C'est une affaire qui dure depuis plusieurs mois. Les testeurs QA de Raven Software, le studio derrière Call of Duty, viennent d'obtenir gain de cause et de réaliser une première historique dans le cadre d'un studio AAA.
Une grève et un contexte particulièrement difficile
En fin d'année dernière, les testeurs QA de Raven Software se sont mis en grève afin de contester le licenciement d'une dizaine de testeurs, à qui Activision-Blizzard aurait promis un emploi à temps plein, permettant de débloquer un certain nombre d'avantages sociaux.
La grève a duré plusieurs semaines, et a fait grand bruit puisque faisant écho aux plaintes pour harcèlement, agressions sexuelles et discrimination. Une partie de cette affaire a été réglée suite à un accord de création d'un fonds de 18 millions de dollars, le reste est encore en cours.
Un premier syndicat reconnu dans un studio triple A
Mais du côté de Raven Software, le mouvement s'est traduit par le souhait de fonder un syndicat représentatif, ce qui est très loin d'être quelque chose de courant aux Etats-Unis. Une première demande a donc été déposée, mais Activision-Blizzard n'a pas répondu dans les délais, estimant que la communication directe est plus pertinente qu'un syndicat qui "ralentit tout". Des éléments de langage qu'on retrouve dans de nombreuses entreprises américaines et mondiales, et qui n'est donc pas l'apanage de l'éditeur.
Par cette absence de réponse, Activision-Blizzard n'a pas reconnu la volonté de création d'un syndicat, obligeant les travailleurs à passer par un vote interne après dépôt d'un dossier auprès du National Labour Relations Board. Le dossier a été validé, et le vote a eu lieu le 29 avril dernier, invitant 28 personnes à se rendre aux urnes. Comme prévu, le dépouillement a eu lieu le hier, lundi 23 avril 2022, nous permettant de connaître le résultat.
Les salariés concernés, qui ont entre temps rejoint le syndicat Communications Workers of America (environ 700 000 membres), ont donc pu assister à la victoire de leur mouvement par 19 voix Pour et 3 Contre en visioconférence. Les 6 votes manquants sont nuls ou inexistants. Le syndicat, la Game Workers Alliance, a donc officiellement été reconnue par l'État Américain, ce qui est une première au sein d'un studio AAA.
Le résultat de cette élection, la voix des gens qui se réunissent pour voter oui pour ce syndicat, est une validation supplémentaire que même un petit groupe de personnes solidaires de Madison, (Wisconsin peut affronter un géant des studios AAA comme Activision, et sortir victorieux de l'autre côté. Maintenant que la lutte pour la reconnaissance est terminée, nous pouvons concentrer nos efforts sur les négociations.
Nous nous battrons pour le respect, nous nous battrons pour de meilleurs salaires, de meilleurs avantages sociaux, un meilleur équilibre travail-vie personnelle, nous nous battrons pour la durabilité et la sécurité de l'emploi, et nous continuerons à nous battre pour nos collègues par solidarité, a déclaré Becka Aigner, testeuse d'assurance qualité de Raven Software.
Du côté d'Activision-Blizzard, on a donc été obligé de reconnaître officiellement le syndicat, ce qui est passé par un communiqué rédigé par Jessica Taylor, porte-parole de l'éditeur.
Nous respectons et croyons au droit de tous les employés de décider de soutenir ou de voter pour un syndicat ou non. Nous pensons qu'une décision importante qui aura un impact sur l'ensemble du studio Raven Software, qui compte environ 350 personnes, ne devrait pas être prise par 19 des employés de Raven. Nous nous engageons à faire ce qu'il y a de mieux pour le studio et nos employés.
Un combat loin d'être terminé, qui crée cependant un précédent
La bonne entente n'est donc pas encore de mise entre la direction de l'éditeur et le tout jeune syndicat, qui, selon Bloomberg, a vu passer des mails internes dans lesquels la direction indiquait que le syndicat ne pourrait pas garantir de meilleurs salaires, et que les contrats négociés mettent souvent "un terme à la flexibilité des emplois du temps".
Désormais, Activision-Blizzard doit faire face à des accusations du Ministère du Travail, qui serait en train de mener une enquête sur des menaces proférées par la direction d'Activision-Blizzard à l'encontre des salariés, mais aussi sur des déclarations publiques qui nuirait aux droits des salariés en termes d'action collective. Bloomberg affirme que le le ministère disposerait déjà d'un certain nombre de preuves, mais Activision conteste, indiquant que "ces allégations sont fausses". Quoi qu'il en soit, ce vote crée un précédent dans l'industrie, et de nombreux développeurs pourraient s'engouffrer dans la brèche.
Ce qui est encore plus excitant que ce que cela signifie pour nous chez Raven, c'est le précédent que cela crée pour l'industrie du jeu. Les testeurs d'assurance qualité sont sous-payés et exploités, c'est la norme et avec les syndicats, nous pouvons changer cela. J'espère que le nôtre est le premier syndicat parmi tant d'autres pour les travailleurs de l'assurance qualité et j'ai vraiment hâte de voir quel studio sera le prochain, a ainsi ajouté un travailleur qui a souhaité rester anonyme.
Ne reste plus qu'à savoir comment tout cela va évoluer dans le cadre du rachat d'Activision-Blizzard par Microsoft. La firme de Redmond n'est pas connue pour sa bienveillance à l'égard du mouvement syndical, mais Lisa Tanzi, vice-présidente, a déjà pris la parole pour indiquer que l'entreprise ne s'interposerait pas face à la volonté de syndicalisation des employés.