Hier, nous fêtions les 20 ans de la série Metal Slug, petit bijou d'arcade qui a pourtant vu le jour sur une console de salon. Enfin, pas uniquement. Eh oui, l'histoire de ce run-and-gun est aussi complexe que passionnante, c'est pourquoi nous vous proposons aujourd'hui de revenir sur l'histoire et les origines de ce monument du jeu vidéo.
Fous d'Irem
Et pour parler correctement de Metal Slug, il faut remonter aux origines du monde. Enfin, ne nous emballons pas trop : limitons nous aux origines du jeu vidéo moderne. Ce qui nous ramène donc en 1974 ; alors que les yeux du monde entier sont tournés vers les Etats-Unis, qui n'ont pas fini de se faire botter les miches au Vietnam, une petite société se monte à Hakusan, dans la préfecture d'Ishikawa, au Japon. Le pays s'est relevé depuis une dizaine d'année des affres de la Seconde Guerre Mondiale, et son industrie va bien. Très bien même. Le jeu vidéo fait partie de ces business qui montent doucement, et c'est justement sur ce terrain-là qu'Irem Corporation s'engage. Alors baptisé IPM, pour International Playing Machine, la petite entreprise ne connaît pas encore la crise : elle produit des bornes d'arcade (la partie hardware), qu'elle revend ensuite aux éditeurs qui les utilisent pour mettre leurs jeux (la partie software) en valeur dans les salles du monde entier. Enfin, c'est là toute l'ambition d'IPM, qui va vite ajouter une corde à son arc.
En 1978, IPM lance son premier jeu maison, nommé IPM Invader. Sans surprise et comme c'est monnaie courante à l'époque, le jeu est un clone bête et méchant du grand succès du moment : Space Invader. Petite particularité, IPM Invader est en couleurs, et surtout au bout de trois vagues d'ennemis, le jeu imposait au joueur une « pause café » : un mug apparaît alors à l'écran et se remplit d'ennemis. Le titre connaît un succès modéré mais donne des idées à IPM, qui en 1979 se renomme Irem Corporation. Signifiant à l'origine Internation Rental Electronic Machines, le sigle prend ensuite le sens de Innovation in Recreational Electronical Media », quelques années plus tard. L'entreprise vise en effet l'international, cherche le succès. Et y parvient petit à petit. En 1982, la petite équipe lance Moon Patrol, un shoot'em up en scrolling horizontal qui impressionne son petit monde grâce à ses graphismes. Ne riez pas, ça fait mesquin : le jeu simule plutôt bien une perspective de mouvements en superposant différents calques, animés à des vitesses différentes. Pour l'époque, c'est bluffant. Et le succès est tel que les téléphones vont vite chauffer à Hakusan : Irem vend les droits d'exploitation de Moon Patrol à Williams Electronic, et le jeu débarquera vite sur Apple II, Commodore 64, DOS, MSX, Atari 2600...
En 1987, Irem refait parler de lui avec un nouveau jeu qui va faire beaucoup de bruit : R-Type. Le jeu séduit par sa nervosité autant que par sa difficulté. Carton plein pour Irem, qui s'impose dans le petit monde des shooters. R-Type devient une référence, et est copié à volonté. On ne compte plus les jeux qui s'en inspirent : Katakis (Factor-5), Xexex (Konami)... Mais malgré ce succès, la société commence à battre de l'aile. C'est le début d'une longue descente aux enfers.
Le grand frère inconnu
En 1983, le krash du jeu vidéo, qui a considérablement bouleversé l'industrie, n'a pas épargné non plus les grands noms des salles d'arcade ; on vous laisse imaginer ce qu'il pouvait en être d'Irem. Si la société a tenu bon pendant un certain moment, elle n'a en revanche rien pu faire contre la montée en puissance des consoles de salon, comme la Famicom de Nintendo. Plus connue chez nous sous le nom de NES (Nintendo Electronic System), ou Nintendo par antonomase, la machine s'impose dans de nombreux foyers, et avec ses petites copines détournent les joueurs des salles d'arcade. Irem a beau gonfler le torse et adopter un dragon pour logo, un symbole de réussite au Japon, la vérité c'est que la société se porte mal. Elle continue néanmoins de développer des jeux vidéo, s'attaquant notamment aux consoles de salon. Parmi les titres concernés, on trouve en 1992 un jeu aujourd'hui trop oublié, mais qui a son importance dans l'histoire qui nous concerne présentement. Ce titre, c'est GunForce : Battle Fire Engulfed Terror Island, que l'on nommera GunForce par commodité. D'abord développé pour arcade en 1991, le titre est porté en 1992 sur Super Famicom, puis sur Super Nintendo... Mais uniquement en Amérique du Nord. Si le titre est assez peu connu aujourd'hui, il porte en son sein toutes les bases de Metal Slug : il s'agit d'un shooter type run-and-gun, à l'action frénétique. Parachuté sur une île, le joueur (et un ami, puisqu'il était possible de semer la mort à deux) doit éliminer toutes les bidasses ennemies qui croisent son chemin ; les bougres sont parfois planqués derrière d'épaisses forteresses, ou sont placés au volant de véhicules blindés, volants ou terrestres. Il est possible de ramasser sur le terrain une nouvelle arme, dont les munitions sont limitées. Et surtout, le jeu est porté par une bande-son hyper efficace, très punchy, évoquant les films d'action des années 80. Le jeu ne fera pourtant pas beaucoup d'amateurs, ce qui n'empêchera pas Irem de produire une suite, GunForce II, qui cette fois ne sortira que sur arcade.
