En 1990, SEGA lance sa Game Gear, une console portable couleur créée en réponse à la Game Boy de Nintendo. Pendant des années, les secrets de sa conception furent bien gardés, mais les langues commencent à se délier. Par conséquent, en nous appuyant sur plusieurs sources, dont une exceptionnelle interview du créateur donnée au site japonais 4Gamer, nous avons retracé l'étonnant parcours de cette console. Bonne lecture !
L’homme derrière le projet Game Gear se nomme Hiroshi Yagi. Né dans l’arrondissement d’Otā à Tokyo en 1950, le garçon s’intéresse à l’électronique et commence, dès ses années collège, à assembler des radios transistors. Quelques années plus tard, au lycée, il devient animateur pour une radio locale et développe en parallèle un bateau à moteur radiocommandé. Féru de musique et joueur de guitare, il fait également parti d’un groupe qui fait de petites scènes dans la capitale japonaise. Son parcours le conduit à l’université des sciences et technologies du Japon (Nihon, un établissement privé très « sélect’ ») d’où il sort diplômé au milieu des années 1970. À l’époque, le choc pétrolier est tel que le marché des appareils électriques est incertain. Hiroshi Yagi, soucieux de son avenir, décide de changer de voie et se renseigne sur les entreprises pouvant correspondre à ses attentes. Au lieu de se focaliser sur du matériel électrique, de la radiophonie ou de l’électro-ménager, l’intéressé élargit sa recherche à tout ce qui touche au domaine électronique.
J’ai découvert qu’il existait une entreprise de jeux vidéo appelée SEGA Enterprises près de chez moi. J’ai pensé que ça pouvait être intéressant. J’ai passé un entretien (et un test d’entrée) et j’ai rejoint cette compagnie en 1975.
Comme beaucoup de jeunes rejoignant SEGA à l’époque, Hiroshi Yagi fait partie de ceux qui aspiraient à une autre carrière ou, en tout cas, visaient une autre entreprise. Il est important de souligner, qu’à cette époque, SEGA avait encore cette image d’entreprise à dominante américaine et le divertissement était une activité moins « glorieuse » que des firmes comme Toyota ou la très récente Mitsubishi. Mais par sa philosophie occidentale, SEGA avait des approches très différentes de compagnies japonaises et elle permettait à ses employés d’avoir un vendredi après-midi (en plus du week-end) toutes les trois semaines. Ce « simple » détail va avoir une importance capitale puisque c’est par ce biais que SEGA attirera, quelques années plus tard, un certain Yu Suzuki et quelques-uns de ses meilleurs concepteurs de jeux.
Le SEGA d’antan
Au milieu des années 1975, SEGA réalise déjà des jeux d’arcade. Il s’agit à cette époque de jeux dits électromécaniques (ou elemeca), autrement dit des machines composées de petits circuits électroniques et de pièces mécaniques. Autant dire que ce type de jeux réclament une maintenance ultra-poussée et qu’il est difficile, pour les fabricants, de faire face à des centaines de machines qui tombent régulièrement en panne dans le pays. SEGA continue également de vendre des juke-boxes à cette période et le suivi est tout aussi important. C’est pour cette raison que SEGA a besoin de main d’œuvre, malgré les 1 000 employés déjà en place. Hiroshi Yagi profite de cette opportunité et il devient l’un des nombreux réparateurs de bornes, en plus de gérer les expéditions de pièces vers les destinations les plus éloignées. Par ailleurs, et c’est une activité très importante de l’entreprise dans les années 1970, SEGA possède un studio d’enregistrement et signe de nombreux artistes. Il faut donc également expédier des dizaines de milliers de disques à travers tout l’archipel.
