(SUITE)
12 décembre 1997, prêt des rives de Groomsport
Il y a des moments dans notre vie, notamment quand nous sommes encore enfant, où notre corps dépasse toutes nos espérances. Quand on a l’impression que nous avons des capacités supérieures. Ces moments n’arrivent jamais quand on le souhaite, mais le fait de savoir qu’ils sont là, et qu’ils apparaissent de temps à autre, nous suffit et nous rassure quotidiennement. Surtout dans une existence bercée par l’oppression.
Je n’avais jamais couru aussi vite ce jour-là, gravissant les hauteurs de la magnifique plaine vers le havre de Groomsport, fuyant ma maison d’enfance plantée en pleine nature. Nous étions poursuivis. Par notre père.
A le fuir, il y avait moi, Marcus, et…
- Francis !!!
Son jeune âge lui faisait perdre du terrain. Mon père nous rattrapait. Ma mère lui avait tout dit quand il eut trouvé nos valises par hasard sous la commode. Car nous fuyions. Nous ne pouvions plus supporter son alcoolisme, son nationalisme, sa violence injustifiée, et sa tyrannie…
C’était un jour venteux grisé par un climat digne du pays. Nous venions de grimper la colline dont l’escalade puis la descente nous permettrait d’atteindre la rive, notre but. Quand Marcus, au sommet, attendant le petit Francis, me fit une remarque justifiant notre acte et notre dégoût :
- Je rêve… Il y va à la carabine à plombs ce malade…
Notre père venait en effet de sortir de la maison, habillé salement, le visage empli de haine qu’il portait surtout envers Marcus, il tenait fermement dans sa main droite la fameuse arme. J’avais déjà commencé la descente de quelques pas, les poumons en feu et les idées clarifiées par l’adrénaline, mais avec en moi une crainte constante que notre rébellion infantile ne s’écroule à tout moment face à la puissance paternelle. Crainte estompée par la présence charismatique de Marcus, qui avait tout organisé.
- La ceinture était plus humiliante, lui avouai-je presque ironiquement. Il doit être vraiment torché le salaud. Francis grouille !
Marcus lui tendit la main en contactant son genou contre l’herbe humide et épaisse de la butte. Il attrapa celle que lui tendait Francis, pour le tirer de toutes ses forces sur le sommet au moment où une charge de plomb toucha l’endroit où il se trouvait, l’éclaboussant de quelques morceaux de terre crasseux. Indigné, Marcus me passa Francis comme un ballon de football pour que je l’amène de l’autre côté de la colline, puis mon aîné se releva, pile au sommet, d’une posture rebelle, défiant du regard notre père au loin.
- Espèce de malade ! Osa-t-il lui hurler. Tu as failli toucher Francis !
- Ne mêle pas tes frères à tout ça, sale petit salopard ! Lui répondit notre père dont le ton se faisait entendre sur toute la surface de la plaine.
- Va te faire foutre ! On se retrouvera en enfer ! Termina mon frère en tendant les majeurs en l’air tout en faisant une petite danse provocatrice.
Ce rituel fut écourté par la vision de notre père en train de recharger la carabine; Marcus, dont le volume des yeux venait de tripler, nous rejoignit donc Francis et moi pour la descente de la colline vers le port de notre commune.
Dans les rues portuaires et commerciales de la petite ville, une petite demi-heure plus tard, le grand monde ne faisait pas très attention à nous. A première vue, nous n’étions que trois mômes en train de vagabonder. Surtout que sans bagages, il était facile de se fondre dans la masse mercantile qui chargeait et déchargeait des caisses de dépôt sans arrêt durant tout ce qu’ils appelaient la sainte journée.
Après le sondage par mon frère de plusieurs quais, nous avions enfin trouvé celui que nous recherchions, Marcus se tint soudainement plus droit, rassuré :
- Le bateau de l’UNICEF…
Mon frère se renseignait depuis bien longtemps à propos de l’expédition de la fameuse O.N.G. Leurs bateaux scrutaient les différents ports d’Europe en cet hiver de 97 à la recherche d’enfants défavorisés, afin de les prendre en charge pour qu’ils puissent suivre un enseignement secondaire dans leurs locaux au moyen-orient. Ce jour-là, ils faisaient escale à Groomsport, et par conséquent, ce jour-là, nous fuyions.
Marcus reprit son sang-froid et nous amena derrière un tas de caisses encordés :
- Restez-là, il faut que je voie le porte-parole de l’expédition sur le bateau d’abord. Il ne sait pas que nous sommes trois… Je reviens tout de suite !… Ne bougez surtout pas !
Marcus posa sa main sur mon épaule afin de me rassurer, voyant mes yeux légèrement tremblotants.
- Fais vite quand même, fis-je d’une voix suppliante.
Et il se mit à partir en courant, éclaboussant partiellement nos pèlerines suite à son début de course sur les pavés trempés de l’embarcadère, dont le teint gris-beige apaisait légèrement nos angoisses trop précoces.
Un court moment passa, rythmé par les bruits marchands. Francis lui, regardait le vide d’un air autiste, presque en état de choc. J’enlevais avec fermeté ma veste pour le couvrir avec. Un geste fraternel presque inutile étant donné son habillage quasi polaire. Il n’avait d’ailleurs même pas remarqué mon geste. Je détestais quand il faisait ça. Cela rendait sa position de petit dernier moins digne d’être protégée.
- Sunday, bloody Sundaaaay…
Stressé, contrarié, je lui rageai dessus :
- Bordel Francis arrête avec cette chanson ! Ca fait trois semaines que tu la chantes ! Y en a marre maintenant !
- Mais je l’aime bien ! Répliqua-t-il de sa voix aiguë, instrument de sa défense.
- Tu ne sais même pas de quoi elle parle !
Il rentra son menton dans son foulard laineux :
- Toi non plus…
- Oui mais moi je la chante pas, alors chut maintenant ! On n’est même pas dimanche en plus…
- Mais je…
- Chut !
Mon frère eut la bouche obstrué par la paume de ma main trempée. Ce n’était pas pour la même raison que je lui ordonnai le silence la seconde fois. Un bruit de pas caractéristique m’avait fait sursauter l’oreille. Je jetais un rapide coup d’œil sur le côté droit d’une des caisses, me préparant à sursauter en arrière une fois ma crainte confirmée. Et elle le fut.
- Qui y a-t-il ? Me chuchota Francis, sa bouche libérée.
- C’est Papa !… Il est là, sur le dock !
Mon petit frère se redressa, sa voix se fit plus haute qu’elle ne le fut durant son époque de nourrisson.
- Oh !…
Mon père regardait tout autour de lui, sur le vif, guettant le moindre mouvement d’enfant. L’air frais semblait l’avoir désoulé. Il ne nous avait pas encore repérés. L’appréhension nous envahissait. J’avais trop peur de regarder à nouveau par le coin de la caisse. De peur que le croisement de nos regards ne me foudroie.
Nous ne savions pas s’il était encore derrière. Nous reculions, petit à petit, pour partir de l’autre côté, quand une paume se posa solidement sur mon omoplate, me faisant puérilement sursauté.
- Marcus ! Cria presque trop fort Francis.
- Oui, répondit mon grand frère, c’est bon, on peut embarquer, mais il faut faire vite, il ne reste que peu de temps avant qu’ils prennent le large.
Je pris une grande inspiration avant d’annoncer la nouvelle :
- Marcus…
- Quoi ?
- Papa est là… Ici. Sur le quai.
- Bloody Hell ! S’exclama-t-il. Alors il faut foncer ! Allons-y !
Nous sortîmes tous les trois de notre refuge improvisé pour foncer vers le bateau en question. On ne voulait pas se retourner, mais il le fallut bien en entendant ce ton glaçant :
- Stanley ! Francis !
- Courrez ! Cria Marcus, pressant le pas.
- Marcus ! Hurla notre père, si je t’attrape !
Le pont du navire était tout proche, et l’écho de nos pas sur le métal rouillé quand nous le franchîmes sonna comme une victoire, un changement, une indépendance.
Une femme assez jeune, blonde à la coupe carré et vêtue d‘un tailleur rouge nous attendait là-haut, souriante :
- Bienvenue à bord de l’Innocence, des cabines vous seront… Mais… ? Qu’est-ce que ?…
- Larguez les amarres ! Ordonna futilement Marcus, en vain.
Mon père s’était fait remarquer sur le quai, la fille l’avait distingué, surtout que des supposés orphelins ont du mal à se faire croire délaissés quand un homme d’une quarantaine d’années court vers eux en criant :
- Marcus, rends-moi les petits, espèce de petit con !
La femme fit un regard noir à mon frère :
- Qu’est ce que c’est que cette histoire, Marcus ? Qui est cet homme ?
- On vous expliquera, ordonnez le départ s’il vous plait ! Maintenant !
Je sentais mon torse trembler sous la puissance de mes battements cardiaques. Une telle tension, une telle crainte que tout puisse s‘écrouler à chaque instant. La femme resta silencieuse pendant un moment. Je ne savais que faire. Je ne voulais pas retourner là-bas, je ne pouvais pas retourner en arrière… Je m’apprêtais à sauter à l’eau, où à faire n’importe quel autre idiotie du genre, faire quelque chose de différent qui pourrait m’éviter l’horrible défaite. La femme reprit enfin la parole, hésitante :
- Je…
- S’il vous plait, j’ai peur, lui murmura soudain Francis de sa voix timidement faible.
La femme, désemparée, sonna une cloche accrochée à sa droite. Le pont se détacha du quai. Mon père ne pouvait plus nous atteindre... Victoire. Changement. Indépendance. Quand l’Innocence fit le bruit caractéristique du départ marin, mon torse s’arrêta subitement de trembler.
- Nom de dieu O’hara, reprit la fille d’un ton anxieux, j’espère que tu as une putain de bonne raison pour faire prendre à l’UNICEF autant de risques. Parce que ton défilé de mensonges ne marchera pas cette fois-ci !
- Rassurez-vous Madame, rassura mon frère, vous avez très bien fait. Je vous ai juste menti parce que je n’avais pas le temps de remplir la paperasserie. Mais à présent, et en espérant votre approbation, j’aimerais discuter de mon émancipation et de mon futur poste de tuteur auprès de vous…
- On verra ça, et… C’est mademoiselle…
Marcus fit un léger sourire suite à cette remarque, et se mit à la suivre lorsque qu’elle prit le pas pour nous montrer nos cabines. Francis fit de même.
Quant à moi, je me retournais au loin, posant mes paumes sur la barrière rouillée du pont. Mon père avait disparu, je ne l’ai plus jamais revu depuis. Je voyais les rives de ma terre natale s’éloigner de mes yeux et de mon cœur, ce morceau de croûte dont l’attachement qu’on y éprouve est incompressible pour certain. L’Irlande. Ce ne fut que plus tard que je réalisai que ce détachement violent fut mon premier pas dans l’adolescence. Une adolescence brutale, sans répit, et, surtout, sans parents.
***
(SUITE)
***
‘And the battle’s just begun’
24 février 1998, 5h50
Ce réveil-là fut différent des autres. Je ne sentais pas la faim transformer mon estomac en pierre comme à chaque matin, pour tout dire, je me sentais plutôt bien. L’habitude de supporter le rythme peut-être. Les deux repas par jour, l’exercice constant, l’agressivité des instructeurs, les lieux délabrés et angoissants… On commençait tous à bien supporter ce mal.
