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Une question de définition
Indépendant, 11 lettres pour un seul mot dont nous connaissons tous la définition. Pourtant quand on vient l'associer au domaine du jeu vidéo, tout se complique. Le terme devient confus et on ne sait plus ce qu'il signifie vraiment. Plongeons alors dans la définition de jeux indé et tentons de découvrir ce dont il s'agit.
Si l'on regarde sur Wikipédia, un jeu est dit indépendant à partir du moment où il n'est pas édité par une entreprise tiers. Une explication aujourd'hui désapprouvée par la communauté.Pourquoi ? Parce qu'elle présente de nombreuses failles. Ainsi, certains titres sont considérés comme indies alors qu'ils ont le soutien d'une maison d'édition annexe. C'est le cas par exemple de Trine 2, développé par Frozenbyte mais édité par Focus Home interactive. Dans un cas similaire, on retrouve aussi Dust : An Elysian Tail, publié par Microsoft mais créé par Humble Hearts.
De même, si on suit cette définition, les entreprises qui s'autoéditent devraient être considérées comme producteurs des jeux indépendants. Vous voulez des exemples ? Eh bien les voici : Microsoft, Sony, Nintendo, Activision, Ubisoft, etc. Tous ceux-là seraient considérés comme indépendants et ça, c'est hors de question. Car s'il est difficile de délimiter ce qu'est un indie, c'est déja plus simple de dire ce qui ne l'est pas. Et malheureusement, la définition présentée ci-dessus reprend trop de cas que l'on ne peut considérer comme indépendants. Voilà où se situe tout le problème, peut-on vraiment trouver un critère qui rassemble tous les titres du genre ? C'est ce que nous allons voir.
Une des réponses à notre question serait de considérer que l'adjectif « indépendant » définit un état d'esprit. Autrement dit, il s'agirait d'une façon de penser ou encore de concevoir le jeu vidéo que l'on crée. On pourrait ainsi englober tous les softs faisant preuve d'une certaine créativité, ou alors ceux présentant une certaine simplicité dans leur conception. Le souci avec cette théorie, il est double. D'une part, il faut se référer à ce qui se passe dans la tête des développeurs. Or nous n'y sommes pas. On ne voit au final que le résultat du processus de création, c'est-à-dire le jeu en lui-même. D'autre part, si instinctivement on voudrait mettre en avant la simplicité, l'originalité ou encore la créativité d'un soft, tout n'est pas si simple. En effet, tous les jeux indépendants considérés comme tels ne présentent pas ces caractéristiques. Combien de fois le même concept a-t-il été repris en boucle ? Et les suites, où sont leur originalité ? Quant à la simplicité, certains titres de réflexion sont bien loin d'en faire preuve. Tout ça pour dire que l'on peut toujours trouver une exception. « Indé » n'est pas un label, il ne sert pas à définir une qualité qu'on trouvera forcément dans un produit. Il dépend plus des conditions de création que du résultat en lui-même.
Dès lors, on aurait tendance à dire qu'un jeu est indépendant parce qu'on le crée avec ce qu'on peut. En soi, cela n'est pas faux. Les développeurs indépendants font souvent avec leurs propres moyens. Mais quand on y réfléchit bien, c'est le cas de tout jeu vidéo, quel qu'il soit. Alors peut-être faudrait-il partir du postulat que leurs moyens sont limités ? L'idée n'est pas mauvaise. Il y a quelques années, ça aurait été applicable. Mais aujourd'hui, non. L’ascension de Kickstarter, des plates-formes de crowdfunding et du financement participatif a tout bouleversé. Désormais, en partant de rien, un développeur indé peut se retrouver avec des centaines de milliers, voire des millions de dollars. Pourtant, si le gain reste raisonnable pour certains titres, ce n'est pas une généralité. Ainsi, FTL : Faster than Light a reçu entre 200.000 et 300.000 dollars via sa campagne et Star Citizen vient de dépasser les 50 millions de dollars. Des chiffres qui donnent le vertige. Et surtout, où est la limite ? Quel nombre ferait qu'un titre ne serait plus indie ? 500.000, 600.000 € ? Et qu'en est-il de 600.100 ? Et 601.000 ? Il serait moins valide que 599.900 ? Toutes ces questions qui posent problème.
