'ai lu beaucoup de fic sur ce forum autant je me rappelle absolument pas de celle-là, t'as beaucoup changé d'éléments par rapport à l'ancienne version ? Parce que j'ai l'impression que c'est la première fois que je la lis (ce qui me paraît invraisemblable vu que j'ai toujours dévoré les fic sur TES et que j'aurais difficilement raté une aussi bien écrite), à la seule exception de la bataille en dehors de Blancherive. Le bréton magelame avec un masque, le comportement, le fait que ça implique les compagnons surtout, et qu'un elfe soit présent, je suis sûr d'avoir déjà lu ça mais ça m'étonnerait qu'un autre auteur de fic te l'ai pompé
Et une dernière chose, j'ai vu vite fait en scrollant le topic que t'avais commencé tes études sup pendant l'écriture, j'imagine que tu dois être vers la L2 là et je pense qu'on a les partiels en même temps à peu près même si les master sont un peu décalés : Alors autant moi je m'en veux de lire ta fiction en partiels, mais toi tu prends carrément le temps d'écrire, franchement gros GG
Et désolé à ceux qui ont cru à une sweet en voyant le topic upé et qui tombent juste sur mon post, je me suis avoir bien souvent comme ça
Hey !
Tout d'abord merci pour ton commentaire, ça fait toujours aussi plaisir de voir de nouvelles têtes sur le topic !
Pour ce qui est de l'histoire, j'ai effectivement changé pas mal de trucs, et si les personnages restent les mêmes, j'ai tout réécrit et réorganisé chronologiquement pas mal de moments, quand ils n'ont pas été directement remplacés. J'ai notamment viré un pan de l'intrigue (qui n'est pas encore pertinent vu l'avancée de celle-ci à l'heure actuelle) pour approfondir davantage les autres, ça m'évite de trop m'éparpiller et je suis davantage en mesure de m'impliquer dans le reste de cette façon.
Pour le coup de la bataille de Blancherive, tu peux effectivement trouver ça sur la première version de la fic :
https://www.new.jeuxvideo.com/forums/42-19348-42080570-1-0-1-0-fic-au-coeur-de-la-tempete.htm
C'est les chapitres 14 à 17 de mémoire, donc c'est pas impossible que tu sois tombé dessus à l'époque ou je les rédigeais encore haha.
Et yep, je suis en L2 Sciences du Vivant, ça se passe tranquillement, et comme mes partiels ont tous été déplacés vers Janvier à cause des grèves à Paris j'ai un peu de répit avant le carnage des 7 exams
Du coup ton commentaire m'a remit dedans et j'ai écrit un demi-chapitre ce matin, il devrait arriver cette semaine du coup
Chapitre 29
La lame siffla aux oreilles du khajiit, qui battit précipitamment en retraite. À bout de souffle, il contempla le Dunmer.
C'était son sixième assaut manqué. Athis n'avait pas bougé d'un centimètre depuis le début de leur entrainement, et se tenait deux mètres devant lui, une expression de dédain sur le visage.
- Eh bien, Renji ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette ce matin !
Le Compagnon avait prononcé ces mots avec un sourire narquois. Sans céder à la pique, la jeune recrue se campa sur ses appuis, prête à bondir une nouvelle fois.
Son tuteur était particulièrement revêche en ce jour. Les signes d'une humeur particulièrement massacrante transparaissait à travers chacun de ses coups, et il ne semblait pas vraiment disposé à faire preuve d'une quelconque forme de pédagogie. Si son épée avait été plus longue d'un centimètre, le khajiit serait déjà mort trois fois.
- Ne me fais pas croire que tu as fait jeu égal avec l'homme qui a ridiculisé Fjol et Ja'Hiza ! cracha le Dunmer. N'importe lequel de nos membres pourrait t'écraser en un battement de cil !
Il disait vrai. Renji ne se souvenait pas précisément de son affrontement avec Sirius, mais Rurick lui avait raconté la scène dans ses moindres détails. Difficile de croire ce qu'il avait entendu : le nordique lui avait rapporté une agilité presque incohérente, et des mouvements qu'il se savait lui-même incapable d'accomplir. Il ignorait ce qui s'était déroulé pendant les quelques minutes qui avaient passé avant qu'il ne reprenne connaissance, et préférait d'ailleurs ne pas y penser.
Depuis ce jour-là, ses entraînements avec les différents maîtres d'armes s'étaient fait considérablement plus ardus. Avant l'attaque de Blancherive, il lui arrivait fréquemment de rentrer au dortoir les mains couvertes d'ampoules et de petites coupures, mais les choses avaient empiré depuis. Durant les deux semaines qui s'étaient écoulées depuis lors, il avait à peine le temps de respirer entre les entrainements, les réunions et les courses dont l'accablaient les membres du Cercle, tant et si bien que la possibilité de se trainer jusqu'au tableau des contrats lui paraissait à présent comme un lointain songe.