Seulement, ce n’était pas cela. C’était autre chose. Je n’avais pas vraiment dormi cette nuit-là, toute aussi fatigante et bourrée d’automatismes qu’était cette vie paramilitaire, le fait de savoir que j’allais participer à ma première bataille en ce jour avait totalement déstabilisé mon métabolisme la veille. C’est en ces moments qu’on se rend compte de la supériorité de l’Homme : quand son esprit bat le corps d‘une manière ou d‘une autre. Dans mon cas, évidemment, j’aurais préféré naître sauvage plutôt que le devenir.
J’étais de corvée d’eau ce jour-là. Armé d’un simple seau assez large, l’aube à peine visible, je parcourais le camp toujours avec ma tenue de sommeil jusqu’à la fontaine moyenâgeuse permettant de désaltérer la section de mon baraquement. Sur place, j’activai ardemment la pompe, et un liquide dont la couleur douteuse était cachée par la nuit fuyante en sorti. Je regardai le vide, le sol, quand un bruit de pas terreux me ramena à l’ordre. C’était l’aide-instructeur Jack. Je me mis instantanément au garde à vous.
- Je ne suis pas ton supérieur, repos. Me sourit-il.
- Ah. Pardon… L’habitude… Me relâchai-je.
- Tu es toujours le premier ici…
- Hein ?…
Il me montra la pompe d’un geste rapide.
- A la fontaine, j’ai remarqué que c’est toujours toi le premier.
- Ha ! Je… Oui, je me lève avant la sonnerie. La première fois j’ai du faire la queue pendant une trentaine de minutes…
- …Sage initiative.
- Heu… Merci.
Je me remis au travail, il ne bougeait pas. Je me retournai à nouveau, mais je le voyais à peine, le soleil étant maintenant entièrement levé, et l’éclairait en son dos, confirmant sa posture digne mais apaisante.
- C’est aujourd’hui, fis-je avec crainte.
- Pardon ?
- Notre premier combat… A notre section.
- Vous n’êtes pas prêt, me fit-il sans arrière-pensée.
- Je sais, je ne comprends pas.
- L’ennemi doit souvent se préparer à envoyer une section d’adolescents. J’imagine que notre camp riposte avec ce qu’il a…
- Je ne me considère pas comme adolescent…
- Vraiment ? S’étonna-t-il. Tu as quel âge ?
- Bientôt 12 ans…
Il ouvrit sa bouche de surprise.
- Tu fais bien plus.
- Je sais, c’est pour ça que je suis dans cette section, mais je devrais être avec les enfants, au côté de mon petit frère…
- Les plus jeunes vont bien. Je le vérifie quotidiennement… Toi, fais ce que tu as à faire, et ce qu’on t’a dit de faire…
Je m’arrêtai d’actionner la pompe, regardant au loin. Je ne pouvais plus rester silencieux face à ce jeune officier :
- Comment ?… Comment peux-tu accepter cette situation, de cette manière ?… Tu n’as pas l’air d’être si borné pourtant…
Il baissa son regard, je l’avais touché.
- Comme toi, je n’arrivais pas à l’assimiler, avant… Et puis, un jour, j’ai compris…
- Tu as compris quoi ?
- Si on baisse les bras, ils nous tuent, qu’on veuille se battre ou non.
- C’est de nos ennemis dont tu parles ?…
Il mit un moment avant de répondre, il en profita pour changer de sujet :
- De toute façon, ce n’est pas moi qui prends ce genre de décisions. Je ne suis ici que pour aider à gérer le fondement et l‘administration. Si je suis venu te voir, c’était justement pour te prévenir que le ravitaillement de nourriture aura du retard, je te charge de prévenir ton baraquement qu‘ils devront sauter un repas.
- Haha ! De toute façon, je ne pense pas qu’on aura très faim, ce matin.
- Et pourtant, c’est une bataille très importante qui va avoir lieu, l’Instructeur Sears sera là, aussi.
Je m’apprêtais à avoir un ton agressif, mais je me retins :
- Je pense que tu as passé trop de temps avec cet Instructeur Sears…
Offensé, il prit la route, en ajoutant toutefois :
- Après cette bataille, je partirais avec lui… C’est donc un au revoir.
Je ne répondis pas et le vit s’éloigner dans l’aube, c’était la dernière fois que je le voyais, avant qu’il ne me sauve la vie au Chili seize ans plus tard, et m’apprenne l’existence des Patriotes.
Entendant les bruits des autres enfants venus récupérer l’eau à leur tour, je m’activai de nouveau sur la pompe, avant de m’en aller rapidement vers mon dortoir, chargé de mon seau.
Ce n‘est que bien plus tard que j‘osais honteusement m‘avouer que j’avais menti à Jack ce jour-là :
J’étais prêt.
***
‘I Wipe your bloodshot eyes’
24 février 1998, 13h50
Un néon. Rouge. Il défilait de bas en haut. Puis un autre. Et ainsi de suite. Le tout plutôt régulièrement. Un peu comme quand on est à l’arrière d’une voiture, et qu’on regarde les bandes blanches de l’autoroute passer à vive allure. Je me fixai sur la régularité de ses néons, quand le mouvement s’arrêta. Une lumière très forte me fit sursauter l’œil droit, puis le gauche. C’était la lampe de poche de l’infirmier, pour vérifier mes réflexes.
- Comment s’appelle-t-il ? Demanda l’infirmier à l’homme en face de lui.
- O’hara, Stanley.
- Stanley ? Reprit l’infirmier. Si tu m’entends, cligne des yeux.
Je le fis.
- Stanley est-ce que tu comprends ce qu’il se passe ?
Je le commençai. Mon dernier souvenir montrait moi et Lucius en train de se réfugier dans une tranchée car les balles fusaient de trop. Nous étions fatigués, dépassés. Mais Dieu nous punit d’avoir gardé ce refuge pour nous tout seul : Une grenade vint au pied de Lucius, avant d’exploser une seconde plus tard…. J’étais désormais sur un brancard, clignant des yeux, en train d’assister à une conversation entre les deux aide-médicaux à propos de ma condition, mon regard ensanglanté enivrait l’ambiance. Je comprenais que j’étais mal au point. Et que Lucius était mort.
- On a rien pu faire pour l’autre, et lui… Je crois qu’on va devoir l’amputer… Sa jambe m’a l’air irrécupérable.
- Je suis d’accord, pauvre gosse… Encore un.
Ces deux bouchers amateurs faisaient apparemment ce qu’ils pouvaient. Mais je ne voulais pas finir mutiler. Mes yeux se mirent à cligner rapidement. Mais ils ne le remarquaient pas. Mon sort était déjà scellé. Finalement, je n’étais pas si prêt que ça pour la bataille.
Ce fut à la seconde où je réussis à baisser mes yeux pour apercevoir le couloir que je le vis, lui : Un curieux personnage, entièrement vêtu de gris, à la stature imposante sans pour autant être effrayante. C’était surtout son regard qui forçait la peur. Il ne devait cependant pas avoir plus de 25-30 ans.
- Monsieur Nathan, fit respectueusement l’infirmier de gauche.
L’homme pris la parole. Sa voix était douce, très grave, légèrement cassée, et donnait l’impression d’incarner l’obscurité elle-même :
- C’est lui le blessé ?
- Oui, il va devoir se passer de sa jambe…
Le brancard se remit à avancer, avant qu’un choc ne l’arrête brusquement dans son début de course. Nathan avait stoppé le chariot d’une main trop ferme pour son âge.
- Non… Déclara-t-il de sa voix toujours aussi fascinante.
Les deux infirmiers lâchèrent instantanément le brancard.
- Il va venir avec moi, en bas.
- Mais Monsieur, sa jambe…
- Nous allons la guérir. A vrai dire, nous allons le rendre plus fort que jamais !
Un petit silence eut lieu. Les deux infirmiers baissèrent leurs regards.
Nathan tira le brancard vers lui, et prit les commandes.
- Donnez-moi sa fiche, je me charge du reste…
Et les néons se remirent à défiler, toujours rougis par mes yeux ensanglantés. Cependant, je ne regardais plus le plafond, mais plutôt l’endroit où je me dirigeais : Un ascenseur des plus lugubres. Nathan, légèrement excité, appuya sur la touche du premier sous-sol. Ce fut sans doute la plus grande démonstration technologique qu’il m’avait été donné de voir dans cette base putride depuis mon arrivée. Que pouvait bien être ce si grand secret, enfoui si profondément ? Je n’osais l’imaginer, non parce que mon esprit vacillai presque suite à ma plaie, mais bien parce que je savais que c’était pis que toutes les horreurs auquel j’avais pu assister jusque-là.
J’avais dépassé le stade de l’inquiétude cependant, je ne vivais que le moment présent, sans me soucier de ce qui allait m’arriver. Cet état rendait la présentation des lieux encore plus spectaculaire quand l’ascenseur s’ouvrit : Un magnifique laboratoire dernier cri, encore plus beaux que dans les rares films d’action américains qu’il m’avait été donné de voir. Le brancard s’arrêta enfin, Nathan se positionna sur le côté. Il attendait quelque chose ou quelqu‘un. La première manifestation fut une voix derrière moi. Plus stridente que celle de Nathan, mais tout aussi impressionnante :
- C’est le nouvel enfant, Nathan ?
- Oui Docteur Evans, son dossier possède 100 % des propriétés génétiques que vous avez demandées. Je pense que ce sera le candidat parfait à l’expérience qu’on nous a assigné.
- Nous verrons ça, je suis impatient de commencer… Mmm… Il à l’air gravement blessé !
- Nous demanderons à Martinek de le soigner, c’est son travail après tout. Dans un mois ce garçon sera prêt à l’emploi, je pense.
- Tu as raison Nathan. Tu peux disposer, je te remercie.
La silhouette de Nathan s’en alla de mon champ de vision pour être remplacé par une nouvelle personne, se tenant face à moi. Le docteur Evans… C’était un jeune scientifique, portant un bouc trop charismatique pour ce qu’il souhaitait dégager. Il avait des yeux métissés sûrement par un quelconque gène asiatique. Il avait le regard sournois… Mais surtout, il donnait cette étrange sensation d’avoir une machine face à soi. Un être sans âme. Il me parla :
- Bonjour Stanley… Toi et moi… Nous allons passer les prochains mois ensemble, si tout se passe bien.
Il s’approcha au niveau de ma tête :
- Maintenant… Laisses-moi te soigner les yeux en premier, tu as du sang partout…
Le voyant approcher, un coton à la main, je clignai du regard, rapidement… Mais rien n’y fit.
***
(SUITE)
***
‘Sunday, bloody Sunday’
1998, période inconnu.
Il y avait mille cinq cents vingt-quatre petits carreaux étalés sur le sol de ma cellule. Tous étaient d’un blanc éclatant. Chacun d’eux mesurait très exactement 1.2 centimètres carrés. Je connaissais désormais ma prison presque par cœur, malgré moi. C‘était l‘endroit où je vivais, ou plutôt l‘endroit où je mourrais… Chaque jour, à chaque réveil, je caractérisais la journée par une chanson différente que je chantais jusqu‘au coucher, pour ne pas devenir fou. C’était là mon seul repère temporel… Je devais avoir douze ans, d’après ma réflexion de l’époque tout du moins. Car j’étais terré dans cet endroit au point de perdre la notion des jours. J’avais perdu toutes mes dents de lait, eu ma première éjaculation, une formation musculaire qui se montrait de plus en plus imposante en moi, mon goût pour les choses que j’aimais autrefois avait changé. Ma jambe avait guérie aussi. Sans m’en rendre compte, c’était dans cette cage que j’étais devenu un homme.
