De l’art de Junji Itō, émerge cette année l'hommage vidéoludique de l'indépendant polonais Panstasz. Mélange singulier entre le jeu de rôle et le roman visuel, World of Horror est illustré par de dérangeants mystères et des graphismes 1-bit rétro. Paru en accès anticipé sur Steam, le titre d’horreur est sans mal parvenu à éveiller notre appétence pour les œuvres atypiques. Dans une petite ville balnéaire du Japon, les habitants sont prisonniers de l'emprise de forces maléfiques. Les monstruosités tapis dans ces lieux maudits valent-elles le coup de s’aventurer dans ce “monde de l’horreur” ?
World of Horror est disponible en accès anticipé (early access) depuis le 20 février 2020. Son contenu est donc susceptible d’évoluer significativement dans un avenir proche. Le test de la rédaction est valable pour la version évaluée le 01/03/2020 et sera mis à jour si nécessaire. Notez également que le jeu est intégralement en anglais.
Vos pires cauchemars en 1-bit
À Shiowaka, dans le Japon des années 1980, des phénomènes paranormaux terrorisent inlassablement des habitants promis à un destin tragique. D'anciens dieux aux apparences monstrueuses, clins d'œil à l'univers de Lovecraft, provoquent la manifestation de forces maléfiques. Des femmes aux lèvres lacérées, de jeunes lycéennes charcutées par un psychopathe obsédé par les queues de sirènes, un couple dont les peaux dégoulinent pour fusionner : voici quelques-unes des innombrables atrocités que l'on y croise. Aussi dérangeantes que troublantes, elles rappelleront sans nul doute celles rencontrées dans les récits géniaux de Junji Itō ; L'attrait de ce dernier pour les histoires courtes semble également inspirer le socle du jeu : dans la peau d'un adolescent avide d'aventure, vous aurez à élucider cinq petits mystères différents.
Les lecteurs du mangaka ne seront pas dépaysés par les affaires sordides que nous avons à résoudre ici. L'une des particularités de World of Horror réside dans la direction artistique menée pour illustrer ses horreurs. Ses personnages et son bestiaire sont mis en scène dans des décors rétro, créés sur Microsoft Paint, et mettant en relief l'époque dont l'histoire est tirée. Depuis l'écran d'accueil, vous aurez la possibilité de basculer entre des graphismes 1-bit ou 2-bits, ainsi qu'entre différents coloris. À coups d'images fixes, la noirceur du récit et la bande-son imprégnée des années 1980 suffisent à ériger une ambiance horrifique des plus singulières.
Mystères et jeu de rôle
Il est possible que vous débutiez l'expérience quelque peu désorienté par la lourdeur de l'interface. En dépit d'un petit chibi qui vous servira de guide lors de vos premiers pas, le jeu s'appréhendera surtout par essais et tâtonnements pour maîtriser sa richesse textuelle. Aussi ruisselle t-il de fonctionnalités qu'il serait dommage de ne pas explorer dans leur intégralité. Avant d'entamer une enquête, vous êtes invité à choisir le mode de votre convenance : un unique mystère à résoudre afin de vous familiariser aux mécaniques : "Histoire effrayante des ciseaux d’école", un mode standard au cours duquel vous incarnez l'archétype d'Aiko, un mode "Quick Play" sélectionnant aléatoirement un archétype et une force maléfique, ainsi qu'un mode personnalisable. Ce dernier vous proposant de choisir votre héros parmi une série de personnages, chacun doté de sa spécialité - charisme, dextérité, perception, etc. - mais pas forcémment d'une quelconque personnalité. Vous avez également le choix de la force maléfique qui s'en prendra à vous.
À savoir que d'autres modes sont actuellement en développement. Trois notamment : un mode classique, un mode scénario proposant des aventures plus courtes, ainsi qu'un mode sans fin et sans mystères, vous mettant au défi d'affronter d'innombrables monstres jusqu'à la mort
World of Horror use volontiers des codes du jeu de rôle. Certaines actions ne pourront se réaliser qu'en détenant le niveau de compétence nécessaire ou en réussissant un test, comparable au traditionnel lancer de dé. Au fil des défis que vous surmonterez, vous gagnerez de l'expérience ; chaque affaire résolue vous accordant ensuite un point de plus à assimiler à l'une de vos qualités. Si ces mécaniques proposent de dynamiser notre parcours textuel, on y trouve un défaut : Bien trop courte, l'expérience ne nous permet pas de ressentir une évolution assez convaincante du personnage. D'autant qu'il restera laborieux de profiter de nos compétences à bon escient en si peu de temps. Nous vous rappelons que le jeu est actuellement en accès anticipé et est susceptible de voir son contenu évoluer. Pour le moment, résoudre cinq mystères assez brefs vous permettra de réunir les cinq clés nécessaires pour déverrouiller la porte du phare, lieu de résolution de l'affaire.
