"À la recherche de..." est un format vous présentant les entrailles d'un jeu annulé ou repris à zéro. À travers diverses vidéos, images et interviews, nous essayons de donner un visage au dur labeur de studios n'ayant pas pu terminer leurs œuvres. Project Titan, The Getaway 3, Prey 2, Silent Hill, Half-Life Dreamcast, StarFox 2, la liste est longue et nombre d'entre eux méritent qu'on leur rende un hommage.
Si vous souhaitez par ailleurs que nous revenions sur un jeu précis, n'hésitez pas à le faire savoir dans les commentaires !
Considéré par beaucoup comme un art à part entière, le jeu vidéo prend souvent une toute autre dimension lorsqu’un créateur se penche sur un projet. Les noms sont multiples, mais nous pouvons par exemple citer Michel Ancel, Hideo Kojima, Shigeru Miyamoto ou Tim Schafer, qui restent bien souvent des patronymes synonymes de qualité. Bien entendu, ce point et bien d’autres s’appliquent également au cinéma qui est certainement le plus proche cousin de notre média vidéoludique. Ces deux milieux sont donc susceptibles de se mélanger et lorsque l’un des plus fiers représentants des salles obscures vient nous rendre visite, il y a de quoi s’attendre à quelque chose d’époustouflant. Nous parlons ici de Steven Spielberg et de son fameux périple au sein de l’industrie du jeu vidéo dont nous avons surtout retenu Boom Blox et pourtant… Une perle finalement assez peu connue était également en développement durant de longues années. Préparez les mouchoirs, nous partons à la recherche de LMNO !
Quand Steven Spielberg se présente, Electronic Arts s'incline
Depuis déjà de nombreuses années, les cinéastes viennent parfois nous rendre visite, comme pour nous faire un coucou et changer un peu d’air. La qualité de leurs apports reste cependant variable, allant des créations étranges comme le fameux Takeshi’s Challenge de monsieur Kitano, à quelques très bons titres, à l’image des productions de Lucas et Spielberg. Fiers représentants du Nouvel Hollywood, les deux hommes ont réussi à se tirer sans encombre de cet exercice, l’un avec LucasArt et l’autre en réalisant le très correct Medal of Honor : Débarquement Allié. Mais le papa d’E.T ne s’est pas arrêté là. Sûrement galvanisé par cette jolie première, l’homme accepte le rappel d’Electronic Arts survenu dans le courant de l’année 2005 lui proposant un cachet juteux et une grande liberté pour la création de trois nouvelles licences. La presse apprend la nouvelle le 14 octobre, Spielberg travaillera sur le concept, l’histoire et le design de ses futurs titres avec une équipe dirigée par un prodige à Los Angeles.
Ce que nous essayons de faire est de répondre à la question sur laquelle notre compagnie a été fondée, à savoir "Est-ce qu’un jeu vidéo peut vous faire pleurer ?". L’une des façons qui nous permettra de faire cela est de nous associer à un génial conteur d’histoire comme Steven. – Neil Young, dirigeant de l’équipe d’EA Los Angeles
Fin 2005, la petite équipe conduite par Neil Young (il s’agit bien évidemment d’un homonyme) et orchestrée par Steven Spielberg commence alors ses travaux. Les concepts ne coulent pas de source, mais une première idée finit par être sélectionnée et nommée. Il s’agit de LMNO, un jeu d’action aventure plutôt particulier qui est tout d’abord mis de côté, le personnel à disposition n’étant tout simplement pas assez important pour un projet de cette envergure. Ces quatre lettres sont bien évidemment un nom de code en attendant un véritable titre reflétant mieux l'identité finale du jeu.
Tout ce petit monde se met donc d’accord pour partir sur une idée plus modeste prenant la forme d’un Puzzle-Game pour l’instant baptisée PQRS. La première équipe entame donc son travail sur ce qui deviendra petit à petit Boom Blox, le titre que personne n’attendait de la part du cinéaste, mais qui restera dans les mémoires comme une bonne surprise. En parallèle, Young s’attèle à la mise en place de la seconde Spielberg Team pour démarrer la production de LMNO, un projet bien plus ambitieux. Electronic Arts n’y va pas de main morte pour satisfaire môsieur Spielberg puisqu’un certain Doug Church a été recruté pour prendre la tête de cette production gardée très secrète. Ce nom ne vous dit peut être rien, mais il s’agit d’un designer de jeux vidéo aussi réputé que respecté ayant beaucoup apporté à des séries cultes telles qu’Ultima Underworld, System Shock en encore Thief.
