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News jeu L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?
Profil de meakaya,  Jeuxvideo.com
meakaya - Journaliste jeuxvideo.com

L'OMS dit rouge, les psychologues disent vert… Qui a raison, qui a tort ? Est-ce qu’elle existe vraiment cette addiction au jeu vidéo ? À l’occasion des Semaines d'information sur la santé mentale, on fait le point sur cette houleuse question.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?
267 804 vues
Pensez à votre santé mentale

Pour rappel, la France est une mauvaise élève sur les questions de santé mentale. En 2018, 18,5% des Français affirmaient avoir déjà souffert d’un trouble de la santé mentale, plaçant ainsi la France troisième sur le classement des taux de prévalence dans les pays de l’Union européenne - "peut-être parce qu'en France on serait plus attentif sur la question" nous a suggéré un psychologue. Il y a donc de fortes chances que vous ou quelqu’un de votre entourage souffre actuellement d’un trouble mental. Oser en parler c’est important et si vous ne savez pas par où commencer, voici quelques pistes :

  • Le 3114, numéro national souffrance et prévention suicide, gratuit et accessible 7/7 et 24/24 sur l’ensemble du territoire (métropole et Outre-Mer). Pour les personnes en détresse psychique, leur entourage, les personnes endeuillés suite au suicide d’un proche et les professionnels en lien avec des personnes suicidaires.
  • Le 0 800 235 236, Fil Santé Jeunes, permanence d’écoute téléphonique (9h à 23h) et tchat individuel (9h à 22h) anonyme et gratuit pour les 12-25 ans sur les thèmes de la santé, le mal être, l’amour…
  • Nightline, ligne d'écoute nocturne anonyme et gratuite accessible 7/7 de 21h à 2h30, pour les étudiants et par des étudiants. Un numéro spécifique par région (Lille, Lyon, Paris, Pays de la Loire, Saclay et Toulouse)
  • Le 0 980 980 930, Alcool info service, information, soutien, conseil et orientation pour les personnes en difficulté avec l’alcool et leurs proches, service anonyme et gratuit accessible 7/7 de 8h à 2h
  • Mon soutien psy, dispositif de l’Assurance Maladie permettant de bénéficier de 8 séances remboursées par an chez un ou une psychologue partenaire. Plus d’informations ici.
  • Et plus encore

L’addiction au jeu vidéo …

Souvent, on a peur de ce que l’on ne connaît pas. C’est une réaction personnelle assez classique mais qui peut parfois prendre une ampleur plus importante. C’est notamment ce qu’il s’est passé avec le jeu vidéo, qui a connu un pic de popularité dans les années 80. Très vite, les premières inquiétudes ont pointé le bout de leur nez. À la télévision française, on retrouve ainsi des reportages datant de 1983 ou 1992 intitulés respectivement “Les jeux vidéo sont-ils dangereux ?” et “Déjà accro aux jeux vidéo ?” Petit à petit, ce genre de discours se fait de plus en plus fréquent et bruyant, et ce à travers le monde. Quelques faits divers sordides (mort d’un enfant car les parents jouaient trop, mort d’un jeune taïwanais après une session de 40h de jeu…) viennent rajouter une pièce ici et là dans la machine. Les esprits s’échauffent tant et si bien que, dans les années 2000, certains se décident à agir contre ce fléau qui rendrait addict les jeunes.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Dès 2004, en Chine, on voit l’émergence des premiers centres de réhabilitation pour “les drogués de l’Internet.” À la barre, on retrouve le médecin militaire Tao Ran, qui assure alors que “95 % des dépendances à l'Internet chez les jeunes sont liées aux jeux vidéo.” En 2011, un autre pays asiatique passe à l’étape supérieure. C’est en effet le gouvernement sud-coréen qui s’est directement saisi de la question en imposant un couvre-feu pour les mineurs sur les MMORPG. En France, on prend un peu plus de temps pour amorcer les premières restrictions. Certes, dès 2010 le Centre d’analyse stratégique (CAS) du gouvernement organisait un séminaire sur les jeux vidéo et leur potentielle régulation et le Ministère de la Culture et de la Communication de l’époque se disait favorable à la limitation généralisée du temps de jeu des plus jeunes. Mais au final, aucune grande décision n’est prise.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Pourtant, l’inquiétude est grande et grandissante. Dès 2006, le centre médical de soins et d'accompagnement des pratiques addictives Marmottan à Paris commence à recevoir ses premiers patients “addicts” aux jeux vidéo. Et forcément, on retrouve quelques études appuyant ce point de vue, comme celle chapeautée par la psychologue Olivia Metcalf ou celle de John Charlton et Ian Danforth. Les MMORPG sont alors particulièrement craints car ils sont, de par leur fonctionnement, particulièrement propices à “l’engloutissement passionnel dans un univers parallèle est le plus problématique pour certains sujets.” (L'addiction aux jeux vidéo, une dépendance émergente ?, Marc Valleur, 2006).

