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Ses débuts et Metal Gear
Vous connaissez sans doute le nom de celui qui est considéré comme l'un des acteurs les plus innovants du jeu vidéo. Hideo Kojima est surtout connu pour sa série Metal Gear Solid, acclamée aux quatre coins du globe pour son approche originale et très cinématographique dans le jeu vidéo. Cependant, les nombreuses innovations de la série Metal Gear ne sont pas venues d'un éclair de génie chez Kojima. Elle est le résultat du travail de ses précédents jeux, de talents qu'il a pu dénicher durant le développement de ces jeux et de l'expérimentation qu'il a pu faire durant ses débuts chez Konami. La série Metal Gear n'est pas uniquement composée des jeux qui possèdent le même nom, mais d'un tout qui cristallise la carrière de Kojima encore aujourd'hui.
Le grand amour de Kojima pour le cinéma n'est inconnu de personne. Celui qui se définit comme ayant 70% de son corps composé de films devait avoir une carrière toute tracée dans l'industrie du cinéma, mais il se lança toutefois dans des études d'économie à l'université. Durant son temps libre, il se retrouva à avoir un contact plus important dans le monde du jeu vidéo, qui le poussa dans sa volonté de se lancer dans l'industrie. Il cite d'ailleurs ses inspirations comme étant Super Mario Bros. par Shigeru Miyamoto et The Portopia Serial Murder Case par Yuji Horii, qui deviendra ensuite le créateur de la série Dragon Quest. Il rejoindra Konami dans le département dédié à la création de jeux sur MSX en tant que game designer et planner. Ses débuts étaient d'ailleurs très compliqués car en tant que débutant qui n'avait aucune expérience pratique dans la création d'un jeu vidéo, ses idées étaient souvent écartées. Après une période de tâtonnement, le premier jeu auquel il a travaillé fut Penguin Adventure sur MSX, la suite de Antarctic Adventure, mais le premier jeu qu'il a pu développer fut Lost Warld (combinaison de World et War). Le jeu ne fut cependant jamais commercialisé car il fut rejeté par ses supérieurs chez Konami en raison de son ambition trop grande pour les moyens de l'époque. Ses nombreuses déboires faisant l'objet de railleries de la part de ses collègues et sa frustration ont failli pousser Kojima à quitter l'industrie. Un associé lui proposa alors de prendre part à un projet qui peinait à avancer. Ce projet, toujours sur MSX, devait être un jeu d'action dans un contexte militaire moderne, mais le hardware limité du micro-ordinateur empêchait l'apparition suffisante d'ennemis et de balles à l'écran. Hideo Kojima, alors inspiré par le film La Grande Evasion, décida de prendre le problème à revers en mettant en scène un jeu où il ne faut pas combattre ses ennemis, mais les éviter. En 1987, Metal Gear était né.
Le succès de ce jeu au concept original a véritablement lancé la carrière de Kojima dans l'industrie. En plus de l'infiltration, Metal Gear a aussi apporté de nombreuses mécaniques qui seront plus tard réutilisées dans les Metal Gear ultérieurs avec les points d'exclamation qui indiquent qu'un ennemi vous a repéré, ainsi que les communications radio qui permettent d'offrir des dialogues pour étendre l'univers et l'histoire sans que l'interlocuteur n'ait à être physiquement présent, offrant une meilleure liberté pour le scénario. Les bonnes ventes du jeu sur MSX ont poussé Konami à réaliser un portage du jeu sur NES par une équipe totalement différente. Cette version, bien que n'ayant jamais été sous la supervision de Kojima, s'est retrouvée à sortir en Amérique à la place de la version MSX, se vendant à plus d'un million d'exemplaires. Il donna aussi naissance à une suite sur NES avec Snake's Revenge, toujours sans la participation de Kojima. La véritable suite de Metal Gear par Kojima fut enclenchée par une rencontre d'un des développeurs de Snake's Revenge dans un train. Le développeur était un grand fan de son travail et était particulièrement intéressé de voir la suite du jeu par le créateur lui-même. C'est ainsi que l'idée de Metal Gear 2 : Solid Snake naquit en 1990. Cette suite reprend le même concept de la base à infiltrer pour éliminer la menace Metal Gear mais s'étend encore plus sur le concept de l'infiltration. Le jeu offre la possibilité de s'accroupir et de s'allonger, les ennemis ont une IA beaucoup plus développée et sont capables d'être alertés par les bruits que vous faites. Aussi, l'alerte se déroule maintenant en deux étapes qui permettent de diversifier votre capacité à être hors de la vue de vos ennemis. Metal Gear 2 : Solid Snake a réussi à être un digne successeur du premier Metal Gear sur l'infiltration et son histoire.
