Comme chaque mercredi, retrouvez aujourd'hui In Game, votre chronique qui s'attarde sur une séquence ou une scène d'un jeu afin d'en expliquer les ressorts, qu'ils concernent sa narration ou ses mécaniques. Pour ce septième numéro, nous nous attardons sur une séquence du dernier God of War sorti sur PlayStation 4.
Imprimer un rythme à la narration n'est pas chose aisée et la quasi intégralité des jeux optent pour un mélange de cinématiques et de gameplay pour faire progresser leur histoire. Pourtant, le dernier God of War s'est affranchi de cette scission en imbriquant ces deux éléments afin de fluidifier son propos. Une séquence en particulier illustre à merveille cet état de faits et nous allons ensemble la décortiquer pour essayer de comprendre en quoi elle fonctionne aussi bien.
Le dernier God of War est un épisode à part dans la saga pour deux raisons principales. Déjà, si on y retrouve bien Kratos, ce dernier est désormais père de famille et évolue dans l’univers de la mythologie nordique en lieu et place de la mythologie grecque. Ensuite, pour la première fois dans la série, et accessoirement dans le jeu vidéo, le jeu est réalisé en un seul plan séquence. Tout ceci contribue à faire de God of War un jeu unique qui, à travers une séquence bien particulière, met en avant l’ADN de la saga et l’envie de cet épisode d’aller de l’avant.
Alors, avant d’aller plus loin, on va revenir rapidement sur ce qu’est un plan séquence afin que vous compreniez son importance au sein d’un jeu et tout particulièrement dans le passage dont nous allons parlé dans quelques secondes. Le plan séquence est un plan réalisé sans coupes qui se déroule aussi bien dans plusieurs lieux distincts que dans un environnement unique et qui permet une plus grande immersion grâce à un réalisme accentué. Dans le cinéma, il y a quelques exemples très connus, de la Corde d’Hithcock au plan de 13 minutes de Snake Eyes en passant par Birdman même si dans chacun de ces cas, c’est davantage l’illusion d’un plan-séquence que de vrais plans séquence.
Bref, outre le fait de davantage pouvoir jouer sur le rythme, le plan séquence est un moyen parfait pour rentrer dans l’histoire, de vivre plus intensément un moment aux côtés des personnages ou une aventure toute entière dans le cas de God of War. Sachant que le scénario de cet épisode est plus intimiste, on comprend mieux ce choix au-delà de l’effort technique et du résultat impressionnant servant la mise en scène. Et justement, la séquence où Kratos retourne chez lui alors qu’Atreus est mourant, illustre à merveille tous les éléments d’un jeu vidéo réussi ici mis en exergue via le plan séquence. Emotion, action, intensité, renvoi au précédent épisode, tout est parfaitement orchestré dans ce long plan de plus d’une dizaine de minutes et constitue pour ma part l’une des séquences les plus maîtrisées que j'ai vu dans un jeu vidéo.
Bon alors déjà, il faut se rappeler qu’avec ce God of War, Sony Santa Monica a osé chambouler les habitudes des joueurs et qui plus est des fans, autant dans la narration que dans le gameplay, afin de faire de ce God of War aussi bien un remake (je voulais bien entendu ici parler de reboot et non remake) qu’une suite se situant dans la foulée de God of War III. Ainsi, l’un des éléments les plus iconiques de God of War reste les Lames du Chaos, l’arme principale de Kratos depuis le premier épisode, évoquant aussi bien son asservissement aux dieux que la puissance du spartiate. Les laisser de côté pour une hache représentait donc un premier défi pour les développeurs. En effet, pour faire accepter aux fans qu’ils allaient devoir manier une autre arme que celle qu’ils connaissent depuis 2005, il fallait que son maniement et l’impression de puissance soient exemplaires, ce qui sera finalement le cas. Du coup, la déception initiale laisse progressivement sa place au plaisir de manier cette arme. En gros, alors qu’on a fait le deuil des Lames du Chaos, intervient après une bonne dizaine d’heures de jeu, la séquence entre Freiya et Kratos qui à travers un rythme millimétré va progressivement faire naître chez le fan une émotion intense qui va aller crescendo durant toute la durée de la scène.
