Nan c'est mort
Ah, bah merci du coup pour la suite peil
Et effectivement on voit pas que tu l'as écris "vite fait"
Sympathique ce chapitre Maintenant que tu as écris les grandes lignes, les chapitres vont sortir plus vite ?
Absolument pas
Chapitre 92 :
Armand ôta sa lame du corps sans vie de la créature qui gisait à ses pieds. Il grimaça lorsque la pointe de son épée heurta un os et qu’il dut tirer de toutes ses forces pour la retirer, dans un bruit de succion écœurant.
Faen, de son côté, essuyait ses aiguilles couvertes de sang. Il jeta un coup d’œil au cadavre animal.
-Belle bête, lâcha-t-il d’un air appréciateur.
-Tu l’as dit. Je me demande ce que ça peut être.
La créature était une sorte de croisement entre un élan et un sanglier, au niveau de la tête. Etrangement petit, à peine de la taille d’un gros chien, il possédait une puissance formidable dans les pattes et sa charge avait surpris les deux hommes lorsque l’animal les avait attaqués en jaillissant de derrière un rocher.
Les Monts de la Queue du Dragon, la région la plus montagneuse et accidentée de Lenclume, regorgeait de bêtes étranges et dangereuses. Les quelque endroits civilisés qu’on pouvait trouver dans ces montagnes rocheuses étaient tous des villages de chasseurs, complètement isolés, vivant du commerce de peau, d’os et de viandes trouvables nulle part ailleurs dans le pays.
La contrée était composée d’une vaste plaine poussiéreuse au Nord, traversée de long en large par le Chemin des Assoiffés, et au Sud, des chaînes de montagnes escarpées. Une fois celles-ci dépassées, on arrivait sur le territoire de Dak’Fron, à la périphérie du désert Alik’r.
Les seuls chemins praticables pour avancer étaient des corniches rocheuses suspendues à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol ou des sentiers de terre extrêmement fins, à flanc de montagne, donnant sur des précipices impressionnants et mortels.
Cela faisait deux jours déjà que Faen et Armand progressaient dans cet environnement. Ils n’avaient, pour l’instant, rencontrés aucune difficulté majeur, si ce n’était la fatigue occasionnée par leur précédente épreuve.
Faen mit sa main en visière et observa l’horizon.
-On devrait en avoir terminé avec ces montagnes demain ou après-demain.
-Si tu le dis, répondit Armand en s’asseyant sur un rocher avec un soupir de soulagement et en massant sa cheville.
-Je n’ai pas envie de m’attarder ici trop longtemps. J’ai repéré des traces inquiétantes tout à l’heure.
-Quel genre de traces ?
-Des traces larges, profondes, et qui me font penser… à celles d’un sanglier-garou. Ou d’un lion-garou.
-Tomber sur un lycan, ricana le jeune Impérial. Ce serait bien le pire qui pourrait nous arriver.
-Tu en as déjà affronté ?
-Non. Jamais vu, même.
-Moi non plus. Tu as envie d’y remédier ?
-Pas vraiment.
-Alors nous sommes sur la même longueur d’onde.
Ils se remirent en route. Armand ramassa un bâton et s’en servit comme d’une canne de marche.
Ils tombèrent sur un vieux puits à moitié enfoncé dans la paroi d’un rocher, en début d’après-midi, et y firent une halte. Malheureusement, le puits était vide et il n’y avait aucun moyen de remplir leurs gourdes. Cependant, ils tombèrent sur les cendres froides d’un ancien feu de camp, quelques mètres à côté.
Faen l’inspecta.
-Quelqu’un a fait cuire de la viande ici. Ce n’est pas récent, mais ça ne date pas de très longtemps non plus.
-Un participant ?
-Peu probable. Un habitant de la région, je pense.
Faen désigna un sac en toile rapiécé qui avait été abandonné là. Il contenait un piège en bois à moitié brisé. Sans doute appartenant à un chasseur qui n’en voyait plus l’utilité. Cependant, le piège était couvert de sang séché, signe que son propriétaire avait attrapé une proie avec avant de s’en séparer.
Le Dunmer referma le sac en toile et se redressa. Armand pointa alors du doigt une colonne de fumée qui s’élevait au-dessus des rochers, au loin.
-J’ai peut-être trouvé notre « habitant de la région ».
Les deux hommes s’y dirigèrent. A cette heure de la journée, l’air était particulièrement chaud et étouffant. Un vent frais soufflait néanmoins de l’Est à intervalles réguliers, ce qui rendait la température supportable.
En tournant au détour d’un chemin rocailleux, ils arrivèrent devant un minuscule plateau grisâtre au sol nu et dépouillé, au centre duquel était juchée une petite maison en pierre. C’était de sa cheminée que sortait de la fumée.
A l’entrée, plantée sur une broche, séchait une rangée de poissons. Des peaux animales étaient étendues sur un chevalet de tannage et diverses pièces de viandes étaient entassées à côté. A côté de la porte, des outils de chasse et de pêche étaient disposés, appuyés contre un mur.
Sans crainte apparente, Faen s’approcha de l’habitation. Cependant, discrètement, il avait gardé sa main à portée de ses aiguilles. Armand fit de même avec son épée.
-Holà ! lança le Dunmer. Il y a quelqu’un ici ?
-Ouais, répondit une voix provenant de l’intérieur de la maison. Qu’est-ce que vous voulez ?
-Nous sommes…
-Je me fous de qui vous êtes. Je vous ai demandé ce que vous vouliez.
-Entrer, ce serait un bon début.
-A votre guise. Mais j’ai actuellement une arbalète pointée sur le pas de la porte. J’empêche personne de passer, mais le premier qui posera un pied ici recevra un carreau dans le fondement.