Aujourd’hui, je chantonnais le vieux tube de Patrick Hernandez, en toute ironie certes, mais aussi parce que ma discothèque cérébrale s’épuisait.
Ce jour-là j’étais également inquiet, car c’était la septième chanson de la semaine que j’entonnais. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose :
- Nous sommes dimanche, aujourd’hui.
Le regard du Docteur Evans, comme presque tous les matins, se montrait dans le petit cadre ouvrable à mi-hauteur de la porte bleuâtre de ma cellule. Un regard que je ne pouvais désormais plus jamais oublier. A la fois doux et inhumain, à la fois beau et écœurant. Je puis affirmer aujourd’hui qu’il était impossible pour une personne en sa détention de tomber sous le syndrome de Stockholm.
Les échos des bruits de rouilles résonnaient en moi comme l’enfer à l’ouverture de la porte. Il n’y avait que Nathan aux côtés du Docteur Evans lors de ces moments-là. Car il n’y avait que Nathan qui pouvait accepter ce genre d’immondices de la part du Chercheur Fou. Plus que son second, c’était bel et bien son âme damnée.
Je me levais au centre de la pièce, baissai légèrement mon haut délabré, révélant mon épaule. Il était vain de lutter… Il y avait si peu d’émotions en moi, que je pensais ne jamais pouvoir ressentir quelque chose un jour.
- Born to be alive, born to be alive…
Nathan sorti la seringue, la fit cracher e l‘air, et injecta le reste du tranquillisant à l’endroit que j’avais laissé tantôt paraître. Vacillant rapidement, il me prit dans ses bras et me porta jusqu’au brancard. J’étais dans les vapes, encore en train de murmurer mon air.
- J’aime bien quand il attaque les vieux tubes, annonça Nathan.
- Amènes-le au labo, répliqua Evans sans avoir même prit attention à la remarque de son second.
Ce dernier, ramené à l’ordre, s’exécuta rapidement.
La bouche pâteuse, la tête qui tournait, je me préparais au supplice habituel… Je n’étais même pas un prisonnier de guerre, juste le pire secret enfoui au fond du pire des hommes. Nathan me plaça sur une table d’opération légèrement soulevée, où il m’attacha les talons et les poignés. Puis il appuya lentement sur un bouton automatique. La table bougea, j’étais désormais presque penché verticalement.
- Les résultats de la dernière fois furent surprenants, fit le Docteur Evans. Je pense que je vais progresser dans ce sens.
En 1998, la thérapie génique, en plus d’être top-secrète, fonctionnait de manière très barbare. Surtout dans des labos comme ceux-ci : Les mutations étaient mal calculés, les changements trop brutaux pour que les flux sanguin ne le supporte. Les morts étaient nombreux. Mais moi, sans savoir pourquoi, je ne mourrais pas. Je souffrais, tout simplement. Evans alluma un magnétophone :
- Semaine 19, sujet Stanley O’hara, transmission gène TGA, GTC, ATA, et TAG.
Nathan m’installa l’intraveineuse à travers la cicatrice maintenant bien formée sur mon avant-bras, puis il lia le tuyau à la poche empli de liquide bleuâtre qui se suspendait au dessus de moi, comme il le faisait chaque semaine. Quand le tout fut mis en place, ce fut au Docteur Evans de donner le coup d’envoi : Il enclencha l’injection, je vis impuissant le liquide se frayer un chemin vers mon intérieur sans rien pouvoir faire, une fois de plus. Et une fois de plus, je lui posai la même question d’un air désabusé, blasé :
- Mais pourquoi vous nous faites tout ça ?…
Et comme d’habitude, il répondit d’un ton hautin et ironique :
- Tu me remercieras plus tard.
- Je ne pourrais pas… Si vous me tuez…
Il eut un gloussement :
- Toi, je ne pense pas que tu mourras.
- Si… Je vais mourir, comme tout les autres, je ne les entends plus pleurer la nuit, je suis le dernier, je suis… AAAAAAAHHHHH !!!
La douleur vint enfin, tout mes muscles brulèrent, mes gènes se transformaient une fois de plus. Je transpirais toute l’eau de mon corps, tremblotant, brûlant, mais rien n’y faisait, la douleur ne baissait pas. Nathan, tout en me regardant de ses yeux sans fonds, rit du fait que je ne pus finir ma phrase. Evans lui avait ses yeux qui s’illuminait d’assister à ce qu’il m’arrivait. Et moi, je criais encore et encore.
- Quelle dommage ! S’exclama Evans, quel dommage que tu sois si unique! Si seulement je savais lequel de tes gênes permet à ceux que je t’incorpore de s’y inclure définitivement en toi, ces gênes de combattants valeureux ! Ah mon petit Stanley, quel dommage que tu sois si unique, l’humanité est tellement mal faite parfois !
- Il n’est peut-être pas si unique que cela ! Intervint une voix lointaine, que je n’avais jamais entendue auparavant. C’était la première fois qu’une tierce personne s’invitait à mon « expérience ». J‘étais là à m‘interroger, alors que j’appréhendais la prochaine convulsion. Nathan et le Docteur furent aussi surpris que moi, ils se retournèrent là où je ne pouvais le faire et semblaient reconnaître en la voix un ami, un patron même. Sa voix était extrêmement rauque, j’avais du mal à comprendre tout ce qu’il se disait :
- Docteur Jebediah Evans… Je vois que les expériences se déroulent bien.
- Monsieur Lutti ! Répondit Evans. Nous ne vous attendions pas de si tôt. Tout se passe bien au sein du comité ?
Le dénommé Lutti ne répondit guerre, il semblait s’approcher de ma position, chacun de ses pas résonnait de plus en plus fort, et me donnait de plus en plus envie de me retourner, en vain. J’eus un nouveau cri de douleur entretemps. Et cette fois-ci, au lieu de rire, Nathan me consola presque, la main sur mon front.
- Chut… Calmes-toi… Bonjour Monsieur Lutti.
- Nathan.
- Hum… Oui Monsieur Lutti, reprit Evans, comme vous le voyez, tout se déroule bien, ce sujet est exceptionnel ! Il s’adapte à tout ce que je…
- La ferme idiot ! C’était de l’ironie tantôt ! J’ai commandité cette expérience dans le dos du comité, en vous demandant de prôner la discrétion, et tout ce que vous faites c’est enchaîner les cadavres de gosses !
Evans paniquait légèrement, je ne l’avais jamais vu ainsi. La chaîne du commandement de l’Immonde ne s’arrêtait donc pas à lui. Elle continuait avec ce Monsieur Lutti, membre du comité depuis peu d’années, nommé sous Hans, il avait suivi ce dernier en refusant de s’injecter les attributs de sagesse cérébral des philosophes originels, ceci contrairement à d’autres, comme Conrad. Une certaine division régnait au sein du comité depuis, ce fut la programmation à la lettre d’U-155 et sa rébellion qui leur fit rendre compte de leur erreur des années plus tard… Mais Lutti était différent, ce ne fut pas l’IA qui le tua plus tard, mais le comité lui-même. Car cet homme, d’origine Italienne et maffieuse, s’était servi maintes fois de son pouvoir au sein du comité pour commanditer moult opérations personnels. Et la constitution d’une armée de jeunes hommes renforcés aux gènes des meilleurs soldats du siècle était une de ses premières manœuvres clandestine. Bien qu’il se créait souvent des alliés en les soudoyant, comme Ocelot parfois, son secret fini par se savoir, et il mourut à Londres, la tête décapité, durant la fin de la troisième guerre mondiale alors qu’il était en fuite. Ce fut moi qui rapatriai son cadavre 30 ans plus tard.
Il se mit face à moi. Je pus enfin l’apercevoir, bien que ma transpiration m’aveuglait légèrement.
- C’est donc lui O’hara ?
- C’est lui Monsieur. Un cas très intéressant.
- Quel âge a-t-il ?
- Douze ans. L’âge parfait pour l’expérience, un cadeau pour mes recherches !
Lutti se redressa, puis se retourna brusquement vers Evans, Nathan sursauta suite à ce geste, et j’eus une nouvelle convulsion, Lutti dut crier légèrement pour se faire entendre au-delà de mes cris :
- Je ne suis pas satisfait, Jebediah !
- Monsieur, si vous avez lu tout nos rapports, vous devez savoir que nous avons tout fait dans les règles, paniqua Evans à nouveau.
- Justement j’ai lu vos rapports ! Ce Stanley O’hara n’est pas seul dans son cas, et vous n’avez même pas pensé à prendre les autres pour ces expériences…
- Mais monsieur, leurs âges ne correspond pas !
Le ton de Lutti se faisait encore plus ferme, sa voix devint moins rauque.
- Avec tous les risques que vous avez pris, ce n’est pas deux autres mioches qui vont vous faire chavirer quand même !
- Bien sur que non Monsieur, ce n’est pas la question. Juste que ça risque de ne pas porter ses fruits et user nos... Mixtures pour rien. Mais bon, pour moi ça ne change rien, j’ai suffisamment de temps à perdre comme vous le savez, et c‘est vous le fournisseur…
- Et le Patron, termina Lutti, amenez-les !
Mes yeux se firent exorbitants quand je vis le fameux ascenseur s’ouvrir de nouveau, au loin. Deux brancards en sortirent. Deux garçons criaient. Je vis passer le premier rapidement :
- Laissez-moi ! Hurla-t-il. Je vous tuerais bande de malade ! Laissez-moi !
Je reconnus sa voix presque immédiatement.
- Marcus ?!…
- Stan ! Stan tu es vivant ! Oh Stan sauves-toi !
Le brancard s’éloignait. Sa voix ne portait presque plus.
- Marcus au secours ! Mar…
Ma voix fut subitement obstruée par la main âpre de Nathan sur ma bouche, qui n’aimait pas le scandale durant le départ de son Monsieur Lutti, qui disparut très discrètement peu après. Je n’entendais plus la voix de Marcus. Cependant, celle du second brancard porta :
- Stanley !!
Je criais son nom, mais rien ne sorti, je mordis la main de Nathan de toutes mes forces restantes, il la retira subitement, saignante.
- Francis ! Hurlais-je la bouche rougit par ma hargne.
- Stanley ! Que vont-ils nous faire maintenant ?! C’est quoi ici ? Stan !
- Francis !… Sois fort surtout ! Résiste ! Parles à Marcus ! Cris !
J’avais fait un effort considérable pour hurler si fort tout en me tournant. Les injections m’avaient à moitié achevé, je n’avais jamais été aussi essoufflé. Je me tournai cependant vers Evans, et le regardai pour la première fois avec un regard d’Homme. Il le remarqua.
- Evans, fis-je d’une haine que je n’avais jamais eue, si tu fais du mal à mon petit frère, si tu le tues... Crois-moi que je t’arracherais les membres avant de te remercier. Je te le…
Je ne pus terminer ma menace, Nathan m’avait réinjecter du calmant par intraveineuse. Ce fut ainsi durant tout le reste de l’expérience, et de ma captivité. Le reste du séjour fut donc assez flou pour moi, dans mes souvenirs.
