Tandis que Sony affiche publiquement ses craintes concernant le rachat d'Activision par Microsoft, ce dernier publie un argumentaire de 111 pages pour se défendre d'un éventuel monopole sur le marché qu'il est accusé de vouloir exercer. Voici les trois grands arguments qui en ressortent.
Sommaire
- “Call of Duty n'est pas non plus unique”
- Le mobile avant tout
Un an après son annonce, le rachat d'Activision - Blizzard par Microsoft d'un montant de 68,7 milliards de dollars continue d'alimenter les tensions au sein de l'industrie qui se cristallisent chez Sony par une crainte particulière : le future de Call of Duty sur les consoles PlayStation. Pour le constructeur japonais, c’est très clair, placer la franchise star sous le contrôle exécutif de Microsoft constituerait pour ce concurrent un avantage sans précédent en matière de contenu. Et d’ajouter que consommateurs comme développeurs indépendants subiraient un préjudice si l’acquisition se voyait approuvée. Pour l’heure, le projet d'acquisition de l'Américain est toujours examiné par les organismes de réglementation de 16 pays, l'Arabie saoudite et le Brésil l'ayant déjà approuvé. Cette semaine, de nouveaux éléments de réponses aux préoccupations ambiantes sont rendues visibles dans un document soumis par Microsoft en réponse à la déclaration de la CMA publiée le 14 octobre 2022, soit l'autorité britannique de la concurrence et des marchés. Il y est indiqué, noir sur blanc, que “la fusion (avec Activision-Blizzard) ne vise en aucun cas à exclure un fournisseur de consoles, mais augmentera la concurrence sur un marché longtemps dominé par Sony”. Le premier argument de Microsoft est donc limpide : Xbox ne peut exercer de monopole dans un marché déjà largement dominé par Sony.
La suggestion que le leader historique du marché, Sony, qui possède un pouvoir de marché clair et durable, pourrait être évincé par le plus petit des trois concurrents de la console, Xbox, du fait de la perte de l'accès à un seul titre, n'est pas crédible. La PlayStation de Sony a été la plus grande plateforme de console depuis plus de 20 ans, avec une base installée de consoles et une part de marché qui fait plus du double de celle de la Xbox.
Et d’ajouter que l'ajout du contenu d'Activision à l'écosystème Xbox augmentera plutôt les chances de la machine à concurrencer plus efficacement la PlayStation de Sony. Pour étayer son propos, Microsoft ne cesse d’appuyer la grandeur de son concurrent : “En plus d'être le fournisseur dominant de consoles, Sony est également un puissant éditeur de jeux. Sony est à peu près équivalent en taille à Activision et presque le double de la taille de l'activité d'édition de jeux de Microsoft”. Mais c’est probablement la citation suivante qui surprendra le plus : “Sony a plus de jeux exclusifs que Microsoft, dont beaucoup sont de meilleure qualité.”