-Ecoutez, nous souhaitons juste nous reposer un moment ici et nous approvisionner. Nous sommes des participants de la Grande Marche. Vous savez que le parcours traverse votre région, cette année ?
Il était courant que les autochtones des endroits les plus reculés de Tamriel ne connaissent même pas la Grande Marche. Dans ce cas-là, ils accueillaient les participants avec le plus grand mépris, pour ceux qui avaient de la chance, et avec des fourches et des lames brandies, pour ceux qui n’en avaient pas.
Mais celui qui se trouvait dans la maison semblait être un peu au fait des évènements majeurs du continent.
-Oh ? Des participants de la Grande Marche ? Ah, mais fallait le dire tout de suite ! Je serais heureux de vous aider alors !
La porte s’ouvrit alors sur un Rougegarde petit et trapu à la nuque épaisse et au visage taillé à la serpe. Une barbe grisonnante lui dissimulait la bouche et le menton. Mais son nez proéminant, recourbé sur lui-même, recouvrait ses poils drus et atteignait presque sa lèvre supérieure.
Il avait une allure peu banale qui aurait prêtée à rire s’il n’était pas aussi musculeux et si ses yeux ne brillaient pas d’un éclat aussi carnassier.
Il tenait effectivement une arbalète, qu’il pointait vers le sol. Faen s’approcha et l’homme se décala et lui faisant signe d’entrer. Le Dunmer le remercia et le dépassa, imité par Armand. A l’intérieur, l’air était chargé d’une lourde odeur animale, ce qui était assez normal pour un chasseur qui devait régulièrement ramener des dépouilles de bêtes dans sa demeure pour les dépecer.
La porte se referma.
-Dites, s’enquit le Rougegarde, y’a pas une règle qui stipule qu’aucun participant ne doit recevoir d’aide extérieure ?
-Si, répondit Faen, mais personne ne la respecte vraiment. L’important est de ne pas se faire repérer par un aéronef. Ni les organisateurs, ni les spectateurs ne sont dupes.
-Alors installez-vous, messieurs. Vous m’avez dit que vous veniez vous réapprovisionner ?
-Effectivement. Nos sacs de provisions sont presque vides. Vous avez sûrement des choses à nous vendre, non ? Nous pouvons payer.
Armand sortit une poignée de septims de sa poche. Ils en avaient récupérés sur le corps d’un certains Lezgur le Damné, un participant belliqueux qui les avaient rattrapés, la veille, et s’en était pris à eux. Face à Faen, il n’avait guère fait long feu. Son cadavre mutilé devait reposer au fond d’une crevasse, dévoré par les corbeaux, à l’heure qu’il était.
Le Rougegarde fit s’installer les deux hommes à sa table. L’intérieur de la maisonnette était rempli de trophées et de carcasses. Là, une tête d’ours était accrochée au-dessus d’une étagère. Ici, un squelette de bouc se balançait à des chaînes et servait de lustre rudimentaire.
Au sol était étendue une immense peau de bête faisant office de tapis. Armand se fit la remarque que c’était une peau assez étrange de par sa texture et son aspect, et qu’elle lui rappelait quelque chose, mais il ne sut dire quoi.
Le Rougegarde se présenta comme un trappeur s’appelant Marcelo et vivant dans les environs depuis une trentaine d’année.
-Je pêche, je chasse, je braconne, dit-il avec le sourire. Des fois, des gens de Mesajer remontent par le Col Dru avec deux-trois chariots et viennent commercer avec moi.
-Mesajer ?
-Une cité qui se trouve plus bas, vers la plaine. Mais je vous avoue que j’ai rarement de la compagnie, alors ça me fait plaisir de vous voir. Excusez mes manières.
-Il n’y a pas de mal, répondit Armand. Vous êtes bien aimable de nous accueillir.
Marcelo leur servit deux chopes de bière. Il se laissa retomber lourdement sur sa chaise et sortit une pipe de sa veste avant de la porter à ses lèvres. Faen, tout en sirotant sa boisson, détailla son interlocuteur.
-Je vois que la vie dans les montagnes vous a rendu plutôt robuste.
-Ah, ça… Ce n’est pas vraiment la vie dans les montagnes qui m’a donné ses muscles.
-Ce sont vos… activités ?
-Activités ? répéta Armand interloqué.
Marcelo hocha la tête.
-Les bestioles qui rôdent dans les parages ne sont pas du genre pacifique. Il y en a des… coriaces. Le genre à donner des cauchemars à des petits gars de la ville. C’est pour ça que je vous conseillerais de rester ici cette nuit si vous ne tenez pas à tomber sur quelque chose de dangereux à la lueur de la Lune.
Armand se souvint des traces de pas monstrueuses qu’ils avaient trouvées un peu plus tôt, et il se dit qu’effectivement, Marcelo ne devait pas s’adonner à de banales chasses au daim ou au renard.
Faen et le jeune Impérial se regardèrent. Il n’était pas vraiment prudent de dormir chez un inconnu mais il l’était encore moins de dormir à la belle étoile dans cette région. Le Dunmer hocha la tête.
-Merci pour la proposition. Nous acceptons avec joie.
-Excellent, fit le Rougegarde en laissant échapper un nuage de fumée de ses narines.
-Pour nos provisions…
-Oh, nous verrons cela demain, ne vous en faites pas. Profitez de la soirée pour vous détendre et récupérer.
Le reste de l’après-midi se passa sans encombre. Marcelo apprit à ses invités qu’un ruisseau coulait un peu plus bas, dans un coin tranquille et peu accidenté. Les deux hommes allèrent se laver pendant que leur hôte se préparer à couper du petit bois. Armand en tira une grande jouissance.