À quoi bon accepter une quête, de toute façon ? N'importe quel criminel se serait débarrassé de lui en un éclair vu l'état déplorable de ses membres. Chaque soir, il s'endormait le corps couvert d'hématomes et les muscles déchirés par des crampes atroces, et ne pouvait que prier pour se réveiller moins meurtri le lendemain... Requête dont les Dieux semblaient bien se moquer, puisque chaque jour lui paraissait plus éreintant que le précédent. Il s'était évanoui pendant l'entrainement de l'avant-veille, et ce matin-là, il lui paraissait certain qu'un coup bien placé aurait tôt fait de le propulser à nouveau dans le royaume des songes d'où il sortait à peine.
En dépit de toutes ces souffrances, il lui semblait que les guerriers de Jorrvaskr le regardaient différemment, presque avec respect. Nemira et Rurick avaient été couverts d'éloges à leur retour, eux et tous les hommes ayant mené l'avant-garde lors de la bataille.
Personne ne lui avait rien dit. Mais il pouvait désormais croiser des regards qui ne se seraient même pas arrêtés sur lui un mois auparavant. Aux yeux de tous, les Compagnons présents le jour de l'assaut mené par Sirius s'étaient démarqués par leur courage.
Un rayon de soleil surgit à l'est, par-dessus la muraille. Le jour se levait, et avec, leur entrainement quotidien touchait presque à sa fin. Renji réajusta sa prise sur sa lame, inspira brièvement, et plongea sur sa cible.
Athis avait l'habitude de s'écarter au dernier moment, ce qui le forçait souvent à devoir ajuster la trajectoire de sa frappe de façon préventive. Mais le Dunmer lisait dans son jeu comme dans un livre ouvert, et pouvait immédiatement déduire ses intentions rien qu'en observant sa posture.
Encore une fois, il fit mine de bouger vers la gauche. Vif, le félin identifia à l'angle de ses jambes qu'il ne pouvait s'écarter suffisamment vu le faible fléchissement de ses genoux. Instinctivement, il redressa sa course, pour foncer droit vers la poitrine de son adversaire.
L'elfe se contorsionna de façon impossible, et s'enroula autour de sa lame comme une vipère. Le coup d'estoc du khajiit frôla son torse, mais ne l'égratigna pas. La recrue le dépassa en trombe, et pivota immédiatement pour se mettre en garde, anticipant avec appréhension la riposte impitoyable qui s'ensuivait généralement.
Rien ne vint.
Bondissant en retrait, il leva les yeux, et comprit immédiatement pourquoi Athis l'avait épargné.
Face au Dunmer, là où la recrue s'était tenue une seconde plus tôt, une silhouette imposante et stoïque se dressait hors du sol, droite et sombre comme un tronc frappé par la foudre.
«Névérar, pensa la recrue en reconnaissant la cape d'ébène, maintenant presque aussi connue que son porteur au sein des Compagnons. Que peut-il bien faire ici ?»
L'Altmer et l'elfe noir se toisèrent en silence pendant un instant. Athis rengaina sa lame, se redressa, et bomba imperceptiblement le torse.
- C'est pour quoi ?
- Pourquoi vous interrompre ? J'étais justement curieux de voir comment nos guerriers s'entrainent.
- La session est terminée, répondit abruptement le Compagnon. Et puis, je ne m'entraîne pas avec les lâches.
Le mage haussa un sourcil.
- C'est dommage. Je ne demande pourtant qu'à apprendre.
Le calme de son interlocuteur ne fit qu'agacer davantage l'épéiste.
- Qu'est-ce que tu nous veux ? répéta-t-il.
- Je voulais simplement m'adresser à la recrue. J'ai une requête à lui confier.
- Pas touche au chat. Il s'entraine avec moi le matin.
- Je croyais que vous aviez fini ?
- J'en ai décidé autrement. Si cela ne te conviens pas, va donc te plaindre auprès de Titus.
- Titus ne m'apprécie guère, mais il n'est pas stupide. Ton élève peut à peine tenir sa lame sans trembler.
Renji se redressa avec honte, soucieux de cacher son épuisement.
Athis laissa échapper un ricanement d'animosité.
- Tu as de la chance que Shazam t'aie directement recommandé à Rigel. Autrement, tu n'aurais jamais pu mettre les pieds ici. Je ne sais pas pourquoi ils t'ont choisi, mais ton petit jeu ne trompe personne... Profite donc de leur confiance pendant que tu le peux encore !
