Il y a 30 ans, quand la Game Boy et la Super Nintendo régnaient en maîtresses sur le monde des jeux vidéo, Nintendo commettait un de ses (très) rares impairs en confiant les droits d'adaptation au cinéma de sa licence la plus populaire : Super Mario. Hollywood Pictures produisait en effet un film universellement reconnu comme un nanar absolu, au scénario et au jeu d'acteur proprement ridicules, et ne rendant pas du tout hommage au jeu vidéo phénomène. Devenu culte malgré lui, ce film n'a clairement pas fait rire Shigeru Miyamoto, qui a cependant désiré ne pas en rester là avec le cinéma, et travailler sur un film d'animation avec un studio référence dans le genre : Illumination, connu principalement pour les sagas Moi, moche et méchant et Les Minions. Si les différentes bandes-annonces ont laissé espérer une collaboration plus que réussie, qu'en est-il sur la durée ?

Illumination, la solution idéale

Suite à l'échec massif, aussi bien commercial que critique, de l'adaptation de Super Mario Bros. au cinéma en 1993, Nintendo a resserré les boulons et s'est fermé au cinéma pendant de très longues années, jusqu'à ce que Shigeru Miyamoto, créateur du personnage et producteur exécutif des jeux de la série, ait eu envie d'un nouveau film en "redécouvrant" les anciens jeux sur les consoles virtuelles de Nintendo à la fin des années 2000. On apprendra par la suite que Sony avait tenté d'obtenir les droits d'exploitation de Mario pour l'adapter à son tour, mais Nintendo optera plutôt pour Universal, avec qui la firme travaillera par ailleurs sur un "land" dédié à l'univers du célèbre plombier dans son parc d'attractions. Ainsi ont débuté les discussions avec Illumination Entertainment en 2016, avant de lancer un projet titanesque s'étant étendu sur pratiquement six ans avant d'arriver en salles, le temps de séduire toutes les générations de joueurs avec des bande-annonces très convaincantes, diffusées par Nintendo dans des mini "Direct" dédiés.

Mario plus fort (et plus rapide) que Sonic

Le scénario de Super Mario Bros. le film (puisque c'est ainsi qu'il s'intitule) est aussi prévisible que surprenant. Il se permet dans un premier temps de singer quelque peu celui de l'adaptation de 1993, en réutilisant la vie new-yorkaise des deux frères plombiers dont les affaires ne vont pas fort, avant de se retrouver transportés malgré eux dans une autre dimension alors qu'ils tentaient de travailler sur une fuite d'eau massive dans les égoûts de Brooklyn. Arrivé dans le Royaume Champignon, Mario se retrouve séparé de son frère, isolé dans le Pays Noir et menacé par le terrifiant Bowser, et s'en remet aux adorables Toad et à la princesse Peach qui les gouverne pour lui venir en aide. L'aventure ne sera pas sans rebondissements, mettant en scène des alliés inattendus et faisant la part belle à une quantité astronomique de références sur quarante ans d'existence du plus célèbre des héros de jeux vidéo. Deux séances (en VOST puis en VF) ne nous ont même pas suffi pour être sûrs de toutes les avoir repérées !

En effet, du tout premier Donkey Kong sorti en 1981 sur arcade jusqu'à Bowser's Fury paru en 2021 sur Nintendo Switch, les jeux évoqués se comptent par dizaines, de l'évident jusqu'au plus subtil, le tout à un rythme que l'on qualifiera sans hésiter d'effréné. Bien que rarement surprenante pour les habitué(e)s des jeux vidéo de la série, l'intrigue de Super Mario Bros. le film défile à toute vitesse : 1h32 (que l'on pourrait réduire à 1h25 vu que le générique est inclus), c'est court, très court. Non seulement on ne voit pas le temps passer, ce qui est bon signe, mais le scénario semble parfois quelque peu expédié, les personnages ne bénéficiant hélas pas d'un vrai approfondissement : peut-être la production a-t-elle estimé qu'ils seraient tous très vite reconnus par les joueurs, et facilement identifiables et compréhensibles pour le public moins (voire pas du tout) initié. L'avantage, c'est que Super Mario Bros. le film ne souffre d'aucun temps mort, et qu'absolument aucune scène n'est de trop. On aurait juste aimé en avoir un peu plus !