Habitué au milieu noble et à la vie de la cour, il était rare qu’il néglige son hygiène pendant une longue durée. Vivre dans la crasse constante était un véritable supplice pour quelqu’un comme lui.
C’est avec plaisir qu’il rinça ses cheveux sales dans l’eau et regarda la poussière accumulée depuis des semaines s’en écouler.
Faen, lui, se contenta d’une toilette rapide.
Au bout d’un moment, le Dunmer, assis sur un tronc d’arbre, leva les yeux vers son compagnon.
-Pour en revenir à ta sœur et toi…
Armand cessa de se laver. Il tourna lentement la tête vers Faen. Le moment était donc venu pour lui de raconter son histoire. Après tout, Faen lui avait tout dit à propos de son passé, et il aurait malhonnête de lui cacher quelque chose.
-Tu te souviens du jour où, pour la première fois, nous sommes tombés sur ce Khajiit qui te recherchait ? lança le Dunmer.
-Oui. Le jour où Barahk Gro-Tragnan nous a attaqués. Il y avait encore l’Ombre à nos côtés, à cette époque.
-Ce jour-là, tu nous à dit à l’Ombre et moi que… ta sœur souhaitait plus que tout au monde la perte du clan Nerricus. C’est pour ça qu’elle te traque et qu’elle veut te récupérer, puisque tu concours pour restaurer l’honneur de ta famille.
Armand hocha la tête. Il soupira.
-C’est une longue histoire. Je vais tâcher de te la résumer dans ses grandes lignes. Tout d’abord, tu dois savoir que depuis quelque temps… les Nerricus ne sont plus aussi bien vus qu’avant. Et que leur position est assez précaire, sur le plan politique.
Faen en avait entendu parler. Les Nerricus étaient, depuis des siècles, l’un des clans Impériaux les plus influents et prestigieux de Cyrodil. Leur voix pesait extrêmement lourd dans les décisions du Conseil, et bon nombre des proches de l’Empereur étaient des alliés des Nerricus, ou des membres de cette famille eux-mêmes.
Elle avait la mainmise sur le transport d’or et d’argent à travers l’Empire, ainsi que la gestion des routes et des voies maritimes aux alentours de Cyrodil. En cela, leur fortune était considérable et ils ne se privaient pas de contrôler les taxes et les frais de passages sur toutes les routes du pays.
Leur puissance était telle que, dans les hautes sphères de l’Empire, les paroles du chef de clan Nerricus étaient écoutées plus attentivement que celles de l’Empereur ou des dirigeants du Conseil. Seules quelques illustres familles nobles pouvaient rivaliser avec les Nerricus.
Leur pouvoir avait encore été renforcé, si c’était possible, à la fin de la Grande Guerre, soixante-dix ans plus tôt, car une partie de leurs richesses avait servi à financer activement l’armement des soldats de la Légion ainsi que toutes les opérations militaires, dont celles menées par le légendaire Shuzug Gro-Yargol, qui permirent la fin du conflit.
Il était évident que sans leur aide, la guerre aurait duré bien plus longtemps, voire n’aurait pas été gagnée par l’Empire.
Tout le monde connaissait cette histoire, même les enfants.
Pourtant, depuis quelques années, les Nerricus étaient au centre de débats houleux. Tout d’abord, trente ans plus tôt, la tête du clan avait été reprise par Byron Nerricus –le chef actuel de la Maison Nerricus- à son oncle, Vernon Nerricus.
Vernon n’avait occupé sa place de patriarche que pendant cinq ans, mais cela lui avait suffit à dilapider une grande partie de la fortune familiale et à la mettre dans une position délicate vis-à-vis de ses alliés. En effet, il était de notoriété publique que Vernon avait été un homme arrogant, méprisant, très porté sur l’alcool et les femmes, et comme si cela ne suffisait pas, particulièrement susceptible.
Pour de simples sous-entendus vexants lors d’une conversation, il avait rompu des alliances de longue date avec d’autres familles nobles très importantes. Il avait même faillis provoquer en duel le chef du clan Jarus, et mettre tout l’honneur de son clan en jeu, quand celui-ci avait oublié de la saluer en le croisant dans une ruelle de la Cité Impériale.
Qui plus est, ses décisions politiques avaient toutes été désastreuses et ses investissements douteux n’avaient fait qu’endetter les Nerricus. Heureusement, il avait finis par mourir d’une crise cardiaque, officiellement provoquée par sa consommation excessive d’alcool et de skooma. Officieusement, il était évident qu’il avait été assassiné par un rival mécontent, voire par un membre de sa famille.
De toute manière, il était vieux, devenait sénile, et personne ne l’aurait pleuré. Une mort plus naturelle n’aurait pas tardée.
Son neveu Byron Nerricus l’avait donc remplacé au grand soulagement de ses proches et des politiciens. Byron était un homme célèbre pour sa droiture morale, son esprit vif, sa diplomatie et sa capacité à prendre rapidement les meilleures décisions. Son arrivée à la place de meneur du clan avait été saluée par des applaudissements dans la salle de réunion du Conseil.
Cependant, pendant les années de règne de Vernon, l’image publique des Nerricus s’était considérablement dégradée. Byron avait, tant bien que mal, réussit à redonner confiance au peuple et aux marchands. Cependant, le clan était toujours empêtré dans ses dettes et ses multiples procès.
Mais le coup de massue avait eu lieu dix ans plus tôt lorsqu’une affaire sordide de prostitution infantile et de trafic d’organes en provenance du Marais Noir avait éclatée. Cela avait fait la une de tous les journaux de Cyrodil, voire de tout Tamriel, puisque selon plusieurs rumeurs, de grandes familles nobles et même celle de l’Empereur étaient impliquées.