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Pourtant, d’autres tendent à démontrer l’inverse. D’ailleurs, en 2012, Daria Kuss et Mark Griffiths ont décidé de faire le bilan des recherches sur le sujet de la dépendance aux jeux vidéo sur Internet. Leur conclusion ? “Les chercheurs doivent faire preuve d’attention dans l’utilisation de l’étiquette « addiction », car elle ne désigne pas seulement des utilisations extrêmes de substances ou l’engagement dans certains comportements excessifs, mais se définit par l’existence même de conséquences négatives importantes. Pour cette raison, les futurs chercheurs sont invités à enquêter correctement sur ce qu’ils prétendent être une dépendance, afin de s’assurer que leur identification de la pathologie est en rapport avec le langage clinique, en utilisant des enquêtes ciblées sur le diagnostic.” La même année, L’Académie de la médecine réfutait d’ailleurs le terme d’addiction aux jeux vidéo. Le flou est tel que même certaines études à charge s’accordent à dire qu’il n’existe pas de consensus scientifique autour du terme d' “addiction aux jeux vidéo”.

Après des mois, voire même des années de débats endiablés, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a tranché : l’addiction au jeu vidéo a été définitivement inscrite à la Classification internationale des maladies dans la section consacrée aux addictions le samedi 25 mai 2019. A priori, c’est plié non ? Pourquoi débattre ? Et bien car cette décision, bien qu’entérinée, ne fait toujours pas l'unanimité auprès des scientifiques et du grand public. Comme le rappelle, Simon Little, président du plus grand lobby européen du monde du jeu vidéo, “la notion de “trouble du jeu vidéo” de l’OMS ne repose sur aucune preuve suffisamment solide”. Alors, certes, il s’agit d’un lobbyiste prêt à dire tout ce qu’il faut pour défendre sa cause. Mais pour le coup, il n’a pas tort. On l’a dit et on le répète : il n’y a aucun consensus scientifique concernant une addiction aux jeux vidéo. Et vous savez quoi ? Plus le temps passe et plus les scientifiques et autres spécialistes semblent en réalité s’accorder sur l’affirmation inverse.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

… ou la pratique excessive ?

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Tout d’abord, le terme addiction en lui-même pose souci. Mais alors, c’est quoi une addiction ? Selon le site Ameli, il s’agit d’ “une dépendance à une substance ou à une activité, avec des conséquences néfastes sur la santé de la personne affectée. Elle peut être favorisée par des facteurs environnementaux ou liés à l’individu.” Cette dernière se caractérise par un certain nombre de symptômes et un sentiment irrépressible et physique de manque quand on arrête de consommer la substance addictive. En 2016, l’OBS résumait cela de façon très imagée en écrivant “c’est une pratique qui creuse un trou dans le cerveau si bien à elle qu’il nous faut pelleter sans cesse pour le remplir de cette substance, sans quoi nous nous sentons malheureux.” En ce sens, il y a une différence entre l’addiction et la dépendance, la seconde ne reposant pas sur la substance/pratique elle-même mais sur son consommateur.

Une question de chiffres

Si les spécialistes peinent à accepter le terme d’addiction, c’est aussi parce que le phénomène demeure très rare. Selon une méta-analyse regroupant les données de 53 études (source : Epsiloon mars 2023), moins de 2% de la population mondiale serait concernée par une forme d’ “addiction”. Notez qu’il faut ajouter que certains pays (notamment en Asie ou en Amérique du Sud) ont un rapport particulier aux jeux vidéo, puisque que certains MMO y sont devenus une source de revenus importante pouvant, par appât du gain ou simple instinct de survie, pousser a priori à cette fameuse “addiction” et non le jeu en soit.