Une œuvre pour toutes les générations

S'il y a bien une licence de jeux vidéo qui est absolument universelle et tous publics, c'est bien Super Mario, plus encore que Pokémon dont le gameplay est quand même plus complexe à appréhender pour les plus jeunes, voire les non-joueurs. L'adaptation des aventures du plus célèbre des plombiers au cinéma se doit donc de parler à toutes les catégories d'âge, que le public visé connaisse la série ou non. C'est ici que l'on pourrait se poser la question du bien-fondé d'un rythme aussi soutenu, qui finalement ne prend que très peu le temps de poser les enjeux de l'œuvre et d'introduire plus en détail les différents acteurs de l'aventure, leurs personnalités ainsi que les liens qui les unissent… ou bien ce qui les oppose.

Bon, évidemment, vous vous en doutez, on ne va pas chercher à vanter ici une quelconque profondeur scénaristique dans l'univers de Super Mario, ou dans cette adaptation dont l'histoire est finalement très classique – bien qu'elle esquive, et on appréciera, le cliché de la capture de Peach et de la demoiselle en détresse. La princesse est en effet présentée ici comme une véritable héroïne sans peur avec beaucoup de caractère. En outre, même si tous les événements s'enchaînent très vite, la simplicité de l'univers de Super Mario et des bases du jeu vidéo qui l'a rendu célèbre sont finalement très bien retranscrites à travers ce qui est davantage très efficace que bâclé. À l'inverse, par exemple, des Mondes de Ralph où le scénario requiert d'être davantage approfondi, Super Mario Bros. le film n'a pas vraiment besoin de beaucoup d'explications.

Toutefois, il y a fort à parier que les joueurs, et à plus forte raison ceux ayant grandi avec Super Mario depuis plusieurs décennies, seront ceux à qui le film parlera le plus. Illumination a pris soin de disséminer d'innombrables références, du lore des premiers épisodes NES jusqu'à l'évident costume de chat de Super Mario 3D World en passant par beaucoup de clins d'œil aux diverses représentations du royaume Champignon et à l'univers de la série Donkey Kong Country, pour n'en citer qu'une liste très peu exhaustive : les habitué(e)s se sentiront constamment touché(e)s en plein cœur, y compris jusque dans les excellentes réorchestrations des thèmes cultes de Kōji Kondō par un Brian Tyler au sommet de son art… quand il ne s'agira pas d'instants "nostalgie" efficaces portés par des hits pop-rock de l'âge d'or de la NES et de la Super Nintendo. Oui, même la bande originale est à la hauteur, tout comme les doublages…

Le casting de la version originale de Super Mario Bros. le film, dévoilé 6 mois avant sa sortie.

Avec l'accent de New York ou de Paris ?

Ah, les doublages, en voilà un sujet qui fâche. Depuis le premier trailer diffusé par Nintendo, si la majorité des comédiens sélectionnés du côté de la version originale a remporté l'adhésion des fans, le choix de Chris Pratt pour interpréter Mario en anglais a souvent fait débat, y compris chez les anglophones qui nous envient nos doublages français ! Pourtant loin d'en être à sa première expérience de doubleur, l'acteur vedette de Jurassic World donnait en effet une voix qui semblait peu convenir à Mario dans la première bande-annonce. Honnêtement, sur la durée, on finit par s'y habituer très vite, et son choix de ton ne choque plus du tout après quelques minutes, notamment car il s'accorde très bien avec celui de Luigi, interprété par un Charlie Day très convaincant dans son rôle. Quant à Anya Taylor-Joy et Jack Black, comme on pouvait s'y attendre, ils sont tout simplement excellents, respectivement en Peach et Bowser.