L'elfe noir s'éloigna en crachant sur les pavés de la cour, et s'engouffra dans le Hall sans un regard en arrière.
Renji suivit son maitre du regard avec inconfort. Ce genre de tensions n'augurait jamais rien de bon, et il ne voulait pour rien au monde voir ces deux hommes franchir le pas de la joute verbale... Même s'il était certain qu'une telle histoire aurait probablement de quoi marquer les esprits pendant un bout de temps.
- Tout va bien ?
Le khajiit se tourna vers Névérar. Ce dernier ne s'était pas approché, comme pour le préserver de l'aura intimidante qu'il dégageait presque malgré lui.
- Rien d'inhabituel. L'entrainement est dur, mais je tiens le coup.
- Ta jambe a l'air rigide. Tu devrais te reposer un peu.
Le félin afficha une mine surprise. L'elfe disait vrai. Depuis quelques jours, sa hanche le faisait légèrement souffrir, et il lui était parfois difficile de bondir de façon répétée sans avoir mal.
- Je voulais simplement te transmettre un message de Shazam. Cela concerne Rigel et...
- Mais qui vois-je ? Ne serait-ce pas notre jeune héros ?!
Le ton guilleret de Fjol résonna dans la cour, faisant sursauter la recrue. Il se retourna, pour voir émerger le nordique émerger des portes de Jorrvaskr accompagné de Ja'Hiza.
- Tu parles tout seul ? fit la khajiit en s'approchant. Athis vient de descendre. Tu as pris quelques coups de trop, on dirait bien !
- Non, je suis avec...
Renji suspendit sa phrase avec stupeur. Névérar s'était complètement volatilisé. Il parcouru les alentours du regard, hébété, mais ne trouva nulle trace de l'Altmer.
Voyant l'agitation du félidé, Fjol rit à gorge déployée.
- Allons, pas de panique ! Nous n'apportons que de bonnes nouvelles !
- De quoi s'agit-il ?
La mine des deux compères était radieuse. Lorsque la recrue comprit, son visage s'éclaircit soudain.
- Votre entrevue avec le Héraut ! Tout s'est bien passé ?
Un regard complice s'échangea entre les deux amis.
- Nous sommes officiellement candidats à la cérémonie du Cercle !
La mâchoire de Renji parut se décrocher sous l'effet de la surprise. Il s'agissait d'un honneur dont peu de guerriers pouvaient se vanter.
- Vraiment ? Mais c'est incroyable !
- Par Ysgramor, lâcha Ja'Hiza, fanfaronne. Rigel a dû nous le répéter quatre fois avant que nous n'y croyions ! Je peux t'assurer que Sheik va être vert de jalousie en l'apprenant ! Enfin, notre ami orque est déjà plutôt vert de nature, mais tu vois où je veux en venir...
Le khajiit mit plusieurs secondes avant d'acquiescer.
Tous les ans, le Cercle se réunissait pour débattre le droit à l'ascension potentielle de certains combattants d'exception. Il était déjà arrivé que personne n'intègre le conseil restreint pendant plusieurs hivers consécutifs, si bien que la position avait acquis une dimension mythique dans l'imaginaire collectif. Parmi les centaines de membres que comptaient les Compagnons, seule une poignée pouvaient prétendre à ce poste, digne des plus grands combattants que Bordeciel ait porté en son sein.
Savoir que le duo avait été autorisé à participer aux élections à un si jeune âge remplissait le khajiit d'un mélange d'espoir et d'admiration.
- Enfin, nous te devons aussi une fière chandelle ! reprit Fjol. Sans votre intervention à tous les six pendant la bataille, nous ne serions peut-être pas là pour nous réjouir ! Rurick m'a raconté comme tu as tenu tête à ce fils de Sload, et je dois t'avouer que je ne t'aurais jamais cru capable d'une telle chose ! Donner du fil à retordre à un guerrier de cet acabit n'est pas à la portée du commun des mortels !
La khajiit renchérit avec un sourire bienveillant :
- Ce qu'il veut dire, c'est qu'il serait très heureux de pouvoir croiser le fer avec toi à l'avenir pour voir ce que tu vaux véritablement.
Renji se contenta d'un rire gêné.
- Dites-moi plutôt... Vous avez pu récupérer correctement de votre affrontement ?
- Pas aussi vite que toi, bien sûr ! Mais oui, nous ne garderons de cette rencontre que quelques cicatrices... Et une promotion bien méritée !
- Ne parle pas trop vite ! lâcha le nordique. Même si l'opportunité de prendre Sheik de haut me semble alléchante, la perspective de le voir ricaner devant notre échec m'horripile équitablement.