Je devais être le protecteur de Francis, mais Dieu avait refusé qu’il en soit ainsi, il me fallait faillir à cette mission, il fallait que cela finisse plus mal que mal, pour moi et surtout pour lui. Il fallait que nos souffrances s’engouffrent et s’enchaînent encore et encore jusqu’à ce que nous puissions devenir des hommes et racheter nos fautes. C’était notre triste destin, le destin des O’hara.
***
(SUITE)
***
‘How long ? How long must we sing this song ?’
29 Août 1998
- Alors ? Je vous écoute ? Quel nom cherchez-vous ?…
Le ton hypocrite et presque ironique de la secrétaire me donnait envie de lui arrachait le visage. Cette rage était aussi sans doute du aux récents évènements que j’avais subit. J’étais en peignoir, face au bureau de cette femme, debout. Des points de suture au dessus du sourcil droit, le poignet gauche bandé, l’esprit encore renfermé…
Je m’étais réveillé il y a une douzaine d’heures, dans ces locaux improvisés de l’UNICEF. Je ne comprenais pas comment cela était possible. Mes derniers souvenirs concrets étant l’apparition de Lutti, et mon frère m’appelant à l’aide. Le reste, que du flou. La cage. Les carreaux. Les cris. Nathan. Evans… Combien de temps a pu s’écouler depuis ?… Un mois ? Deux mois ? Durant combien de temps ces monstres m’avaient-ils drogué ?
Tout ce que je savais, en me réveillant, c’est ce que l’infirmière m’avait dit : La guerre civil était fini, et je pouvais si je le souhaitais demander les noms des survivants ou victimes recensés pour le moment au secrétariat. Et que par la suite, je serais pris en charge dans tel ou tel pays…
Evans et Nathan ont du m’abandonner, ou avait fini leurs expériences, ou bien celles-ci avaient faillis mais j’avais quand même survécu… C’était ce genre de pensées qui m’effleuraient alors que je me souvenais que je devais répondre à la secrétaire face à moi :
- Euh… Marcus O’hara ? Lui demandai-je.
Elle regarda instantanément dans ses fiches, son visage ne marquait pas les difficultés du pays. Elle venait d’arriver.
- O’hara… O’hara… Oulala il y a beaucoup de O. Je vais en avoir pour un moment… O’hara…
Je contenais ma colère face à ce ton superficiel en me disant qu’elle ne connaissait absolument rien à la situation récente de tous les enfants qui pataugeaient comme de pauvres larves, des âmes détruites, tout autour de ces locaux. Un moment passa. La lumière s’éteignit provisoirement du à l’insalubrité des lieux. Je commençai à avoir l’habitude.
- O’hara ! Ha ! Ha non pardon c’est O’donnel, tout ces noms irlandais se ressemble ! Hihi !
- Vous vous foutez de moi ?! Vous allez retrouver mon frère oui espèce de !…
Une voix interrompit ma soudaine colère :
- Je suis là Stan.
En me retournant, je vis mon grand frère, posé sur une béquille, la jambe bandée, et des bandes au poignet gauche, comme moi. Sans rien dire, je me laissai glissé dans sa direction, m’écroulant presque sur lui en le prenant dans les bras. Je pouvais redevenir un enfant l’espace d’un instant des les bras de mon tuteur. Un instant seulement.
- Relèves-toi, vacilla presque Marcus suite à mon geste.
Je me ressaisissais vite, réajustant mon peignoir. Je touchai le visage de mon frère, comme pour m’assurer que c’était bien lui.
- Comment vas-tu ? Me demanda-t-il.
Je pris une forte inspiration :
- Je crois… Je crois que c’est fini.
- La guerre ?
- …Tout nos malheurs. Tous nos malheurs subis depuis que nous avons fui l’Irlande.
- Hum… Je l’espère, petit frère.
- Où est Francis ? Demandai-je, excité.
Marcus eut les yeux qui se relevèrent soudain, comme si je venais de lui rappeler quelque chose. Il me bouscula presque et se dirigea face au modeste bureau de la secrétaire rêveuse, qui terminai sa recherche :
- O’hara, j’ai trouvé !
- Francis ? Demanda Marcus.
- Euh… non, répondit la secrétaire, Marcus.
- Marcus, c’est moi, vous avez un Francis O’hara ?
La secrétaire se replongea dans ses recherches :
- Marcus, Stanley… Non, pas de Francis, je suis navrée. Peut-être n’est-il pas encore recensé…
- Et sinon ?…
Elle baissa les yeux, ce fut la première fois qu’elle cessa enfin de sourire.
- Hum… Nous allons afficher une liste des victimes bientôt. Mais le fait qu’il ne soit pas forcément dans recensé ne veut pas forcément dire que…
- Ca va j’ai compris ! Ne le dites pas ! S’exclama mon frère en se retournant brusquement vers moi.
Il fit quelques pas, se colla presque à moi, il s’apprêtait à poser sa main doucement sur mon épaule… Je ne voulais pas qu’il fasse l’hypothèse. Je bougeai au moment où il allait me toucher :
- Je… Je vais faire tour. Je ne suis pas sorti depuis mon réveil. Je n’en peux plus ! Juste… Appelles-moi quand la liste sera affichée… Ou quand tu auras du nouveau. Et je sortis presque en courant, sans me retourner.
A l’extérieur régnait un air orangé par le désert environnant. Des tentes et cabanes préfabriqués encerclaient le campement principal. Je décidai d’y faire un tour, faire le point sur les lieux, et sur moi-même accessoirement. Mais au bout de quelques pas, je n’arrivais pas à penser clairement, mon cerveau devait se reposer un moment…
De rage de ne pas avoir les idées claires, je donnai un coup de pied violent sur une pierre assez imposante. Je m’attendais à ce qu’elle ne bouge pas, je m’attendais à une douleur atroce au pied. Il n’en fut rien. La pierre vola plusieurs mètres plus loin, prêt d’un baraquement récemment fondé.
Machinalement intrigué, je me dirigeai vers ce dernier, deux personnes venaient d’y entrer. Un homme et une femme, qui n‘appartenait guerre à ce lieu. Je m’approchai prêt d’une fenêtre dont la vitre n’avait pas encore était posée, pour écouter ce qu’ils avaient à se dire. Quels genres d’affaires les gens d’ici pouvaient bien traités ? Je n’eus pas le temps de me donner une réponse, quand je reconnus la voix de la troisième personne… C’était l’Instructeur Sears.
- Votre fils va bien, il est en sécurité, Monsieur et Madame Blond.
L’Homme répondit :
- Ecoutez jeune homme, je ne sais pas à quoi vous jouez ici, nous avons eu suffisamment de mal à vous retrouvez. Quand nous avons envoyé notre fils dans un camp de redressement à l’étranger, ce n’était surement pas pour l’envoyer en Cisjordanie. Jack a certes eu des problèmes, mais ce n’est pas ici qu’il les arrangera. Dites nous où il est, et ma femme et moi le ramenons à New-York dés ce soir.
Il y eut un moment de silence. Ce fut Sears qui reprit la parole, d’un ton très calme.
- Vous savez, votre fils Jack a de grandes capacités, je ne peux pas l’abandonner maintenant. Je peux faire de lui quelqu’un de grand, quelqu’un d’important… Quelqu’un…
- La ferme ! Fit l’homme brusquement. Dites nous où est-il ! Maintenant !
- Où est-il ? Continua la femme qui n‘avait pas encore prit la parole depuis tout à l’heure. Où est Jack ?
- Je ne vous le dirais pas.
Monsieur Blond n’en croyait pas ses oreilles, il riait presque :
- Non mais je rêve, nous allons tout de suite voir vos supérieurs ! Vous allez entendre parler de nous, espèce de malade !
- Mes supérieurs ne sont pas ici… Ils payent bien mieux, eux.
- De quoi parlez-vous ?…
Un bruit de métal se fit entendre, Sears reprit :
- Je ne sais pas trop comment vous m’avez trouvé, mais je suis ici incognito. Et je dois faire profil bas face aux récents évènements et profiter des ressources de l’UNICEF pour rentrer aux Etats-Unis. Personne ne doit savoir que je suis ici, et personne ne doit me prendre Jack… C’est mon produit.
L’homme s’inquiéta face à ce ton glacial :
- Mais ?… Que faites-vous ? Rangez cette lame ! Rangez cette lame !
Mon cerveau ne fit qu’un quart de tour de la situation. Si j’entrais, il me tuait aussi. Je devais prévenir les autres de ce qu’il se passait. Je me mis à courir le plus rapidement possible vers les locaux principaux, quant à ma surprise je remarquai que je courrais bien plus vite qu’autrefois. Bien plus vite que quand j’avais gravis la colline de Groomsport pour fuir mon père… En à peine une minute, j’étais de retour, haletant, hurlant.
- Venez ! Venez vite ! Il y a quelqu’un qui massacre des gens dans la maison rouge là-bas !… Mais bougez-vous ! Je le connais ! C’était un des hommes qui nous a forcés à nous battre !
Un léger mouvement de foule se fit dans ma direction. Marcus faisait parti du lot. Un autre homme, de l’organisation, me questionna tout en m‘attrapant les épaules :
- Où ça tu as dit ?
- Dans la maison rouge ! Faites vite ! Ils sont peut-être déjà morts ! Et faites attention !
L’Homme se redressa et donna des ordres.
- Vite, appelez la sécurité ! Vous et vous, venez avec moi ! Aller !
Marcus prit la parole, pour être sur :
- Stan ? Qui est dans cette maison ?
- C’est l’Instructeur Sears, ce fou ! Il est avec les parents de l’Aide-Instructeur je crois ! Il faut l’arrêter !
Suite à ce dernier entrain, tout un mouvement de foule se dirigea vers l’extérieur. Marcus se dirigeait aussi vers cette direction… Quand il fut soudainement stoppé par ma main qui s’accrochait à son peignoir.
- Quoi ?
Je ne disais rien, je regardais juste le mur en face, à plusieurs mètres. L’affiche y était accrochée. Et malgré la distance, je voyais très bien le nom que je ne voulais pas voir.
Marcus regarda dans ma direction, et comprit peu après avoir lu la même chose que moi : Francis O’hara.
Un soupir presque sanglotant sorti de la bouche de Marcus. Le silence régnait dans les locaux. Presque tout le monde était sorti.
La lumière du bâtiment cette fois-ci sauta pour de bon. Laissant à peine à la lueur du jour de s’infiltrer à l’intérieur afin d’éclairer deux jeunes garçons, vêtus de peignoirs, légèrement blessés, dont ils pensaient tantôt que leur souffrances étaient enfin finis… Avant qu’ils ne découvrent qui leur en restait au moins une à affronter. La pire de toute sans doute.
- Il… Il est… Il l’a… Marmonna Marcus.
- Il n’est plus là. Terminai-je. Pour toujours.
- Mais ?… Pourquoi ? Pourquoi lui… Et pas moi ?!
Je mis un moment avant de répliquer, une autre réflexion, plus égoïste cette fois, m’assaillis :
- Ca… Ca va durer encore combien de temps Marcus ? A ton avis ?
- Qu… Quoi ?
- Tout ce refrain… Ces souffrances qui s’enchainent si bien… Pourquoi ça ne se termine pas ? Va-t-on en subir toute notre vie ? C’est… C’est de ça que nous sommes faits ?
- Je ne saurais te dire, petit frère, je ne saurais vraiment pas te dire…
Par la suite, l’Instructeur Sears ne fut pas retrouvé, et le couple de personnes décédées ne fut pas identifié. Marcus lui s’occupa de toute la paperasse, et du reste, pour Francis.