Les autres rôles un peu plus secondaires ne sont d'ailleurs pas en reste, Keegan-Michael Key (Toad) et Seth Rogen (Donkey Kong) tirant particulièrement bien leur épingle du jeu. Mais quid de cette fameuse version française que l'Amérique nous envie, portée par le talent de notre incroyable vivier de comédiens de doublage ? Eh bien, peu de suspense ici, et tant mieux : la VF est totalement à la hauteur de nos espoirs. Le doublage de Super Mario Bros. le film dans la langue de Molière, qui au passage n'a subi aucune retouche malvenue de dernière minute avec l'intrusion d'un quelconque "star talent" qui aurait fait grincer des dents de nombreux fans, est absolument impeccable de bout en bout. En fin de compte, la version française est très représentative de la qualité du film dans son ensemble : elle ne fait que concrétiser les promesses d'excellentes bandes-annonces, loin de constituer une simple compilation des meilleures séquences, ou de révéler trop hâtivement tout ce que le film avait de mieux à proposer ! Il y aura plein de surprises, de personnages savoureux à découvrir, et on vous invite à bien rester jusqu'au bout du générique…

La meilleure adaptation d'un jeu vidéo au cinéma ?

Indiscutablement dans une autre galaxie que le légendaire rendez-vous raté de Nintendo avec le cinéma en 1993, Super Mario Bros. le film est une adaptation extrêmement fidèle, qui consiste tout simplement exactement en ce qu'on en attendait. Largement meilleure que celle de Ratchet & Clank pour comparer ce qui est comparable, et sans doute bien au-dessus des Sonic récents qui avaient pourtant relevé le niveau du jeu vidéo au cinéma, cette adaptation a tout de la concrétisation d'un rêve d'enfant sur grand écran pour des millions de joueurs et de fans. On passe une heure et demie avec la banane (non, pas celle de Donkey Kong) tout simplement parce que Super Mario Bros. le film est une lettre d'amour à toutes celles et ceux qui aiment cette franchise culte, et où l'implication de Shigeru Miyamoto se ressent sur chaque plan, bien qu'il faille avant tout rendre hommage au travail formidable des orfèvres de Illumination.

Après une telle expérience, qui rabiboche enfin Nintendo avec le septième art, deux réflexions nous viennent instantanément à l'esprit. Si la première a tout du fantasme irréalisable – jouer, un jour, sur une console Nintendo, à un jeu vidéo Mario aussi beau que ce que Illumination a réussi à créer – la seconde piste relève beaucoup moins de l'utopie : et si le possible succès de Super Mario Bros. le film au box-office marquait le début d'un "Nintendo Cinematic Universe" ? Après tout, la collaboration avec Illumination semble avoir été une réussite, et si celle-ci se traduit en chiffres, il n'est pas à exclure de voir le constructeur travailler de nouveau avec des sociétés de production et des studios aussi talentueux pour surfer sur ce succès. On se prend alors à rêver d'un film d'animation sur l'univers de Donkey Kong, de Starfox, ou pourquoi pas, de productions un peu plus "adultes" adaptant Zelda ou Metroid, qui sait ? L'avenir nous le dira, mais avec une adaptation aussi réussie que celle de Super Mario, il pourrait bien être radieux !

Décidément, en ce début d'année 2023, les adaptations de jeux vidéo cultes de qualité sont au rendez-vous. Après l'excellente série TV basée sur The Last of Us du côté de HBO, c'est Universal qui s'offre une petite merveille de film pour tous publics en mettant à l'honneur la licence qui s'y prêtait le mieux, et n'attendait que d'être enfin ainsi sublimée. Super Mario Bros. le film ne révolutionne peut-être pas le film d'animation comme Super Mario Bros. avait révolutionné le jeu vidéo, mais il lui rend un vibrant hommage, quasi sans-faute, à la hauteur de ce que tous les fans du plus célèbre des plombiers moustachus espéraient. Et quand on sait ce qu'il en a été pendant tant d'années entre Nintendo et l'univers du cinéma, c'est un petit miracle. Vivement une suite !