Si les psychologues préfèrent plutôt le terme de pratique excessive, c’est bien parce que quand on parle jeu vidéo, c’est le rapport qu’entretient le joueur avec ce dernier qui compte, contrairement à la drogue par exemple. Si pratique excessive il y a, il n’y a donc pas une addiction à traiter avec des méthodes parfois barbares mais des raisons à aller chercher chez le consommateur. Comme l’explique ici la psychologue spécialiste des pratiques numériques Vanessa Lalo, “l’essentiel est surtout de comprendre ce qui se cache derrière ce comportement excessif.” Le jeu vidéo constituerait, dans ce genre de cas, un refuge, un havre de paix préservé des tourments du concerné. La solution ne serait donc pas de cesser la pratique mais de déceler sur quoi se base le mal-être du joueur. Aux parents inquiets, Vanessa Lalo préconise donc de se poser quelques questions importantes : “Quelle réponse n’arrive pas à se formuler ? Quel(s) souci(s) le jeune rencontre-t-il ? Dans quel(s) domaine(s) ? Quel(s) message(s) fait-il passer ? Quel mal-être exprime-t-il ? Quelle(s) joie(s) partage-t-il avec ses copains en ligne ? Comprendre ses amis virtuels, son pseudo, son avatar, ses jeux, ses attentes, ses angoisses, sont autant de possibilités d’entrer en discussion, de mieux appréhender son univers et d’ouvrir l’adolescent sur ce qui le préoccupe.”

En tant que psychologue, je n’aborde pas l’utilisation excessive des jeux vidéo comme un symptôme à éradiquer mais plutôt comme une tentative de guérison défaillante amenée par l’enfant.

Lorelei DIETRICH, psychologue

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Au lieu d’être un mal en soi, les jeux vidéo fonctionnent d’ailleurs très bien comme miroir de l’âme. Comme l’expliquait le psychologue Julien Pierre au journal La Gazette “le jeu vidéo est un support à la parole. En parlant du jeu, indirectement, les enfants parlent d'eux-mêmes.” C'est d'ailleurs pour cela que le jeu vidéo est utilisé comme outil thérapeutique dans certaines psychothérapies, mais ça on vous en parlera plus en détail dans un autre article. Plus largement, il y a beaucoup d’études scientifiques qui visent à montrer tous les aspects bénéfiques des jeux vidéo, que ce soit sur la sociabilité, la mémoire, la créativité, les capacités cognitives ou encore la flexibilité mentale, entre autres. Le magazine Epsiloon avait d’ailleurs réalisé un dossier complet sur le sujet dans son numéro de mars 2023. Mais alors, si “en fait, tout va bien” comme le titre le magazine des anciens de Science et Vie, pourquoi taper autant sur le jeu vidéo ? Pourquoi voit-on encore en 2020 des affiches mettant sur le même plan (voire même devant) la supposée addiction aux jeux vidéo et celle, avérée, à l’alcool et au tabac ?

Toujours dans les colonnes d’Epsiloon, Fanny Parise, anthropologue spécialiste de l’innovation à l’Université de Lausanne, explique qu’il y a une part de peur raisonnable dans cette tendance à pointer du doigt parfois injustement les jeux vidéo : “Plus une invention va bousculer nos routines quotidiennes, notre organisation sociale ou nos croyances, plus les résistances seront grandes. Les individus vont faire une sorte de calcul stratégique : qu’ont-ils à perdre ou à gagner ? Dans le cas des jeux vidéo, ces questionnements sont encore plus saillants, car la technologie semble s’émanciper de la main humaine. Au premier abord, elle apparaît magique, surnaturelle, l'appréhension du risque est donc plus compliquée et la peur plus grande… On peut associer cette méfiance à la résurgence d’une forme de sorcellerie hypermoderne qui amène son lot de superstitions associées.” Et puis, il y a factuellement des caractéristiques inhérentes aux jeux vidéo qui alimentent ces angoisses. Le fait que le joueur soit acteur et qu’il ait donc une expérience unique du jeu proposé, cela exacerbe le potentiel du jeu vidéo comme échappatoire enivrant, loin de la réalité (l’escapism, comme l’ont théorisé les Anglais). Et puis, il y a des exemples précis, à ne pas confondre avec le jeu vidéo en général, qui mènent à de véritables dérives.

Plutôt que de parler d’addiction, correspondant à un diagnostic médical précis, l’expression « pratique excessive » est plus appropriée, selon l’Académie de Médecine, pour expliquer ce comportement. L’addiction étant un syndrome très particulier, un comportement excessif ne peut constituer qu’un symptôme parmi d’autres, venant révéler des questionnements singuliers et propres à chaque personne, des angoisses et frustrations, ou des souffrances sous-jacentes.