Young va donc entourer ce petit génie de développeurs talentueux, sélectionnés au compte-goutte dans les locaux volontairement silencieux d’EA Blueprint, la branche dédiée aux expérimentations de la firme. C’est donc cette équipe qui se lance au début de l’année 2006 dans la grande aventure LMNO, imaginé comme un jeu mélangeant action, aventure et émotion pour PC, PlayStation 3 et Xbox 360. Les premiers documents de design sont écrits, repris, modifiés et le projet avance ainsi très lentement. Les réunions reprennent toujours le même format, les développeurs guidés par Young et Church évoquent leurs idées et Steven Spielberg donne son avis : « Je trouve le style de ce personnage assez anodin, il faudrait modifier ça » ou encore « J’aimerais vraiment que l’on rende la relation entre les deux protagonistes plus forte ». Malheureusement, le cinéaste a un emploi du temps très chargé et s’occupe à ce moment-là d’Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Conséquences, les réunions sont parfois plutôt fréquentes, parfois plutôt rares et le projet en pâtit forcément.
Steven Spielberg était super bon pour mettre en lumière certaines choses. Si un personnage paraissait un peu bizarre ou étrange ou quelque chose comme ça, il disait des trucs du genre "Non, il suffit juste de modifier son sourire pour faire apparaitre deux dents et de faire faire ce mouvement à ses yeux" et on était comme "Wow, il a raison. C’est dingue." Les choses de ce genre étaient vraiment sympas. – L’un des développeurs de LMNO
Le bébé a du mal à faire ses premiers pas, mais au fur et à mesure, notre petite troupe réussit à lui donner de la substance, des personnages charismatiques, un scénario audacieux et un véritable gameplay. Prenez une vue à la première personne, un peu de science-fiction, de l’action explosive, beaucoup d’émotion et du Parkour, mélangez bien et vous obtenez LMNO. Les premiers prototypes de ce cocktail détonnant sont ainsi réalisés, tandis qu’à l’autre bout du monde, en Suède, un autre studio d’Electronic Arts prépare un certain Mirror’s Edge. Toute la troupe de Los Angeles reçoit les premières bribes de gameplay de ce projet signé DICE et, problème, le résultat est assez proche de celui de LMNO. Même si les scénarii restent relativement distincts, les mécaniques de déplacement inspirées du Parkour et l’utilisation de l’Unreal Engine 3 se retrouvent dans les deux productions. Il y a clairement conflit et chacun a un grand avantage à mettre en avant : si l’équipe dirigée par Neil Young compte un certain Steven Spielberg dans ses rangs, DICE est considéré par EA comme la nouvelle perle qu’il ne faut pas négliger…
Je me rappelle avoir reçu une très, très, très jeune version de Mirror’s Edge. Ils avaient les bases de la course, du saut et de la mécanique de wall-running et c’était vraiment cool, même à ce niveau du développement… Mais il y avait cette impression que les deux équipes se battaient pour avoir le plus d’argent pour la production. – L’un des développeurs de LMNO
La tension est donc palpable au sein des deux studios, même si la bataille semble tourner à l’avantage de Los Angeles qui a le grand Steven Spielberg pour faire-valoir. Pour montrer patte-blanche et apaiser la situation, l’équipe va même proposer à DICE de mettre en commun leur code, une idée qui sera plutôt mal reçue. Finalement, les grands patrons d’EA prennent la décision de laisser ces deux étoiles montantes continuer chacune de leur côté, chacune sur leur lancée. Il y a cependant un autre problème qui se profile à l’horizon, la lenteur du développement. Nous sommes en 2007 et il n’y a pour l’instant pas grand-chose à montrer. Heureusement pour l’équipe de Los Angeles, notre bon Neil Young est particulièrement bien vu par la direction d’Electronic Arts, certains le considèrent même comme l’enfant chéri. Mais afin d’éviter de provoquer l’impatience des supérieurs, la création d’un prototype destiné à permettre une présentation poussée de ce que renferme ce LMNO est lancée. Le travail commence alors et une partie du level-design est même confiée au studio français Arkane qui va réaliser un bien joli mélange entre un style moderne et celui des années ’50. Enfin, comme pour presser un peu les choses, un premier trailer est diffusé arborant la mention "Spielberg | Electronic Arts | 2008". Il est temps de passer à la vitesse supérieure !