Pour calmer la populace, le Conseil avait chargé ses limiers d’enquêter. Ils avaient découvert qu’effectivement, les plus grandes familles nobles Impériales étaient liées à cette affaire. Mais c’étaient les anciens chefs de clan, qui dirigeaient leurs familles vingt ans plus tôt, qui avaient mis en place ce sombre trafic, dont Vernon Nerricus.
Néanmoins, à la différence de Vernon qui était décédé, la majorité des chefs de famille de l’époque était encore en vie et occupait des places politiques importantes. Leur position serait sérieusement compromise si leur rôle venait à être ébruité.
Il fallait un bouc émissaire. Vernon Nerricus fut désigné et toute la responsabilité de l’affaire lui revint, tandis que l’implication des autres familles était mise sous silence.
Quand cela fut rendu publique, cela fit scandale et le clan Nerricus fut conspué à un point incroyable.
Leurs plus proches alliés se détournèrent d’eux pour ne pas voir leur réputation entachée. Byron, avec tout son talent diplomate et stratégique, parvint à conserver la plupart de ses relations commerciale, mais il dut payer des sommes exorbitantes en pot-de-vin pour que son clan puisse se débarrasser au plus vite de ses procès honteux.
Les Nerricus qui siégeaient au Conseil ou qui fréquentaient l’Empereur furent éjectés de la cour, et plus personne ne désira s’approcher d’eux.
Dix ans plus tard, cette affaire était encore dans toutes les têtes, et la famille Nerricus avait bien du mal à s’en relever.
Comme si le sort s’acharnait, Byron était tombé grièvement malade un an plus tôt, et ses fièvres fréquentes l’empêchaient d’y voir clair dans ses choix et de gouverner correctement. C’était donc son jeune frère Marcus, bien moins expérimenté et charismatique que Byron, qui s’occupait de la gestion des comptes du clan ainsi que de toutes les apparitions publiques pendant sa convalescence.
Faen connaissait tout cela par cœur, bien entendu.
-Et donc, si tu gagnais la course…
-Mon souhait serait que toutes les charges qui continuent à peser sur ma famille disparaissent, répondit Armand. Le reste suivrait. Avoir un vainqueur de la Grande Marche dans sa famille est un prestige difficilement imaginable. La réputation salie de mon clan en deviendrait instantanément immaculée, et les « amis » de Byron qui s’étaient jadis détournés de lui se presseraient à sa porte pour le supplier de renouer contact avec eux. L’argent recommencerait à affluer et les Nerricus redeviendraient les Impériaux les plus puissants et les plus influents du pays.
-Hum… Vu comme ça, c’est une impasse. Il n’y a guère plus de solution. Si l’histoire de ta famille était une pièce de théâtre, ta victoire à la Grande Marche ferait office de Deus Ex Machina. Mais cela fonctionnerait.
-Bien entendu. C’est le dernier espoir qu’il me reste.
Faen hocha la tête.
-Et le rôle de ta sœur dans tout cela ?
Armand se gratta la tête d’un air gêné.
-Je vais te demander de me jurer que tu ne répèteras à personne ce que tu vas entendre. Car si cela venait à se savoir… Même la Grande Marche ne pourrait laver l’honneur des Nerricus.
-Je jure que rien de ce que je n’apprendrais de ta bouche ne seras répété à qui que ce soit.
Le jeune Impérial soupira.
-Lyana et moi ne sommes pas les enfants de Byron. Nous n’avons même aucun lien de sang avec lui.
Faen se tut. C’était, pour le moins… une révélation inattendue.
-Donc vous n’êtes pas des Nerricus. Sur le plan strictement biologique.
-Exactement. Pour tout te dire, mon père… Byron… est stérile. Il ne peut pas enfanter. C’est un fait dont peu sont au courant. A part toi, moi, Lyana, et quelques membres très proches de la famille, tout le monde pense que nous sommes les enfants légitimes de Byron.
-Vous êtes des enfants adoptés ? C’est une pratique courante chez les nobliaux qui ne peuvent pas avoir de descendance pour une raison ou une autre.
-En fait… c’est bien plus complexe que ça.
Armand, pendant qu’il parlait, s’était rhabillé. Il alla s’asseoir en face de Faen, sur un tas de cailloux.
-Avant toute chose, sache que je considère Byron comme mon père. Pour moi, je n’en ai jamais eu d’autre et je l’aime comme s’il m’avait conçu. De son côté, il m’a toujours chéri et traité comme sa véritable progéniture. Mais Lyana a… un autre point de vue.
-Comment ça ?
-Tu vas comprendre.
Il se racla la gorge.
-Dans sa jeunesse, comme tous les jeunes seigneurs, Byron était un coureur de jupon. Il a entretenu de nombreuses relations aux quatre coins de l’Empire. Certaines l’ont marquée, d’autre non. Mais l’une des femmes qu’il n’a jamais pu oublier était ma mère. Ma vraie mère. Une roturière Impériale qu’il a rencontrée à quinze ans, alors qu’il accompagnait son père lors d’une campagne militaire. Ils ont vécu une histoire d’amour courte mais intense et passionnée. Puis ils se sont quittés. Mais avant cela, mon père lui a donné une petite amulette qu’il avait fabriqué lui-même à quatre ans. Un souvenir. Dix-huit ans plus tard, cette femme qu’il croyait morte depuis des lustres est revenue le voir en Cyrodil, déguisée en mendiante, avec deux bambins dans les bras. Lyana et moi. Et elle avait l’amulette de Byron autour du cou. Il l’a immédiatement reconnu. Mais leurs retrouvailles ont été brèves. Elles n’ont durées que le temps d’une explication rapide et confuse. Ma mère était malade. Une maladie incurable qui l’a condamnait. Elle n’en avait plus pour très longtemps. Quand elle mourrait, ses enfants, en l’occurrence ma sœur et moi, seraient livrés à eux-mêmes. Nous avions à peine un an. Nous la suivrions rapidement dans la mort. Elle ne pouvait permettre cela. Elle a supplié mon père de veiller sur nous et nous a presque jeté dans ses bras. Puis elle a disparue.