Onze jours plus tard, on nous plaça dans des familles d’accueil, à New-York et dans le Connecticut.
Les malheurs étaient terminés. Mais ils n’ont cessés de nous nourrir pendant toutes ces années.
***
***
11 novembre 2028
Les oiseaux avaient cessés de chanter. Le vent commençait à se lever, et le froid à traverser les fenêtres. Jean et moi n’avions pas bougés du lit. Mon récit avait du durer une vingtaine de minutes, je l’avais fait presque d’une traite, elle ne m’avait pas interrompu une seule fois. La gourmette métallique à ma main m’emplissais de sueur, je me confiais rarement de cette manière, et elle l’avait senti.
- Mon pauvre…
Elle me caressa la joue, puis la nuque. Je la laissai faire. Je la regardai. J’étais retombé dans cette partie sombre de ma vie rien que pour elle. Mais je ne pouvais plus y rester :
- Il faut nous préparer, lui fis-je tentant de retrouver ma voix, Togo nous attends.
Elle se ressaisit rapidement, et d’un tournant rapide se leva du lit. Elle se rhabilla à une vitesse déconcertante. Je profitai donc une dernière fois de sa nudité, avant de me ressaisir moi-même pour de bon, me relevant de l’autre côté du lit.
- Jean ?…
- Oui.
- Peux-tu la remettre dans la commode s’il te plaît ?
Je lui lançai la gourmette à travers la pièce qu’elle attrapa alors que son pull n’était que partiellement mis.
- Oui Ripple.
J’eus un déclic suite à cette réponse. Je devais créer un changement envers Jean, suite à ma longue confession :
- …C’est Stan pour toi.
Elle me sourit longtemps, puis s’exécuta. Je reboutonnais mon pantalon de mon côté, quand ma porte s’ouvrit :
- Ripple, je sais que depuis que depuis que tu as arrêté la SR tu ne fous plus rien mais là ça fait une heure que je t’att…
Il me vit moi, torse nu, et Jean, presque entièrement rhabillée, il fit le calcul rapidement alors que nous baissions la tête devant son expression idiote.
- Marcus me doit 20 dollars, fit-il de son grand sourire. Je vous attends à la salle de réunion, j’ai les photos pour toi Ripple. Soyez là dans 5 minutes !…
Il nous regarda une dernière fois, tournant la tête vers l’un puis vers l’autre, sourit de nouveau, et ferma la porte avec un petit rire.
Après quelques secondes, nous rîmes à notre tour, puis finissions de nous préparer.
Je n’avais pas fait beaucoup d’activités depuis mon retour de Fox-Hound il y a deux mois. Je m’étais assez mal remis de mes blessures, et le fait d’avoir arrêté petit à petit la Substance n’aidait pas. Je passais le plus clair de mon temps devant la tombe de Samaëlle ou à faire de l’administration. Mais aujourd’hui, tout était différent, tout allait changer. Jean était ma compagne, je passais à autre chose, et j’avais concocté avec Togo un plan contre les Patriotes. Mon plan. Le temps d’agir, et de lancer la première frappe était enfin venu.
Ce que Togo nommait la salle de réunion n’était autre que son salon, très éxotiquement aménagé. Eclairé par des bougies accrochées au mur, aux côtés de tricots traditionnelles africains qui pendaient ça et là… On pouvait prendre cette pièce comme l’antre d’un prêtre vaudou. Mais l’endroit était grand et agréable pour parler, ou boire les soirs d’été, la terrasse ouverte.
- Salut Marcus.
Mon frère, assis au fond de la pièce, ne répondit pas à notre entrée. Il ne me fit qu’un long sourire coquin avant de se lever et donner un billet à Togo, qu’il mit dans sa poche arrière avant de s’assoir. Jean et moi nous mîmes en face de lui, sur le canapé, une longue table basse aux décors exotiques eux aussi, nous séparait. Dessus était déposées différentes photographies de personnes.
- Avant toute chose Ripple, je voulais te dire qu’Ils ont appelé. Ils ont confirmé pour aujourd’hui, et arrivent en fin d’après-midi.
- Qui ça « Ils » ? Questionna Jean ?
- Herbert Silbermann et Mary Jane Karloff. Deux journalistes pour CNN International, répondit Togo.
- Des journalistes ? Ici ? Mais pour quoi faire ?…
- Nous leur avons raconté l’histoire des Patriotes… Ca les a intéressés. Ils veulent voir le peu de preuves que nous avons, afin de pouvoir les dénoncer à la terre entière, répondis-je à mon tour à Jean, très calmement malgré l’audace de ma phrase.
Jean se posa en arrière sur le canapé :
- Alors c’est décidé ? Tu vas vraiment essayer de dévoiler les Patriotes au monde ? Tu n’as pas peur de leur réaction…? Et d’ailleurs, tu penses vraiment qu’on te croira ?
- Qui ne tente rien n’a rien, haussai-je le ton… Les Patriotes, ce n’est pas U-155, ils veulent certes contrôler, mais pas forcément à tout prix. Et je ne veux pas passer ma vie à combattre dans l’ombre comme le colonel Naked. Si je fais le premier pas, pour une fois, je gagnerais en crédibilité, et eux en perdrons. Je pense que ce sera un grand pas en avant. Nous n’aurons plus à nous battre comme des chiens comme nous l‘avons fait toute notre vie. Nous aurons gagné…
- Ca m’inquiète, reprit Jean en se redressant, mais bon… Ce sont les nouvelles têtes du nanofilms qui sont là sur la table Togo ?
- Oui ! S’exclama fortement mon ami en se relevant. Nous avons enfin réussis à décrypter les derniers grâces aux codes de cryptage Patriote que Ripple à réussi à dénicher de sa tête… Tout sauf un des pékins, le dernier.
- Un seul ? Questionnai-je surpris.
- Oui… Le 49e et dernier de la liste. Mes informaticiens au sous-sol m’ont assuré qu’il était impossible de déchiffrer le visage et le nom de cette dernière personne. J’en ai viré un pour leur faire un peu peur, mais j’ai peu d’espoir de résultats… A moins que tu ais découvert dans ton crâne un nouveau code de cryptage.
Je répliquai, lassé, tenant le même discours depuis une semaine :
- J’ai regardé au moins une vingtaine de fois les cryptages du nanofilm Togo… Je n’ai plus eu de flashs depuis cinq jours, c’est fini. Tous les codes possibles et inimaginables qui sont dans mon cerveau sont sortis de ma tête…
Sous ce découragement, un court moment de silence s’installa, Marcus, toujours dans son coin, intervint subitement :
- Soixante-quatre.
- Quoi ?
- Tu n’as que 64 % du savoir des Patriotes enfoui dans ton cerveau Stan… Peut-être que le code pour déchiffrer l’identité de la 49e personne se trouvant sur le nanofilm d’Emmet… Se trouve dans les trente-six autres.
- Et on fait comment pour les trouver, demanda Togo ?…
Marcus fit un sourire ironique à Togo avant de lui répondre.
- Je te le dirais, pour 20 dollars.
- Tant pis on abandonne… Hum ! En attendant Ripple, regardes les visages des hommes sur ces photos. Si ça se trouve la réponse se trouve chez l’un d’entre eux. Si ça se trouve certains seront bel et bien les futurs Patriotes et on aura des têtes à qui péter la tronche !
Je regardai la table, découragé.
- Hum… Je n’ai eu aucun flash en regardant les photos précédentes mais bon…
Je me mis à feuilleter attentivement les clichés, il y avait tout type de visages; hommes, femmes, blancs, noirs, vieux, jeunes… Je jetai de temps en temps un regard tendre à Jean en fredonnant un petit air amusé…
- Connais pas, et aucun flash… Connais pas non plus…
- A quoi ça peut bien servir, tout ce bordel ? Se demanda Marcus alors que je continuai l‘examen. Pourquoi Emmet les avait sur lui ? C’était un exécutant, pas un administrateur, c’est le rôle des Lieutenants ça !
- A moins que la liste des Patriotes ne se trouve pas sur ce nanofilm, tout simplement. Suggéra Togo. Sans compter que le fait que Ripple n’ait pas de flash ne veut pas forcément dire qu’ils ne seront pas les futurs Patriotes ou autre menace… On ne le saura peut-être jamais, comme tu l’as dit, il n’a que 64% du savoir du…
- Bon ça va les pessimistes ! S’exclama Jean. Laissez-le au moins terminer !
- Calmes-toi chérie, ils ont un peu raison… Connais pas. Connais pas.
Togo regarda Marcus de ses grands yeux excités :
- Je rêve où il l’a appelé chérie ?
Marcus se leva et sortit de sa poche un autre billet de 20 dollars qui alla de nouveau droit dans la poche arrière de Togo. Jean fit un petit regard énervé. J’avais presque fini de regarder chaque photo.
- On peut dire, me fit Marcus narquois, que tu auras fait ma ruine aujourd’hui Stanley… Stanley ?
Je ne bougeai pas. Je restai figé face à la dernière image.
- Ri… Stan ça va ? Me demanda tendrement Jean.
J’avalai une grande quantité de salive :
- Je connais cet homme.
Togo et Marcus se levèrent presque en même temps :
- Quoi ? Qui est-ce ?!
Je levai ma tête :
- C’est…
Quelque chose me coupa la voix.
Togo ne bougeait pas. Marcus non plus. Et ce n’était pas comme s’ils étaient juste immobiles. Ils étaient tous deux bel et bien figés. Comme de la pierre.
Paniqué, je me tournai vers Jean, qui me regardait… Elle ne bougeait pas non plus. La main dans ses cheveux, elle me regardait les yeux grands ouverts, sans respirer, raide. Plus un son extérieur ne semblait émettre non plus. Tout avait cessé de mouvoir et de vivre.
- …Jean ? Fis-je toutefois à son oreille d’un ton tremblant.
Elle ne broncha pas.
Je me levai brusquement, tout grelotant, laissant tomber le cliché sur la table, les mains sur ma tête… Je tentai de prendre mes esprits… Je me mis face à mon meilleur ami :
- Togo ?! Togo tu m’entends ?!
Je le touchai, le poussai, en vain, il était comme pétrifié.
- Marcus !! Hurlai-je en courant vers mon frère.
Toujours le même regard, la même stature.
Ma tête se mit à tourner, je devenais fou.
- Mais… Mais qu’est-ce qui m’arrive ?! Qu’est-ce qui se passe ?! Paniquai-je en tournant sur moi-même dans la pièce, grattant ma chevelure de toutes mes forces…
Je relâchais mes bras. Cessai de tourner. Et lâchai le plus granuleux des soupirs. Pas un bruit. Pas un mouvement. Le temps s’était tout bonnement arrêté…
- Clic.
Mon oreille bondit à ce son. Un son métallique d’ouverture. Un zippo qu’on ouvrait. Puis un roulement de pierre violent, et une flamme qui s’allume. Je me retournais instantanément. Il s’offrait une cigarette, imaginaire une fois de plus, eut un petit rire, et me répondit enfin :
- Ca mon ami, c’est-ce qu’on appelle le Orson Effect ! Hahaha !
***
11 novembre 2028, quelque part dans la tête de Ripple
Je reprenais mon souffle, je tentais de me calmer…
- Mais je… Je croyais que tu ne me réapparaitrais plus, Orson ! Tu m’as fait peur pauvre con !
