Shadow of the Colossus - Opened Way
Voici une chronique vidéo qui n'est pas vraiment une chronique vidéo. L'idée de VGM (Video Games Music) est en fait de vous présenter un thème musical issu d'un jeu vidéo, ancien ou récent, et d'en faire une analyse écrite afin de comprendre pourquoi il fut marquant, que ce soit pour ses pures qualités musicales ou pour son utilisation en jeu. Puisqu'il s'agit d'une analyse, tout est potentiellement sujet à débat. L'idée est de parler de ressenti plutôt que de musicologie, ce qui m'arrange pas mal pour le coup.
Par Anagund
Après les épisodes sur Secret of Mana et Pokémon Version Rouge / Bleu / Jaune, nous nous attaquons à un autre monstre vidéoludique, l'inénarrable Shadow of the Colossus. Certes, parler de façon dithyrambique du périple de Wanda face aux 16 colosses n'est pas chose ardue tant le titre possède de qualités. Sa mise en scène, son design, ses architectures, son univers minimaliste et mystérieux, nombreux sont les éléments qui en font un chef-d'oeuvre indescriptible. Mais vu que la chronique s'appelle VGM, nous allons bien évidemment nous attarder sur un de ses thèmes musicaux.
Quand on s'attaque au travail du compositeur Kow Otani sur Shadow of the Colossus, il est forcément difficile de faire un choix. Le titre offre à la fois de douces et mélancoliques musiques d'ambiance et de brutaux thèmes orchestraux. Alors que l'on aurait pu parler longuement du morceau Revived Power, j'ai préféré m'attarder sur Opened Way, que je considère personnellement comme plus emblématique.
Mais remettons d'abord la musique dans son contexte. Lorsque vous démarrez le jeu, Wanda arrive dans les Terres Interdites avec le corps inanimé de Mono. Afin de la ressusciter, il se lance à la recherche du premier des 16 colosses qu'il devra affronter. Après une phase de recherche à dos d'Agro, son cheval (avec le thème Sign of the Colossus en fond), il se retrouve à pied et escalade une falaise. Après cet effort, il se retrouve enfin devant son premier ennemi, le majestueux Valus, qui est en train de se mouvoir au loin. Serait-ce le moment de lancer le magnifique thème Opened Way que vous entendez sur cette page ? Non pas encore !
En effet, Valus n'a dans un premier temps que faire de la présence de Wanda et l'absence de musique épique met parfaitement en scène ce fait. Pour le joueur, il s'agit d'ores et déjà d'une rencontre titanesque. Mais pour le colosse, Wanda n'est qu'un moucheron. C'est donc à nous d'attirer son attention avec nos petites fléflèches. A force de gesticuler comme un pantin, on arrive donc à se faire remarquer et Valus nous attaque furieusement avec sa masse géante. Et le fameux thème Opened Way... Ne se lance toujours pas. Pour le moment, vous n'avez encore droit qu'à Grotesque Figures un morceau guerrier qui offre déjà ses premiers grondements. Non, pour entendre Opened Way, il faut faire plus que cela, il faut toucher Valus à un des ses points faibles pour le forcer à mettre un genou à terre, moment où le véritable combat commence
Et c'est justement en cela que cette musique, dont je vais décrire la véritable puissance dans quelques instants, fait son premier tour de force. Ce thème épique se mérite, raison pour laquelle je finis par en parler après quatre paragraphes d'intro. En offrant différentes musiques pour un même combat, le compositeur marque magnifiquement la façon dont le gameplay est construit. La phase de recherche, la découverte du colosse, le moment où on attire son attention et enfin le moment où on découvre son point faible. Quand les percussions violentes et les instruments à cordes du morceau Opened Way se lancent enfin, indiquant que l'affrontement démarre vraiment, on est déjà tenu par le suspense haletant de la confrontation.
Si le nom de Kow Otani est définitivement lié à celui de Shadow of the Colossus, on ne peut pas dire que ce compositeur japonais soit une tête connue du jeu vidéo. Et pour cause, ce dernier travaille principalement dans le milieu de l'animation. Vu que son premier travail dans le domaine fut City Hunter (alias Nicky Larson en France), on peut dire qu'il a tout de suite su se faire connaître. Il a aussi travaillé sur Mobile Suit Gundam Wing ou encore Zatch Bell!. En tout, on peut lui attribuer une cinquantaine de travaux pour des animes. Et dans le jeu vidéo ? une petite poignée, dont Sky Odyssey. On aimerait vraiment le voir plus souvent dans le secteur du jeu vidéo, pourtant...