Un scénario à la Spielberg
Pour LMNO, la bande du studio de Los Angles s’est lancée dans un scénario digne d’un film hollywoodien. Il faut dire qu’un certain Steven Spielberg est de la partie et a ramené avec lui tout son savoir-faire pour tenir le joueur en haleine. L’aventure commence avec un personnage humain du nom de Lincoln qui pénètre dans une base militaire inspirée de l’Area 51 afin de libérer une femme nommée Eve. Notre héros réalise qu’il s’agit d’une extraterrestre lorsqu’il aperçoit la forme de son crâne et ses articulations supplémentaires dans les jambes lui permettant d’effectuer des sauts incroyables. Les deux protagonistes s’enfuient en se déplaçant de building en building poursuivis par le FBI et d’autres services bien décidés à récupérer leur Alien.
Vous essayez donc de vous fondre dans la masse, Eve met une capuche pour cacher son crane disproportionné et vous partez en quête de réponses. Bien sûr, les services secrets auront vite fait de retrouver votre trace auquel cas vous serez contraints de prendre la fuite quand cela est possible ou bien de vous défendre avec vos poings ou des armes à feu. Imaginez des hélicoptères et des camions blindés débarquant alors que vous êtes tranquillement en train de boire un verre incognito dans un bar, à vous de décider de la meilleure solution pour vous en tirer. Mais votre partenaire n’est pas inutile, bien au contraire, elle se bat en tirant parti de son incroyable agilité et possède une capacité tout à fait extraordinaire qui vous aidera tout au long de votre aventure. Eve est pourvue de pouvoirs psychiques qui lui permettent de déplacer des objets ou de communiquer par la pensée.
Au fur et à mesure de votre avancée, vous obtiendrez de plus en plus de témoignages de personnes qui en savent bien plus que vous sur l’origine de votre nouvelle amie. Premier retournement de situation, Eve n’est pas une extraterrestre, mais une humaine venue de 10.000 ans dans le futur en voyageant à travers le temps !
Le propos, c'était que les humains de 10.000 ans dans le futur seraient comme des aliens pour nous et que nous pourrions être des aliens pour les gens du passé. Qu’est-ce que cela peut bien représenter pour le futur de notre espèce ? – L’un des développeurs de LMNO
Après de multiples altercations avec les autorités, votre périple qui vous aura emmené jusqu’à San Francisco touchera alors à son terme avec plusieurs issues possibles. Parmi celles-ci il y avait deux "mauvaises fins", la première aurait été de rendre Eve au gouvernement, afin de sauver votre peau et la seconde serait venue d’Eve. Votre partenaire aurait pu vous trahir en vous livrant au FBI afin de se sauver, triste conclusion. De quoi dépend chaque fin ? Tout simplement du traitement que vous aurez réservé à Eve, un système d’émotion ingénieux qui s’inspire de celui des Sims.
https://www.youtube.com/watch?v=zT35UsSYqS8Un gameplay riche en émotions
Elle a beau être une Alien ou presque, il faut faire attention à la manière dont vous traitez Eve qui possède un système d’émotion complexe. En lui offrant de quoi se soigner ou même un bouquet de fleurs, celle-ci se montrera beaucoup plus docile et prête à vous aider, alors que dans le cas contraire, elle se contentera de rester très individualiste. L’un des développeurs explique également que le combat était très impacté par cette relation avec la dynamique de « Qui prend les devants ? ». Si votre tendance est plutôt de foncer dans le tas, ouvrir les portes, aller par ci ou par-là, sans consulter qui que ce soit, alors Eve préférera rester en retrait la plupart du temps en prenant le moins de décisions possibles. En revanche, si elle remarque votre lenteur pour réagir ou vos erreurs sur le champ de bataille, alors ce sera le contraire puisqu’elle prendra les devants et n’hésitera pas à vous sermonner si vous ne lui apportez pas votre aide.
Le but de LMNO était en fait de prendre toute l’intelligence artificielle qui aurait sa place dans un titre des Sims et la compresser dans un seul personnage qui aurait pu apprendre, se souvenir et changer votre manière de jouer au jeu à la volée, et ce sans que ce soit totalement scripté. – L’un des développeurs de LMNO
Si vous souhaitez éviter les combats, il y a toujours la solution pacifiste avec la fameuse composante de gameplay inspirée du Parkour. Pour avoir une bonne idée de la chose, il suffit de regarder la façon dont se déplace Faith dans Mirror’s Edge : la jungle urbaine devient un immense terrain de jeu. On saute de toit en toit, on s’agrippe, on glisse, on marche sur les murs, on grimpe, on effectue des roulades, bref l’action y est intense et tout va très vite. Comme nous l’avons vu précédemment, LMNO partageait beaucoup de mécaniques similaires comme l’apparition des jambes et des bras du héros lorsqu’il monte le long d’une poutre ou lors d’une glissade sur une toiture. Mais contrairement au titre de DICE il ne s’agit pas d’un simple jeu d’action / plateforme et de nombreux temps morts viendront ponctuer votre aventure.