Affecté au département de la production, Hiroshi Yagi participe au développement des nouveaux flippers (oui, SEGA a aussi conçu des flippers), dont le remarquable RODEO de 1976. Sa particularité : il est équipé d’une carte Intel i4040, ce qui en fait le premier flipper de la marque à posséder un véritable processeur. Le RODEO 1976 offre un son excellent et un affichage numérique, bien loin des relais, solénoïdes et moteurs des précédents appareils de SEGA. Hiroshi Yagi vit ainsi la transition entre le matériel électromécanique, les circuits logiques et le jeu vidéo tel qu’on le connaît. Akira Nagai, l’un des anciens directeurs historiques de SEGA, se souvient :
Avant les jeux vidéo, il s’agissait essentiellement de machines d’arcade électromécaniques. La partie développement et programmation des jeux vidéo était tout sauf évidente, mais pour ce qui touchait à la fabrication, c’était beaucoup plus simple. Tout ce dont vous aviez besoin était d’un moniteur et d’une carte-mère, et ils ne réclamaient pas non plus beaucoup de maintenance. Du côté des bornes électromécaniques, elles comportaient de nombreux composants fabriqués à la main et leur développement prenait beaucoup de temps. Et si la moindre de ces pièces avaient un défaut, la machine devenait alors inutilisable jusqu’à ce qu’elle soit réparée. Avec les jeux vidéo, le fait que l’on puisse réécrire un nouveau programme sur la carte-mère a été le facteur décisif pour l’établissement de leur hégémonie.
Et la Game Gear dans tout ça ? Rassurez-vous, on y vient.
Objectif : Contrer la Game Boy de Nintendo
Pendant de nombreuses années, Hiroshi Yagi a été affecté au département arcade et a notamment travaillé sur les cartes mère équipant les bornes de SEGA dans les années 1980. Il a conçu les cartes-mères de titres comme World Derby (qui aura son importance, comme le verrons plus loin), OutRun, After Burner, GP Rider, et bien d’autres. C’est ainsi qu’il a pu poursuivre sa carrière sans s’imaginer une seule seconde qu’il allait devenir, quelques temps, plus tard, le créateur de la portable couleur de SEGA.
Pour comprendre l’ensemble des étapes qui entourent la conception de la machine, il faut s’intéresser aux évènements relatés pour la toute première fois dans L'Histoire de Nintendo, volume 4 de Florent Gorges publiée aux Éditions Omaké Books. Pour son projet Game Boy, Nintendo s’est d’abord rapprochée du fabricant Citizen pour l’écran de sa portable monochrome. Le deal était conclu, il ne restait à Citizen qu’à lancer la production des écrans qui allaient équiper la future pépite de Nintendo. Seulement voilà, le président de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, a choisi de travailler – au dernier moment – avec Sharp, le fabricant des écrans des Game & Watch. Citizen s’est retrouvé le bec dans l’eau et il ne fallait pas grand-chose pour créer un véritable cataclysme diplomatique et médiatique. Nintendo, par le biais des ingénieurs de sa Game Boy, a alors fait une chose incroyable : ils ont expliqué à Citizen que le projet Game Boy allait se faire avec Sharp, mais que la version couleur, prévue un an plus tard, leur serait entièrement réservée. Pour noyer le poisson, Nintendo a même conçu, à la va-vite, des documents fictifs présentant les contours du projet d’une console portable, avec des indications techniques, un prix approximatif, etc. Ils ont fourni ces fameux documents à Citizen qui espérait que Nintendo allait bel et bien revenir vers eux un an après la sortie de la Game Boy. Ils ont vite compris qu’ils étaient les dindons de la farce. Et cette incroyable coup de bluff a bien failli se retourner contre Nintendo…
À défaut de contrat, Citizen a une technologie épatante et surtout des prix très attractifs. Ils se disent alors que rien ne les empêche de contacter les concurrents de Nintendo, et c’est exactement ce qu’ils vont faire. En 1989, des pontes de Citizen se pointent chez SEGA et proposent le projet d’une console portable équipée d’écrans Citizen couleur dernier cri. Ces derniers ne sont pas venus les mains vides : ils se sont inspirés des documents fictifs de Nintendo, ont remanié les informations principales dans les grandes lignes puis ils sont arrivés chez SEGA avec la ferme intention de convaincre. SEGA savait que Nintendo préparait une nouvelle console, mais le constructeur n'avait pas certaines données. Citizen leur a fourni ces informations-clés et ils ont pu élaborer un plan pour contre-attaquer. Chez SEGA, la philosophie de la firme à l’époque consistait à innover et à créer des machines qui n’existaient pas sur le marché ou, le cas échéant, de faire mieux, techniquement parlant, que la concurrence. Hayao Nakayama, le président de l’entreprise, avait une dent contre Nintendo depuis l’époque où il dirigeait sa compagnie Esco Trading (fin des années 1970) et il ne supportait pas l’hégémonie de la société de Hiroshi Yamauchi, qu’il considèrait comme l’un de ses plus grands rivaux. Citizen a fait vibrer cette corde sensible et ils ont obtenu une réponse positive.
