En 2017, la Nintendo Switch ne pouvait pas rêver meilleur jeu pour accompagner son lancement que The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Après la Nintendo Wii U, le constructeur nippon jouait gros avec cette machine hybride, et il lui fallait un champion pour rectifier ce camouflet. Dans les locaux de Big N, le stress devait être palpable, quand bien même tout ce trac a du rapidement laissé place à un énorme soulagement lorsque la presse spécialisée a rendu son verdict sur ce nouveau Zelda. Unique en son genre, cette nouvelle production faisait le choix risqué d’une aventure gigantesque en monde ouvert. Hérésie pour certains, véritable porte d’entrée à la licence, pour d’autres, qui s’accapare ici l’une des tendances émergentes du jeu vidéo.

Malgré ce léger clivage, le titre est adoubé par le public et peut même se vanter de figurer parmi les rares productions à avoir décroché la note maximale. Une récompense à deux revers : consécration d’un côté, fardeau de l’autre. Ce poids, aujourd’hui, est d’autant plus important puisque les cadres de Nintendo et du premier volet ont décidé de rempiler pour un deuxième épisode qui aura la lourde tâche d’être à la hauteur de son aîné. Ainsi, il y a une question qui brûle les lèvres : Tears of the Kingdom réussira-t-il le défi périlleux de succéder à Breath of the Wild ? Pour y répondre, on va tenter d’effectuer des parallèles avec certaines productions qui se sont essayées à ce challenge, tout en recontextualisant les informations dont on dispose déjà à propos de cette suite.

La crainte d’un Zelda Breath of the Wild 1.5

Depuis quelque temps, c’est sûrement le reproche qui est le plus souvent lancé à la volée lorsqu’une licence accueille une suite après un premier épisode acclamé. Récemment, c’est la dernière création de Santa Monica Studio, God of War : Ragnarök, qui en a fait les frais, à plus ou moins juste titre. Oui, il fallait s’y attendre, Kratos allait encore enchaîner les ennemis à la force de ses bras, maniant bouclier, Hache du Léviathan, Lames du Chaos et employant les mêmes techniques et mouvements que lors du reboot de 2018. Bref, un gameplay dans la droite lignée du précédent qui a été ponctué de petites trouvailles suffisamment efficaces pour lui redonner des couleurs le temps de ce nouveau périple.

Si, pour une partie de la communauté, ce n’était pas suffisant, pour l’autre, il pouvait y avoir une forme de réconfort à retrouver des automatismes au moment de contrôler l’ancien dieu de la guerre. Un plaisir instinctif et grisant, où l’on se retrouve à se débarrasser d’un ennemi en enchaînant les combos sans qu’il puisse mettre le pied à terre, qui permettait ainsi de se concentrer davantage sur l’aspect scénaristique. Au final, God of War : Ragnarök ne révolutionnait pas son gameplay, pouvait certes avoir l’air d’être une version 1.5 mais cela ne lui a aucunement porté préjudice. Pour The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, c’est un peu le même problème qui se pose. Sauf que le titre a un atout dans sa manche.

Au-delà de proposer un monde ouvert qui incitait à l’exploration à outrance et aux balades sans fin à dos de notre fidèle destrier, Breath of the Wild reposait sur un immense champ des possibles en matière de gameplay grâce auquel le joueur pouvait choisir de vivre son aventure comme il le souhaitait. L’intrigue ne faisait que lui dessiner un sillon dans lequel il pouvait s’engouffrer directement ou duquel, à l’inverse, il pouvait s’échapper pour se concentrer, en majeure partie, sur tout ce qui l’entoure. Libre au joueur d’aller où bon lui semble, de jouer et combattre comme il l’entend, d’aborder les sanctuaires et les donjons à sa manière, … De ce fait, le principe de base et le maître-mot de Breath of the Wild était la liberté, ce qui impliquait que chaque expérience, en partie grâce au game design, était unique en son genre.

En partant de ce postulat, chaque joueur abordait l’aventure de manière différente, et l’on pourrait se diriger vers la même chose avec Tears of the Kingdom. Clairement, on imagine mal Nintendo faire un virage à 180 degrés et faire une croix sur l’aspect permissif de Breath of the Wild. Ainsi, en faisant confiance aux joueurs à nouveau et en les encourageant à rester inventif dans leur approche du jeu, Nintendo pourrait bien remporter le pari de cette suite. Toutefois, il lui faudra bien plus d’arguments pour être à la hauteur de l’héritage de son aîné, et l’on commence déjà à en discerner quelques-uns.