Snatcher : The CD-Romantic experience Mega-CD
Toutefois, un autre jeu s'est glissé entre la sortie du premier Metal Gear et sa suite. Le succès du premier Metal Gear a permis à Kojima d'avoir une plus grande liberté au sein de l'industrie avec la création de Snatcher qui est le premier jeu qui a concilié l'ambition cinématographique de Kojima avec l'interactivité du jeu vidéo. L'histoire du jeu se déroule 50 ans après La Catastrophe, le nom de l'événement lié à la libération d'une arme biochimique dans l'atmosphère qui a entraîné la mort de la moitié de la population mondiale. La ville de Neo-Kobe City se retrouve face à la menace des snatchers, des cyborgs qui prennent l'apparence et la place de personnes qu'ils ont assassinées au préalable sans moyen de les différencier. Le protagoniste Gillian Seed est un amnésique qui rejoint leJUNKER, une unité spéciale qui se charge de traquer et éliminer les snatchers. S'ensuit alors une enquête minutieuse afin de trouver la source de la menace de Snatcher et ses souvenirs perdus. Le jeu se joue à la première personne en sélectionnant plusieurs commandes telles que "Look" (regarder) et "Examine" (examiner) qui permettent de trouver des éléments qui feront avancer Gillian Seed dans son enquête.
L'inspiration de Terminator, de Invasion of the Body Snatchers et surtout de Blade Runner dans cet univers cyberpunk prouve la passion de Kojima pour le cinéma. Sa volonté de mettre un univers crédible dans Snatcher est telle qu'il est possible d'avoir accès à des tonnes et des tonnes de pages sur les tenants et les aboutissants de Neo-Kobe City avec la politique, l'environnement, la disparité sociale, la nourriture et bien plus encore ! Il est d'ailleurs possible de rater plus du quart du contenu que le jeu a à offrir si le joueur ne prend pas la peine de bien fouiller le jeu. Ces informations poussent le joueur à s'impliquer de lui-même dans l'histoire grâce à sa possibilité de contrôler ses actions. Le jeu s'adapte alors au joueur désireux d'en savoir plus sur son univers et le joueur voulant connaître la résolution de l'enquête avant tout. Il est aussi le premier jeu qui met en scène l'humour très "en dessous de la ceinture" de Kojima à travers de nombreux gags sur la perversité de Gillian Seed, toujours remis en place par son fidèle sidekick Metal Gear qui, bien plus qu'un objet fan service, est un personnage à part entière. Snatcher montre une histoire convaincante et unique de la part d'un véritable fan de cinéma qui ne cache pas ses inspirations. Pour la première fois, Kojima a le champ libre pour raconter une histoire du début à la fin et il met en place le squelette de sa carrière en matière de storytelling. Ce jeu aura aussi un spin-off : SD Snatcher. Ce jeu, qui reprend la base de Snatcher avec des persos super-deformed, est pour le reste totalement différent car il s'agit d'un RPG. Assez novateur, le système de combat est à la première personne et il faut tirer sur une partie du corps de l'ennemi pour provoquer la baisse d'une statistique particulière comme la défense ou la précision.
Policenauts PS1 Saturn 3DO
Cinq ans après la sortie de Metal Gear 2 : Solid Snake, Kojima sort, à l'aube de la PlayStation 1, un autre jeu d'aventure encore moins connu que Snatcher cette fois-ci, mais qui a encore plus influencé sa carrière : Policenauts. Vous suivez les aventures de Jonathan Ingram, ex-Policenauts, une unité policière chargée de la sécurité durant la création de la nouvelle colonie spatiale nommée Beyond. Un accident inexpliqué a provoqué la chute de Jonathan dans l'espace. 25 ans plus tard, Jonathan est retrouvé endormi dans son module de cryogénisation. Maintenant devenu détective sur Home, le nom donné à la Terre, une série d'événements le poussera à revenir sur Beyond pour affronter un monde qui a évolué sans lui. Le gameplay reste sensiblement le même que Snatcher tout en apportant un aspect point and click, avec un curseur pour appuyer sur les différents éléments du décor pour pouvoir interagir avec différentes options.
