En attendant de souffler ses dix bougies au mois de juillet prochain, Klei Entertainment soigne son catalogue hétéroclite avec un nouveau titre ajoutant une corde à l'arc du studio canadien. Déjà passé par la case action via Shank et Shank 2, l'infiltration en 2,5D avec Mark of the Ninja ou encore la survie avec l'exigeant Don't Starve, Klei se lance dans un nouveau challenge mêlant infiltration et tactique sur fond de Rogue-Like, le tout en vue isométrique.
Invisible, Inc. est simple sur la forme mais dévoile toute sa complexité à mesure qu'on le déflore. Un tutoriel d'une petite quinzaine de minutes, c'est en effet tout ce qu'il vous faudra pour comprendre le fonctionnement du titre à base d'infiltration au tour par tour. En charge d'une agence d'espionnage, vous devez préparer vos agents puis les diriger aux quatre coins du monde dans des niveaux générés de façon procédurale, proposant chacun un objectif. L'objectif final ? Faire progresser vos petits protégés pour arriver dans les meilleures conditions à la dernière mission, qui se déclenche sitôt la fin du compte à rebours global atteint.
La pizza aux 100 choix
Car la particularité de Invisible, Inc. vient du choix dont vous disposez en début de partie. Non content de proposer 3 modes de difficulté par défaut et 4 modes alternatifs, le soft se dote d'un outil de personnalisation de parties assez poussé : libre à vous de définir le nombre de rewinds, une fréquence d'ennemis par niveau ou tout un tas d'autres possibilités concernant l'ensemble des paramètres d'une partie. Au total, une vingtaine d'options sont disponibles et vous pourrez ainsi choisir de vous faciliter allègrement la tâche ou au contraire de rendre la partie ardue au possible. Outre les trois modes basiques évoqués plus haut dont les principales différences proviennent du nombre de rewinds, de la présence des gardes et des capacités du personnage, on retrouve parmi les autres modes un Time Attack qui n'offre que deux minutes au joueur lors de son tour de jeu et un Endless à la durée de vie illimitée.
Une fois cette étape préliminaire passée, vous effectuerez un autre choix, celui de vos deux agents avec lesquels vous allez démarrer la partie ainsi que les deux programmes utilisés par défaut pour les missions. Choix qui dépendra surtout de vos parties précédentes et des éventuels personnages et programmes débloqués, puisque vous n'aurez aucun choix possible lors de votre première partie. Il est alors temps de se lancer dans le grand bain, matérialisé ici par un hub en forme de carte du monde : chaque mission proposée se trouve à un lieu précis, le trajet consommant un nombre d'heures prédéfini pour l'atteindre. Une fois la mission accomplie, vous retournez au hub et répétez le processus jusqu'à franchir un palier toutes les 24 heures, qui vous fera passer à des missions de difficulté supérieure. Le lancement de la mission finale (particulièrement corsée) dépendra ainsi du nombre d'heures défini en début de partie. Quant à sa réussite, elle dépendra de l'ensemble des actions que vous aurez accomplies lors des missions précédentes.
Soyez prudent, la mort vous attend au tournant
Le cœur du gameplay n'entre en jeu que lors du lancement d'une mission. Chaque niveau, rappelons-le, est généré de façon procédurale avec uniquement deux zones qui conserveront la même forme quelle que soit la mission : celle où se situe l'objectif de mission (prenant le plus souvent la forme d'un objet à récupérer) et l'ascenseur final par lequel il vous faudra passer pour sortir du niveau. Point qui a son importance, le joueur n'est pas obligé de réussir son objectif pour pouvoir s'extirper de la zone, un point qui s'explique par la nature même du jeu et son caractère punitif : si votre agent meurt et que vous décidez de partir du niveau avec l'autre agent disponible, vous perdrez le premier à tout jamais. En parallèle de l'objectif se trouvent tout un tas de crédits et d'objets à récupérer sur les gardes afin de pouvoir améliorer et équiper vos agents en vue des échéances futures. Si l'on pourrait être tenté de fouiller de fond en comble chaque niveau pour mettre un maximum de chances de votre côté, le jeu se charge rapidement de vous procurer quelques sueurs froides : permadeath, cooldown pour les attaques, non-renouvellement de vos éventuelles munitions entre chaque mission... Invisible, Inc. est difficile et le fait savoir.
Les premiers pas sont abordables mais exigent un minimum de rigueur pour être franchis sans encombre. Vos personnages disposent d'un total de points d'action par tour leur permettant de se déplacer d'un nombre limité de cases, mais également d'effectuer des actions diverses telles que regarder à travers une serrure. Vous découvrirez ainsi ce qui vous attend dans la pièce suivante afin de décider si vous êtes en mesure de l'ouvrir pour continuer votre exploration. A chaque approche d'une surface, le personnage se plaque d'ailleurs automatiquement contre celle-ci, ce qui peut lui éviter d'être repéré s'il se trouve à l’extrémité du cône de détection d'un ennemi ou d'une caméra de sécurité, principaux dangers de vos aventures d'espion. Il est indispensable d'être extrêmement prudent pour éviter d'être repéré et de mesurer la portée de chaque déplacement qui peut être fatal : si un ennemi vous repère, le seul moyen de s'en sortir sera de disposer d'au moins une case alentour à couvert de son champ de vision pour s'y réfugier ou utiliser un autre personnage pour se débarrasser du larron. On notera d'ailleurs que l'IA des ennemis est plutôt réussie, ces derniers effectuant par défaut des rondes prédéfinies avant d'opter pour un comportement aléatoire si l'alerte est déclenchée.