Reprendre, remodeler et surprendre : les objectifs de Tears of the Kingdom

Juin 2019. Les passionnés de jeux vidéo ont les yeux rivés devant leur écran puisque nous sommes en pleine période de l’E3. Les mordus de Nintendo, eux, attendent impatiemment de savoir ce que le constructeur a choisi de dévoiler lors de son direct. Pour clôturer l’évènement en beauté, la firme kyotoïte a décidé de jouer sa carte maîtresse : l’annonce du successeur de Breath of the Wild ! Dès lors, Eiji Aonuma monte au créneau pour confirmer que le titre, dont on ignore encore le nom, est une suite directe de Breath of the Wild. Immédiatement, on comprend la dangerosité du projet et ses écueils possibles car il devient impossible de renier les évènements de Breath of the Wild, ce qui implique de créer du lien et de porter une grande attention à l’aspect scénaristique.

Par le passé, certains jeux ont tenté l’expérience sans parvenir à égaler leur première tentative, tandis que d’autres ont, à l’inverse, contourné le problème de la suite en développant un préquel. C’est le cas, par exemple, de Little Nightmares 2 qui, à défaut de proposer la suite des aventures de Six, nous retrace ses premiers pas en compagnie d’un nouveau personnage. L’idée est simple, mais elle a le mérite d’offrir une nouvelle vision de l’héroïne en plus de raccrocher les wagons avec le premier épisode. Ce nouveau Zelda, par contre, ne se facilite donc pas la tâche en reprenant là où l’aventure Breath of the Wild s’arrête mais c’est le risque que les équipes sont prêtes à prendre pour aboutir à une suite de la trempe de l’exclusivité Nintendo parue en mars 2017. Cependant, celles-ci semblent avoir de la matière pour mettre en chantier un sequel qui se renouvelle suffisamment et qui parvient, à la fois, à ne pas susciter la déception des fans et à esquiver le feu des critiques.

Ces contrées d’Hyrule, les joueurs les connaissent désormais comme leur poche, pour ne pas dire sur le bout des doigts. Pour autant, pour Aonuma, cette première escapade hyrulienne n’est pas suffisante : le royaume n’a pas exploité tout son potentiel et cette suite est le prétexte idéal pour mettre un coup de pied dans cette espèce de château de sable qu’est le Hyrule de Breath of the Wild afin de rebattre les cartes de l’exploration dans cette suite. Pour tirer son épingle du jeu, l’équipe d’Aonuma joue à la fois sur l’aspect géographique qui nous est familier tout en s’appuyant sur le scénario de cette suite pour en modifier la topographie (l’une des potentielles explications des « tears » (larmes, déchirures) de cette suite).

On connaît ce monde, mais il est entièrement à redécouvrir car, une fois de plus, Ganon s’éveille et menace ces terres par sa corruption : une sorte de nouveau lieu qui pourrait être un choix gagnant pour Nintendo. Le bas change tandis que le haut fait son apparition, synonyme d’une exploration décuplée aussi bien terrestre que céleste. Qui plus est, les propos d’Aonuma lors de l’annonce de la nouvelle date de sortie avaient piqué notre curiosité. Il a bel et bien parlé de la terre et du ciel, mais il a également prononcé les mots « nouveaux horizons » ce qui porte à croire que les surprises de cette suite ne s’arrêtent pas là, promettant une expérience résolument spéciale pour cette suite de Breath of the Wild.

Au-delà de ça, comme on l’a dit en amont, il y a cette crainte de l’effet « 1.5 » que les développeurs ont assez vite désamorcée. Selon eux, s’ils avaient pu faire un énorme DLC, ils l’auraient fait : toutefois, en raison d’un trop grand nombre d’idées et des contraintes techniques que cela impliquait, cette éventualité a été écartée. Opter pour une suite est donc un moyen de prouver aux joueurs qu’il y a la possibilité de recréer une expérience marquante, et non anecdotique. Il y a d’ailleurs un détail intéressant à souligner : en 2017, « BOTW », comme on le raccourcit, était un appel à l’aventure, à la découverte qui laissait transparaître une certaine horizontalité, et c’est justement par la verticalité qu’il compte proposer que « TOTK » espère se démarquer et remporter ce pari osé.

L’environnement change, le potentiel de cet univers dévoile une autre facette et le gameplay, lui, évolue par la même occasion : Link, pourtant malmené dans la bande-annonce, nous montre qu’il réchappe de ce fléau avec de nouvelles aptitudes : pouvoirs temporels, passage à travers la matière, utilisation d’une sorte de lance-flammes grâce à un dispositif sur son bouclier (en opposition au Cryonis de BOTW), vol plané et nouvelles postures, … Ainsi, Nintendo applique l’exacte formule du précédent volet en introduisant de nouvelles mécaniques qui décuplent les manières d’appréhender le jeu, de vivre une expérience différente mais tout aussi maîtrisée et de combattre les ennemis de cette suite dont on a déjà pu découvrir de nouveaux représentants.