Ce jeu baigne dans le genre hard science-fiction et offre encore plus de matière à Hideo Kojima de s'étendre dans son univers. Le résultat s'en ressent par la taille considérable du script du jeu. C'est bien simple, vous pouvez examiner un objet cinq fois de suite et vous aurez à chaque fois une explication différente d'un objet sous tous les angles. Ainsi vous pourrez examiner les roues d'une voiture et avoir différentes explications comme les différences que les roues possèdent entre la gravité terrestre et la gravité de la colonie. L'ambition est revue à la hausse pour offrir un univers encore plus crédible à travers moult informations qui parsèmeront votre enquête. Le jeu n'a pas été présenté comme "la nouvelle génération de Snatcher" pour rien car en plus de son univers, il reprend le même schéma qui a fait le succès de Snatcher mais en apportant divers éléments que le gameplay point and click offre comme la possibilité d'avoir des gunfights plus dynamiques où le curseur devient le réticule, ainsi que l'apparition de différents mini-jeux. Policenauts montre l'aisance que Kojima a réussi à acquérir dans la diffusion de son univers à travers le storytelling. On retrouve surtout sa capacité à briser le quatrième mur pour surprendre le joueur autant que possible et à lier le sérieux et l'humour pour pousser le joueur à s'impliquer sans pour autant se sentir étouffé dans un trop plein d'informations. Policenauts s'est propulsé en tant que référence du jeu d'aventure et a déroulé le tapis rouge pour peaufiner les outils de Kojima, pour les utiliser dans son prochain jeu qui émerveillera toute une génération de joueurs.
Metal Gear Solid PS1
Le passage à la 3D a offert à Hideo Kojima la possibilité de boucler la boucle et de renouer totalement avec son amour du cinéma (ici New York 1997) en permettant de gérer sa mise en scène sur tous les plans et aussi de revenir sur son premier jeu, celui qui a enfin pu faire taire ses collègues qui se moquaient de lui à travers un "tu devrais au moins terminer un jeu avant de mourir". Metal Gear Solid est sorti en 1998 et fit l'effet d'une bombe. Les graphismes époustouflants du jeu, couplés à la profondeur du gameplay basé sur l'infiltration, tout en profitant de l'expertise de Kojima en matière de storytelling et de mise en scène, ont offert aux joueurs un jeu qui reste encore acclamé de nos jours. Son approche originale du jeu vidéo a aussi surpris le public occidental qui fut véritablement introduit au personnage uniquement avec Metal Gear Solid jusqu'alors. Rappelez-vous, Metal Gear 1 était sorti sous sa version NES qui n'avait plus grand-chose à voir avec l'original sur MSX. Solid Snake, le héros des deux précédents Metal Gear, se retrouve embarqué dans une autre mission alors qu'il appréciait sa retraite anticipée en Alaska. Il se doit d'arrêter une organisation terroriste sous le nom de Fox Hound qui demande à ce que les restes de Big Boss lui soient rendus, sous la menace d'un tir nucléaire vers les Etats-Unis si la demande n'est pas accordée. Cette aventure dans le climat glacial de Shadow Moses est l'occasion de s'étendre encore plus sur le personnage de Solid Snake et de proposer une toute nouvelle histoire.
Le sens du détail de Kojima est encore plus mis en exergue dans Metal Gear Solid 1, il va même jusqu'à donner un design différent pour chaque bureau présent dans le jeu ! Il s'offrira même l'aide d'experts en armement et d'une unité spéciale pour la démonstration des différentes armes et véhicules pour contribuer à renforcer le réalisme dans son jeu. Son gameplay dans un environnement 3D a aussi offert de nouvelles possibilités de surprendre le joueur. Certains boss sont beaucoup plus diversifiés qu'auparavant et forcent le joueur à s'adapter à l'ennemi. Les objets que possède Solid Snake peuvent avoir plusieurs utilisations différentes à trouver de soi-même. Certaines situations en jeu peuvent aussi trouver leur résolution de différentes manières. Metal Gear Solid 1 est beaucoup plus sérieux mais il continue toujours à garder l'humour si spécifique à Kojima à base d'éléments tantôt burlesques, tantôt potaches. Le codec prend aussi une place plus importante que dans les précédents Metal Gear car il apporte la possibilité d'étendre l'histoire sans devoir créer une cutscene pour cela : en plus d'offrir une économie de temps et d'argent, il permet de garder un rythme plus dynamique à travers le jeu. Il s'agit là du début d'une toute nouvelle saga qui profite de l'expérience de ses aînés pour offrir une expérience unique dans le jeu vidéo.