L'exploration un peu brouillon
Dans votre appartement, lieu de départ et de repos, vous pourrez vous relaxer dans un bain chaud pour remporter un point de santé. Votre barre de vie est représentée par votre endurance (stamina). Pensez à jeter un oeil au judas de votre porte d'entrée, vous serez susceptible de témoigner d'une présence étrange. C'est depuis chez vous que vous sélectionnerez le prochain mystère à élucider. La ville de Shiowaka vous laissera explorer quelques-uns de ses lieux clés : l'hôpital, l'école, le manoir ou encore la forêt. Ne vous attendez pas à ouvrir des tiroirs et déverouiller des portes à la recherche d'indices : votre venue dans une pièce résultera directement en une rencontre, un affrontement ou une trouvaille ainsi que quelques choix d'action à votre portée. Les déplacements semblent globalement assez encerclés. Quelques lignes de texte vous indiquent où vous rendre, et le lieu mentionné est entouré. Dans ce contexte, il aurait pu être plaisant de se laisser guider par notre instinct. D'autant que certaines transitions restent brumeuses : le jeu vous indiquera certains lieux pour des raisons parfois assez flous ; un défaut qui trouble la narration.
Il est à noter que World of Horror ne propose qu'un seul emplacement de sauvegarde. Chaque mystère disposant de fins multiples, il faudra relancer l'aventure une seconde afin de découvrir d'autres conclusions ; de nouveaux mystères peuvent également apparaître sur le tableau de bord de l'appartement. Visiblement, les chemins semblent être générés aléatoirement ; en empruntant le même à plusieurs reprises, vous aurez la plaisante surprise de tomber sur une atrocité différente. À l'inverse, en explorant un autre mystère, même avec un nouveau personnage, vous êtes susceptible de faire face à un objet ou un visage déjà trop familier. Un aspect toutefois susceptible d'évoluer d'ici la sortie du jeu dans sa version complète.
Du texte et du monstre au tour par tour
Si vos cinq affaires au cœur de l'horreur pourront être résolues en une heure de jeu, la variété évolutive des modes disponibles promet une rejouabilité correcte à l'avenir ; un aspect qui maintient la vitalité du titre. Son interactivité, elle, est principalement soutenue par de multiples affrontements contre les forces maléfiques. Dans cette aventure textuelle, pas de point n' click, mais du combat au tour par tour. Une palette assez plaisante d'attaques, de défenses ou de sorts vous est proposée. À vous de combiner de façon judicieuses certaines de ces actions puis de lancer la séquence. Les ennemis disposent de points de santé variables. Dommages qu'ils soient pratiquement tous appréhendables de la même manière.
En parallèle, vous pourrez tomber lors de vos recherches sur des objets utiles aux combats, ou à la résolution de mystères : la bague d'un doigt coupé qui vous confère un point de charisme, ou l'arme à feu du cadavre d'un policier, par exemple. Une épicerie vraisemblablement tenue par un Akita Inu vous proposera également une série d'articles : Boosters, armes ou bandages. Des items bien appréciés dans notre progression et durant nos duels. Des alliés peuvent aussi être recrutés.
En cas de mort, vous devrez recommencer l'enquête à zéro, et perdrez l'ensemble de votre inventaire. En plus de votre endurance, il faudra également faire attention à votre santé mentale, et votre taux de Doom. De réels facteurs à prendre en compte en raison de la dimension assez punitive du jeu. Si votre endurance prend un sacré coup dès le premier duel, il peut s'avérer difficile de reprendre suffisamment de poil de la bête pour conclure un mystère. Fait étrange, il nous est arrivé de pouvoir poursuivre un combat et clôturer le scénario tout en affichant une endurance dans le négatif. Certains ingrédients semblent parfois mal équilibrés.
Points forts
- Un hommage réussi à Junji Itō
- Un univers absurde et dérangeant
- Les graphismes et le sound design rétro
- La variété évolutive des modes pour une rejouabilité correcte
- Les mécaniques RPG/Roguelike mêlées au jeu textuel
Points faibles
- Des transitions narratives brumeuses
- Des objectifs parfois confus
- Une exploration trop encerlée
- L'évolution limitée du personnage
Sans être exempt de défauts, World of Horror est une plaisante lettre d'amour aux récits horrifiants de Junji Itō, et un clin d'œil au bestiaire de Lovecraft ; des inspirations conjuguées à un univers graphique minimaliste et un sound design évocateur des années 1980. Son monde singulier et monstrueux, sans faire l'unanimité, retient sans mal l'attention. Textuel de prime abord, le jeu fait preuve de générosité dans les modes et mécaniques qu'il propose : combat au tour par tour contre une palette d'ennemis, récolte d'objets, et quelques choix à votre portée. On déplorera surtout une exploration trop étroite qui manque de clarté, ainsi qu'une progression assez restreinte du héros. Mais le contenu du jeu, toujours en early access, est susceptible de nous offrir une aventure d'autant plus riche, et plus cohérente, dans un futur proche.