-Je commence à comprendre, fit Faen.
-Non, lui dit Armand en secouant la tête. Attends la suite. Mon père ne pouvait pas héberger ma mère, bien entendu. Si cela s’était su, il aurait pu être déshérité. Les coutumes Impériales sont strictes. Et puis, une gueuse vivant dans les appartements d’un Nerricus… Cela aurait fatalement été découvert. Bref, il aurait très bien pu nous abandonner ou nous confier à un temple mais il nous a élevé comme ses enfants. Je lui dois la vie. Pour moi, cet homme est un héros. Par miracle, d’ailleurs, nous nous ressemblions. Nous avions des traits Nerricus. Cela a permis de ne pas éveiller les soupçons.
-Et ta mère adoptive ?
-Elle était dans le secret. Elle avait toujours désirée des enfants, elle-aussi, mais Byron ne pouvait la satisfaire. Elle nous a traités également comme les fruits de sa chaire. Enfin… Quand nous avons atteint un certain âge, mon père nous a tout révélé sur nos origines. Nous avons pris la nouvelle différemment. Pour moi, cela n’a rien changé à ma relation avec Byron et son épouse. Pour ma sœur, eh bien… Elle a… Elle a toujours été particulière. Lyana est quelqu’un de difficilement descriptible. Je ne me souviens pas qu’elle ait déjà montré le moindre amour envers quelqu’un, en-dehors de moi. Elle me chérissait, mais quand elle regardait un autre, y compris nos parents, il n’y avait que froideur dans ses yeux. Le mage personnel des Nerricus avait diagnostiqué chez elle un trouble émotionnel, à ses trois ans, mais Byron n’y avait pas prêté attention. Cependant, plus elle grandissait et plus cela devenait évident.
Faen se pencha en avant.
-C’est-à-dire ?
-Un jour, ma mère l’a découvert en train d’éventrer un chaton vivant. Elle n’en a jamais parlé à personne mais cela l’a profondément horrifiée. Une autre fois, c’est moi qui l’ai surpris en train en train d’enduire les oreillers des serviteurs d’une substance inflammable très dangereuse. Quand je lui ai demandé pourquoi elle faisait ça, elle m’a simplement répondu qu’elle trouvait ça amusant. Elle ne ressent pas d’empathie ou de pitié pour les autres. Comme si certaines zones de son cerveau commandant l’amour, l’amitié, la compassion… étaient déconnectes.
-C’est ce qu’on appelle couramment une sociopathe, dit froidement Faen.
-Je sais. Quand elle a eu dix ans, mon père l’a fait examiner par d’autres mages et ils sont tous arrivés à cette conclusion. Extérieurement, c’était une fillette tout à fait normale. Elle savait s’exprimer très clairement, avait des manières irréprochables en société, était jolie, plutôt charmante même, et très intelligente pour son âge. Mais intérieurement, elle n’avait aucune émotion. Tout cela lui était… étranger. Pourtant, il y a une personne pour laquelle ces règles ne s’appliquaient pas : Moi. Personne n’a jamais pu l’expliquer, mais j’étais le seul être pour lequel Lyana avait de l’amour, et un amour réel. Les zones éteintes de son cerveau se réveillaient en ma présence. Encore aujourd’hui, je n’ai aucune explication a donner à ce phénomène, et elle non plus. Bref, le fait est qu’elle a grandi et qu’elle a appris à feindre la joie, la tristesse, et autre sentiments inconnus pour elle, afin de se faire une place dans la société. Elle est devenue une manipulatrice, à même de jouer avec l’esprit des gens. Elle manie les mots comme personne, et elle est capable de transformer n’importe qui en esclave, par des moyens subtils et inoffensifs. De la persuasion et beaucoup de ruse.
Le Dunmer se frotta le menton d’un air songeur.
-Je cerne bien le personnage. Je lui ressemble un peu.
-C’est vrai. Quand tu m’as raconté ton histoire et ce sur quoi cela avait résulté sur ton mental, j’ai immédiatement pensé à ma sœur. Mais je crois que c’est encore plus grave chez elle que chez toi.
-J’en ai l’impression également. Continue ton histoire.
-Je t’ai un peu menti en te disant que ma sœur ne ressentait aucune émotion. Il y en avait une qu’elle était parfaitement capable d’exprimer, et de façon très sincère : La haine et la colère. Lyana n’a jamais, au grand jamais, piqué de crise de nerf. Chez elle, la colère est douce et froide. Et elle est très rancunière. Quand elle était enfant, un jeune page lui a renversé du thé sur les chaussons. Elle a attendu près douze ans que le page devienne un homme adulte et se marie pour se venger. Lors de sa nuit de noce, elle a empoisonné la mariée, qui attendait alors un bébé. La toxine était sans danger pour la mariée en elle-même, mais son bébé est mort dans son ventre. Elle s’est ensuite rendue chez le page pour tout lui expliquer. J’ignore ce qu’elle lui a dit alors mais il s’est suicidé. La mariée, désespéré par la perte de son enfant et celle de son mari, a également mis fin à ses jours. C’était juste un exemple pour te montrer à quel point elle est vicieuse et cruelle, et que la haine est ce qui est le plus puissant chez elle.