La mythologie Hideo
Il faut alors comprendre que la série Metal Gear Solid n'est pas arrivée comme un cheveu sur la soupe : elle est le résultat de tout le travail de Kojima depuis son arrivée chez Konami : Metal Gear 1 et 2 ont réussi à étendre encore plus le concept de l'infiltration qui a permis ensuite d'être réutilisé dans Metal Gear Solid. Snatcher devait à l'origine offrir la possibilité de relâcher des odeurs particulières à partir de la disquette pour renforcer l'expérience du jeu, comme l'odeur du sang durant certaines scènes de suspense. Même si l'idée était totalement farfelue et irréalisable, elle montrait déjà la volonté de Kojima de se servir du support de tous les moyens possibles pour surprendre le joueur. Policenauts en faisait aussi de même avec la capacité de briser le quatrième mur à travers différents mini-jeux comme le désamorçage d'une bombe. Tout cela se cristallise dans le combat contre Psycho Mantis où il fait la démonstration de ses capacités téléphathiques en faisant vibrer la manette, en cherchant des sauvegardes de jeux Konami sur la carte mémoire (élément aussi utilisé dans Policenauts) et même en faisant des commentaires sur votre comportement dans le jeu. L'expérimentation dans tous ces domaines a permis d'avoir l'expertise nécessaire pour offrir une expérience maîtrisée et réussie. La recherche du réalisme dans Metal Gear Solid a aussi bénéficié de l'univers de Neo-Kobe City dans Snatcher et Beyond dans Policenauts. Il s'agit de quelque chose qui tient à coeur au créateur qui dit même :
Si le joueur n'arrive pas à croire que ce monde est réel, alors cela ne sert à rien de faire ce jeu.
Plus important encore, la création de ces jeux a permis à Kojima de s'entourer d'une équipe talentueuse et de confiance pour que Kojima exprime sa vision à son maximum. Yoji Shinkawa, le fameux character designer de la série Metal Gear Solid, a d'abord travaillé comme débuggeur pour la version PC-98 de Policenauts. Son talent a été découvert par Kojima et a permis d'offrir une patte particulière à la saga Metal Gear Solid. Tappy, le compositeur attitré de Metal Gear Solid 1, a d'abord travaillé sur Policenauts. Il y a aussi le retour de certains doubleurs japonais de Snatcher et Policenauts dans Metal Gear Solid : la voix de Jonathan Ingram de Policenauts deviendra la voix d'Otacon et la voix de Random Hajile de Snatcher deviendra celle de Grey Fox. Cette équipe talentueuse constituera plus tard le studio Kojima Productions.
Bien qu'il soit évident d'admettre l'influence de Metal Gear 1 et 2 pour MGS1, Policenauts et Snatcher ont eux aussi posé les fondations de la série Metal Gear Solid. Ces deux jeux sont aussi très importants pour la compréhension de la série à travers les nombreux éléments fan service qui ponctuent le jeu. Si la plupart ne sont que cosmétiques comme l'apparition du poster de Policenauts durant notre toute première rencontre avec Otacon, d'autres sont beaucoup plus importantes comme l'apparition du Metal Gear Mk.II de Snatcher dans MGS4 et surtout le fait que Meryl Silverburgh n'a pas fait sa première apparition dans Metal Gear Solid mais dans...Policenauts !
Hideo Kojima a alors réussi à réinvestir ses oeuvres précédentes pour offrir des expériences encore plus ambitieuses et convaincantes. Là où il apportait avec lui sa connaissance cinématographique pour permettre la création de jeux vidéo uniques, il apporte maintenant ses anciens jeux dans la création de nouveaux. En ayant réussi à trouver un public, il a aussi réussi à créer une véritable mythologie, celle d'une collection de jeux qui sont liés par un même auteur qui prend une attention particulière à tout joindre entre ces jeux, de la simple blague à l'élément du scénario primordial à sa compréhension. Ce même public accepte d'être le cobaye de ses expériences au même titre que le codec de Meryl qui est trouvable uniquement derrière la boîte du jeu. Avec une équipe talentueuse qui s'est formée au fil des jeux et qui a permis l'expression d'une vision unique ainsi qu'une volonté de toujours se tourner vers le futur, Hideo Kojima et son équipe ont su proposer des jeux qui apportent un public toujours plus important et désireux de vivre une nouvelle expérience. Si vous vous sentez d'humeur nostalgique avant la sortie du prochain Metal Gear Solid V, il est sans doute temps de vous tourner vers le passé afin d'être paré pour comprendre tous les tenants et les aboutissants du jeu jusqu'au moindre recoin. D'ailleurs, savez-vous que le très populaire jingle de l'introduction de Metal Gear Solid vient de Policenauts ?
Si cette vague soudaine de nostalgie ne vous convainc pas encore d'y jouer, vous pouvez toujours prendre le temps de lire le test de Snatcher et Policenauts.