La Guerre des Mondes, c'est un peu ce que s'apprêtent à vivre Activision et EA à l'hiver 2015. A l'heure où les modèles économiques évoluent dans le monde du jeu vidéo traditionnel, les blockbusters revêtent un intérêt stratégique et risqué pour les plus grands éditeurs du marché. Coûts de production pharaoniques, plannings et agendas surchargés pour les studios de développement, aujourd'hui un jeu AAA bien placé dans le calendrier des gamers est une aubaine pour qui veut placer son produit sous le sapin à la Noël. Dès l'E3, ce sont Call of Duty : Black Ops 3 et Star Wars : Battlefront qui se tireront la bourre pour le titre envié de FPS le plus séducteur des listes de courses avant les repas de fin d'année.

Au jeu de l'accroche, les éditeurs rivalisent d'effets dans leur communication pour faire de la sortie de leurs softs un événement. Call of Duty est à ce titre un des plus gros acteurs de la scène FPS. Activision l'annonçait fièrement durant le Call of Duty Championships 2015, 175 millions d'épisodes de la série ont été écoulés sur le marché depuis la création du jeu par Infinity Ward.

Modern Warfare 3, l'épisode le plus plébiscité de la licence, garde jalousement sa ceinture de champion poids lourds des ventes sur la licence. Avec son milliard de dollars généré en 15 jours et ses plus de 30 millions de jeux vendus depuis sa sortie, Modern Warfare 3 est de ces mastodontes qui inspirent le respect à plus d'un éditeur. Un record après lequel Activision court toujours, et cette année Black Ops 3 tentera le pari de lui emboîter le pas.

La série des Black Ops est une valeur sûre du catalogue de l'éditeur, développée par Treyarch. Les épisodes de la série ont réussi à battre les scores imposants de Modern Warfare 2, un des opus les plus appréciés de la franchise. Ce sont d'ailleurs ces deux épisodes de Treyarch, Black Ops 1 et 2, qui arrivent en tête en termes de volume de ventes derrière Modern Warfare 3. Leur plus-value auprès du public ? Un multijoueur qui ne promeut pas uniquement sa force sur la vision unilatérale de son propos, mais une ambivalence entre un coop réussi, le mode Zombies, et un background de barbouzes lié aux opérations des forces d'intervention spéciales dans le monde pour son multi traditionnel.

Entre espionnage, théories du complot et zombies affamés, la série des Black Ops s'est fait un nom, Treyarch aussi. Pour rappel, le studio avait été fustigé pour son approche sur Call of Duty 3 : terne, mécanique et moins fun que le labellisé Call of Duty 2. Depuis, les créatifs de Santa Monica ont corrigé le tir en reprenant le moteur d'Infinity Ward pour le développement de Call of Duty : World at War. Un épisode dans lequel est d'ailleurs apparu le mode Zombies.

Treyarch surpasse Infinity Ward dans le cœur des joueurs ?

Un mode Theater (cinéma), une ligue et des outils de broadcasting (permettant notamment aux joueurs compétitifs et organisations e-sportives de gérer des tournois online ou en LAN) ont considérablement dopé l'expérience de jeu des Black Ops. La fidélité comportementale ou attitudinale des addicts à la série ont, de leur côté, sédentarisé les joueurs sur la licence. Avec Black Ops 3, Activision vise clairement les utilisateurs ayant apprécié les précédents épisodes, misant sur le fait que cet attachement renforcera le cœur de valeur de leur marque phare : Call of Duty.

Chaque année l'éditeur multiplie les positionnements et postures pour accompagner la sortie de son blockbuster. En matière de communication, Call of Duty ne se refuse rien. Le rappeur Eminem pour un hymne officiel, Kevin Spacey pour un rôle dans le jeu, Hans Zimmer pour signer une bande-son, Call of Duty s'affirme comme une créature cross-media empruntant au cinéma au moins autant qu'au jeu vidéo pour créer la tendance.

Avec Black Ops 3, Treyarch bénéficie d'un autre levier, celui de la reconnaissance. Une reconnaissance qui n'a rien de posthume et qui est inversement proportionnelle à la dégringolade des jeux d'Infinity Ward dans le cœur des joueurs. Avec le départ de ses deux démiurges, le studio d'Encino perdait avec Jason West et Vince Zampella (partis chez EA développer TitanFall) sa matière grise, son mojo et sa marque de fabrique typique. Depuis lors, le transfert de sympathie de la communauté Call of Duty pour Treyarch est avéré. Plébiscité pour le travail autour du game design des maps de ses multijoueurs, le studio californien a su fédérer, grâce à des modulations et des mises en place spécifiques de son gameplay sans trahir le souvenir canonique de jeux comme Call of Duty 4 : Modern Warfare. D'autant que ce mois de novembre, il aura fort à faire avec Star Wars : Battlefront de son rival de toujours : Electronic Arts. Frontal.