-Quel rapport avec sa haine contre les Nerricus ?
-Depuis toujours, elle est persuadé que c’est mon père qui a tué notre véritable mère. Qu’il avait parfaitement les moyens de la guérir mais qu’il ne l’a pas fait parce qu’il préférait sa femme, et que cela l’arrangeait bien de recevoir des enfants mais sans leur agaçante génitrice. Selon elle, il a profité de sa faiblesse. Sans l’amour inconditionnel qu’elle a pour moi, elle aurait tué Byron depuis bien longtemps. Mais j’ai toujours réussi à la raisonner. Elle ne l’a épargné que parce que si elle l’assassine, elle me fera de la peine. Et cela, elle ne se le pardonnerait pas. Mais elle rumine sa haine contre mon père. Une haine infondée, mais Lyana est entêtée, et il est difficile de la faire changer d’avis quand elle a décidé quelque chose.
-Tu ne t’es jamais demandé si elle n’avait pas raison ? s’enquit Faen. Peut-être qu’effectivement, Byron est un opportuniste qui a chassé ta mère au lieu de lui apporter des soins et a simplement profité d’elle pour vous avoir vous.
-Tu crois que je suis aussi idiot ? J’ai mené ma propre enquête. J’aime Byron comme un père mais j’ai toujours voulu connaître la vérité sur sa relation avec ma vraie mère.
-Et qu’as-tu découvert ?
-Quelque chose que j’aurais préféré ne jamais savoir.
Armand prit une profonde inspiration. Visiblement, ce qu’il allait dire était assez douloureux pour lui.
-Ma mère, quand elle nous a confié à Byron, Lyana et moi… n’était pas malade. Elle s’était simplement mis en couple avec un homme qui refusait le moindre enfant dans son foyer qui n’était pas le siens. Tout n’était qu’un mensonge. Elle ne nous a pas abandonné pour nous sauver, au contraire. Elle nous a abandonné pour se débarrasser de nous, car nous n’étions qu’une charge. Et, secrètement, je pense aujourd’hui qu’elle n’avait jamais prévu que Byron nous éduque comme ses propres enfants, mais plutôt qu’il nous jette à ses chiens ou nous fasse disparaître discrètement.
Il y eut un long silence. Armand fixa Faen.
-Voilà ce que j’ai découvert.
Faen hocha une nouvelle fois la tête. Mais il restait un point à éclaircir.
-Et tu ne l’as jamais dit à ta sœur ?
-Jamais. Lyana est une sociopathe doublée d’une paranoïaque aigue. C’est pour ça qu’elle est excessivement prudente dans toutes ses actions et ne commet jamais d’erreur. Elle croit dur comme fer que, depuis notre plus jeune âge, notre père nous monte l’un contre l’autre. Elle pense être la seule à s’en être rendu compte et a tenté des dizaines de fois de me faire entendre raison. Je l’ai écouté et j’ai épié, dans le comportement de mon père, le moindre signe qui lui donnerait raison. La seule conclusion que cela m’a apporté est que Byron nous aime tous les deux réellement. Mais Lyana est folle et perdue.
-J’ai entendu parler de cas similaires de paranoïa. Ces gens qui sont persuadés que tous ceux qui les entourent en veulent à leur vie ou les espionnent, même quand il est évident qu’ils ont tort. Ces gens-là finissent par se méfier de leur propre famille, puis d’eux-mêmes. Ils sombrent rapidement dans la démence.
-Si jamais je lui apportais le résultat de mes recherches sur notre mère, elle en déduirait instantanément que c’est Byron qui m’a raconté tout cela ou m’a fait un lavage de cerveau. Sa haine n’aurait alors plus aucune limite et même moi serait bien incapable de protéger mon père d’elle. Je suis déjà certains que la mystérieuse maladie qu’il a attrapé depuis un an n’est autre qu’un poison que lui administre un agent de Lyana. J’ai enquête là-dessus mais je n’ai trouvé aucune preuve. Lyana est extrêmement intelligente et sait couvrir ses traces. C’est pour ça que je dois gagner cette course. Pour laver définitivement l’honneur de ma famille et me concentrer sur la protection de mon père.
-D’accord. C’était bien plus compliqué que je ne le pensais, mais j’y vois clair maintenant. Je vais pouvoir appréhender la situation plus facilement.
Pendant le récit d’Armand, la nuit était doucement tombée et le ciel était désormais sombre. Le vent qui soufflait n’était plus aussi chaud qu’auparavant.
-Merci de m’avoir raconté tout cela, fit le Dunmer. J’imagine que ça a été difficile.
-Pas plus que lorsque tu m’as raconté ton passé.
-Armand ?
-Oui ?
-Je suis bien content que tu ais accepté de faire équipe avec moi.
-Et moi donc.
Au loin, de la lumière s’échappait des fenêtres de la maison de Marcelo. La silhouette du Rougegarde apparut en haut du plateau rocheux. Il leur fit un signe.
-Hého ! Vous en mettez du temps ! Il va être l’heure de manger !
Faen se leva.
-Allons-y, ne faisons pas attendre notre hôte.
Ce que je peux aimé les chapitre Background !