Lorsque le FBI n’est pas à vos trousses, le jeu prend une toute autre forme avec des phases que les développeurs imaginent comme des mini-séquences de RPG. Lincoln doit aller se renseigner auprès de certaines personnes afin d’essayer d’en savoir plus sur toute cette histoire, la fameuse origine d’Eve et où aller pour échapper aux autorités. À la manière d’un Gordon Freeman, notre héros ne prononce pas un mot et vos interlocuteurs se seraient contentés ainsi de faire la conversation tout seul avec des phrases telles que « Ah c’est vous ! Il faut que vous sachiez qu’Eve n’est en réalité pas une extraterrestre, mais une humaine venue du futur ! ». Toujours dans cet ordre d’idée, Lincoln aurait communiqué avec Eve par le biais de la gestuelle pour lui donner des ordres ou l’avertir du danger. Terminons avec le visage de notre amie du futur dont les designers ont volontairement grossi les traits, ce qui lui confère un côté presque cartoonesque. Cela permet aux expressions faciales d’être parfaitement comprises par tous les joueurs qui peuvent ainsi mieux gérer cette relation décisive pour la fin de l’histoire.
Autre point important pour lequel se sont battus les anciens de Looking Glass Studios que sont Doug Church et Randy Smith, la durée de vie de LMNO était prévue pour être étonnamment courte. Les deux hommes ont en effet milité pour faire en sorte que le titre ne dure que deux ou trois heures, mais qu’il puisse être rejoué des dizaines de fois sans qu’aucune partie ne se ressemble. Et même si cette idée est restée très controversée durant toute la durée du développement, l’équipe avait même pensé à une possibilité de partager en ligne la tournure qu’aurait prise chacune de vos aventures afin de vous pousser à relancer le jeu. Mais en dehors de cette petite composante online, le titre d’EA Los Angeles ne comprenait pas de mode multijoueur, un autre aspect qui était loin de plaire aux grands patrons de la compagnie…
Pourquoi a-t-il disparu ?
Nous arrivons au début de l’année 2008 et les développeurs enchaînent les prototypes présentant telle ou telle fonctionnalité. Malheureusement pour eux, Electronic Arts possède des codes de présentation très stricts : ils veulent une démo de 2 à 3 minutes maximum démontrant toutes les bonnes idées du jeu. C’est ce que l’on appelle dans l’industrie une Vertical Slice ou X Slice, mais la plupart des entreprises laissent un peu plus de temps de démonstration. Dans le cas de LMNO, réussir à mettre en valeur chacune des grandes fonctionnalités s’avère être un immense casse-tête, ne serait-ce que pour le système d’émotions qui mériterait une trentaine de minutes à lui tout seul. Au final, c’est un niveau offrant une durée de vie de trois quart d’heure qui est présentée en tout juste 180 secondes…
La méthodologie d’EA ruinait toujours tout. Dans le cas du Parrain, cela a fait criser plus de 200 personnes. Dans notre cas, nous avions ce niveau qui était supposé durer deux ou trois minutes, mais vous pouviez en réalité y jouer pendant 45. Vous pouviez y jouer pendant un bon moment et faire plein de trucs différents. La difficulté que nous avons rencontrée était d’essayer de rassembler tous ces systèmes dans un truc du genre "Voilà cinq minutes de jeu qui sont représentatives". Quand vous avez tant de choses, c’est dur de dire "Ca c’est représentatif". – L’un des développeurs de LMNO
Tandis que les talents de chez Arkane peaufinent le level-design du titre, une nouvelle va venir bouleverser tout ce petit monde, Neil Young va quitter l’entreprise pour fonder ngmoco en juillet. C’est un coup dur pour l’équipe qui était jusqu’à lors protégée par la présence du Golden Boy d’EA et qui entend désormais certains bruits de couloir s’intensifier. « Qu’est-ce qu’ils font ? Ça fait deux ans qu’ils bossent sur le projet et il n’y a que ces quelques prototypes rudimentaires… » - voilà ce que pensent la plupart des personnes qui ne sont pas directement impliquées dans LMNO. Rapidement, le couperet tombe. En octobre 2008 les hautes instances d’Electronic Arts congédient la majorité du staff et stoppent la collaboration avec Arkane Studios. Les développeurs expliquent cette fin prématurée par les trop grandes ambitions du titre : nouveau système de déplacement, nouveau système d’émotion, rejouabilité repensée, tout ce qu’il faut pour rendre la tâche complexe. Mais en réalité, du côté de la direction, c’est surtout la durée de vie faiblarde qui inquiète, sans oublier l’absence remarquée de mode multijoueur.