Try not. Do… or do not. There is no try

Cette guerre moderne n'a effectivement rien de nouveau, pléonasme. C'est l'ancien CEO d'EA, John Riccitello, très loquace à la sortie de Battlefield 3, qui avait annoncé la couleur : « Nous lancerons Battlefield 3 au mois de novembre, soit en même temps que le prochain Call of Duty, dont le dernier jeu, qui a généré 400 millions de dollars de revenus le jour de son lancement, est encore le plus rentable de toute l’industrie. Battlefield 3 a été conçu pour écraser ce jeu » . De quoi témoigner de la puissance des échanges interposés que se livraient alors les deux géants de l'édition. Depuis, Tencent est passé par là, mais ça c'est une autre histoire. En 2015, EA dégaine son sabre laser et ses lunes accrochées à l'imaginaire des millions de fans des films de Lucas.

En termes de promotion et de communication, sortir un jeu au même moment que Star Wars : The Force Awaken, en marketing industriel, on appelle ça du marketing multicanal. Dans le cas présent, ce sont deux biens consommables qui incarnent la licence, et il n'est pas ici complètement question de ce que l'on pourrait appeler un produit dérivé. La qualité de ces deux œuvres sera bien évidemment au cœur de toutes les discussions sur Internet, dans le métro ou au café du coin, la mousse sur le zinc. Organique et éphémère, l'événement sera global. Pour imaginer l'impact que peut avoir Star Wars sur le réel, il suffit de regarder les chiffres de la bourse. A l'apparition du second trailer de Star Wars : The Force Awaken, la valeur boursière de Disney gagnait deux milliards de dollars. Et pour EA ?

Les premiers retours sont plus que positifs. A la sortie du trailer pré-E3 2015 sur la chaîne YouTube officielle de l'éditeur américain, c'est un véritable raz de marée qui a lieu. Le million de vues est atteint en quelques heures et surtout le ratio like / dislike imposera le respect à toute personne essayant de faire le buzz en ligne sur la célèbre plate-forme en ligne d'hébergement de contenus. Aujourd'hui, la vidéo totalise pratiquement 18,4 millions de vues pour un ratio toujours aussi à l'avenant.

Du côté des exécutifs d'EA, Blake Jorgensen (le CFO d'Electronic Arts) semble serein devant les investisseurs rappelant que d'un côté la licence historique Battlefront s'est vendue à près de 9 millions d'unités. De l'autre Battlefield, leur franchise propriétaire, s'écoule aux alentours des 15 millions. Pour Star Wars : Battlefront, Jorgensen imagine que la fourchette raisonnable des ventes s'établirait autour des « 9 à 10 millions » (estimation s'échelonnant de la realease jusqu'au mois de mars 2016). Et au vu de l'engouement du public, on pourrait penser que sa vision est pertinente.

Service sur un plateau d'argent ?

Si Battlefront n'est pas une nouvelle franchise, le jeu bénéficie d'une hype qui lui est propre. Une hype qui n'a pas été altérée par l'annonce d'un dispositif unitaire marginal pour un jeu de ce type. Star Wars ne sera jouable qu'en ligne et n'aura pas de campagne solo. Pour moins que ça d'autres softs ont connu la colère des joueurs. Pardonne-t-on tout à Star Wars ? Pas tout à fait. Une chose un peu plus problématique concerne le contenu du jeu, et là c'est Reddit qui s'est enflammé à l'annonce du nombre de cartes jouables sur le jeu, car « Plus de 8 » est une réponse que peu auront goûté sur Twitter. DLC à l'approche, politique agressive de la microtransaction ? EA et DICE vont, à travers Jesper Nielsen, éteindre l'incendie directement là où il est, préférant ainsi éviter toute mauvaise pub avant l'E3 2015. La menace fantôme.

Du côté de Black Ops 3 a contrario, aucun problème niveau contenu : le mode Campagne risque d'étaler son aventure sur de nombreuses heures. Le mode Multijoueur proposera comme à son habitude un large éventail d'armes, d'accessoires, de cartes, et d'équipements en tous genres. Un mode coop à 4 joueurs à la manière de Gears of War, autorisera les joueurs à finir le solo convialement. Et bien sûr son jeu dans le jeu : le mode Zombies qui pourrait à lui seul devenir un stand-alone tant sa vocation de mode d'appoint a laissé place à un emblème des productions de Treyarch. Au niveau de ce qu'il propose "structurellement", Call of Duty est intouchable. C'est la lassitude des utilisateurs qui pose les bases de la réflexion d'Activision autour de sa marque étendard. Comment changer sans dénaturer, dynamiser le gameplay sans agacer les puristes qui voient dans les nouvelles perspectives de déplacements proposées une régression du plaisir qu'ils prenaient sur la licence ? Si Call of Duty perd d'année en année des utilisateurs (certaines années il en regagne), le but à court terme pour l'éditeur est de solidifier son acquis, surtout quand son blockbuster reste le performer numéro un (en termes de volumes de ventes) sur next-gen (ou current-gen désormais).

En parlant des constructeurs, il y a toujours des bénéficiaires dans une guerre diraient les plus cyniques, ce sont Sony et Microsoft qui respectivement avec la Playstation 4 et la Xbox One risquent de voir leurs profits monter en flèche à la fin de l'année. Black Ops 3 (dans sa version complète) et Battlefront ne sortiront pas sur les supports PS3 et Xbox 360... et si c'était le passage de témoin d'une génération à l'autre, tant attendu par les joueurs ?