“Call of Duty n'est pas non plus unique”
Autre raisonnement notable mis en exergue par Microsoft pour prouver qu’il n'exercera pas de monopole particulier suite au rachat d’Activision : “Call of Duty n'est pas non plus unique, comparé aux nombreux autres jeux qui sont aimés”. Plus d’une fois, la boîte déclare estimer que Sony surestimerait l'importance de la franchise dans sa viabilité. Arguments cités à tour de bras : Call of Duty est régulièrement devancé par d’autres productions dans les classements Metacritic et ne constituerait pas le moteur des conversations sur les réseaux sociaux : “Il y a eu plus de 2,4 milliards de tweets sur les jeux en 2021 et pourtant, aucun titre de Call of Duty n'est entré dans le top 10 des "jeux vidéo les plus discutés" sur Twitter l'année dernière”. Aussi, la plupart des joueurs sur consoles ne jouent pas à Call of Duty et pour la grande majorité d’entre eux, la licence ne serait qu’une petite composante de leur consommation globale de jeux. Au fil des pages, les arguments du genre se succèdent. Microsoft affirme aussi que les consoles disposent d'une flopée d’alternatives viables incluant Fortnite, Apex Legends, Tom Clancy’s Rainbow Six Siege, Destiny 2, ARK : Survival Evolved ou même encore Grand Theft Auto VI qui selon le constructeur, “aurait” ses chances de sortir en 2024. Le géant s’appuie également sur le modèle Nintendo qui prospère sans l’ombre d’un CoD dans sa machine :
De même, des plateformes de jeux à succès comme Nintendo et Steam ont prospéré sans avoir accès à Call of Duty. L'activité console de Nintendo est très prospère, sans qu'une seule version de Call of Duty ne soit disponible sur sa dernière console, la Nintendo Switch. Un autre exemple de plateforme qui a réussi sans Call of Duty est Steam, qui est la plus grande vitrine numérique, avec une part de 40-50% des ventes numériques de jeux PC au Royaume-Uni. Steam n'a pas proposé de nouveaux jeux Activision au cours des trois dernières années suite à la décision commerciale d'Activision de ne vendre ses jeux pour PC que sur Battle.net. Cela n'a pas affecté la position de leader de Steam.
Un argument auquel Sony s’est empressé de répondre, certifiant que Nintendo offre une expérience bien différente de celle de la Xbox et de la PlayStation “parce qu'elle se concentre sur des jeux à vocation familiale qui sont très différents des jeux FPS PEGI 18 comme Call of Duty”, avant d'affirmer : “En général, les documents internes de Microsoft suivent PlayStation de plus près que Nintendo, ce dernier étant souvent absent de toute évaluation interne de la concurrence". Pire encore, pour Sony, le postulat est clair : Microsoft veut que PlayStation devienne comme Nintendo.
Microsoft prétend que le modèle différencié de Nintendo démontre que Sony n'a pas besoin de Call of Duty pour concurrencer efficacement. Mais cela révèle la véritable stratégie de Microsoft. Microsoft veut que PlayStation devienne comme Nintendo, afin qu'il soit un concurrent moins proche et moins efficace de Xbox. Après la transaction, Xbox deviendrait le guichet unique pour toutes les franchises de shoot les plus vendues sur console (Call of Duty, Halo, Gears of War, Doom, Overwatch), comme l'explique la décision, et elle serait alors libérée de toute pression concurrentielle sérieuse.
Le mobile avant tout
Selon Microsoft, la priorité de l’acquisition d’Activision n’est pas tant Call of Duty mais plutôt le secteur mobile vers lequel il espère prospérer dans le futur ; une plateforme sur laquelle il n’aurait, pour l’heure, aucune présence matérielle tandis qu’Apple et Google y exercent leur “duopole”.
Aujourd'hui, le mobile est, de loin, la plateforme de jeu la plus populaire, avec 94 % de tous les joueurs. À l'heure actuelle, Xbox n'a pas de présence matérielle sur le mobile et sa capacité à atteindre les joueurs sur mobile est entravée par le duopole effectif d'Apple et de Google sur le marché des jeux vidéo.
L'acquisition d'Activision fournirait dès lors à Xbox de nouvelles capacités et du contenu à fournir sur mobile, éléments qui lui font pour le moment défaut. Et d’ajouter que plus de la moitié des revenus d'Activision au premier semestre 2022 “provenaient de la division des jeux mobiles King et de titres tels que Call of Duty : Mobile”. Quelques semaines plus tôt, Spencer avait déjà évoqué cette volonté ferme de s’investir davantage sur le mobile : “Quand on regarde ABK (Activision Blizzard King), la majorité de leurs joueurs jouent à leurs titres mobiles. Ça peut être le jeu Candy Crush que beaucoup ont sur leur téléphone, mais aussi les très bonnes versions mobiles de leurs licences fortes (...) C'était vraiment leur capacité sur mobiles qui était d'abord et avant tout unique en termes de ce qui pouvait faire avancer Xbox.”