Dans le même registre, être un jeu indépendant, ce n'est ni un gage de qualité, ni d'honnêteté et encore moins de réussite. Beaucoup se souviendront de The War Z, un soft avec beaucoup de promesses. La hype autour de lui l'aura fait se précommander à bon nombre d'exemplaires... avant de retomber comme un soufflet. Le titre souffrait de bugs et d'erreurs tellement grossiers que Valve a accepté de rembourser tous les acheteurs. De plus, si on se souvient souvent de ceux qui ont réussi, on oublie rapidement ceux qui ont raté. Car pour un d'entre eux qui fera sensation, combien auront échoué dès leurs débuts ? Parce que Minecraft, Braid, World of Goo, c'est bien beau, mais ça n'est guère plus qu'une goutte d'eau réussie dans un océan de vase.
Dans ce cas, où donc peut-on trouver une réponse ? Dans la liberté peut-être ? Il est vrai que l'on considère souvent que les développeurs indépendants sont libres de leurs mouvements. Une semi-vérité car la véritable liberté n'existe pas, elle est toujours restreinte : que ce soit par le budget ou encore par la technologie. De même, tous les créateurs laissés libres de leurs mouvements n'ont pas fait des softs dits « indé » : Shadow of the Colossus, Ico, ces noms-là appartiennent plus au domaine des blockbusters.
Au final, les jeux indépendants sont si nombreux et si diversifiés qu'il doit être impossible de trouver une caractéristique réunissant chacun de ces titres. C'est pour ça que plutôt de penser à chaque caractéristique individuellement, ils faut les imaginer ensemble.
Un jeu indé, c'est un titre où le créateur est libéré de la contrainte des autres. Ici, aucune pression de la part d'un éditeur, de la part d'un investisseur, juste les limites d'un budget, les limites d'une technologie. Il peut évidemment y avoir un tiers qui participe pour la publication. Mais, en aucun cas, il ne devient une contrainte. Il s'agit d'un ajout, d'un supplément et non d'une barrière ou d'un frein.
Néanmoins, un titre indé ne se limite pas à ça. C'est également un soft où la base financière est peu, voire pas, présente. Afin de s'agrandir, celle-ci se nourrit de soutien, de financement participatif et surtout d'idées.
Car c'est aussi ça qui fait un jeu indépendant. Cette capacité à créer quelque chose en partant de rien, de faire beaucoup avec peu. C'est une façon de créer, une volonté de réaliser son oeuvre qui permet la naissance d'un titre.
Ce sont ces trois éléments qui, ensemble, permettent de définir un jeu indépendant. C'est une forme d'alchimie précaire dont chacun est seul juge et dont résulte cette nomination au titre d'indie.
De la pérénnité d'un jeu indé
Malgré tout, quand on se pose la question de ce qu'est un jeu indé, on ne s'arrête pas là. Plus haut, nous citions Minecraft. Eh bien parlons-en un peu. Il n'y a pas si longtemps, il a été racheté par Microsoft. Vous me direz peut-être « Oui, et alors ? ». Alors est-il toujours indé ? A première vue, on serait tenté de dire « oui ». Effectivement, le soft n'a pas tellement changé depuis son rachat. Si cet exemple est primaire, la question posée derrière est bien plus intéressante : un jeu peut-il cesser d'être indé ? Parce que des titres qui à la base étaient indépendants, il y en a quelques-uns : Angry Bird ? League of Legends ? Que devons-nous penser d'eux ? Personnellement, je ne me souviens pas que quelqu'un m'ait dit considérer LoL comme indépendant. Pourtant, à la base, il ne s'en éloignait pas tellement. Alors qu'en est-il de ces titres ? Qu'est-ce qui fait qu'ils ne sont plus des indies ? L'argent amassé ? Leur succès ? Leur influence ? Leur ampleur ? La voie qu'ils ont choisie ? Cette dernière option est sans doute celle qui se rapproche de la vérité. En fait, il s'agit à nouveau d'une forme d'alchimie. Si un jeu pouvait ne « plus » être indépendant, cela nécessiterait plusieurs conditions.
