Époque passionnante marquée par la révolution industrielle, la colonisation et de nombreux conflits, l'ère victorienne constitue assurément le cadre idéal pour un jeu de stratégie PC. Après Victoria, le célèbre développeur Paradox Interactive nous propose aujourd'hui de replonger dans la frénésie de cette période agitée avec Victoria II, une suite optimisée correspondant aux standards vidéoludiques actuels.
Situé à Stockholm, le studio Paradox Interactive est particulièrement connu pour ses excellentes séries de simulations géopolitiques Hearts of Iron et Europa Universalis. On lui doit également depuis quelques années la publication de très bons titres tels que Majesty 2, Mount&Blade ou encore East India Company. En 2003, Paradox Interactive s'était déjà attaqué à l'ère victorienne avec Victoria, premier du nom. Très complet mais moche, déséquilibré et plein de bugs, ce jeu difficile à prendre en main avait eu du mal à convaincre les spécialistes comme les néophytes. Aujourd'hui, Victoria nous revient donc sous la forme d'un nouvel épisode tout aussi ambitieux que le précédent mais bien plus soigné pour tenter de nous séduire définitivement.
Le scénario principal de Victoria II commence invariablement en 1836, soit un an avant l'accession au trône de Victoria, la fameuse reine d'Angleterre destinée à changer la face du monde au cours de ses longues et prestigieuses années de règne. Continuant bien après la mort de la souveraine, le jeu se poursuit jusqu'en 1935 pour couvrir au final un siècle entier. Le joueur est libre de choisir la nation qu'il souhaite diriger parmi une liste en comprenant des dizaines. Néanmoins, il est clair qu'en sélectionnant le Monténégro ou le Yémen, on passera le plus clair de notre temps en simple spectateur avant de se faire annexer par une quelconque nation impérialiste. On optera donc soit pour une grande puissance comme l'Angleterre, la France ou les États-Unis, soit au moins pour une puissance de second rang telle que les Pays-bas ou le Mexique.
La première chose que l'on remarque en lançant une partie de Victoria II, c'est la refonte graphique dont le soft a bénéficié. Certes, la carte en 2D que l'on a sous les yeux reste assez austère mais on peut zoomer dessus à volonté et les unités qui s'y déplacent sont bien en trois dimensions. Différents filtres colorés nous permettent d'avoir une vision d'ensemble très claire de la situation tandis que des icônes bien placées constituent autant de raccourcis vers les menus. Ces derniers sont bien ordonnés et aussi clairs que possible en dépit des centaines d'informations qu'ils contiennent parfois. Dommage du coup que la police de caractères soit si petite en haute résolution. De plus, la localisation française (très médiocre soit dit en passant) cause pas mal de bugs d'affichage. Mais ne faisons pas trop les difficiles car les efforts de Paradox Interactive en matière de réalisation sont évidents. Et la musique n'est pas en reste puisque les morceaux classiques qui nous accompagneront tout au long de l'expérience sont aussi beaux les uns que les autres.
D'aucuns se souviennent peut-être que le premier Victoria était une véritable usine à gaz. Il fallait une patience infinie pour apprendre à y jouer et une certaine habileté pour se retrouver dans ses dédales de menus mal agencés. Là encore, Paradox Interactive n'a pas épargné sa peine pour mettre son dernier jeu de stratégie à la portée de tous (ou presque). Un tutoriel très complet nous permet ainsi de nous familiariser en quelques clics avec les principaux aspects du soft. Économie, diplomatie, guerre, commerce... On pourra découvrir en douceur les mécanismes du gameplay en temps réel (on peut régler la vitesse et mettre sur pause) de Victoria II au fil de diverses séquences bien conçues. Encore plus appréciable, la nouvelle interface transforme carrément le chemin de croix du premier épisode en promenade de santé. Les ordres sont très simples à donner sur la carte et les innombrables variables sur lesquelles on peut agir sont accessibles facilement. Ainsi, plus besoin de galérer durant de longues minutes pour valider nos décisions économiques, diplomatiques ou militaires. Les très nombreux messages et avertissements que l'on reçoit en temps réel se classent d'eux-mêmes dans des dossiers que l'on consulte quand on veut et seules les décisions à prendre immédiatement nous interrompent automatiquement à l'écran.
Victoria II n'est pas pour autant un jeu destiné aux débutants dans la mesure où sa complexité a de quoi rebuter plus d'un souverain en herbe. Diriger un pays entier au jour le jour n'a en effet rien d'une sinécure, en particulier lorsque le pays en question s'étend sur des dizaines de provinces comme la Russie ou la Chine. Entre autres, le joueur devra surveiller sa population, définir une politique intérieure cohérente, s'occuper du commerce, tisser des liens avec d'autres nations, étendre sa sphère d'influence dans le monde, défendre son territoire, conquérir de nouvelles terres, etc. Il devra aussi prendre tout un tas de décisions relatives à l'éducation, la religion ou l'immigration, mater les rebellions, rester à la pointe de la technologie... Bref, chef d'état, c'est un métier compliqué qui demande un investissement de chaque instant. Heureusement, le joueur peut déléguer certaines de ses responsabilités à l'intelligence artificielle pour se concentrer sur l'essentiel. En temps de guerre, il est par exemple souhaitable de laisser celle-ci gérer le commerce et l'économie pendant qu'on déplace nos troupes.
