Concoctée sous l’égide du label Annapurna Interactive (Outer Wilds, What Remains of Edith Finch), Twelve Minutes est la nouvelle curiosité qui culminait les attentes depuis quelque temps chez les amateurs de thrillers interactifs. Pourvue de son casting cinq étoiles et de sa boucle temporelle, que vaut finalement cette exclusivité Microsoft au mystère surnaturel ?
Après avoir façonné l’art du plébiscité jeu à énigmes The Witness, en 2016, Luis Antonio s’attelle à la programmation de son premier titre personnel, un hommage au cinéma qu’il admire ; 12 Minutes est le résultat d’une idée qui a pris le temps de germer quelques années, tenant pour modèle les Œuvres de Kubrick, Hitchcock et Fincher. Ce thriller surnaturel raconte le calvaire d’un homme piégé dans une boucle temporelle de douze minutes ; un dîner romantique avec sa femme vire au cauchemar lorsqu’un inspecteur de police fait irruption, accuse cette dernière de meurtre et passe à tabac notre protagoniste. Puis la scène se répète jusqu’à ce que vous, joueur, trouviez une échappatoire.
Le jeu profite de doublages anglais ainsi que d’une traduction française
Le thriller inspiré
Après une longue journée de travail, le héros de Twelve Minutes traverse le couloir au long tapis rouge qui mène à la porte de son appartement, lequel n’est pas sans rappeler celui du mythique Shining de Kubrick. Une musique aux bons airs de thriller accompagne ses pas et souligne l’ambiance impénétrable des lieux. Le voilà rentré, chaleureusement accueilli par son épouse qui le convie à un charmant repas ; puis en quelques minutes, ce dernier est éclipsé par une affreuse scène de crime. Les premières questions se posent : Pourquoi ce prétendu policier entré en trombe dans le salon accuse-t-il votre femme de meurtre et s’évertue à vous faire la peau ? Comment expliquer cette infernale boucle temporelle dans laquelle vous replongez à chaque mort ? Résoudre l'incommensurable mystère qui nous incombe nécessite de prendre en considération une poignée minime d’éléments : Trois personnages sans noms et trois pièces à vivre aux fournitures rudimentaires.
Luis Antonio fait ici le pari d’un huis clos minimaliste dont la caméra en vue de dessus navigue au fil des clics de la souris. Les seuls signes visibles d’un monde extérieur sont les ombres joliment reflétées sur les murs de l’appartement, le tonnerre qui gronde et le bruit des sirènes d’une voiture de police. D’en haut, la perspective est bénéfique à l’exploration contre-la-montre et se montre plutôt attrayante. Le peu d'éléments à disposition rend aussi l'enquête moins fastidieuse, au détriment de décors trop impersonnels. Entre les murs, des personnages sans visages s'articulent machinalement, s’animent à répéter inlassablement les mêmes lignes de texte et se déplacent avec une certaine rigidité. Pour leur donner vie, les prestigieux James McAvoy, Daisy Ridley et plus particulièrement Willem Dafoe délivrent sans surprise des performances presques irréprochables, offrant aux corps la matière qui leur manquait.
La boucle risquée
Pour sortir le héros de son pétrin temporel, lui qui est le seul à être conscient de la situation, il faudra alors le guider en usant des mécaniques excessivement accessibles du point’n click classique. Vous avez la possibilité de récupérer çà et là quelques objets, de les placer dans votre inventaire, de les fusionner ou encore de vous en servir sur autrui. Sans indice, vous voilà confrontés à un casse-tête relativement complexe ; la progression se réalise en tâtonnant et en s’approvisionnant pas à pas les objets de l’appartement afin de trouver les bons schémas à produire. Le terrain de jeu se présente d’abord comme un plaisant sandbox, où l’on peut se sentir à l’étroit une fois désorienté. Mais trouver la bonne combinaison procure toujours une agréable exaltation. Au total, nous avons probablement réalisé une trentaine de runs avant d’atteindre la fin du périple après cinq heures de jeu environ. Aussi l'expérience de la boucle ne sera clairement pas la même pour celui qui appréhende plus aisément les puzzles, moins frustré que celui qui patauge plusieurs heures sans solution.
Là où un The Forgotten City parvient à mener une loop en abrégeant les répétitions, Twelve Minutes tente une exécution plus risquée, dans laquelle le même script, ou presque, s’enclenche infiniment. On se trouve contraints d'accepter les infatigables embrassades de notre épouse et de sauter de lassantes conversations déjà rencontrées avant de pouvoir s'essayer à de nouvelles stratégies. Aussi, force est de constater de nombreuses incohérences dans l'enchaînement des dialogues ; effectuer certaines manipulations dans le désordre peut notamment mener à des réactions illogiques de la part de votre femme, laquelle est capable de s’insurger et de s’adoucir en une fraction de seconde selon vos actions. Nonobstant, si la technique et l'exécution semblent encore manquer partiellement à Luis Antonio, celui-ci parvient tout de même à capter l’intérêt de son joueur grâce à une trame scénaristique suffisamment prenante jusqu’à ses derniers instants, lesquels proposent quelques variantes. Au final, le thriller est assez absorbant et glaçant dans ses dénouements.
Points forts
- Le concept attrayant
- Une trame assez prenante
- Une vue de dessus jolie et habile
- Le doublage 5 étoiles
Points faibles
- Une technique boiteuse
- Des boucles qui peuvent se montrer très frustrantes
- Des incohérences dans les dialogues
Assortie d'un concept à la fois séduisant et risqué, l'intrigue de 12 Minutes maintient facilement l'intérêt jusque dans ses éléments de résolution. Aussi si l'on ressent les imperfections de Luis Antonio en termes de technique, son apprentissage tiré des grands thrillers du cinéma est tout autant visible. Mais le titre partage entre la frustration que peut causer des boucles redondantes et l'ambiance assez captivante des lieux. Si le jeu se montre aussi accessible dans ses mécaniques qu'épineux dans ses énigmes chronométrées, l'expérience se voudra naturellement plus douce pour celui capable de progresser en limitant les loops.