Qui a eu l'idée folle de ressortir les vieux FPS des années '90 ? C'est Arkane, papa de la série Dishonored. Rien d'étonnant me direz-vous, ce titre maintes fois récompensé puisait ses origines dans un autre jeu de la fin du siècle dernier, Thief. Pour Prey, la firme est ainsi allée chercher dans une autre production signée Looking Glass Studios, le trop méconnu System Shock. Point de Tommy, ni de portails dans cette production qui porte pourtant bien le nom Prey - nous avons ici affaire à un "hybride FPS / RPG avec une grosse couche de simulation" selon Raphaël Colantonio, directeur créatif du Prey cuvée 2017. Un pari risqué quand on sait que ce type de jeux n'est pas des plus abordables et pourrait rebuter une génération de joueurs plus habituée à tirer qu'à lire. Ce coup de poker est-il gagnant ? C'est ce que nous allons découvrir à travers ce test.
Un palais flottant pour décor
Commençons par une petite mise en contexte. Dans l'univers de Prey, l'assassinat du Président Kennedy a été avorté et les Etats-Unis se sont alliés à la Russie pour conquérir l'espace. À notre réveil à bord de la station Talos 1, fleuron de l'aérospatial américano-russe, on se rend vite compte que ce bouleversement a également influé sur l'architecture et la mode. Ce bon JFK a ainsi imposé ses goûts et choix dans la culture, faisant du vaisseau qui servira de décor à notre aventure un extraordinaire palais flottant.
D'entrée, nous avons affaire à une direction artistique très riche et travaillée comme Arkane sait les faire. Assez proche de celle de Dishonored, celle-ci reprend ainsi les fameux visages émaciés, mais profite d'un design baroque, voire rococo, du plus bel effet. Un résultat remarquable qui permet de contrebalancer un peu le côté vieillissant du Cry Engine. Vous n'aurez certes aucun mal à pousser le jeu à fond sur des PC de gaming récents, mais il faut avouer que certains décors ne sont pas des plus ravissants, notamment sur consoles.
Nous incarnons Morgan Yu qui, après une rapide scène d'exposition qui n'est pas sans rappeler celle d'un certain Half-Life, verra sa destinée bouleversée. Des extra-terrestres ont envahi la station, décimant tous les employés sur leur passage. Dans ce repaire de créatures hostiles, notre héros (ou héroïne, le choix nous est laissé), doit se débrouiller pour trouver armes, munitions, kits de soin et tout l'attirail nécessaire pour survivre dans l'espace. À l'instar d'un Dead Space, le côté survie de Prey nous plonge en immersion presque immédiatement et seuls quelques temps de chargement un peu longs sur Xbox One et PlayStation 4 viendront briser cette tension palpable.
System Shock, sors de ce corps !
Vous vous en doutez, l'idée n'est pas uniquement de quitter la station sain et sauf, mais également d'en apprendre plus sur les raisons de cette catastrophe. On se retrouve ainsi étranger dans cet environnement dont les ornements dorés sont désormais tâchés de sang - une opposition qui marche particulièrement bien et confère au Talos 1 une ambiance très réussie. Pour en savoir plus sur votre passé et celui de la station, il vous faut ainsi passer au peigne fin les bureaux, ordinateurs et cadavres jonchant le sol à la recherche de logs audio ou de mails capables de nous guider. Bien sûr, la recette serait incomplète, sans le fameux compagnon mystérieux qui communique avec nous par radio.
Reprenant de manière évidente le combo survie / exploration très efficace des différents Shock, Prey s'assure ainsi de garder le joueur en haleine. On regrettera tout de même un petit manque de prise de risque de ce côté - la narration est efficace, mais finalement très proche de ce qui nous était proposé dans les titres signés Irrational Games. Ce n'est pourtant pas le cas du gameplay en lui-même qui a lui le mérite d'offrir un peu plus d'originalité.