Puisqu'on parle de guerre, profitons-en pour préciser que les wargamers purs et durs devraient être agréablement surpris par les mécanismes de jeu simulant merveilleusement bien les très nombreux conflits d'un siècle d'impérialisme forcené et de crises nationales (Guerre de Sécession, Unification de l'Italie, naissance de l'Allemagne, etc...). Volontairement simplifiés pour gagner en clarté, ceux-ci prennent néanmoins en compte de nombreux paramètres tels que le ravitaillement, la nature du terrain, l'organisation et l'expérience des troupes, la présence d'un leader, etc. Les types d'unités disponibles évoluent en fonction des avancées technologiques et il est possible de les regrouper en corps d'armée plus faciles à commander. Il suffit de sélectionner une unité puis de choisir sa destination pour que celle-ci commence à se déplacer sur la carte en temps réel. Bien planifier nos attaques, coordonner les mouvements de nos troupes et surtout anticiper ceux des troupes adverses constitue clairement l'élément-clé de la victoire militaire.
La guerre, toutefois, n'est pas la solution à tous les problèmes. Souvent il sera bien plus profitable d'élaborer un réseau d'alliances et de mener des offensives diplomatiques visant à affaiblir les autres nations plutôt que de passer pour un conquérant sanguinaire aux yeux du monde. A ce titre, le système diplomatique basé sur un capital de points à dépenser est très efficace même si certains regretteront sans doute un relatif manque d'options disponibles (pas d'échanges de provinces, d'assassinats ou de mariages politiques par exemple). Il est possible d'améliorer ses relations avec tel ou tel pays, de discréditer tel autre sur la scène internationale, de déclarer la guerre, et bien d'autres choses encore. Vu le nombre de nations peuplant le monde au XIXème siècle, il est clair que la diplomatie demandera pas mal d'investissement et de savoir-faire.
S'il fallait émettre quelques critiques sur cet excellent titre, nous penserions sans doute en premier lieu à un problème largement commenté par la communauté des joueurs sur le Web : la fréquence excessive des révoltes après 1860. Certes, les nouvelles idéologies émergeant après la révolution libérale européenne de 1848 ne favorisent pas toujours la stabilité politique mais voir par exemple des insurrections communistes et jacobines se succéder tous les 2 ou 3 ans en France vers 1900 n'a absolument rien de réaliste. Ensuite, il est clair que dans les dernières années du scénario principal, le jeu commence à ramer sérieusement. Parfois, le crash est même inévitable. Enfin, la traduction française est tellement bâclée qu'on en viendrait presque à se procurer l'édition anglaise. Ceci étant, à l'heure où l'on écrit ce test, Paradox Interactive est à pied d'oeuvre pour limiter le nombre de révoltes et solutionner les problèmes techniques. On peut également espérer que des patches amateurs finiront aussi par améliorer la localisation française. Il y a donc de bonnes raisons de penser que Victoria II deviennent à terme la référence absolue des simulations géopolitiques sur PC. Et ce sera parfaitement mérité !
- Graphismes13/20
Les progrès réalisés en matière de présentation et de lisibilité sautent aux yeux. On peut zoomer sur la carte autant qu'on le souhaite et les unités apparaissent en 3D. Les divers tableaux sont clairs et bien agencés. Toutefois, la police de caractères est un peu petite en haute résolution et la traduction française donne lieu à des bugs d'affichage.
- Jouabilité16/20
Gérer l'économie, la diplomatie, la démographie, les progrès technologiques, l'armée, etc d'un pays entier demande beaucoup d'attention. Heureusement, l'interface a été entièrement revue pour que l'expérience de jeu gagne nettement en confort et en accessibilité. On accède à des tonnes d'informations en quelques clics. On ajuste des dizaines de variables avec une simplicité déconcertante grâce à des menus clairs et des curseurs bien pensés. Les conflits militaires sont dignes d'un vrai wargame.
- Durée de vie17/20
Le mode solo couvre une centaine d'années et il est bien entendu possible de jouer à plusieurs en LAN comme sur Internet. En fonction de la vitesse que l'on peut moduler à tout moment, une partie peut durer plusieurs jours.
- Bande son14/20
Les morceaux classiques qui nous accompagnent tout au long de l'expérience sont très agréables à écouter même si l'on aurait certainement aimé entendre plus de bruitages.
- Scénario/
Quelques scénarios alternatifs n'auraient pas été de trop pour nous permettre de lancer des parties rapides et la traduction française est lamentable. Néanmoins, la reconstitution du monde de l'époque et le nombre d'événements historiques pris en compte forcent le respect.
Il aura fallu sept ans pour que Victoria bénéficie enfin d'une véritable suite mais cela valait largement la peine d'attendre. Plus facile à prendre en main, mieux équilibrée, visuellement très agréable et plus complète que jamais, celle-ci atteint désormais l'excellence. Elle comblera sans problème tous les amateurs de stratégie, de wargames et/ou de jeux de gestion pointus et réalistes.