La création de la Game Gear
En 1989, Hiroshi Yagi reçoit la visite de son supérieur Hideki Sato, l’ingénieur en chef de SEGA, et reçoit une demande à laquelle il ne s’attend pas.
SEGA a signé un accord avec le fabricant d’écrans, Citizen. Afin de contrer la Game Boy de Nintendo, nous allons travailler en collaboration avec eux afin de développer notre propre console portable. En accord avec notre président, Monsieur Nakayama, j'ai décidé de te confier le projet.
Bien qu’il approche les quinze ans d’expérience au sein de SEGA, Hiroshi Yagi n’en reste pas moins estomaqué. Créer des cartes-mères et des bornes, c’est une chose, mais diriger un projet aussi ambitieux – surtout pour quelqu’un qui vient du monde de l’électromécanique – cela paraît insensé ! Ne pouvant refuser, Hiroshi Yagi se met à plancher sur les premières étapes de cette machine et envisage très rapidement une console portable en couleur (conformément à l’écran présenté par Citizen) et suffisamment puissante pour surpasser la Game Boy.
C’est finalement d’un appareil de Sony que va venir la première réflexion…
En 1979, Sony a connu un succès stratosphérique avec le Walkman (ou baladeur en bon français), un lecteur de cassettes portatif qui deviendra un petit phénomène de société avant de faire place au Discman, son équivalent CD. Dans son désir d’innovation, Sony a cherché à réitérer l’exploit du Walkman, mais pour la vidéo et non plus seulement l’audio. Ses ingénieurs ont alors développé le camescope Handycam CCD-TR55 qui a rencontré un grand succès grâce à sa petite taille « passeport ». Les années 1980 ont ainsi été marqués par l’arrivée de nombreux produits très design et miniatures au Japon. Hiroshi Yagi a été frappé par cette tendance et Sony, par le biais de ses appareils minuscules (pour l’époque), a donné une direction à de nombreux fabricants – y compris dans le jeu vidéo. Ainsi, au moment de concevoir sa console portable couleur, le Japonais a immédiatement pris en compte les courbes et la technologie embarquée du CCD-TR55.
Évidemment, ce n’était qu’une réflexion embryonaire du projet.
Console portable oblige, Hiroshi Yagi a commencé à se pencher sur le poids de celle-ci.
Lors du développement de la Game Gear, nous avons d’abord réfléchi à son poids. 500 grammes avaient tout du poids idéal pour qu’un joueur puisse la tenir. La Game Boy pesait environ 300 grammes, piles incluses, et la Lynx, environ 700 grammes, donc on se situait entre les deux.
Provenant du département arcade, Hiroshi Yagi se trouve confronté à une autre philosophie. En effet, en arcade, les ingénieurs de SEGA n’avaient aucune limite et s’amusaient à placer des composants sur une grande carte-mère avant de l’encastrer dans un grand châssis. Autant dire qu’avec une console portable, c’était une autre paire de manche !
