Pour certains, Microsoft l'a abandonné dès l’arrivée de la Xbox One. Pourtant, sur la seule période de septembre à décembre 2014, la console accueillit six titres exclusifs pensés pour Kinect. Entre l’annonce de la suppression de l’accessoire des cartons et celle expliquant qu’un adaptateur serait nécessaire au bon fonctionnement sur One X, plus de 3 années se sont écoulées sans que l’engin ne capte l’attention. Microsoft annonce aujourd’hui l’arrêt de production de cet oeil du tigre qui a collectionné les châtaignes. Sur sa tombe, une gerbe sera posée par les professionnels et développeurs indépendants, au milieu de celles, plus écoeurantes, des joueurs revanchards.
Malgré la sortie de rares titres en 2015 et l’arrivée du remarquable FRU en 2016, l'avenir de Kinect qui était déjà flou est scellé par son arrêt de production longuement pressenti. Il faut avouer que cela fait quelques années que Microsoft nous prépare à cette disparition, enchaînant les coups de pelle venus recouvrir petit à petit l’ancienne gloire des Xbox. En retirant le capteur des cartons Xbox One, Phil Spencer entame la chute de ce mauvais oeil qui perdra au fil des mois la reconnaissance des mouvements sur l’interface jusqu’à ne plus pouvoir être branché sans adaptateur sur les nouveaux modèles. Abandonné par les first comme les tiers, Kinect inonde les bacs des Cash Express où il propose ses services contre une trentaine d’euros.
La manette, c’est vous
Tout avait pourtant si bien commencé. Annoncée à l’E3 2009 sous le nom de code “Project Natal”, la caméra dans sa version Xbox 360 promettait la lune par l’intermédiaire d’un Peter Molyneux enthousiaste. Venu sur scène pour présenter le projet Milo, il dévoile un petit garçon virtuel qui semble comprendre ce qu’on lui dit et analyser nos expression faciales pour interagir en conséquence. Plus incroyable encore, le gamin arrive à reconnaître une forme dessinée sur un bout de papier par le joueur, dessin qui peut être envoyé dans le monde virtuel du garçon par un simple passage devant la caméra. Lorsque Kinect sort en novembre 2010, Milo n’existe plus, et c’est Kinect Adventures qui a pour mission de ne pas faire regretter l’achat de l’accessoire puisqu’il fait partie du bundle de base. Molyneux expliquera des années plus tard que Milo n’était pas une blague, mais que le downgrade de Kinect en vue de l’industrialisation de masse a été fatal aux projets ambitieux. L’absence d’un processeur dédié, la caméra 16-bit d’une résolution de 320x240 (30 images par seconde) et la caméra couleur d’une résolution de 640x480 (30 images par seconde) se sont révélées insuffisantes pour répondre à toutes les attentes des développeurs.
Le fric, c'est nous
Aidé par un lineup varié (avec entre autres Kinectimals, Your Shape, Kinect Sports, Dance Central) et la mode du motion gaming alors à son apogée, Kinect fait un départ canon. Il ne faut que 25 jours à l’accessoire pour s’arracher à 2,5 millions d’exemplaires. En février 2013, la firme de Redmond estime avoir vendu 24 millions de capteurs dans le monde. La technologie embarquée, faite par les israéliens de chez PrimeSense désormais aux mains d’Apple, combine hardware pur et reconnaissance logicielle. Même si l’accessoire ne n’est pas au niveau des promesses d’origine, il fonctionne suffisamment bien pour le public familial qu’il vise. De quoi mettre en confiance Microsoft qui après un tel succès va penser sa prochaine Xbox One comme étant indissociable du prochain Kinect, plus puissant technologiquement. L’idée est de se servir de cette version 2 pour faciliter la navigation dans les nombreuses fonctions multimédia prévues à l’origine sur Xbox One. En rendant Kinect obligatoire à l’expérience Xbox sans proposer de jeux dédiés marquants, Microsoft se met les hardcore gamers à dos. Pire, le capteur fait monter le prix de la console à 500 euros, 100 de plus que la rivale PlayStation 4. La suite de l’histoire, on la connaît : Microsoft revient sur la plupart de ses choix, nomme Phil Spencer à la tête de Xbox, et élimine des boîtes l’engin devenu trop encombrant. D4, le jeu d’aventure pensé par Swery pour Kinect, était de toute façon déjà annoncé comme étant jouable au pad.
Kinect, c'est leur cam
Et si la réelle utilité du capteur ne s’était pas forcément joué dans nos ludothèques mais chez les professionnels d'industries n'ayant parfois aucun lien avec le monde du jeu vidéo ? En mars 2013, Le Figaro écrivait que “Kinect pourrait révolutionner le monde professionnel” dans un article relatant l’arrivée du capteur pour Windows. À cette époque, David Dufour, alors responsable marketing de Xbox chez Microsoft France, affirmait que 300 entreprises travaillaient sur diverses utilisations commerciales, comme la LCL ou la SNCF. Dans le reste du monde, on compte plusieurs utilisations originales, comme Kinect Fusion qui transforme la caméra en scanner 3D, un traducteur de langage des signes, des applications dans le domaine chirurgical ou encore dans le prêt-à-porter. De nombreux projets relatifs à Kinect peuvent être visionnés sur le site de Channel 9, un groupe de développeurs au sein de Microsoft. Certains projets sont particulièrement mis en avant par la firme, comme le projet “Nurse Avatar” datant de 2015, qui met Kinect au service du secteur en pleine expension de la télémédecine. Allié aux outils existants, Kinect peut également s’avérer être d’une aide précieuse pour les développeurs indépendants de jeux vidéo. Couplé à un capteur de Microsoft (entre autres possibilités), le logiciel iPi Motion Capture capture par exemple les animations d’un acteur qui peuvent ensuite être exportées en format .bvh, lisible par à peu près n'importe quel logiciel de 3D. La caméra de Microsoft peut également être utilisée pour gérer de l’animation faciale. Cependant, et malgré la multitude de projets développés, force est de constater aujourd’hui que Kinect est loin de se retrouver dans notre vie de tous les jours. Du côté de la SNCF, la caméra équipe le robot-poubelle B.A.R.Y.L qui fait actuellement la tournée des gares. Si vous n’avez pas encore jeté votre Kinect à la poubelle, alors c’est la poubelle dirigée par Kinect qui viendra à vous.
Oui, Kinect a connu plus de propositions dans le monde professionnel que dans celui du jeu vidéo. De l’application totalement dispensable qui échoue dans le Kinect Fun Labs au développement médical, l’accessoire de Microsoft n’a pas su capter les joueurs sur la durée mais a intéressé les départements R&D. Ce descendant du Xbox Live Vision prouve que Microsoft a de la suite dans les idées, quand bien même le géant américain rencontrerait toutes les peines du monde à les appliquer. Malgré cette mort clinique, l’âme du petit capteur continue de vivre au sein du casque Hololens, nouvelle lubie de son géniteur Alex Kipman.