Entre tradition et innovation
Plongé dans cette petite maison des horreurs spatiale, le joueur n'a d'autre choix que de dégainer les armes à feu pour abattre les créatures qui hantent la station. Clé à molette, pistolet, fusil à pompe, Rail Gun, les pétoires sont classiques et peu nombreuses, mais heureusement, les pouvoirs qui nous sont confiés au bout de quelques heures viennent compléter l'arsenal d'une fort belle manière. Que ce soit en prenant le contrôle des ennemis, en se transformant en tasse ou en déclenchant une tornade de feu, il y a toujours plusieurs manières de mettre à mal ces satanés Typhoons.
Mais il faut bien avouer que la liberté qui nous est offerte dans la manière d'utiliser ces pouvoirs est grisante. Notre personnage n'est jamais bloqué de manière arbitraire. S'il décide de prendre la forme d'un classeur pour passer dans une fente, rien ne pourra l'en empêcher. Même constat du côté de la seule arme vraiment innovante, le pistolet à GLOO. Cette arme permet d'immobiliser les ennemis, mais également de progresser en créant des sortes de chemins de Polyuréthane sur les murs. Une très bonne idée !
Pour ceux qui en douteraient, Prey ne joue pas la carte de l'horreur pure et dure. Il joue avec le sentiment d'angoisse créé par les capacités surnaturelles des ennemis, mais les jump scares sont finalement peu nombreux. Les vrais sursauts pourront venir du système de son qui, malgré quelques ratés, parvient aisément à vous mettre la pression lorsqu'un ennemi est proche.
Toujours dans cette optique d'avoir une grande originalité par composante de gameplay, Arkane offre une créature ennemie qui parvient à se détacher du reste, le Mimic. Cette sorte de Headcrab fantomatique a la capacité de se transformer en n'importe quel objet environnant. Autant vous dire que voir un pistolet au sol vous sauter à la gorge lorsque vous tentez de le ramasser a quelque chose d'effrayant. Pour le reste, nous restons sur des monstres assez classiques.
Notre Gaming Live après 10 heures de jeu
Satanés Cystoïdes !
Concernant la progression, on reste également sur un concept très proche de System Shock avec l'exploration des différentes couches de la station. On se rend à un point B pour ouvrir la porte qui nous bloquait pour atteindre le point A et ainsi de suite. Le résumé est grossier, mais en termes de Game Design, c'est plus ou moins le principe. Mais Arkane a tout de même tenu à apporter une petite originalité, comme elle le fait pour chacune des composantes de son titre. Cette originalité, c'est la 0G, pour gravité zéro.
Que ce soit en explorant l'extérieur de la station ou à travers certains de ses étages, notre personnage se mettra à flotter. Pour se déplacer, il faut donc doser les coups de jetpack avec parcimonie, tout en faisant attention aux Cystoïdes, un type d'ennemi particulièrement frustrant. Sans que l'on s'en aperçoive, ces petites créatures volantes vous foncent dessus par paquets et explosent littéralement votre barre de vie. Nous sommes donc bien plus mitigés pour ces phases 0G. Même si l'idée est bonne, il n'est pas évident de se repérer à l'extérieur de la station et ces satanés Cystoïdes génèrent beaucoup de frustration.
Mais la progression s'effectue également du côté de vos pouvoirs et de vos armes. Dans les deux cas, il faudra fouiller le Talos 1 pour trouver de quoi booster vos capacités : les kits d'amélioration pour les armes et les Neuromods pour les pouvoirs. Avec leur aiguille qui vient pénétrer l'oeil, ces derniers constituent une jolie trouvaille qui se retrouve par ailleurs au centre du scénario du titre. Au final, les arbres d'améliorations restent plutôt sommaires, mais fonctionnels.
Du choix à tous les étages
Côté Level Design, Arkane excelle et rend une copie particulièrement propre. En dehors de quelques phases un peu ennuyantes, l'ensemble fonctionne particulièrement bien. On alterne régulièrement entre de la traversée de couloir et de la verticalité, un joli mélange directement hérité de Dishonored. Comme Corvo, Morgan a ainsi le choix d'emprunter plusieurs chemins pour parvenir à un même but. Par le conduit là-haut ou en utilisant notre force boostée dans l'arbre de talent ? Même si dans les faits, cette liberté s'avère parfois un brin artificielle, la liberté est là.