Ce qui va aider Yagi-San, c’est une ancienne de ses productions : World Derby, un jeu de courses équestre. La borne était en effet composée de deux moteurs, d’une unité de commande du moteur, d’une unité de communication, d’une alimentation électrique et d’autres composants… installés sur une carte miniaturisée ! Il comprend alors qu’il peut façonner une console en procédant avec la même approche, autrement dit une machine équipée d’une petite carte-mère avec des composants miniatures. Mais pour avoir une vision globale du projet : il faut une forme !
Non à la verticalité de la Game Boy !
Pour Hiroshi Yagi, la prise en main est absolument primordiale. Il sait que la console doit disposer d’un équilibre parfait et décide, avec ses collègues, de créer de multiples prototypes en carton.
Nous avons fabriqué des maquettes de différentes tailles et formes en carton, puis nous avons acheté une balance dans un supermarché de la galerie marchande d’Otori pour peser chaque prototype.
Et bien sûr, ils ont essayé la forme verticale de la Game Boy, mais ils n’ont pas été convaincu. Du tout.
Nous avons essayé des formes verticales comme pour la Game Boy, mais le "tête" de la console était trop lourde et déséquilibrée. Après de nombreuses discussions avec Hideki Sato, nous avons finalement opté pour une forme horizontale.
Pour créer la carte-mère de la Game Gear, l’équipe de SEGA optimise ce qu’elle a appris avec les bornes d’arcade. Pour alléger le poids de la machine, le circuit imprimé est diminué à 1,2 mm (au lieu des 1,6 en arcade). En parallèle, elle réduit la quantité de résine (feuille de résine) et utilise des composants minuscules – dont certains inédits dans l’industrie du jeu vidéo. Leur taille oscille de 2 à 5 mm (maximum). À partir de là, le staff a développé des prototypes transparents pour voir la réaction des composants à l’intérieur de la machine, notamment les interférences pouvant se produire. Tout cela été fait dans l’optique de rendre la Game Gear facile à prendre en main, légère, mais aussi résistante. Un équilibre peu évident à obtenir.
Tous ces évènements ont conduit… à la boulette du Tokyo Toy Show.
La présentation de la Game Gear au public
En juin 1990, le Tokyo Toy Show bat son plein et SEGA profite de cet évènement pour présenter son nouveau bébé ainsi que toute une série de jeux sur le support : The Base Ball, Columns, G-LOC Air Battle, Maze Syndrome, Pengo, Super Monaco GP, Wonder Boy et un RPG jamais sorti. Évidemment, pour présenter la console au public, encore en phase de prototypage, il faut que le modèle soit impeccable. Hiroshi Yagi va alors faire une petite erreur de jugement…
Pour la production de cartes-mères, nous utilisions deux méthodes : soit on faisait passer la carte au-dessus d’un bain de soudure fondue, soit on utilisait le soudage par refusion (de la pâte de soudure – plus épaisse – est appliquée à l’avance sur les composants et elle ensuite fondue à l’air chaud). Dans le cas de la Game Gear, les composants montés en surface étaient soudés par refusion, tandis que les composants (DIP) l’arrière de la carte étaient soudés par flux.
Malheureusement, dans la pratique, Hiroshi Yagi s’aperçoit que certains composants devant être soudés au-dessus du bain d'étain risquent de tout simplement exploser en se dilatant. Il décide alors de procéder à une technique artisanale de séchage en faisant littéralement « cuire » les composants ! Ce n’est qu’ensuite que la carte-mère passe au-dessus du bain d’étain. Par ailleurs, pour optimiser les coûts, Hiroshi Yagi a fait en sorte que chaque planche comporte les trois cartes (regardez la photo, c’est très futé). En clair, un processus de fabrication suffit ! Problème, pour que tout ce processus fonctionne, il faut que la carte-mère soit positionnée dans le bon sens au moment de passer au-dessus du bain d’étain. Et pour concevoir le prototype du Tokyo Toy Show, ils se sont plantés de sens ! Pour faire court, la soudure des composants en surface et l’arrière de la carte était totalement ratée et l’écran LCD ne passait plus du tout ! À quelques jours du Tokyo Toy Show, le prototype n’était absolument pas prêt ! Hiroshi Yagi a senti le stress monter fortement et il a fallu que lui et son équipe découpent soigneusement les circuits imprimés… avec un couteau de poche (!) pour ensuite les faire tenir avec de petites vis sur l’écran LCD. Autant dire que le proto que le public a découvert au salon du Tokyo Toy Show, c’était un monstre hybride artisanal et qui pouvait lâcher à tout moment. Cela n’a pas empêché SEGA de séduire le public avec sa Game Gear, mais avouez que c’est cocasse !