Sombre et mystérieux, le scénario comme arme secrète

Pour la suite d’une licence, il y a souvent deux choix qui s’offrent à elle. Défricher une nouvelle voie, avec un opus totalement différent, ou bien étoffer l’univers qu’elle a construit. Ici, il y a donc deux écoles qui s’opposent et on l’observe encore aujourd’hui. En février prochain, Octopath Traveler II débarque avec une nouvelle histoire et un nouveau casting de personnages, et pourtant il porte bien la marque de la suite. À l’inverse, Star Wars Jedi : Survivor, qui sort le mois d’après, poursuit la trame mise en place en continuant de tisser le fil de son intrigue grâce aux nouvelles péripéties de Cal Kestis, un personnage auquel on s’est attaché et dont on a envie de connaître l’avenir et la destinée. C’est un peu la même problématique avec Breath of the Wild : le jeu a connu une telle ferveur que cela pouvait être difficile de mettre de côté le Link et la princesse Zelda de cet épisode.

En soi, ce n’est pas le fait de reprendre l'univers ou le casting qui est difficile, mais c’est surtout de savoir comment bien le mettre en scène. Tears of the Kingdom, lui, joue donc la carte de la continuité et du récit qui s’assombrit un peu plus, preuve que Breath of the Wild n’était qu’un préambule, qu’il souhaite s’en démarquer et que le fléau est loin d’être éradiqué. À sa manière, The Last of Us Part II avait, lui aussi, pousser le curseur de la noirceur d’un cran à travers une escalade de violence qui avait le mérite de mettre les personnages face aux conséquences de leurs actes. Le jeu a eu son lot de détracteurs, certes, mais il n’empêche que cette suite a été applaudie, non pas parce qu’elle révolutionnait son gameplay mais parce qu’elle proposait une histoire bouleversante. C’est aussi sur ce terrain que Tears of the Kingdom devra faire ses preuves pour égaler son aîné car, actuellement, il y a plus de théories que d’éléments concrets.

Dernièrement, un nouvel extrait a été diffusé dans le cadre d’un Nintendo Direct. Les fans ont scruté le moindre détail allant jusqu’à rapprocher cette suite de deux lointains volets de la licence : Majora’s Mask, en raison de la tonalité sombre de cette suite, et Twilight Princess pour tout un tas de petites choses. Pêle-mêle : le grain sombre de l’image lorsque Link remonte le temps, les teintes vertes et noires sur la Master Sword, les larmes des fresques qui ressemblent aux cornes aux bouts incurvés de Midona, … Larmes qui rappèlent également les Perles de lumière de Twilight Princess, les larmes de lumière de Spirit Tracks ou encore les larmes sacrées des Psysalis dans Skyward Sword. On ne connaît pas encore les plans de cette suite mais, si l’on suit cette piste, Nintendo pourrait tenter un coup de poker en créant du lien avec l’univers de la franchise pour insuffler de la nouveauté dans l’intrigue de Tears of the Kingdom. Quoi qu’il en soit, les développeurs devront être béton au moment de fournir les explications qui justifieront ces étonnantes connexions. Si, tout compte fait, il ne s’agit pas de cela, il y a fort à parier que les équipes ont tout mis en œuvre pour que les justifications ludiques et scénaristiques soient cohérentes, notamment cette histoire de « larmes », de « déchirures ».

De ce postulat, il est évident que cette suite joue (et se joue des joueurs) avec ses symboles pour créer la surprise. On a, par exemple, pu observer quelques morceaux de fresques dans le dernier extrait du jeu, montrant un personnage (la princesse Zelda ?) accompagné d’un autre (la déesse Hylia ?), caché par le logo, qui semblent unir leurs pouvoirs sans que l’on parvienne à savoir de qui il s’agit réellement. Par ailleurs, il est possible d’observer une reproduction du personnage au sein du jeu, symbolisée par un dessin vert sur un monticule de terre dans la récente bande-annonce : un indice, donc, sur l’importance de son rôle. Le logo du jeu ne déroge pas à la règle non plus. Avec sa forme circulaire et ses deux dragons qui se confondent en une seule et même entité, le logo s’apparente au symbole de l’Ouroboros. Une représentation dont l’interprétation renvoie étrangement au cadre du jeu, et ce de deux manières : la première puisqu’il symbolise l’union du monde chthonien (né de la terre) et le monde céleste, la seconde puisqu’il évoque la répétition continuelle d’un même cycle que l’on peut comparer à la résurgence de Ganon et du fléau. Bref, pour se démarquer, Tears of the Kingdom pourrait miser sur une histoire bien mystérieuse, et c’est peut-être ça qui lui permettra de remporter tous les suffrages et de regarder Breath of the Wild droit dans les yeux, sans sourciller.

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