Mais cette liberté, en plus d'être une composante directe du Level Design, se retrouve aussi dans le scénario. Nous parlions tout à l'heure d'un petit manège horrifique, et bien le joueur a le choix de quitter les rails pour suivre son propre chemin. À travers divers embranchements, il nous est ainsi possible de régler des situations de plusieurs manières différentes. Ici, pas de bon ou mauvais choix, Prey s'amuse à brouiller les pistes pour plonger un peu plus le joueur dans la folie qui l'entoure. Tout comme pour le Level Design, on regrettera toutefois que ces aiguillages ne soient pas mieux fondus dans les rails. Entre notre interlocuteur qui insiste lourdement sur le fait qu'il s'agit bien d'un choix décisif ("Vous êtes sûr que c'était le bon choix ?") et l'impact souvent un peu trop évident sur la fin du jeu, on a presque l'impression que cette liberté faisait partie d'un cahier des charges imposé.
Un scénario qui manque de génie
Pour l'ensemble des influences de Prey que nous avons évoquées dans ce test, le scénario et la manière dont il nous est présenté sont des composantes majeures. Arkane se devait donc de frapper très fort pour réussir à faire jeu égal avec les pointures dont il s'inspire. Dans un premier temps, l'aventure qui nous est contée va piocher dans des inspirations aussi étonnantes qu'intéressantes. Total Recall, mais surtout Truman Show, l'idée du complot qui s'étiole sous nos yeux est extrêmement intéressante et bien mise en scène. La symbiose entre le Level Design et le scénario lors de l'introduction est tout bonnement impressionnante.
Malheureusement, les premières heures et surprises passées, on retombe rapidement sur des retournements de situations plus classiques et attendus. Certaines péripéties trop simples viennent parfois faire retomber quelque peu l'intensité du jeu qui alterne ainsi entre des phases extrêmement prenantes et d'autres plus timides. Pour ce qui est du dénouement que nous garderons évidemment pour nous, les différentes fins disponibles ont une vraie influence sur notre expérience et c'est un véritable plus.
Encore une fois, et en dépit des quêtes secondaires sympathiques et souvent bien écrites, il nous a semblé que le tout manquait d'un soupçon de magie et d'innovation. Si Irrationnal Games pouvait compter sur un Ken Levine, maître conteur dont le talent n'est plus à prouver, ou Valve sur Marc Laidlaw et son équipe qui ont réussi à façonner le riche univers d'Half-Life, Arkane semble manquer de ce génie de la narration et de l'écriture. Comme pour beaucoup de parties de son jeu, l'ensemble est très solide, mais manque de cette petite pincée de malice pour faire entrer le tout au panthéon du jeu vidéo.
Points forts
- Une ambiance pesante et très maîtrisée
- Le mélange RPG / FPS qui fonctionne bien
- Un très bon Level Design
- Une aventure haletante
- Les pouvoirs extraterrestres grisants
- La liberté laissée au joueur dans le gameplay, mais aussi le scénario
Points faibles
- Graphiquement à la traîne
- Des phases 0G parfois frustrantes
- Un scénario et une narration qui manquent de génie
En s'attaquant à un style ayant donné naissance à des jeux cultes, Arkane misait gros, mais parvient finalement à livrer une bien belle œuvre. Parfois bon, souvent très bon, mais rarement excellent, Prey réussi à nous plonger dans une aventure envoutante qui manque toutefois de cette pincée de magie qui sépare les grandes productions des perles vidéoludiques. Le studio convainc toujours avec un gameplay très réussi, mais pêche un peu par le manque de prise de risque et d'innovation du côté du scénario et de la narration. Même dualité du côté graphique, l'ensemble a la chance de reposer sur une direction artistique sublime quelque peu entachée par un moteur vieillissant. L'ensemble reste solide et propose un paquet de bonnes idées qui tiendront en haleine les amateurs de virées spatiales. Une belle aventure que nous recommandons donc chaudement.