Dangers et solutions
Le niveau d'alerte (dont vous pouvez définir la progression dans les options en début de partie) avance automatiquement à chaque tour passé. Le choix semble intéressant pour ajouter de la pression au joueur, qui doit alors définir son tracé dans le niveau en fonction de la montée du niveau d'alarme. Mais pourquoi diable le niveau d'alarme augmente si personne ne nous repère ? L'option étant désactivable, nous ne nous acharnerons pas sur ce point mais il semble tout de même bien difficile à justifier. Rassurez-vous toutefois, vous avez tout intérêt à privilégier la discrétion puisque chaque caméra ou ennemi qui vous repère, adversaire trouvé au sol ou autre erreur susceptible de vous faire repérer fera bondir cette jauge jusqu'au niveau d'alarme suivant. La conséquence de cette montée en niveau de l'alarme prendra la forme d'une unité supplémentaire déployée dans le niveau. Autant vous dire qu'à partir d'un certain niveau, les carottes seront cuites pour votre équipe tant il deviendra difficile de parvenir à rejoindre le point d'extraction. Ce point est d'ailleurs fortement dépendant de la construction du niveau, parfois tellement resserrée qu'elle vous empêche de "nettoyer" un niveau et vous force à foncer vers l'objectif principal et vous faire la malle au plus vite. Le mécanisme peut paraître énervant, mais c'est aussi ce qui fait le charme du titre.
Vous disposez fort heureusement d'un panel d'actions varié pour vous sortir des différentes situations : le personnage peut être équipé d'armes de corps-à-corps assommant un ennemi sur un nombre de tours donnés ou le tuant définitivement, ou d'armes à distance létales aux munitions limitées. Il dispose également de plusieurs outils de dissimulation le rendant temporairement invisible (on vous rassure, le mécanisme est très limité) mais surtout d'une IA que vous pouvez appeler à tout moment via une pression sur la touche espace. Incognita, c'est son nom, s'infiltre dans les réseaux en utilisant des points de pouvoir pour hacker chaque élément : il peut s'agir d'un coffre à déverrouiller ou d'une caméra dont vous allez récupérer le contrôle pour identifier la zone et surtout pour vous éviter d'être repéré si vous devez passer devant celle-ci. D'autres types de mouvements régulièrement utilisés peuvent être ici évoqués comme la possibilité de tendre une embuscade à un ennemi qui souhaite enquêter dans notre zone.
Pimp my agent
Afin d'arriver dans les meilleures dispositions pour le combat final, il vous faudra avant tout améliorer les 4 statistiques (Speed, Hacking, Strength et Anarchy) de vos personnages en dépensant les crédits durement amassés pendant les missions. Si la première stat permet en toute logique d'augmenter le nombre de cases de déplacement à chaque tour, la suivante hausse la régénération des points de pouvoir à chaque tour alors que les deux dernières améliorent respectivement la capacité de port d'objet du personnage et sa faculté à voler des objets aux gardes. Chaque personnage dispose en effet d'un inventaire qu'il peut gonfler en volant des objets directement aux gardes ou dans les coffres débloqués via l'utilisation d'Incognita. Les plus honnêtes passeront par les cyber-marchands présents dans les niveaux pour obtenir quelques objets supplémentaires à même d'améliorer les capacités de hacking de l'IA qui vous accompagne ou l'équipement global de l'agent. On notera tout de même que, malgré la présence d'une dizaine de personnages au total, il est regrettable de voir si peu de différences entre ces derniers en dehors de leur équipement de départ et de l'aspect purement cosmétique.
Vous pourrez toutefois vous consoler en prenant le temps de débloquer l'ensemble de ces derniers en cherchant à les récupérer dans les différentes missions proposées ou en cumulant les points après avoir obtenu un score de fin de partie. Si les agents meurent tous, vous obtenez en effet un score de fin de partie et pouvez reprendre au début de la mission, du jour concerné ou depuis le tout début selon les paramètres définis au départ. Dernier point concernant l'aspect esthétique du jeu, qui est une réussite : Klei a su mixer une touche d'espionnage typique des films du genre avec un ton froid, bleuté, évoquant le côté technologique et la dimension Cyborg / Intelligence artificielle du soft. Du point de vue technique, non content d'être propre, le titre se permet de tourner sans problème sur n'importe quelle configuration et est relativement chiche en bugs. On pourra éventuellement retenir que le retour Windows ne lui plaît guère et bloque souvent l'utilisation de quelques touches, un point finalement peu gênant lorsqu'on est absorbé par sa partie.
Points forts
- Vraie rejouabilité
- Design et univers qui a de la gueule
- Possibilité de personnaliser sa partie à l'envi
- La sensation de gérer une véritable agence d'espionnage
- Du challenge pour les initiés
- Styles de jeu variés
Points faibles
- Intégralement en anglais
- Scénario aux oubliettes
- Quelques (rares) ratés sur le procédural
- Personnages qui manquent de singularité
Malléable à l'envi et particulièrement addictif, Invisible, Inc. est un formidable simulateur d'agence d'espionnage et un Rogue-like plaisant. Il prouve une nouvelle fois la diversité des compétences de Klei Entertainment, capable de passer en un clin d’œil d'un genre à l'autre sans perdre ce qui fait son charme, à savoir proposer des univers avec une vraie patte artistique et un gameplay d'une efficacité indéniable. Son scénario anecdotique et la forte place laissée à l'aléatoire lui fermeront toutefois les portes d'une certaine partie du public amateur d'infiltration au tour par tour. En résumé, si vous aimez le cocktail infiltration / stratégie mais accrochez moins aux Rogue-like, le titre vous plaira tout en vous laissant légèrement sur votre faim. Si ces genres vous parlent et que vous avez un penchant certain pour le dernier nommé, foncez l'acheter.