D'abord, il faudrait un changement par rapport à ses origines, par rapport à sa définition : un accroissement d'argent, une restriction dans la création, un changement de l'idée qu'on se fait du soft, une nouvelle direction. Ensuite, il faudrait que ce changement apporte de fortes modifications au soft et que ces dernières viennent à renier ce qui faisait l'identité du titre. Par exemple, que des graphismes 16 bits volontairement donnés à un jeu pour lui insuffler une identité se transforment en graphismes HD avec plus de formes circulaires. Ou encore qu'un projet à la base simple devienne bien plus complexe suite à une restructuration de l'équipe de développement. De tels événements pourraient bien faire perdre son indépendance à un titre. Mais, il s'agit de jugements au cas par cas, et la frontière est difficile à situer. Chacun est donc libre de concevoir cette « perte d'indépendance » comme il le souhaite.
Indépendant, amateur et fanmade
Après tous ces éclaircissement, il reste encore quelques petites questions à régler. L'une d'entre elles est celle de la différenciation entre jeu indépendant, amateur et fanmade. Pour cela, il y a deux écoles.
La première consiste à considérer que les softs amateurs et les fanmades sont des titres indépendants. En effet, la différence entre amateur et professionnel ne touche que deux domaines : celui de la rentabilité et celui des qualifications du créateur. En ces termes, il est à la fois plus libre et plus restreint que tout autre jeu indé. Sa liberté se retrouve augmentée par l'absence de la pression causée par la rémunération et allégée par le manque de connaissances techniques. Au final, il n'y a pas de grandes différences, le résultat utilisera peut-être des mécanismes moins poussés, mais pourra être bien plus osé. Quoi qu'il en soit, on ne touche pas à la définition.
Le fanmade, lui, se rapproche extrêmement du soft amateur. En effet, la plupart en sont. La seule particularité du genre, c'est de rendre hommage à quelque chose et bien souvent de reprendre des univers bien précis pour les réutiliser à sa sauce. En soi, il s'agit d'une volonté du créateur, ce qui respecte la définition donnée précédemment. Dès lors, pas de raison pour qu'il soit disqualifié du titre de jeu indépendant.
La seconde école, elle, adopte un autre point de vue. Elle rajoute une ligne à la définition d'un « indie ». Celle-ci déclare que pour être indépendant, il faut que le soft soit créé dans une optique mercantile. Autrement dit, il est destiné à être vendu. Elle déclare aussi que, même s'il est inspiré d'autres titres, le jeu indé doit posséder un univers qui lui est propre. Ces deux conditions sont disqualifiantes pour les jeux amateurs et la plupart des fanmades souhaitant être considérés comme des softs indépendants. Cependant, cette deuxième façon de penser est assez peu utilisée et beaucoup préfèrent la première. Maintenant, encore une fois, il convient à chacun de choisir celle qu'il considère comme la mieux adaptée.
Quelques fausses idées
Indépendant = pas cher
L'une des premières idées préconçues au sujet des jeux indé concerne leur prix. Que ce soit pour la conception, ou encore pour l'achat, beaucoup de gens s’imaginent qu'un soft indépendant coûte peu cher. Et si c'est vrai la plupart du temps, ce n'est pas toujours le cas. Pour vous le prouver, il suffit d'un simple contre-exemple : celui de Star Citizen. D'une part, le titre a réuni plus de 50 millions de dollars, ce qui fait une bonne base pour créer un soft. D'autre part, certains de ses packs dépassent la barre des 10.000 $ à l'achat. Et des packages plus basiques s'approchent des 55 $. On est loin des petits budgets de 5-15 €.