- Pardonnes-moi, répliqua-t-il en crachant une bouffée. Mais il faut avouer que ça a du style ! Ce que tu vois actuellement n’est qu’une représentation tridimensionnelle capturés par mes nanomachines du dernier instant présent avant que tu ne tombes dans les vapes.
- Dans les vapes ?…
- Hé… Oui mon bon Ripple. Actuellement tu es affalé sur le canapé en train de piquer un roupillon et ta blondasse tente en vain de te réveiller.
- Mais ?… Que me veux-tu alors ? Je pensais que tu avais effacé de mon cerveau le protocole de ta personnalité !
Il me sourit :
- Je l’ai fait…
- Euh… Tu es là, dans ma tête, Orson.
- Non, ceci est un message enregistré interactif contenant toutes les réactions que je pourrais avoir dans cette conversation. C’est le message Ripple, le cadeau d’adieu, tu te rappelles ? C’est ça ! Je l’ai inclus dans ta glande la dernière fois que nous nous sommes vu, il y a… Deux mois et dix jours d‘après les données de ton cerveau.
- Et la cigarette ?
- Ca, c’est pour le style, tout simplement…
Bien que fasciné par la situation, je fus vite lassé :
- Réveilles-moi Orson, je ne veux pas qu’ils s’inquiètent.
- Pas tout de suite. Je dois te dire ce que j’ai à dire, mon dernier message.
- Mais pourquoi ne pas me l’avoir dit avant ? Et pourquoi apparaître maintenant ?
Il souffla une nouvelle bouffée, et prit un air sérieux :
- L’homme sur la photo…
Je repris mon calme également.
- Oui…
- Je l’ai utilisé comme déclencheur, je savais que cet homme était sur cette liste... Si j’ai décidé de faire ça maintenant, c’est parce que ça n’avait pas forcément d’utilité à l’époque. Mais vu que ce nanofilm à l’air d’être devenu une de tes priorités… Laisses-moi au moins te dire à quoi il sert, et pourquoi les Patriotes et U-155 pensent trouver à travers lui la liste des futurs membres du comité.
Je me rassis à la place où je me trouvais, écoutant attentivement le discours d’Orson :
***
(SUITE)
***
- Chaque ancien membre du comité, comme chaque membre du comité depuis la création des Patriotes, avait droit à ce qu’on appelle un quatuor personnel. Quatre personnes à leurs services et à leurs services exclusifs, sans dépendre des besoins des autres membres du comité. C’était le « cadeau » de bienvenue de chaque membre… Chaque quatuor contenait, ou contient, un Chercheur, un Homme politique, un Industriel… Et un Homme de main. Ils sont tous experts dans leur domaine, et même au-delà.
- …Où veux-tu en venir ?
- A la mort du comité, mise à part ce bon vieux Hans, les Lieutenants ont décidé que chaque quatuor devait être exécuté, car ils n’avaient plus d’utilité et connaissaient chacun trop de secrets. Cette liste, mon cher Ripple, est la liste réunissant les différents quatuors à abattre ! C’est une liste de personnes qu’avait Emmet à tuer !
- Une liste de… Cibles !
Orson s’assit à son tour, et croisa ses jambes :
- Exactement. Et l’homme que tu as reconnu faisait parti de l’un de ses quatuors, les escadrons personnels de chaque Patriote… Je savais que ton passé était lié à cet homme, ça m’a paru être le point de départ idéal…
- Tu as bien joué ton coup Orson… Mais il y a quelque chose qui ne colle pas.
Il montra ses dents et rit :
- C’est vrai mon bon Ripple ! Et j’attends que tu me le dises toi-même ! Hahaha !
- Douze fois quatre, ça fait 48 Orson… La liste contient 49 personnes.
- Ce même 49e que tu n’as pas réussi à déchiffrer, je paris. Seul Emmet, Ocelot et Hans avaient le code. Enfin, peut-être d’autres, mais je ne pense pas.
- Et qui est cette 49e personne alors ?
- Mystère… Je n’en ai aucune idée… Mais je sais une chose : Cette personne est la personne la plus recherchée de toutes par les forces des Patriotes. Et cette personne est la plus habile de toutes à se cacher d’eux ! Mais il faut absolument que tu découvres qui elle est et que tu la retrouves si tu veux porter un coup fatal au futur comité !
- Mais ?… Pourquoi ça ? Cette personne à quoi de spéciale ?
- Elle est recherchée parce que c’est la seule personne à combattre les Patriotes qui connait les noms des membres du prochain comité des sages !
Ma bouche resta grande ouverte suite à cette révélation. Je comprenais mieux désormais en quoi la liste des Patriotes se trouvait dans ce nanofilm… Orson écrasa sa cigarette sur le cendrier en bois de Togo.
- Je pense qu’il est temps pour toi de te réveiller Ripple, tu as désormais toutes les cartes que je pouvais te donner pour combattre le comité.
- Rassures-toi Orson, j’en ai d’autres !…
Il mit un temps avant de réagir :
- Je n’ai pas programmé de réponse à cette remarque.
Je ris à mon tour.
- Ce n’est rien… Merci pour tout.
- Je compte sur toi Ripple. Et pas que pour les Patriotes.
Je baissai mon regard :
- Je retrouverais Mikhaïl, j’en fais le serment ! Adieu Orson !
- Merci… Et un dernier conseil : Les survivants des quatuors ont du se réfugier dans différents camps. Ils ne se séparent jamais… Méfie-toi d’eux si tu les rencontres un jour… Aller, adieu Ripple. Pour de bon cette fois ! Du moins je l’espère, hahaha !
Je me levai pour lui serrer la main, je sentis un toucher l’espace d’un moment. Puis il se dissipa, comme par magie. Mais j’avais enfin eu son message.
Je restai là, debout, souriant, pensant à son sacrifice, quand…
- Réveilles-toi Stan !
- Quoi ? Aie !
Je vis soudainement trois têtes apparaitre face à moi, on venait de me frapper. J’étais allongé sur le canapé… J’étais réveillé.
***
11 novembre 2028, Cabine de Togo
- Stan ça va ? Tu es resté inconscient cinq bonnes minutes au moins !
- Il est où ce médecin à la con ! Hurla Togo.
- Je vais bien, rassurai-je, j’ai eu un… flash. Un message d’Orson plus précisément, un dernier message.
- Comment va-t-il ? Demanda Marcus.
Nous regardions tous mon frère, intrigués face à sa question dérisoire. Puis nous nous rassîmes à nos places.
J’exposais à mes amis la situation, et ce que représentait la 49e personne sur la liste.
- Il faut absolument la trouver alors ! Il ou Elle pourrait être un allié fort utile, émit Jean.
- Chaque chose en son temps, calmai-je les ardeurs, d’abord, l’interview de CNN !
Marcus s’approcha de moi :
- Avant tout Stan, tu ne nous as pas dit avant de t’évanouir… Qui est cette personne que tu as reconnue sur la photo ?
Je me fis soudain grave, je cherchais sur la table l’image en question et la donna à Marcus sans rien dire ni même le regarder. Il mit un moment avant de le reconnaître, contrairement à moi.
- …C’est lui. Fit-il sans surprise et sans haine, comme s’il attendait et craignait ce moment depuis tellement longtemps qu’il s’y était préparé durant toute son existence.
- C’est lui.
- C’est qui ? Demandèrent Togo et Jean presque en même temps, avide de réponses.
- Cet homme est Jebediah Evans… Ce salaud de malade mental est encore en vie.
Jean s’approcha et me chuchota :
- Celui dont tu m’as… Tout à l’heure ?
- Oui, lui. Heureuse coïncidence non ?…
Un homme de Togo entra alors, un officier, mon ami lui fit signe d’attendre avant de parler, puis se leva :
- Au moins, la bonne nouvelle, c’est que tous les tueurs du comité doivent avoir pour mission de tuer ce vieux chinois… Espérons même qu’il soit déjà mort ! Alors, officier Marcus, qui y a-t-il ?
- Bordel Togo arrête d’appeler tes hommes Marcus quand je suis là, s’irrita mon frère.
Togo fit un grand sourire, et écouta son officier :
- Monsieur… Vous feriez bien d’allumer la Télé. Ca vous concerne.
- La télé ? Fis-je étonné.
- Quelle chaîne ? demanda Togo qui s’exécutait.
- CNN, Monsieur.
Nous nous regardions tous, dans la pièce aux décors traditionnels africains. Nous craignions le pire…
La télé s’alluma. Une envoyée spéciale en Virginie commentait devant la caméra :
« - Plus d’éléments sur la mystérieuse destruction de la base de forces spéciales de haute technicité « Fox-Hound » il y a deux mois, après enquête des différents services de contre-espionnage, un visage a enfin pu être posé sur cette affaire. »
Une photo apparu à l‘écran, le commentaire continuait :
« - Stanley O’hara, alias The Ripple Effect, mercenaire installé en Afrique du Sud, associé au mercenaire Tarik Saadi, alias Togo N’Colent, aurait entreprit l’attaque de la base des forces spéciales avec pour but de pirater des données top-secret pour le compte du terroriste international Saladin, qui serait nous le rappelons d’après certains éléments entre autre responsable des affrontements mondiaux de ces deux dernières années. Il paraît donc aujourd’hui évident que le terrorisme a encore une… »
Togo avait éteint la télé, il en avait assez entendu, et moi aussi.
- Bordel !… S’exclama mon ami. Ils connaissent même mon nom !
- Toi qui voulais leur faire perdre crédibilité… Ils t’ont pris de court…
- Merci pour la remarque Marcus ! M’énervai-je.
- Stan, calmes-toi. Il fallait s’attendre à quelque chose comme ça de leur part.
La douce voix de Jean m’apaisa temporairement. Avant que je ne renverse violemment la table de rage, éjectant la moitié des clichés sur la face de Togo.
- Ils nous connaissent maintenant ! Tout le monde nous connait !
- Ca ne change rien, reprit Jean, nous ne sommes pas des hommes politiques ou des…
- Bien sur que si ça change tout, intervint Togo d‘un de ses airs les plus graves. Cela va être trois fois plus dur de se procurer armes et équipements avec une réputation de terroriste. Je ne parle même pas des comptes publics qui risquent d‘être bloqués… Ah les salauds ! Ils ont eu vent de l’interview, et nous font la leçon en nous coupant au moins la moitié de nos ressources et de notre rayon d’action ! Sans compter que nous n’aurons plus aucune crédibilité publique désormais… Les enfoirés !
Marcus s’affaissa sur sa chaise :
- On dirait qu’on va encore devoir continuer à se battre à l’ancienne, Stanley… Dans l’ombre, et comme des chiens.
Je ne répondis pas à Marcus. Je lui fis un regard méprisant et me rassis, les mains sur mon visage, soupirant.
Devoir se battre, encore et toujours… Moi qui voulais piéger mes ennemis, ils me forçaient désormais à ne choisir que la voie la plus difficile, pour eux comme pour moi. « Devoir se battre comme un chien ».
Parce qu’il avait été dit que combattant j’étais, et combattant je resterais. Et même si ce statut me répugnait, c’était dans ma nature, au plus profond de moi, et, à mon horreur, c’était aussi dans mes gènes.
Cela faisait longtemps que je l’avais admis… Je pensais juste pouvoir changer la donne, mais on ne peut arrêter une chanson en plein milieu de sa course, ni changer son air.
