Enfin du concret dans l’acquisition d’Activision Blizzard King par Microsoft ? Ce mardi 21 février 2023, nous avons voyagé à Bruxelles pour assister à une conférence de presse animée par Brad Smith, président de Microsoft, à propos de la fusion entre les deux groupes. L'événement faisait suite à une audience privée sur le dossier d'examen du rachat menée par la Commission européenne. Ce qui ressort de cette rencontre, c’est l’envie de marginaliser Sony auprès des régulateurs grâce à des soutiens inattendus.
Sommaire
- Sous haute tension
- Toute résistance est futile : Nintendo et Nvidia soutiennent Microsoft
- Une pluie de chiffres pour faire glisser les régulateurs
- Les propositions de la CMA balayées d'un revers de main
- Pour Xbox, la guerre des consoles est perdue, mais pas celle des utilisateurs
Sous haute tension
Le mardi 18 janvier 2022, le projet de rachat du groupe Activision Blizzard King par Microsoft secoua l’industrie. Le montant de la transaction, s’élevant à près de 69 milliards de dollars – du jamais vu dans le monde du jeu vidéo – attira tous les regards, aussi bien ceux des joueurs que des régulateurs. Les autorités de la concurrence de différents marchés se mirent alors à analyser le deal. C’est à partir de ce moment que la tentative de rachat s’est transformée en véritable feuilleton. Grâce aux documents officiels et autres rapports rendus disponibles au grand public pendant les diverses procédures, nous avons assisté à un véritable bras de fer entre Microsoft et Sony. Le groupe japonais demandait l’annulation du deal aux autorités, tandis que le géant américain estimait que c’était justement pour qu’il y ait plus de concurrence que cette acquisition devait se finaliser.
La FTC (États-Unis) envisage de bloquer la fusion, tandis que la CMA (Royaume-Uni) comme la Commission européenne continuent d’analyser le dossier. Les agences estiment que la firme de Redmond pourrait devenir trop puissante dans le secteur du gaming si elle bénéficie de Call of Duty en exclusivité. Le Cloud et le Game Pass sont également pointés du doigt, puisque d’après les régulateurs, l’avantage de Microsoft dans ces domaines en cas de rachat d’Activision Blizzard King pourrait être tellement énorme que cela pourrait nuire à la concurrence. De son côté, le mastodonte américain répète à qui veut l’entendre qu’il ne souhaite pas rendre Call of Duty exclusif, et que ses services dédiés au jeu vidéo vont dans le sens du consommateur.
En coulisse, cela fait maintenant un an que Microsoft et Sony s’affrontent dans cette affaire. Cela a occasionné des situations cocasses, comme ce moment où Jim Ryan (boss de PlayStation) a accusé Phil Spencer (patron de la Xbox) de laver le linge sale en public, ou quand Bobby Kotick (directeur général d’Activision) s’est permis de faire la morale à la fois à Sony et au Premier ministre du Royaume-Uni. Si vous venez régulièrement sur JV, vous avez forcément vu ces échanges musclés entre les deux mastodontes. Dernièrement, Activision a affiché son exaspération, alors que Sony s’est dit harcelé par les demandes de documents provenant de Microsoft.
Plus que deux marques qui se querellent, il y a deux personnalités qui se défient. Jim Ryan d’un côté, Phil Spencer de l’autre. Les deux travaillent depuis très longtemps dans leur entreprise respective : 1994 pour Ryan, 1988 pour Spencer. Les deux veulent défendre les intérêts de leur société du mieux qu’ils le peuvent… et les deux se sont rencontrés à Bruxelles le mardi 21 février 2023.
Toute résistance est futile : Nintendo et Nvidia soutiennent Microsoft
Alors que la rumeur d’un rendez-vous secret à Seattle entre les deux responsables a gonflé ces derniers jours, Phil Spencer, Jim Ryan, Bobby Kotick ainsi que des responsables de Nvidia, Google et Vave se sont réunis à Bruxelles pour défendre leur position devant la Commission européenne. Microsoft a ouvert les hostilités quelques heures avant le début de cette réunion sous haute tension en annonçant qu’un accord avait été trouvé avec Nintendo afin d’assurer la venue de Call of Duty pendant au moins 10 ans sur les consoles du papa de Mario, en cas de réussite de la fusion.
Ce n'était qu'une mise en bouche par rapport au nouveau partenariat avec Nvidia révélé par Brad Smith (président de Microsoft) durant le point presse. C’est officiel, les jeux Xbox PC (Xbox Game Studios et Bethesda) arrivent sur GeForce Now pour une durée d’au moins 10 ans. “Bien sûr, nous sommes un consolier”, précise Brad Smith, “mais il s’agit ici de contribuer à construire un meilleur avenir multiplateforme”. Avec ses 25 millions d’utilisateurs, GeForce Now est une plateforme de choix pour le géant américain grâce à des jeux accessibles en streaming sur PC, macOS, Chromebooks et smartphones. Ce rapprochement est à l’avantage de Microsoft pour deux raisons : Nvidia ne prélève aucun pourcentage sur le contenu et GeForce Now n’est pas un concurrent du Game Pass. Il n’est plus utile de douter, Xbox est en quête d’utilisateurs à attirer vers son contenu, que cela se fasse sur une console ou sur un service géré par un de ses concurrents.