Vanessa Lalo dans "La pratique excessive des jeux vidéo, un mode d’expression pour l’adolescent"


Attention aux autres dérives

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

On entend parfois parler de jeu pathologique. Ce trouble, reconnu depuis plusieurs décennies comme un trouble de l'impulsion et une dépendance comportementale, concerne les jeux d’argent et de hasard. Il s’agit, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, du seul trouble addictif non lié à des substances. Le jeu vidéo n’est jamais mentionné dans ce manuel qui a pourtant été pointé du doigt avant même sa sortie pour son manque de rigueur scientifique le poussant à “créer des maladies mentales” afin de répondre à de potentiels intérêts pharmaceutiques. Autant dire que si même ses auteurs n’ont pas sauté sur l’occasion pour ajouter le fameux “trouble du jeu vidéo”, ça pose de réelles questions sur la pertinence d'une telle classification. Le jeu pathologique peut, lui, mener à une véritable dépendance physiologique selon certaines études. Mais il existe tout de même un lien entre jeu pathologique et jeu vidéo.

Certains jeux vidéo ont des mécaniques de hasard et de jeux d’argent. Les loot boxes par exemple, de plus en plus régulées, peuvent avoir cet effet addictif sur le cerveau qui pousse à continuer encore et encore, quitte à mettre à mal son porte-monnaie ou sa santé. Comme l’a démontré une méta-analyse britannique datant de 2021, ces mécaniques contribuent à brouiller la frontière entre les jeux vidéo et les jeux d’argent et peuvent pousser les plus jeunes à développer des pratiques de jeu addictives dans le futur. Et puis quand on parle argent et jeux vidéo, il y a également la monétisation de certaines pratiques vidéoludiques qui entre en jeu. Si on a voulu adresser si rapidement et sévèrement le problème de la dépendance aux jeux vidéo en Chine notamment, c’est parce qu’il se superpose à une autre problématique : le gold farming. Le but est de revendre contre de l’argent réel les ressources accumulées au bout de longues heures de jeu sur des MMORPG principalement. Des cybercafés aux prisons, c’est un véritable emploi qui peut pousser à avoir des pratiques addictives. D’ailleurs, de nombreux faits divers sordides impliquent en fait cette pratique. C’est notamment le cas de la triste histoire de la petite Sa-rang (mentionnée en début d'article). Certes, de nombreuses mesures ont été prises pour endiguer le phénomène, mais il reste aujourd’hui bien vivace. Certains jeux ont même explicitement favorisé ce genre de logique avec l’émergence des play to earn. Forcément, dans ce genre de cas, le rapport à l’addiction porte une toute autre ampleur.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Et puisqu’on parle des dérives, il est assez intéressant de voir qu’en termes de santé et d’addiction, on parle beaucoup de la pratique excessive des joueurs et moins de celle des développeurs. Ceux qui pointent du doigt les récits de joueurs ayant enchaîné des dizaines d’heures de jeu sont moins bruyants concernant les 100 heures/semaine des développeurs de Red Dead Redemption II par exemple. Le crunch implique un rapport presque addictif au travail qui a probablement lui-même encouragé des consommations addictives ou d’autres troubles mentaux afin d’oublier ces périodes intensives et, de manière générale, les conditions de travail éprouvantes dans l’industrie du jeu vidéo. L’occasion de vous inviter à lire le baromètre sur les travailleur•se•s du jeu vidéo en France réalisé récemment par le STJV, même si nous reviendrons sur ce sujet important dans un autre article.

L'addiction aux jeux vidéo est-elle une réalité ?

Il existe malheureusement des dérives dans l'usage du jeu vidéo et il faut les reconnaître pour les éviter. Mais ces dernières s’expliquent le plus souvent par des troubles personnels ou contextuels. C’est pourquoi le terme d’addiction est caduc. Et d’ailleurs, l’OMS elle-même parle d’un “trouble du jeu vidéo” qui ne concernerait qu’1% de la population mondiale. Alors oui, il est temps d’arrêter de brandir l’addiction aux jeux vidéo à tout-va. Il est non seulement plus juste de parler de dépendance, mais surtout plus pertinent de s’intéresser aux véritables troubles mentaux dont les jeux vidéo peuvent être le miroir ou le refuge. Et ça vaut pour les pratiques excessives comme les comportements violents et tous les maux dont les jeux vidéo sont encore et toujours jugés responsables, malgré le temps qui passe. ---

Un grand merci aux psychologues qui ont accepté de nous apporter des précisions au cours de l'écriture de cet article sur ce sujet complexe.


Commentaires
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EprisDeJoie EprisDeJoie
MP
Niveau 2
le 13 oct. 2023 à 21:57

La meilleure des addictions, j aimerais pouvoir rester dans mon canapé du matin au soir 💪 :oui:

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