Oui, cela faisait longtemps que j’avais décidé d’être un soldat…
Je m’en souvenais encore.
***
(SUITE)
***
‘And it’s true we are immune’
Printemps 2004, New-York city, Etat de New-York
Je mis un moment avant de comprendre que le bruit qui me sortit de mes songes était ma sonnerie de téléphone. Qui pouvait donc bien m’appeler à cette heure-ci ?
- …Hum. Allo ? Fis-je d’une voix d’éveil trop caractéristique.
- Stan…
- Marcus ? demandai-je d’un ton trop élevé. Je sais qu’on a dit qu’on devait s’appeler plus souvent, mais pas à quatre heures du matin… T’es barjot ma parole !
Je l’entendis ravaler sa salive.
- Ce n’est pas ça…
Mon frère vivait dans une résidence universitaire dans le Connecticut, et malgré la maigre distance, je ne l’avais vu que trois fois ces six dernières années. De mon côté, j’avais été recueilli par un tuteur, veuf de son état, du nom de Franck, dont l’immense appartement me donnait tout le confort citadin souhaité. En contrepartie, il me forçait presque à m’intéresser à la physique et à l’astrophysique… Il était un chercheur passionné dans ces domaines et voyait en moi un potentiel.
Mon frère et moi avions pris ces chemins différents car nous avoir quotidiennement face à face était toujours trop douloureux, les souvenirs revenaient trop vite… Jusqu’à ce coup de fil.
- C’est quoi alors ? Demandai-je finalement, la tête encore dans les nuages.
- C’est Papa, Stan…
- … Papa ?
- Oui… Il est mort hier.
Je lâchai presque le combiné à cette entente. Mon père… Je l’avais presque oublié. Et ma mère, que nous avions laissé toute seule là-bas. Nous n’étions jamais revenus en Irlande. Marcus reprit :
- Je pars pour Groomsport tout à l’heure, pour voir maman. L’avion pour Belfast est dans deux heures, je suis à JFK là.
- Ha, répondis-je vexé… Et tu ne me le dis que maintenant ?
- Hum… Je ne pensais pas que tu voulais venir, ou en tout cas faire le voyage avec moi. Mais je t’attendrais là-bas… Dans la maison.
La maison…
- J’y serais, Marc.
Ce fut ma dernière phrase avant de raccrocher, sans adresser aucun un salut.
Deux jours plus tard, prêt des rives de Groomsport, résidence O’hara :
Je frappai deux coups simples à sur la porte, elle s’ouvrit presque immédiatement.
- Stanley !
Elle m’avait reconnu presque immédiatement.
- Bonjour maman, lui souris-je.
Elle me prit les épaules, puis dans ses bras, les larmes aux yeux, me disant que j‘étais devenu un homme, et qu‘elle était fière. Je ne montrai que peu d’émotions de mon côté, bien qu‘elle avait rapidement vieilli. Je ne savais si je lui en voulais ou si au contraire, je voulais juste lui montrer mon amour.
Je redécouvrais peu après la cuisine où j’avais passé mon enfance. Une vraie cuisine familial, traditionnelle, où l’on mangeait tout les soirs, avec une magnifique vue sur la plaine, et aucune télé l‘horizon. J’avais du mal à me ressentir chez moi à nouveau, j’étais bien loin des grands appartements New-Yorkais auquel je m’étais habitué.
Je m’assis face à la table en bois, ma mère me servit machinalement un verre de lait. Je parlais de mes récents projets, sans entrer dans les détails, ce fut elle qui fit le premier pas, au bout d’une dizaine de minutes :
- Tu sais Stanley… A propos du matin où vous vous êtes enfuis, tout les trois…
Je posai la tasse sur la table, appréhendant tout et n’importe quoi :
- Je t’écoute.
- Si votre père a appris la vérité… Ce… C’est de ma faute. C’est moi. Je lui avait tout dit. Je… Pardonnes-moi Stanley. Je… Je ne voulais pas voir la famille brisée, tu comprends ?… Je ne voulais pas le quitter, ton père.
J’eus une voix rocailleuse, tout en regardant par la fenêtre :
- Après tout ce qu’il nous a fait ?…
- Pardonnes-moi, insista-t-elle, presque les larmes aux yeux.
Je regardais dans le vide, j’avais envie de crier. De lui crier dessus, de tout casser dans cette maudite cuisine qui me rappelait plus de mauvais souvenirs que de bons. Mais je me retins. Je me conduisis en homme, fièrement. Une attitude qui ne me ressemblait guerre à cet époque.
- Tu sais maman… Fis-je ma lèvre sur le côté, d’un ton légèrement méprisant.
- Oui ?
- Marcus et moi… Nous ne regrettons pas d‘être parti. Le fait que nous ayons quitté l’Irlande, même sans toi pour nous protéger… Le fait que nous avons risqué la vie de Francis, ce qui nous a coûté une grande peine… Le fait de ne pas avoir repris contact, aussi… Nous regrettons beaucoup de choses, mais pas le fait d’être parti, c’était la bonne décision, même si nous étions jeunes. C’est la seul chose sur laquelle je sais que lui et moi sommes d’accord, malgré le fait de n’en avoir jamais discuté.
Je sorti cette réponse d’un ton trop flegme pour ce qu’elle représentait pour moi. Je me retenais de plus en plus de crier, je devenais de plus en bouillant, quand ma mère sortit quelque chose de sa poche, pour me la donner tendrement de ses deux mains, directement dans les miennes. La gourmette de Francis. Elle me refroidit instantanément la main, et le corps. Ma mère me répliqua, presque souriante :
- C’est exactement ce que m’a dit ton frère.
Je regardais autour de moi, rangeant discrètement le bracelet, pour cacher mon émotion.
- Où est-il d’ailleurs ? Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu.
- Dehors, il avait besoin de prendre l’air.
- Je pense que moi aussi, fis-je en me levant, je vais le rejoindre.
- Je vous prépare le dîner en attendant.
Je m’apprêtais à quitter la pièce quand je lui répondis :
- J’ai déjà mangé dans l’avion, merci.
Les écouteurs sur les oreilles, je contemplais cette bonne vieille la verdure claire qui ondulait face au vent, comme animées par le rythme de ma musique. Il n’y avait que ça autour de ma maison d’enfance. Sur plusieurs hectares. Et malgré l’immensité naturelle des lieux, je savais exactement où se trouvait Marcus…
Je me mis gravir la colline, plus lentement que la dernière fois, et sans me retourner cette fois. Je m’en sentais d’autant plus libre. Mon cœur cependant se mit à battre plus vite au fur et à mesure de la montée.
« Francis, grouille ! »
Je fis la grimace, retenant mes larmes. Mon frère était bien au sommet, contemplant la mer au loin. Il me remarqua, fit deux pas vers moi, je fis le reste.
- Salut, Marcus, lui fis-je en enlevant mon casque, tout en lui tapant l’épaule.
J’étais enfin arrivé pile au sommet.
- Salut…
Nous nous mîmes à contempler la mer à deux, cela dura un moment. Marcus reprit :
- Tu écoutes quoi ?
- …U2.
- U2 ?
- …Cela me semblait approprié.
- Je vois… Tu as sans doute raison.
- Et… Comment ça va toi sinon ? Tu racontes quoi ?
- Pas grand-chose, et toi ? Bientôt la fac ?
- Oui et non, baissai-je la tête. Franck… Tu sais, mon tuteur, veut absolument que je rentre dans un département de physique…
- Oh. Et toi ? Tu souhaites quoi ?
- Je ne suis pas sur… Je pensais m’engager dans les Marine Corps…
Mon frère eut un faux rire :
- Toi ? Chez les Marines ? Vraiment ?
- Pourquoi pas ?… Mais bon, rien n’est moins sur. On se dispute beaucoup en ce moment à propos de ça.
- Tu sais, m’informa-t-il, tu pourrais faire les deux en même temps, il y a des cursus spéciaux pour cela. Tu pourrais le faire, tu as le niveau je pense !
- Peut-être bien… Et toi les études, ça se passe bien ?
- Ca va oui… J’ai été contacté pour un travail cependant…
Je fus surpris :
- Un « travail » ? De quoi tu parles ? Tu es troisième année de droit.
- C’est pour travailler pour le gouvernement… Le gouvernement Irlandais. Je ne suis pas censé en parler mais bon… Ce n’est pas pour rien que j’avais déjà mon billet d’avion de prêt, ils m’ont contacté la semaine dernière, mon… « Profil » les intéressent paraît-il, ainsi que mes implications politiques, etc…
- Le gouvernement Irlandais ? T’es sérieux ? Mais tu vis aux Etats-Unis ! Et puis… Ca t’intéresserais vraiment de faire ce genre de trucs ?
- Tu veux bien faire Marine toi, je ne te voyais pas là-dedans non plus.
Il m’avait touché, je baissai le regard, on pouvait encore voir la maison au loin.
- Il y avait longtemps que je voulais revenir, m’avoua Marcus, c’est l’occasion ou jamais. C’est mon pays ici ! C’est vivant ! Toi c’est différent, tu es parti trop tôt…
J’hésitai à m’offenser suite à cette phrase, mais cette dernière avait été prononcée sans mauvaises intentions.
- Mmm… Peut-être, c‘est possible… Tu va vraiment le faire alors…
- Et toi, tu va vraiment faire Marine ?…
Un long moment passa, je n’osais prendre la parole… Je le fis pourtant, quand le silence devint trop pesant.
- C’est parce que… Hum… Je… Je fais encore des cauchemars, tu sais.
Mon frère fit un soupir, sans oser me regarder, je repris :
- Je ne l’ai jamais dit à Franck… Je… Et avec la fin du lycée… Disons que j’ai beaucoup réfléchi dernièrement. Sur ce que je suis, et sur ce que je dois faire.
- Moi aussi, marmonna-t-il presque honteusement, depuis la proposition d’emploi.
- Je… Tu comprends donc alors Marcus ! On aura beau se le cacher, ces… Ces salopards nous ont transformés ! Je ne peux pas rester enfoui, à rien faire, sauf avoir des cauchemars ! J’ai tellement peur de devenir fou, Marcus !… Je dois me battre. Je dois me battre sans m’arrêter désormais. Pour que cela cesse, tu comprends ? C’est la seule solution… Je dois être capable.
- Capable de quoi ?
- De…
- Capable de quoi Stan ?! Aller, dis-le !
Des larmes vinrent à mes yeux, en même temps que mes cris :
- Capable de nous venger Marcus ! De nous venger ! Ils… Ils ont fait de notre vie un traumatisme permanent ! La seule échappatoire c’est le combat, et on le sait au plus profond de nous-mêmes ! J’ai beau réfléchir mille fois, ce sera toujours la même conclusion. Il faut se servir de ce qu’ils ont fait de nous, du fait que nous soyons malgré nous immunisés à l’horreur de la violence, pour combattre toutes formes de… De mal dans ce putain de monde ! Et pour venger Francis, enfin ! Francis ! Tu te rappelles de lui ? Tu n’oses jamais en parler ! Pourquoi ? J’en ai tellement envie, moi, tellement… J’ai pensé à lui tout à l’heure moi, tu sais ?! Et toi, en six ans, et toi ?…
- Tais-toi !
- Non ! J’ai pensé à lui tout à l’heure ! Oui ! Il aurait été grand aujourd’hui, heureux, épanoui, mais il est MORT ! Il n’est plus là, sauf en nous, à hurler !… Il faut se battre pour évacuer ça. Il faut qu’on se batte Marcus !