Autrefois opposé à ce deal, Nvidia devient donc un partenaire. Ne dit-on pas qu’il faut être proche de ses amis mais surtout de ses ennemis ? De quoi marginaliser un peu plus Sony dans sa position d’opposant, d’autant plus que la firme de Redmond s'enorgueillit de compter dans ses soutiens Valve, l’European Game Developers Federation (qui représente plus de 2 000 studios de jeux en Europe), l’UNI Global Union ainsi que la Communication Workers of America. “Nous n’avons pas encore trouvé d’accord avec Sony” regrette Brad Smith, “mais nous sommes prêts à signer dès demain”. “Sony peut dépenser toute son énergie à essayer de bloquer le deal (...) ou bien il peut s'asseoir avec nous et élaborer un accord qui réponde à ses préoccupations concernant principalement l'accès à Call of Duty” lance-t-il aux journalistes présents.
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Une pluie de chiffres pour faire glisser les régulateurs
Dans sa quête d’intégrer Activision à sa grande famille qui a déjà adopté Bethesda en 2021, Microsoft s'appuie sur des chiffres qui font mal. Quel que soit le territoire exposé, les parts de marché de la Xbox sont à la traîne par rapport à celles de PlayStation : 80/20 en Europe, 96/4 au Japon et 70/30 dans le monde, toujours à l’avantage de Sony. Une différence qui pourrait encore s’accentuer puisque Brad Smith reconnaît que son concurrent “est revenu en force” depuis la fin des soucis de production de PS5.
Le président de Microsoft se permet tout de même de tacler son concurrent direct en déclarant que lorsque l'on possède une part de marché de 80 %, on n’a pas envie de voir arriver du changement et on s’accroche aussi fort que possible à la situation actuelle. “Les régulateurs ne sont pas là pour protéger les entreprises super dominantes” s’amuse Brad Smith. “Il ne me viendrait pas à l'esprit de suggérer qu'une entreprise détenant une part de marché aussi importante devrait être protégée des sociétés plus petites du marché qui cherchent à se développer et à innover” ajoute-t-il. Car oui, si Microsoft est une des entreprises les plus puissantes du monde, les résultats de sa branche gaming restent derrière ceux de ses principaux concurrents. Elle est là, toute l'ambiguïté de cette affaire.
Brad Smith affirme que la PlayStation possède “5 fois plus d’exclusivités que la Xbox” (286 softs contre 59) et que seulement “2 titres PlayStation sont sortis sur Xbox contre 58 jeux Xbox disponibles sur les plateformes de Sony”. Selon Microsoft, le rachat d’Activision permettrait à Call of Duty d’être joué par 150 millions nouveaux joueurs grâce aux accords signés avec Nvidia et Nintendo. Un chiffre censé rassurer les régulateurs craignant une hypothétique exclusivité de la célèbre franchise et qui devrait mettre Sony dans l’embarras. Si le géant japonais décide de continuer à bloquer l’acquisition, il devra expliquer pourquoi il envisage de priver les utilisateurs d’autres plateformes de ce contenu. “Les gens de PlayStation disent que Call of Duty est un must-have. Quand nous nous sommes réveillés ce matin, ce must-have était surtout disponible sur ces deux consoles, et donc sur 120 millions d'appareils. Ce soir, ce must-have sera sur 150 millions de périphériques supplémentaires si cet accord est approuvé” conclut Brad Smith.
Les propositions de la CMA balayées d'un revers de main
Lors de la session de questions/réponses suivant l’événement, Brad Smith a rejeté les recommandations de la CMA publiées lors des conclusions préliminaires. Selon lui, une cession partielle d’Activision Blizzard n’est tout simplement pas réaliste. “Nous ne pensons pas que vendre une partie d’Activision à quelqu’un d’autre soit une solution viable” insiste-t-il. “Des garde-fous et des remèdes comportementaux appropriés sont de loin préférables à toute autre alternative”. Le régulateur britannique devra donc se contenter des mesures comportementales plutôt que structurelles.
“Je ne pense pas que la CMA ait complètement fermé la porte aux remèdes comportementaux. La porte est ouverte, au moins un peu. Ce que j'espère, c'est que ce soir, la CMA regardera par cette porte et qu'elle verra cette opportunité (Call of Duty pour 150 millions de nouveaux appareils - ndlr). Ce sera bien pour les consommateurs en Grande-Bretagne. Ce sera bien pour le secteur du jeu aux États-Unis, et ce sera bien pour le monde” assure le président de Microsoft. Il reste à voir comment le régulateur anglais va apprécier ces remarques. Brad Smith se dit plus confiant que jamais quant à la finalisation de ce rachat, lui qui a déjà connu des affaires antitrust avec les cas Internet Explorer/Windows et LinkedIn.
Pour Xbox, la guerre des consoles est perdue, mais pas celle des utilisateurs
Ce qu’il faut retenir de cet événement animé par Brad Smith, qui n’a pas hésité à brandir le contrat envoyé à Sony “deux jours avant Noël” afin de divertir l’assemblée, c’est que Microsoft a définitivement reconnu avoir perdu la guerre des consoles dans sa lutte face à PlayStation. Chiffres à l’appui, le géant américain a montré qu’il était derrière son concurrent japonais sur de nombreux points : ventes de consoles, chiffre d’affaires du segment gaming ou encore nombre de jeux exclusifs. Cette bataille est peut-être perdue, mais la firme de Redmond pense à la suivante depuis plusieurs années en bâtissant un écosystème résolument tourné vers les nouvelles manières de consommer des médias. Un futur centré sur le contenu plutôt que le contenant, sur le nombre d’utilisateurs actifs plutôt que sur les consoles Xbox vendues.
Brad Smith le dit lui-même, Microsoft veut apporter ses jeux partout où il est possible de les livrer, si bien que certains fans de la marque au gros “X” s’inquiètent de voir le constructeur terminer comme simple éditeur tiers à l’avenir. Le débat n’est déjà plus là pour le géant américain qui compte bien profiter de l’essor du Cloud, de ses multiples partenariats et de tous les périphériques accueillant son Game Pass pour créer “un modèle viable sur les 10 années à venir”.