C'est fou. T'arrives à donner une réelle profondeur à des personnages secondaires, pire encore j'en suis arrivé à vouloir qu'Armand gagne cette course
Sinon je vois bien le coup venir de l'hôte "amical et aimable" qui, en fait, n'est autre que le fameux lycan dont Faen et Armand ont trouvé les traces.
ouah génial ce chapitre, le personnage de lyana est vraiment interessant. En tout cas j'ai apte que le serpent retrouve faen et armand ca pourrait être marrant
c'est vrai qu'il a un tête d'ours-garou ce particulier là je trouve ça me fait penser à Beorn dans Le Hobbit
C'est cool d'avoir une explication sur la participation d'Armand, d'ailleurs j'apprécie toujours ces deux personnages j'espère qu'ils ne vont pas mourir bêtement
Une suite pour Halloween ?
Vraiment intéressant ces types de chapitres
Merry Christmas ! Non c'est pas ça ? merde ouais ça serait cool la suite stpppppppp
je prend le risque de venir en dernière page (peur de lire un truc qui faut pas et de me spoiler ), je suis au chapitre 40( javance lentement je sais , mais ces vacances j'ai lu pas mal) et je dois dire que ta fiction qui était ju chouette à lire , est devenue très prennant depuis le chapitre 27, j'y est retrouvé ce que j'aimais dans la flèche blanche, l'ambiance de groupe, des éngimes,peut être Roderick aussi , des personnages nouveaux qui apparaissent au fur et à mesure mais dont on à la certitude qu'ils auront leurs importance
Et plus j'avance plus je trouve ta fiction prenante (le chapitre avec shuzug ) ! y'a pas à dire tu sais imaginer des histoire toi !
enfin je vais continuer à lire pour essayer de te rattraper
Par contre j'ai un peu de mal avec cette "technologie" , les miroirs de divinations,...Enfin oui c'était nécessaire pour certains éléments de ton histoire, m'enfin bon t'aurais peut-être pu trouver autre chose qui faisait office de ? , les aeronef tout ça j'ai un peu de mal.
enfin soit continue, j'adore
Merci beaucoup
Chapitre 93 :
Barahk ouvrit les yeux en haletant. Jayën le saisit par les épaules et le força à rester immobile.
-Excellent, lui dit-il. Tu progresses de jour en jour !
-Tu veux dire… que je stagne. Je n’arrive pas à… ouvrir cette foutue porte !
-Ça viendra.
Barahk baissa la tête en reprenant son souffle. Chaque jour, il replongeait dans les tréfonds de son esprit, accompagné par les conseils de Jayën, et chaque fois, il se retrouvait dans le couloir sombre et humide de l’orphelinat de son enfance.
Il marchait, marchait… Jusqu’à faire face à la porte. La petite porte rouge. Si fragile d’apparence, mais si inatteignable. A peine posait-il une main tremblante sur la poignée qu’il se sentait projeté hors de lui-même.
Comme si son esprit refusait à tout prix de voir ce qui se trouvait derrière. Pourtant c’était là le seul moyen de vaincre son démon et de le dompter.
Il devait au moins reconnaître que la pratique de cet exercice avait considérablement ralenti la progression de la malédiction sur son corps, voire l’avait stoppée. Au final, son démon luttait-il aussi contre lui. Et toute son énergie était requise pour l’empêcher de passer la porte rouge.
Il contempla son bras noir et craquelé comme du charbon. Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas utilisé. Il savait que s’il le faisait, il… risquait de perdre le contrôle. Parfois, la nuit, il se réveillait en sursaut et son bras irradiait d’une douleur lancinante. Mais la plupart du temps, Jayën parvenait à le calmer.
Quand ce n’était pas la douleur qui le tirait de son sommeil, c’était la soif. La soif de sang. Dans ces moment-là, des visions de tueries et de carnages hantaient son esprit et le torturaient. Bien entendu, ce n’était pas Barahk qui réclamait de telles horreurs mais la bête qui vivait au fond de lui.
L’Orque craignait qu’un jour… il ne cède à ses avances.
Jayën se recula légèrement.
-Tu vas y arriver, ne t’en fais pas.
-Ouais. Je vais y arriver, ouais… Merde…
-Bon, prends un peu de repos. Nous avons du chemin à faire.
-Non. Je recommence. Maintenant.
-Quoi ? Non, ce n’est pas raisonnable. Dans ton état de fatigue mentale, tu ne représentes que du simple gibier pour le démon qui t’habites.
Barahk plongea ses yeux jaunâtres dans ceux, identiques, de Jayën.
-Je vaincrais cette enflure aujourd’hui, ou je ne le vaincrais pas.
-Je t’ai dit que la première des erreurs était la…
-…précipitation, je sais. Mais mon démon est aussi épuisé que moi. Je dois en profiter.
-Tu le sous-estimes grandement.
-Peut-être. Mais si ça dérape, tu seras là pour me stopper.
Jayën soupira et secoua la tête.
-Je ne pourrais pas t’arrêter si tu perds totalement le contrôle, et tu le sais aussi bien que moi.
-Alors tu n’auras qu’à fuir le plus loin possible sans te retourner.
Et sur ces paroles, Barahk ferma une nouvelle fois les yeux.
Cette phase de l’exercice lui était désormais familière. Il pouvait se retrouver dans son subconscient de manière naturelle. Il lui suffisait de prendre des inspirations profondes, de ralentir les battements de son cœur à leur extrême limite, et d’imaginer un trou noir sans fond devant lui. Puis, d’y plonger la tête la première.
Le reste du travail, c’était son esprit qui le faisait. Tout était affaire d’auto suggestion. C’était de l’hypnose sur soi-même, en quelque sorte.
Bientôt, Barahk ne ressentit plus aucune sensation extérieure. Le vent sur sa peau, l’odeur de la roche sèche autour de lui, la douleur sous son crâne… Ces perceptions du monde s’évaporèrent doucement pour ne laisser place qu’à un profond silence et l’impression de chuter dans un gouffre.