Pas assez chère mon fils
Pour SEGA et Hiroshi Yagi, la couleur était une donnée essentielle pour faire de la Game Gear une machine plus tape-à-l’œil que la Game Boy. Pour l’intéressé, le concept monochrome de la console de Nintendo ne correspondait tout simplement pas à la philosophie de SEGA.
Lorsque j’ai vu la Game Boy pour la première fois, je me suis dit que le noir et blanc, ce n’était pas intéressant… Je me suis dit que c’était agréable de pouvoir transporter ses jeux en y jouant n’importe où et n’importe quand, mais je voulais quelque chose de mieux.
Avec de la couleur et une approche technique visant un rétro-éclairage, SEGA savait que l’autonomie allait en prendre un coup, mais ils ont fait leur choix.
J’étais conscient de la rapidité à laquelle la batterie s’épuisait, mais je pensais qu’on ne pouvait rien y faire. Sur les 2,5 watts consommés par la console, 1,5 watts sont destinés au rétro-éclairage. Nous aurions pu allonger l’autonomie en assombrissant le rétro-éclairage ou en réduisant un peu plus la luminosité de l’écran, mais nous aurions alors perdu en qualité d’image par rapport à d’autres appareils, et la couleur aurait perdu son sens et son impact, ce qui lui aurait donné un aspect bon marché.
SEGA a eu un problème durant la conception de la Game Gear. En effet, pour fonctionner et afficher l’image sur l’écran, la console utilise une sorte de « miroir » ultra énergivore et les ingénieurs ont eu un souci avec cet affichage, et notamment la palette de couleurs. À l’époque, l’un des ingénieurs de SEGA était devenu ami avec Dave Needle, grand monsieur parti en 2016 et à l’origine de la Handy devenue la Lynx et du célèbre Amiga. Par le biais de cet ingénieur, SEGA a fait appel à Needle pour que ce dernier vienne les aider à régler les problèmes et cette consommation jugée excessive, mais ce dernier les a tout simplement envoyés se faire voir. Eh oui, avant d’atterrir chez Atari, Dave Needle a proposé sa Handy à SEGA, mais ces derniers l’ont un peu traité avec dédain. Aussi, au moment de cet appel « au secours », il n’a pas oublié.
En clair, en profitant de l’opportunité offerte par Citizen, SEGA a totalement assumé cette direction « tape-à-l’œil » en produisant une console portable « de luxe » par rapport à la Game Boy. Ils voulaient en mettre plein la vue et ont suivi cette approche du début à la fin. On peut ainsi croire que le résultat des ventes, largement inférieure à celles de la Game Boy, n’ont pas été au goût de SEGA. Alors que pas vraiment…
Certaines personnes disent que la Game Gear et ses jeux n’ont pas été un succès ou qu’elle a été surpassée par Nintendo, mais je pense que cela est dû aux compétences de Nintendo en matière de développement de jeux et de marketing. L’autre chose était cette approche avec un écran en noir et blanc. Malheureusement, chez SEGA, nous ne pouvions suivre ce chemin alors nous avons incorporé tout ce que nous pouvions, à l’époque, dans cette console – y compris l’écran couleur. Dix millions de Game Gear ont été vendues. Sur le plan financier, nous avons créé une activité d’une valeur de 200 milliards de yens, et je pense que c’était un succès suffisant pour une console de SEGA.