Celle-ci débute alors que Freiya précise à Kratos que pour sauver son fils, il va devoir se rendre à Hellheim, là où sa hache ne lui servira à rien. Il va donc lui falloir trouver autre chose. Ce moment précis est sans doute le plus important car si vous connaissez la saga, vous n’avez pas besoin d’attendre la réponse de Kratos, qui rajoute qu’il va devoir retourner chez lui déterrer un lointain passé, pour savoir de quoi il s’agit. D’ailleurs, si vous avez un doute, vous vous êtes sûrement rappelés à ce moment là un passage, au début du jeu, où Atreus rappelle à son père qu'il lui a toujours interdit de se cacher sous le plancher de leur maison. Ici on pourrait également évoquer le foreshadowing dont Aubin vous parlait dans sa chronique concernant Inside. En effet, sur le moment, la remarque peut paraître anodine d’autant qu’il y a urgence puisque le tout intervient juste avant l'affrontement contre Baldur. Cette interdiction qui semble presque superflue prend ici tout son sens et nous donne un indice de plus sur l’endroit où va se rendre Kratos et ce qu’il va y récupérer.
Alors, on a souvent tendance à dire que ce n’est pas la destination qui importe le plus mais le voyage sauf que la séquence dont on parle ici nous fait dire que l’un et l’autre sont parfois aussi précieux. Ainsi, alors que Kratos quitte Freiya, il prend sa barque pour retourner chez lui. Ce moment, où le joueur ne dirige plus le personnage permet à Cory Barlog, le réalisateur du jeu, de poser une ambiance représentant la gravité de la situation qui est ici symbolisée par la maladie d’Atreus et l’ambiance visuelle se dégradant à mesure que Kratos avance. Les éclairs zèbrent le ciel, les animaux s’enfuient et les couleurs chaudes cèdent leur place à des tons rougeâtres n’annonçant rien de bon. Et c’est à ce moment là que le jeu choisit, pour bien confirmer ce que nous présentons déjà depuis quelques minutes, de faire apparaître Athena. La présence de la déesse est aussi extrêmement importante pour deux raisons. Déjà, bien que le titre soit parsemé d’indices, son apparition confirme visuellement que cet épisode est bien directement intégré à la saga malgré le changement de lieu et de ton. Ca peut paraître évident aujourd'hui mais tout comme pour les lames du chaos, rappelons que Sony n’avait jamais vraiment officialisé la chose. Ensuite, ça indique clairement à travers un second dialogue plein de cynisme comment a évolué la relation entre Kratos et Athena. On peut y voir ici une sorte de rupture entre le passé et le présent du spartiate et donc de la saga. Tout ceci se fait progressivement via, notamment, la traversée en barque qui indique clairement au joueur, à travers ce que nous venons d’évoquer mais aussi des silences et la bande son, qu’on vit ici l’un des passages les plus forts du jeu.
Le fait de nous faire revenir là où a commencé l’aventure n’est pas non plus anodin. En effet, à travers une ambiance contrastant totalement avec celle du début, le titre appuie encore plus sur l’importance de ce moment, d’un point de vue scénaristique déjà mais aussi de la jouabilité. Le rythme comme je le disais précédemment est ici millimétré et chaque élément participe à faire croître l’attente chez le joueur. Par exemple, juste avant de pénétrer dans la cabane, on doit affronter plusieurs draugars. En soi, le combat n’a pas vraiment d’intérêt, d’autant que les ennemis sont faibles, mais il accentue à sa manière l’impatience chez le joueur afin que sa réaction n’en soit que plus intense quand il découvrira ce que Kratos vient chercher. Et ça fonctionne à merveille car une fois éliminé nos adversaires, on revient alors à un passage narratif où la mise en scène reprend ses droits et son temps afin de sacraliser ce moment où Kratos récupère bel et bien Les lames du chaos. Ceci se fait à travers la musique notamment mais aussi une confrontation verbale avec Athena.
La conclusion de la séquence est donc à la hauteur de ce que nous venons de vivre, de ce que les minutes qui ont précédé nous ont promis. D’ailleurs, à peine sorti de la cabane, le premier fight, contre des dizaines de mobs lambda, a une double utilité, celle, pragmatique, de familiariser les nouveaux venus avec les lames en leur faisant comprendre qu’elles sont complémentaires de la hache, et celle beaucoup plus basique, jouissive et nostalgique, offrant aux fans la possibilité de retrouver un gameplay qu’ils croyaient perdu et de laisser libre court à leur instinct primaire en usant de combos identiques à ceux des autres épisodes.
On voit donc ici que bien que le plan séquence ait parfois ses limites, notamment lors de dialogues, il a aussi cet avantage de mieux maitriser le rythme de la narration et de pouvoir parfois accentuer des émotions, comme ici l’envie… l’envie de découvrir ce qui va permettre à Kratos de sauver son fils, l’envie de retrouver des sensations d’antan. Et finalement le plus intéressant dans ce plan est de réussir en l’espace d’une poignée de minutes à conjuguer l’évolution de la narration en mixant passé et présent tout en la combinant parfaitement à celle du gameplay, ce qui constitue on le rappelle, deux des éléments fondamentaux d’un jeu bon vidéo.