Il n’était plus qu’un être spirituel qui explorait les frontières de son esprit. Ou plutôt, qui se laissait porter par le courant et attendait de voir où cela allait le mener.
Il savait très bien où il allait arriver. Il n’y avait qu’un seul endroit où il arrivait jamais.
Sa respiration se fit encore plus lente qu’auparavant. Puis, d’un coup, il se retrouva là où le souhaitait. Dans le couloir de pierre sombre.
Tout était clair autour de lui, comme s’il voyait par ses propres yeux, comme si tout était réel. Bien sûr, rien n’était vrai. Ce n’était qu’une hallucination. Mais très crédible.
Il braqua instantanément son regard sur la petite porte rouge, tout au fond.
Le premier danger était de se laisser déconcentrer par ce qui l’entourait. Il fallait rester focalisé sur son objectif. Constamment.
Cela avait été difficile au début mais maintenant, Barahk y parvenait aisément. De toute façon, il connaissait ce couloir par cœur. Il n’avait plus besoin de lui prêter la moindre attention.
Il avança.
Alors, la voix de Jayën lui parvint. Elle semblait venir de partout. Des murs, du sol, du plafond… Mais aussi de très loin, à tel point qu’elle était étouffée et difficilement discernable. Il fallait tendre l’oreille pour comprendre ce qu’il disait.
-Barahk… Sors de là… Ce n’est pas prudent…
-Je dois le faire.
-Tu auras d’autre… occasions…
Barahk secoua la tête.
-Je ne fais que fuir. Si je continue à remettre à demain ce que je peux faire maintenant, je n’y arriverais jamais. Chaque seconde qui passe sers le démon à restituer sa force, alors que moi je la perds. Je ne pourrais pas éternellement l’ignorer.
-Barahk, écoute-moi… Quand bien même tu arriverais à ouvrir la porte et à l’affronter… Il te broierait… Tu ne lui ferais aucun mal…
-Mais au moins je l’atteindrais.
-Non, tu dois…
Barahk ferma ses capteurs extérieurs. Le silence revint dans le couloir de pierre.
L’Orque se remit en marche, lentement mais avec détermination. A chaque pas, la distance entre lui et la porte diminuait.
C’est alors que le décor se mit à tanguer. Le couloir vibra, puis le sol se renversa sur le côté, suivit par les murs et le plafond. Barahk trébucha et perdit l’équilibre. Il fit un roulé-boulé et alla s’écraser contre le mur à sa droite.
Puis, le couloir pencha brusquement de l’autre côté. Barahk fut projeté sur la gauche et vit le mur venir à sa rencontre à une vitesse impressionnante. La paroi de pierre le heurta violemment et il étouffa un cri de douleur.
Il savait que tout n’était qu’une illusion, y compris la souffrance, mais cela semblait si réel…
Il comprit que dehors, Jayën était en train de secouer son corps pour le forcer à se réveiller. Il grogna.
-Jayën !
-C’est pour ton bien que je fais ça… Je ne peux pas te laisser y aller comme ça…
-Je sais ce que je fais ! C’est de ma vie dont il est question !
-Ressaisis-toi… Le démon t’influences… Tu joues son jeu… Tu ne t’en rends pas compte mais c’est lui qui te pousse à revenir…
-Dans ce cas-là, je réponds à son invitation avec joie !
Barahk, alors que le couloir continuait à tanguer dans tous les sens, se redressa et s’élança vers la porte rouge. Ses yeux ne lâchaient pas son objectif.
-Non ! cria Jayën depuis un endroit lointain.
Son hurlement se répercuta sur les parois de pierre et revint aux oreilles de Barahk avec une puissance décuplée. L’Orque, sans cesser de courir, grimaça.
Le couloir se retourna littéralement et Barahk, pendant un bref instant, se retrouva comme en apesanteur. Puis le plafond le percuta par derrière et il rebondit brutalement avant de se retrouver étalé à terre, ou ce qui lui semblait être la terre.
Il se releva précipitamment et recommença à courir. Le couloir tressauta, comme s’il était pris de spasmes.
Puis, un choc sourd retentit. Il traversa les parois comme une onde de choc et des fissures y apparurent. Dans la seconde qui suivit, le couloir se tordit violemment. Le mur qui était à un mètre de Barahk se retrouva collé à lui.
L’Orque fit un vol plané et se cogna contre le mur opposé.
A l’extérieur, dans la réalité, Jayën venait visiblement de le frapper. Il ne reculerait devant aucun moyen pour réveiller Barahk. Mais celui-ci était tout aussi motivé que son mentor, bien que leurs buts soient radicalement opposés.
Au fil de son entraînement psychique, Barahk avait fait de son esprit un lieu impénétrable qui pouvait rester clos malgré n’importe quels stimuli extérieurs. Y compris la torture. Il atteindrait cette porte rouge quelque en soit le prix à payer.
Le couloir se tordit une deuxième fois dans le sens contraire. Barahk sentit le sol quitter ses pieds. Le plafond s’abattit sur son crâne et l’Orque se retrouva aplati sur une paroi. Il cracha un filet de sang. Etrange sensation que de cracher du sang dans son propre esprit.
-Jayën ! lança-t-il. Arrête ça !
-Pas tant que tu ne voudras pas entendre raison…
Les coups redoublèrent d’intensité. Le couloir ne ressemblait plus à rien. Barahk avait l’impression de courir à travers l’intestin d’un serpent. Le décor se tordait, se distordait, s’étirait puis se compressait à toute vitesse et à une cadence infernale.
Il n’y avait plus aucun appui solide.