Moins cher donc moins bien
De même, puisque de nombreux jeux sont finalement disponibles à bas prix, on a tendance à penser que leur qualité ou leur contenu est bien moindre. Ce qui est évidemment faux. Ce n'est pas parce qu'on en achète un à 5 € qu'on y passe moins de temps. J'ai, personnellement, à peu près 200 heures de jeu sur The Binding of Isaac premier du nom alors que j'en ai seulement une vingtaine sur les Sims. Egalement, certains titres indé sont extrêmement bien notés. Par exemple, nous avons mis un 18 à World of Goo, ce qui est plus que bien des softs notés sur notre site !
Indé ne rime pas toujours avec originalité et qualité
Si jusqu'à présent on a parlé d'images négatives, parlons d'images positives. Il ne faut pas penser que les jeux indé sont pour autant un gage de qualité. The War Z en est la preuve vivante et aura fait coulé beaucoup d'encre. Si vous ignorez tout de l'affaire, sachez que Valve a accepté de rembourser les acheteurs et que les développeurs ont présenté des excuses publiques. Ce qui n'est pas rien. Dans la même lignée, un jeu indépendant ne signifie pas un soft original. Si certains titres ont surpris comme Braid, Limbo, World of Goo ou plus récemment Stanley Parable, tous n'ont pas fait preuve d'originalité. On retrouvera par exemple de nombreux platformers 16 bits semblables les uns aux autres. Ceux-ci ont d'ailleurs tendance à se noyer dans la masse. Parce qu'il faut bien se rappeller que ceux dont on entend parler sont souvent ceux ayant réussi à sortir du lot. Et ce pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Que du petit jeu
Si cela vous semble stupide, ça ne l'est en fait pas tant que ça. Quand on regarde un téléphone, de nombreux jeux sont disponibles et la plupart sont indé. Et quand on se souvient de certains titres comme Angry Bird, Flappy Bird, etc., il est difficile de dire qu'il s'agit là de softs avec un énorme contenu ou une grande diversité. Mais il faut également se rappeller qu'ils ne représentent qu'une petite partie des jeux indé. En effet, certains indies tels que Super Meat Boypossèdent un gameplay plus complexe qu'il n'y paraît et certains jeux d'aventure à l'image de Trine peuvent vous embarquer pour plusieurs dizaines d'heures.
Si c'est pas sur Steam, c'est pas indé
Le dernier préjugé dont nous allons parler est très peu répandu. Il est néamoins important de le briser pour les néophytes qui y croiraient : les jeux indé, ce n'est pas que Steam ! Si on y retrouve beaucoup de titres indépendants et un énorme catalogue, cela ne veut pas dire que tous les jeux indé s'y trouvent ! Minecraft en est l'exemple parfait puisqu'il est vendu via le site de Mojang. De plus, beaucoup de softs étaient vendus sur leur propre site avant d'arriver sur Steam. Game Dev Tycoon, par exemple.
Après tout cela, on peut voir qu'être considéré comme un jeu indé n'est pas si simple.
Encore une fois, nous le répétons, la diversité du genre rend difficile la catégorisation. De même, de subtiles nuances peuvent parfois rejoindre l'équation et rendre tout plus compliqué. Sans compter qu'on ne peut pas faire de compromis, un soft à moitié indépendant n'existe pas.
Et la cerise sur le gâteau, c'est que tout cela n'est pas gravé dans le marbre, il n'y a pas de définition universelle que l'on peut appliquer. Ce qui signifie que chacun peut l’imaginer comme il le souhaite, avec un mélange de ses idées préconçues et des acceptations publiques. Un problème qui reste pour le moins épineux.