La Game Gear a surtout été pensée pour une approche qui n’a eu aucun écho ou presque en occident. En effet, à l’image de la Nintendo Switch, SEGA a pensé sa console portable avec une optique familiale. Ainsi, dès le départ, les ingénieurs savaient que le tuner TV allait accompagner la machine. Pour Hiroshi Yagi, la Game Gear était un peu comme une « exposition personnelle », elle permettait à l’enfant de jouer ou regarder la TV (grâce au tuner dédié) sans que celui- ci ne vienne perturber le match de baseball (un sport prisé au Japon) du papa. Autant dire que le pack réunissant la console et le pack Tuner TV a plutôt bien marché là-bas. La Game Gear a aussi été pensée pour « picorer » les jeux pour ensuite revenir sur la console du salon. En voyant que Nintendo avait fait sa machine portable, SEGA n’a pas hésité à en faire de même en essayant d’aller le plus loin possible. Et d’ailleurs, Hiroshi Yagi a bel et bien demandé à SEGA de réaliser une Game Gear 2, mais son souhait n’a jamais exaucé. Il a finalement été pris par des projets arcade (MODEL 2, MODEL 3, TRIFORCE, CHIHIRO, etc.) et n’a jamais concrétisé cette idée. Mais il faut avouer que les 6 piles vidées en 2/2h30 (face aux 30 heures d’autonomie de la Game Boy) ont sans doute réfréné les ardeurs de sa direction.
La Game Gear a laissé son empreinte en France
Connu durant son développement sous le nom « Mercury » (l’habitude de SEGA à l’époque d’utiliser des noms spatiaux), la Game Gear sort au Japon le 6 octobre 1990 au prix de 19.800 yens, ce qui représente – actuellement – environ 140 de nos euros (avec l’inflation, on est probablement à 180/190). Si sa technologie semble proche de la Master System, elle affiche en réalité une palette de couleurs bien plus étendue (4 096 contre 64, dont 32 couleurs affichables simultanément). Aussi, SEGA n’a pas hésité à proposer, dès le 23 novembre 1990, un pack avec l’adaptateur TV (le Tuner TV), mais il était aussi possible d’acheter l’accessoire seul. Grâce à cette palette de couleurs, la console pouvait restituer une image des plus correctes. Cet adaptateur a fait les frais du succès stratosphérique de la Game boy et des ventes bien plus faibles de la Game Gear. Il a été timidement commercialisé aux États-Unis et dans quelques pays d'Europe, comme l'Espagne ou l'Angleterre. La France, en revanche, n'a jamais obtenu ce droit, la faute à la norme SECAM (et non PAL) du pays. Par ailleurs, même si l'objet avait été autorisé, son parcours aurait été chaotique car il fallait régler la question de la redevance audiovisuelle.
Alors qu’Hiroshi Yagi travaille sur le prototype de la Game Gear, il reçoit une demande de sa direction (impulsée par SEGA of America) : faire en sorte de rendre la machine rétrocompatible avec les jeux Master System. Après tout, elles reposent sur le même type d’architecture, le projet semble viable. Mais en regardant sa console et la taille des cartouches Master System, Yagi-San estime que le look de sa protégée devienne ignoble. Il pense que les jeux de la console de salon sont beaucoup trop gros et que ça tranche avec le design soigné de sa Game Gear. Et donc… il refuse. SEGA of America apprend la nouvelle et ils sont en pétard contre une telle décision, si bien qu’ils prennent les devants et entrent en contact avec des accessoiristes pour créer… un adaptateur de jeux Master System pour la Game Gear. Cette demande aboutira au célèbre SEGA Master Gear Converter de la compagnie Kalplus basée à Hong Kong. Certains modèles sont officiels, mais de nombreux autres sont des versions pirates.