Evidemment, le travail orchestral de Kow Otani donne au morceau Opened Way de furieuses intonations épiques. Les puissants instruments à vent de l'intro vont en ce sens alors que les percussions appuient avec vigueur le contexte guerrier. Mais l'instrument qui représente le plus la conquête de Wanda est sans aucun doute le violon, qui semble raconter une histoire. L'exemple le plus flagrant est sans conteste l'envolée mélodique à 0:37, qui représente l'ascension de Wanda qui doit escalader un Valus qui se débat. Un passage musical qui ne dure que 14 secondes dans un morceau de pratiquement deux minutes, mais qui reste l'un des plus marquants du jeu.
A partir de 0:52, la trompette (soutenue par ce qui semble être un cor) reprend le dessus dans un contexte moins mélodique. Personnellement, j'entrevois ici un aspect plus besogneux, qui représente une vraie lutte ardue loin de la balade champêtre. Pour appuyer mon propos, voici un court passage issu du film Gladiator, dans le thème The Battle :
On retrouve une instrumentalisation très similaire à celle de ce passage de The Opened Way. Cela illustre bien évidemment la difficulté du périple, et surtout des phases d'escalade du colosse. Ce dernier se secoue dans tous les sens et Wanda essaie tant bien que mal de se raccrocher aux poils et aux structures de pierre qui constituent son corps. Cet éternel combat est un thème récurrent dans Shadow of the Colossus.
Et puisque nous parlons de thème récurrent, abordons la dernière phase du morceau, qui démarre à 1:22. Pour dire vrai, je suis légèrement plus dubitatif concernant cette partie. Non pas que j'oserais remettre en question le talent de Kow Otani (Ô grand jamais !), mais plutôt parce que j'ai plus de mal à définir avec assurance ce que ce passage veut véhiculer. Si les percussions sont encore là, les petits coups de violons semblent, à mon goût, marquer le questionnement. A vrai dire, je pense que le passage de 1:21 à 1:22 est plutôt soudain, comme s'il voulait interpeller le joueur. Comme pour lui dire : "Au fait, tu réfléchis vraiment à ce que tu fais là ?". Et là encore, nous avons un thème plutôt récurrent de Shadow of the Colossus.
En effet, le jeu ne définit jamais les colosses comme des "méchants". A vrai dire, la plupart du temps, vous êtes clairement l'agresseur. Dans certains cas, vous devez même faire des pieds et des mains ne serait-ce que pour démarrer la confrontation et même après cela, certains d'entre eux ne cherchent jamais à vous attaquer, notamment Phalanx, le 13ème colosse. Beaucoup de joueurs ont ressenti de la peine au fur et à mesure du jeu, comme une impression d'avoir massacré de légendaires créatures au comportement paisible. Et c'est selon moi exactement ce que les créateurs voulaient que l'on ressente, ce qui transparaît dans les musiques de Kow Otani.
La récurrence des percussions et des cuivres dans Opened Way (et de façon plus générale dans presque tous les morceaux nous évoquant le combat) trouve sa source dans une longue tradition militaire. En effet, ces instruments à la portée impressionnante étaient des moyens de prédilection pour transmettre les ordres, galvaniser les troupes et... impressionner l'ennemi. C'est d'ailleurs grâce à un instrument à vent que Triton gagne la bataille contre les Titans dans la mythologie grecque, les faisant fuir à l'écoute du cri d'un "monstre imposant". Certes, les Colosses ont l'air moins froussards, mais il faut bien exprimer la détermination sans faille de Wanda qui le mène à commettre des actes barbares par amour.
La structure même du morceau, d'ailleurs, reste étrange. Le moment le plus épique se situe finalement à 0:37, puis s'ensuivent des moments de doutes, encore combatifs à 0:52, puis encore plus prononcés en s'approchant de la fin. A mon avis, cela démontre bien la volonté de pousser le joueur à remettre ses actions en question, ce qui s'avère diablement sournois quand on sait qu'il est impossible d'avancer dans le jeu sans les commettre. Sans aucun doute une nouvelle preuve de l'incroyable poésie qui se dégage de ce chef-d'oeuvre du jeu vidéo.