Ce deuxième titre a ceci d'intéressant que son style graphisme se détache nettement du premier épisode. À tel point que nombre d'assets pourront être ensuite retrouvés dans Metal Slug, un jeu autrement plus chaleureux que le premier GunForce. Cette comparaison n'est pas innocente : GunForce, et surtout GunForce II, sont les papas de Metal Slug.
Irem / Nazca, la rupture
GunForce II sera le dernier jeu arcade d'Irem Corporation. Dans la panade depuis trop longtemps, la société met finalement les deux genoux à terre. Avant qu'elle ne ferme en 1994, un groupe de développeurs se rassemble et fonde, sous l'égide de Kazuma Kujo un nouveau studio, baptisé Nazca. Les hommes se connaissent puisqu'ils ont travaillé ensemble sur différents titres d'Irem, comme In The Hunt ou GunForce II. Nous, en revanche, nous ne les connaîtrons probablement jamais, sinon sous leurs pseudos : Akio, MeHeer, Kawai, Susumu, Tomo, Seeker, Hamachan, Max-D... Impossible de connaître leur identité, et Kujo s'en explique :
Oui, je me rappelle d'eux. À l'époque, les entreprises japonaises qui faisaient du jeu vidéo étaient très cloisonnées, et dévoiler les vrais noms des développeurs était interdit. Par conséquent, nous utilisions nos pseudos.
Ce travail dans l'ombre, il se poursuivra jusque chez Nazca : officiellement, Kujo n'a jamais travaillé pour ce studio, même s'il concède avoir supervisé la création du studio, et celle de leur premier bébé.
Metal Slug, naissance d'une légende du run-and-gun
Pourtant, il n'est pas né, le gamin. Si les petits gars ont des idées plein les cartons et qu'ils ont clairement un style de prédilection, créer un nouveau shoot'em up est un travail de longue haleine, exigeant précision et minutie. Ainsi, à ses premières esquisses, Metal Slug était un shooter mettant le joueur aux contrôle d'un sous-marin ! Enfin... presque.
Le fait de créer un jeu de shoot avait déjà été décidé, mais dans le même temps, j'avais décidé de créer un jeu qui permettait à deux joueurs de s'amuser ensemble. Cependant, je n'aimais pas dans ces jeux de shoot le défilement forcé de l'écran, où ce dernier continue d'avancer même si un joueur se trouve en dehors. Egalement, puisque tous les jeux de ce genre se déroulaient dans l'espace, je voulais faire quelque chose de différent. Pendant un long moment, je n'ai pas eu plus d'idées que ça. Pendant un mois, j'ai l'habitude de me faufiler en dehors du bureau, pour mieux réfléchir. Un jour, je roupillais sur un banc, à proximité d'une fontaine, et en entendant le son de l'eau, je me suis dit « De l'eau... comme un sous-marin ! ». Et c'est comme ça que j'ai décidé de faire un jeu mettant en scène un sous-marin.
Mais si vous connaissez Metal Slug, vous savez que le véhicule principal du jeu n'est pas franchement amateur de trempette improvisée. « Metal Slug », c'est le petit surnom du tank que peut contrôler régulièrement le héros, dont la forme rondelette évoque la carapace d'un escargot. Cette idée de sous-marin sera finalement utilisée pour In The Hunt, mais l'idée d'utiliser un véhicule un peu différent est conservé, et gardée au chaud, pour un potentiel futur titre...
Sauf qu'entre temps, le studio a développé GunForce 2. Kujo et ses troupes comprennent les possibilités qu'offre l'utilisation d'un personnage humain. Dans GunForce 2, comme dans le premier titre, le soldat que l'on incarne peut se déplacer librement à gauche, à droite, en bas et en haut, mais peut également récupérer de nouvelles armes, piloter des véhicules... Les possibilités sont infinies, ce qui permet de créer un jeu avec un gameplay original et pas répétitif pour un sou.
À l'origine, le véhicule de combat était la seule chose que le joueur pouvait contrôler. Cependant, après quelques phases de test, les retours des joueurs n'étaient pas très bons. Alors, nous avons modifié le jeu, pour que les soldats soient les personnages principaux.
Ainsi, le petit tank rondouillard laisse la place à un combattant aux cheveux blonds bien distinctifs, aux animations soignées. Un rendu visuel stupéfiant, tant aux niveaux des personnages que des décors, ou encore des effets visuels. Lorsque Metal Slug sort enfin, le 18 avril 1996, c'est sur Neo-Geo, la première console de salon de SNK. Cette console, aujourd'hui connue sous le nom de « Rolls-Royce des consoles » est aussi chère que puissante : le marketing de SNK se base d'ailleurs largement sur ce détail technique. En fait, la Neo-Geo AES (pour Advanced Entertainement System) est la version miniaturisée de la Neo-Geo MVS, la dernière borne d'arcade du géant japonais. Les deux consoles partagent une ludothèque commune et SNK communique très largement sur le prix de son monstre domesticable, avec un slogan particulièrement éloquent : « Rapportez chez vous de beaux jeux ! ». La puissance de l'arcade, à la maison, c'est possible, mais à un prix. Cela, Nazca s'en moque bien et se lâche sur Metal Slug. Le titre est magnifique, en plus d'être un jeu tout bonnement génial.
Nous ne sommes pas ici pour en faire un test, mais nous ne pouvons que chaudement vous recommander de le découvrir, d'autant qu'il existe moult versions de Metal Slug, sur de nombreux supports. Un titre à découvrir seul ou entre amis, et le plus vite possible, d'autant que l'expérience est aussi brève qu'intense. Allez, ouste, filez, et bon jeu. Joyeux anniversaire à toi, Metal Slug !