La recrue hocha la tête, soulagée. La moniale avait été brulée à l'épaule par un sortilège de Sirius, et les prêtres du temple avaient un instant redouté que la flèche qui l'avait atteinte à l'épaule n'ait été enduite de venin. Mais l'une comme l'autre de ces blessures s'étaient révélées sans complication, et elle n'avait écopé que d'une semaine et demie de convalescence. Fjol n'avait de son côté reçu qu'une blessure par lame au niveau du ventre, mais avait malgré tout subi plusieurs chocs sévères, et n'avait pas repris ses activités depuis.
Voir ses ainés vêtus de leur armures suffit à l'assurer qu'ils étaient à nouveau prêts pour un peu d'action.
- D'ailleurs, fit la féline, nous avions quelque chose à te proposer. En tant que prétendants au Cercle, nous sommes autorisés à prendre un peu de libertés vis-à-vis des directives de Jorrvaskr. Ce qui signifie que nous pouvons effectuer nos contrats directement à la source, sans passer par la paperasse mortifiante que nous impose le code des Compagnons.
- Mais surtout, poursuivit le nordique, cela signifie que nous pouvons maintenant employer d'autres membres pour nous assister dans nos périples !
Renji se figea.
- Vous voulez dire que...
Les deux Compagnons sourirent. Ja'Hiza posa une main confiante sur son épaule.
- Eh oui. Nous avons du travail pour toi !
Devant la mine hésitante de la recrue, le nordique ajouta :
- Ce n'est rien de mortellement dangereux, ne t'en fais pas ! Nous avons déjà prévenu Nemira et Rurick, et ils ont accepté notre offre.
- Serons-nous accompagnés par d'autres recrues ?
- Tu veux parler de Joldir ?
Le regard du nordique s'était assombri.
- Désolé de présenter les choses si froidement, mais je doute qu'il soit sage de l'emmener avec nous. Il passe plus de temps à dévisager les flammes de la Forgeciel qu'à s'exercer, et la perte de son frère l'a fortement affecté. Même s'il est des nôtres, je pense qu'il garde plus de rancœur qu'autre chose envers nous pour ne pas avoir agi à temps.
Le khajiit acquiesça. Cela faisait déjà deux mois que les derniers arrivants dont il faisait partie avaient intégré les Compagnons, mais leur première expédition s'était montrée plus que traumatisante pour certains. S'il avait continué à traiter la recrue avec gentillesse par peine, il s'était rapidement rendu compte que le deuil du nordique était trop amer pour qu'un inconnu comme lui puisse y changer quoi que ce soit. Au fil des jours, il avait arrêté de monter à la forge pour le voir, préférant se consacrer à l'entrainement. Pleurer les disparus ne devait pas l'empêcher de perfectionner ses techniques, car c'était là la seule façon d'éviter que ce genre de situation ne se reproduise.
Frognir avait également laissé des marques chez lui, et les stigmates de cette rencontre hantaient encore son corps comme son esprit. Aujourd'hui, il redoutait de se retrouver face à cet homme une nouvelle fois... et avoir croisé le fer avec Sirius et son armée d'envahisseurs une douzaine de jours plus tôt n'y avait rien changé. Bien qu'enfermé dans les geôles du Jarl, sa présence n'en demeurait pas moins très inconfortable aux yeux du félin, qui se surprenait fréquemment à lancer des regards défiants en direction du palais. Combien de monstres semblables à ces deux hommes pouvaient bien hanter les étendues froides de cette terre inhospitalière, attendant que de jeunes gens en quête d'aventure ne mettent le pied dehors pour se jeter sur eux ?
Ces constats n'étaient que pure vérite. Mais il avait confiance en Ja'Hiza et son ami. S'ils lui assuraient que la mission était à leur portée, il n'avait pas de raison de craindre.
Il pencha la tête, et reprit curieusement :
- Et vous n'avez pas parlé de cette quête à d'autres Compagnons ?
Le nordique rit nerveusement.
- Les membres les plus anciens voient déjà d'un mauvais œil notre parcours fulgurant, alors je les vois mal accepter de suivre nos directives, fut-ce pour une simple mission. Quant aux autres, ils sont trop occupés à remplir leurs propres contrats pour se soucier de ce genre de tâches. Crois-moi si tu le souhaites, mais l'attaque de Blancherive a fait pleuvoir les contrats sur nos têtes. Le banditisme semble avoir brutalement reprit avec ces récents évènements, et l'organisation de la ville est encore un peu chamboulée. Et puis, nous partagerions équitablement la prime... Moins de monde pour plus d'or, voilà une belle devise !
- Je dois y réfléchir, dit Renji.
- Allons, nous ne voulons pas te forcer la main ! Mais si jamais l'envie te prend de répondre favorablement à notre requête, va directement voir tes amis. Ils t'expliqueront tout.