Mon frère s’approcha de moi comme pour me frapper, je fis un pas en arrière, encore haletant suite à mon discours :
- Tais-toi j’ai dis !
- C’est exactement pour cela que tu va accepter ce travail Marcus, pour les mêmes raisons que moi, et tu le sais ! Tu le sais !
- Mais… Mais…
Mon frère s’affala sur mes épaules, de la même manière que je l’avais fait sur lui après la guerre civile. Il ne s’était jamais permit d’avoir de la peine, car il se sentait plus coupable que n’importe qui de la mort de notre petit Francis. Et il n’avait jamais osé rien faire. Il n’avait jamais eu un tempérament vengeur. Mais cela était devenu plus fort que lui d’arriver à la même conclusion que moi. La voie du combat. Pour le bien. Pour Francis. Et Pour nous.
Nous contemplions une dernière fois le large, collés l’un à l’autre, comme devant l’affiche fatidique, nous admirions une ultime fois ce qu’avait été notre enfance.
On dit que chaque enfant perd son innocence à tel ou tel âge. Pour mon frère et moi, c’était différent. On ne l’avait pas perdu, nous... Notre Innocence, on nous l’avait retiré de force, avec sadisme, et ceci de manière innommable. Et il fallait désormais que nous apprenions à vivre avec cela.
Nous l’avions enfin compris, au sommet de la colline prêt des rives de Groomsport. Au sommet de notre indépendance, au sommet de notre changement, et espérons le, de notre future victoire.
***
FIN
Vive MGHS, le rock, la drogue, le sexe, et... bon ça fait déjà beaucoup, yeah !
Prochaine Chronique : Semper Fidelis
Et oui vous ne rêvez pas, 9 postes ! Probablement le plus grand postage d'affilé de MGHS/MTS !^^
Merci de me signaler les grosses fautes, j'ai cette fois-ci fait en sorte que le texte soit un minimum présentable (Depuis la cantine j'avais moi aussi beaucoup faibli en orthographe), donc voilà ce serait cool !
Aller au dodo now !
Tout d'abord... comme tu le sais mon esprit critique est pas formidable, j'ai toujours préféré le sujet d'invention aux dissert' et autres commentaires.
Mais je vais tacher de faire de mon mieux.
Alors tout d'abord, t'as pas à t'inquiéter, j'ai relevé aucune faute d'ortographe frappante, enfin j'ai pas décortiqué mot pour mot non plus... Je crois me souvenir qu'à un moment tu accorde au féminin un mot masculin, et qu'il manque un "de" entre deux mots... je te retrouvera l'endroit exact si tu veux.
Niveau fond. Du très bon, au début je me disais que ca ressemblais quand même un maximum à du flash-back pur et dur, une sorte de mise au point et d'explication de ce qu'ont subi les O'hara, mais avec la fin on sent que ca aura très certainement un grand interêt dans le futur. La fin justement, la réapparition très théatrale ( flippant le moment où tout est figé XD ) d'Orson, la petite pointe d'humour avec le "je n'ai pas programmé de réponse", tout cela donne très bien. Et puis surtout, ce passage au présent de l'histoire est très fluide, il passe comme une lettre à la poste. J'ai beaucoup aimé le fait que les Patriotes coupent l'herbe sous les pieds de Ripple comme ca... ils mettent tout le monde dans le même panier histoire d'embrouiller encore plus les esprits.
L'histoire Jean - Stan est assez sympathique, si je regarde d'un point de vue un peu plus objectif je trouve quand même que ca n'apporte pas énormément à l'histoire ( un peu comme les histoires Jack- Kate- Sawyer... ^^ ), mais tout comme ce trio susnommé, j'aime bien ce genre d'intrigues. Et puis tu décris bien toutes ces scènes, comment vous en venez à parler du passé de Ripple... etc.
Le coup de la 49ème photo, celle qu'aucun cryptage ne peut trouver, et l'importance de ce qu'elle recèle, je trouve l'idée EXCELLENTE. De même que ce que contient précisément la liste... ca prend vraiment un sens.
Que dire d'autre ?
La note d'humour avec les paris, une fois encore. Même si je trouve le "chérie" ultra mal placé XD
Ah, aussi, les titres suivant la chanson de U2 que j'affectionne tout particulièrement... très stylé. La petite pirouette à la fin, avec l'Innocence. Un renvoi au nom du bateau, j'imagine.
Sinon, c'est moi ou entre le moment où la secrétaire dit que la liste des morts n'est pas encore affichée, et le moment où elle l'est, il ne se passe que quelques minutes ? Ca me parait... assez court quand même. Et puis... la secrétaire dit elle même qu'il y a un nombre pas possible de survivants. Vu l'horreur que tu décris de cette guerre, la liste des victimes devrait être encore plus énorme. Pourtant, en un seul coup d'oeil, et à une petite distance de la liste, vous trouvez instantanément le nom de votre petit frère.
"- Mais ?… Que faites-vous ? Rangez cette lame ! Rangez cette lame !"
J'ai du mal à m'imaginer l'homme qui dirait ca, surtout la répétition du "Rangez cette lame" ^^
Il y a aussi le "- Francis !… Sois fort surtout ! Résiste ! Parles à Marcus ! Cris !"
Juste pour dire... "Crie", ou "Cries", je ne sais pas, mais pas "Cris"
Vive la fête, le soleil & les jolies filles.
Pas vive les parents qui m'empêchent d'aller à une énorme fête sur Paname avec des amis parce que "tu n'iras pas on-ne-sait-ou avec on-ne-sait-qui." Avec eux on croirait qu'il faut que j'organise des entretiens pour qu'ils sélectionnent avec quels amis j'ai le droit de faire la fête ou non. Fuck.
Plains-toi pas, toi au moins t'es invité aux fêtes, t'as pas besoin de harceler tes potes jour et nuit pour qu'ils t'incrustent aux leurs! Courage!
Moi... j'ai pas lu!^^ Comme d'hab, j'imprime tout ça et je vais lire à l'ombre des pommiers, dans un champ en fleur... Vive le printemps!
HS: Strange la nouvelle interface de jv.com... moins brutal que la précédente, qui pour les "vieux" (c'était en 2005 quand même mdr) qui s'en souviennent, passait de la mythique orange-jaune (qu'on peut encore choisir via son profil) avec l'espèce d'elfe en masquotte, à ce truc super futuriste!^^ Bref, on s'y fera vite.
Chronique de RIpple
Merci beaucoup pour ta critique, Alex, j'apprécie beaucoup surtout sachant à quel point ça te soule.
Il est vrai je l'avoue qu'en commençant à écrire la chronique, je pensais surtout raconter le passé de Ripple (et Marcus accessoirement) et basta. Mais je me suis dit que sans but ce sera moins attrayant, d'où le lien à la fin.
(Maintenant il faut que je fasse un lien similaire pour ma seconde chronique qui elle n'a aucun interet pour l'intrigue au présent je l'avoue^^ Mais bon, les détails sont encore en cours d'écriture)
Pour ce qu'on fait les Patriotes à Ripple vers la fin, ça me paraissait être la solution la plus logique de leur part, avec les "armes" qu'ils possèdent. Il fallait calmer les ardeurs de Ripple, qui lui était apparu en tout logique à la fin de Foxdown. Je suis content que tu ais apprécié de passage.
Pareil pour le coup de la photo et ce qu'elle recèle... Je peux te dire que pour rendre ce passage fluide je me suis tanné. XD Je m'y retrouvais plus moi-même.^^ Pareil pour l'intégralité du passage au présent, je me suis vraiment cassé la tête pour rendre tout ce qui est scénar facilement conpréhensible (mon gros défaut), donc je suis content d'avoir apparemment réussi.
Ah oui lol et le "chérie", il marche surtout en anglais (genre "honey") ça passe beaucoup mieux. Peut-être changé pour un synonyme. Mais bonc 'était aussi pour montrer que les deux était très amoureux malgré le fait qu'ils ne sont ensemble que depuis quelques heures. (ils sont cons, mais ça arrive XD). Pour la relation d'ailleurs je te l'accorde l'interet est flou pour le moment, mais là aussi je te rassure, il y a bien un but, et je peux te dire ce sera pas de la merde !
Pour la pirouette sur l'Innocence, elle renvoi surtout au titre de la chronique. Le bateau n'était qu'un en cas à tout cela, au début.^^
Ah oui et pour l'affiche, point interessant, alors en effet seul quelque minutes se passe. Mais bon c'est juste un mec de l'association qui est passé en trombe et l'a accroché. Il n'y avait que les victimes recensé dans ce centre, donc pas tant que ça à voir. Et en fait j'essayais de montrer que c'était un hasard que Stan tombe sur le nom de Francis directement. Du genre même pas de suspens, il se prends l'annonce plein la gueule du a son attentivité malgré lui. Mais j'ai assez mal expliqué ça sur le moment, je corrigerais un peu ce passage je pense. (comme le "de", je te demanderais sur MSN)
On se reparle de toute façon, en attendant je te dit un GRAND merci !
chronique
Je sais plus très bien si c'était ca que j'avais relevé, mais :
"Je mis rapidement pied un terre" ...
Ah merci, je fais souvent cette faute de son (j'ai confondu "un" et "à" en fait)
Bon maintenant la chronique de Saladin !
PS : Faire une critique, ca me soule pas, c'est juste que je sais jamais quoi dire.
Ulti Scotché de bout en bout ..
Je n'ai pas relevé de fautes majeures non plus, bien que je ne sois pas un Expert en ce domaine ....
Vivemant la prochaine
Au fait, je viens de trouver une musique qui doit être monumentale dans les scènes de bien des textes.
( notamment, lorsqu'on a pris l'habitude de se matérialiser les scènes d'action, de ne laisser que cette musique et aucun bruitage... je me comprend. )
Mad World - Gary Jules.
http://www.deezer.com/track/2673
J'ai maté Broken Arrow hier... quelqu'un l'a déjà dit je crois (Ripple?), mais elle avait un petit goût de Chronique de Kenneth n°1...^^ Sinon le maître Woo a fait mieux, j'ai été un tantinet déçu... :S
Alex: Superbe chanson... vraiment très belle. Perso je vais pas commencer à faire des listes de chanson à écouter, je vais en avoir pour des heures!^^
Ripple, j'ai oublié de faire imprimer ta Chronique, je devrais y penser d'ici à la semaine prochaine.
MGHS powa.
Pour ceux qui ne savent pas encore :
- La 9 juin, Hideo Kojima gera à la Fnac de Chatelet les Halles (Paris), une séance de dédicaces.
- Contrairement à il y a trois ans, cela marche sur invitation cette fois. Il faut les commander sur place( ou sur fnac.fr ?) à partir du 1er juin (qui est un dimanche... louche).
Donc en gros je compte beaucoup sur quelques auteurs de MGHS (dont Alex je sais qu'il habite pas loin) de venir a cette grande rencontrer pour pouvoir faire le 1er meeting MGHS !!!
Je crois pas que je vais venir...
Déja que mes parents ont franchement du mal à me laisser aller à Paname. Et puis bon, poireauter trois plombes pour voir Koji... bof.
Pfff... qu'est ce que je donnerais pour être en France moi.
Ah mais non, si c'est une séance dédicace et qu'il fait son exemplaire de MGS4, ça sera sans moi, France ou pas