En avril 1991, la Game Gear est arrivée aux États-Unis au prix de 149,99 dollars puis ce fut au tour de l’Europe d’accueillir la belle petite machine en juin de la même année. Et de tous les pays du Vieux Continent, la France est celui où les joueurs ont été les plus réceptifs à cette couleur si immersive. Sur l’ensemble de la période 1991-1995, la Game Gear s’est écoulée à plus de 800 000 exemplaires, ce qui explique pourquoi, dans certains coins du pays, on en voyait très souvent (que ce soit chez les potes ou dans les magasins). Petit à petit, le bouche-à-oreille a fait que la console s’est bien écoulée en France. Il faut dire aussi que SEGA France a mis le paquet pour communiquer dessus et la mettre en avant. 800 000 pièces sur une telle durée, ça peut paraître peu, mais c’est en réalité bien supérieur aux chiffres de ventes des autres filiales de la marque. Au final, il se vendait 6 Game Boy pour 1 Game Gear dans l’hexagone, mais SEGA Japon a toujours été satisfait des ventes françaises. Il y a une autre raison à ce succès d’estime hexagonal : SEGA France, voyant le four se profiler avec le Mega CD, le 32X a volontairement limité les stocks de ces deux add-on pour pousser le curseur sur la Mega Drive et la Game Gear. Par conséquent, en donnant l’image d’une machine « premium » par rapport à la Game Boy (assez rapidement, la Game Boy s’est retrouvée à 590 francs tandis que la Game Gear en valait 990, voire 1 290 avec Columns), SEGA France est parvenue à tirer son épingle du jeu. Elle a vraiment eu une belle carrière en France avant de réapparaître, en 2001, sous la houlette de Majesco. L’éditeur a en effet racheté les droits de la console auprès de SEGA et il a réédité la machine (au tarif de 100 dollars) et jeux dans les magasins Toys’R Us. Dix jeux (Sonic Chaos, Donald Duck Deep Duck Trouble, le Livre de la Jungle, le Roi Lion, Pac-Man, Ms. Pac-Man, Caesar Palace, Sonic Spinball, Aladdin et Super Battle Tank) sont ressortis au prix de 30 dollars.
La Game Gear est une console portable qui dispose d’une ludothèque de 365 titres. Durant sa carrière, elle a accueilli des jeux exceptionnels – pas seulement des conversions de jeux Master System. Hérité de la Mega Drive, Ristar est par exemple un petit bijou de la console. On peut également citer des exclusivités comme Shinobi, Tails Adventure, Sonic Drift 2, Defenders of Oasis, Ninja Gaiden, Coca-Cola Kid, etc. Elle a fait vivre de très belles heures aux enfants et ados de l’époque et demeure une portable appréciée par une large communauté de nostalgiques.
Pour conclure, on dit JIR ou GUIR ? La bonne élocution voudrait que l’on dise GAME GUIR, mais il suffit de revoir les publicités de l’époque ou les reportages d’antan pour comprendre que la France, au même titre que le « La » de la Game Boy, avait fait son choix. On disait bien Game Jir.
Quant à la Game Gear Micro…
Et vous, quels souvenirs gardez-vous de cette console portable ?
Sources :
- Interview d'Hiroshi Yagi
par Fumio Kurokawa pour 4Gamer.net
- L'Histoire de Nintendo, volume 4
- Florent Gorges - Éditions Omaké Books
- Génération SEGA, vol.1 – Éditions Omaké Books
- Émission Recalbox
- On découvre vos jeux préférés sur Game Gear
- Page Game Gear de SEGA Retro - Segaretro.org
- Interview Bruno Charpentier - Blog www.terredejeux.net
- Forums de Smspower.org
- Interview Akira Nagai - Beyond the Galaxy (traduction française du site Shmuplations)
- Un grand merci à Jelora pour son explication sur les notions de soudure.
- Erratum : Modification du texte pour la commercialisation du Tuner TV, merci à Yeo Wren.