On peut le tester ? – Non
Non, ce serait trop beau. Comme nous l’avons vu, le projet n’a connu que quelques prototypes plus ou moins connectés qui ne seraient sûrement pas très intéressants. Il reste en revanche la fameuse Vertical Slice de 45 minutes dont est tiré l’unique screenshot in-game que nos yeux peuvent admirer, mais celle-ci doit être conservée sur quelques très précieux disques durs reposant bien au chaud dans les locaux d’Arkane et Electronic Arts.
La plupart des personnes liées au projet contactées durant l'écriture de cet article ont expliqué qu’elles ne pouvaient malheureusement rien dire au sujet de LMNO en raison d’un contrat de non-divulgation. Il semblerait donc que même sept années après la fin du développement, les détails entourant ce titre restent particulièrement sensibles. Si en temps normal, voir une démo fuiter reste quelque chose de rare, alors dans le cas d’un jeu annulé de la grande compagnie qu’est Electronic Arts, cela relèverait du miracle. La seule chose qu’il nous reste donc de cette production très ambitieuse est cette jolie histoire et les maigres visuels disponibles.
Epilogue – Redécoller pour mieux chuter
En réalité, si les responsables du studio de Los Angeles ont mis au placard la forme actuelle du jeu, une dizaine d’employés a tout de même été conservée afin d’essayer de tirer quelque chose de ces deux ans et demi de travail. Comme pour rappeler l’espoir et l’intérêt que portent les dirigeants à ce projet, un certain "Project Camacho" qui aurait dû être un mélange entre RTS et FPS dans l’univers de Command & Conquer Generals est même annulé au profit de LMNO.
Le travail reprend, mais sans Doug Church qui quitte à son tour le navire au début de l’année 2009. Une nouvelle direction est trouvée pour le titre qui se voit au passage gratifié d’un véritable nom, "The Escape Artist". Les personnages de Lincoln et Eve sont toujours sur le devant de la scène, mais cette fois-ci dans un format bien plus conventionnel qui aurait dû permettre à EA de concurrencer Uncharted. Notre héros devenait ainsi une sorte de Nathan Drake et Eve sa sidekick sexy dans une aventure bien plus riche en action et combat qu’en émotions.
C’était censé être la contre-attaque d’EA sur Uncharted, c’était Uncharted dans l’univers de Spielberg. – Un proche de The Escape Artist
Pour préparer l’équipe à cette transition, deux groupes de cinq sont formés et assignés chacun à la reconstruction d’une scène d’Uncharted : Drake’s Fortune, l’un avec l’Unreal Engine 3, moteur utilisé jusqu’à maintenant, l’autre avec le Frostbite, technologie de DICE. La caméra passe à la troisième personne, Eve devenue une bimbo extraterrestre perd son intelligence artificielle poussée et devient le véhicule d’un virus meurtrier. Nos héros sont donc toujours en fuite, mais avec cette fois-ci un objectif différent, trouver un antidote.
Mais encore une fois, le jeu ne comprend ni mode multijoueur, ni composante online solide et afin d’éviter d’autres dépenses inutiles, Electronic Arts décide d’arrêter les frais : le développement de The Escape Artist est définitivement stoppé en novembre 2009. Que ce soit les salaires des employés californiens ou les dix millions de dollars annuels dépensés pour la location des locaux de Los Angeles, tout cela a coûté bien trop cher, sans oublier le pourcentage qu’aurait dû toucher Spielberg sur les ventes du jeu. L’éditeur a depuis confirmé publiquement l’annulation du projet, tout en assurant qu’il gardait contact avec le cinéaste américain.
C’est donc un énorme gâchis pour ce LMNO qui semblait avoir tant de potentiel, tant de bonnes idées en son sein. Imaginez un titre possédant un univers et une écriture tellement riche qu’il aurait offert des dizaines d’heures de jeu, non pas grâce à des quêtes annexes ou une aventure à rallonge, mais parce qu’il possédait une rejouabilité incroyable. Imaginez Eve, un compagnon au comportement humain qui aurait pu être vexée, énervée, heureuse, entreprenante et tout cela, sans script, juste en fonction de vos actions et réactions. Imaginez un film qui aurait pu prendre des milliers de formes, une nouvelle à chaque partie. Ce projet trop ambitieux s’appelait LMNO.