À la fin des années 1990, la PlayStation domine de la tête et des épaules le marché du jeu vidéo. Les joueurs voient alors débarquer une foule de jeux prometteurs. De Metal Gear Solid à l’Odyssée d’Abe, en passant par Fear Effect ou Gran Turismo, le monolithe gris de Sony marque les consciences. Et puis, soudainement, au détour de l’année 1997, un petit action-RPG débarque avec sa 2D mignonette et ses combats en temps réel. Moins spectaculaire que ses confrères, il va pourtant passionner bon nombre de joueurs. Son nom ? Alundra.
Si le jeu de Matrix Software a une telle résonnance de nos jours, c’est pour plusieurs raisons. À l’époque, les jeux en 3D dominaient la ludothèque de la PlayStation et l’arrivée d’un jeu de rôle en 2D, à l’aube des années 2000, avait tout de "l'anomalie". Inspiré de Landstalker : Le Trésor du Roi Nole et The Legend of Zelda : A Link to the Past, The Adventures of Alundra était alors considéré comme le « Zelda de la PlayStation ». Avec sa vue de dessus, son univers chatoyant, ses personnages craquants et ses combats en temps réel, il avait pour lui un charme immédiat. Dans l’absolu, le scénario était plus simple (on y campe un jeune garçon capable de pénétrer dans le rêve d’autrui et amené à combattre les cauchemars causés par le démon Melzas), mais il y avait une atmosphère accrocheuse qui se dégageait de cette aventure. Un peu à la manière de Soleil, La Légende de Thor sur Mega Drive ou encore The Story of Thor 2 sur Saturn. Le jeu avait toutefois une double lecture, tant dans sa difficulté et sa thématique, plus sombre qu’il n’y paraît.
UN CLASSIQUE DE LA PLAYSTATION ?
En juillet 1994, un groupe d’employés de Climax Entertainment et Telenet Japan se réunissent pour fonder le studio de développement Matrix Software. Lassés par leurs conditions de travail, ils aspirent une liberté créative totale et réfléchissent immédiatement à ce que pourrait être leur premier jeu. À l’époque, la PlayStation est sur le point d’arriver dans les magasins japonais et les kits de développement sont loin d’être finalisés et stables. Pour se donner un maximum de chances, les protégés de Matrix Software décident de prendre la direction du jeu de rôle, genre qu’ils affectionnent particulièrement. Et pour cause, parmi les employés, on retrouve certains développeurs de Landstalker sur Mega Drive ! Comme ils connaissent bien les machines de SEGA et qu’ils apprécient la philosophie du constructeur, le nouveau jeu est envisagé sur… Saturn. Finalement, l’équipe choisit de se diriger vers la PlayStation pour plusieurs raisons. La console à l’anneau est difficile d’accès, le suivi pour les développeurs est cataclysmique et Sony a des arguments plus intéressants.
C’est donc à l’été 1994 que débute la réflexion autour du futur Alundra. Malgré l’émergence de la 3D et quelques dissensions en interne, Matrix Software opte pour un jeu en 2D. Yasuhiro Ohori explique ce choix dans une interview d’époque :
Les jeux sont de plus en plus proches du cinéma. Je pense que c’est bien, pour ce qu’ils représentent, mais dans ces conditions, pourquoi se donner la peine de tenir une manette ? Je voulais créer un jeu qui immerge pleinement le joueur et qui fasse ressentir la satisfaction d’avoir surmonté une épreuve en le terminant. Voilà pourquoi nous avons pris le risque de ne pas utiliser de polygones. Je pense qu’il aurait été plus simple d’utiliser des polygones, surtout quand les programmeurs s’énervaient contre moi en me demandant pourquoi on ne procédait pas de la sorte. Mais je leur répondais que non, je n’en voulais pas. Je voulais être précis sur chaque pixel ! Certes, les polygones auraient pu être utiles si je n’avais pas voulu être aussi méticuleux ou si je voulais une ambiance ou décontractée. Mais je voulais que les joueurs ressentent chaque coup, qu’ils aient l’impression d’échanger les coups avec leurs ennemis. Cela ne concerne pas l’atmosphère, ni l’ambiance, mais le gameplay. Je pensais que nous ne serions pas en mesure de traduire cela si le jeu n’était pas en 2D.
Pour comprendre, il faut se rappeler que la 3D est, à l’époque, approximative et que les collisions sont loin d’être optimales. Il suffit de se souvenir des premiers jeux de rôle en 3D pour s’en convaincre. Les commandes étaient un peu aléatoires et les joueurs n’avaient pas toujours l’impression de tout contrôler. C’est pour cette raison que Matrix Software a choisi cette approche. Côté scénario, Alundra est un jeu qui débute de manière plutôt conventionnelle. À l’image de Link’s Awakening, l’histoire débute par le naufrage du héros, Alundra. Ce dernier, victime de rêves étranges, est recueilli par un certain Jess. Le garçon découvre alors la terre d’Inoa et va vivre une grande aventure, teintée de moments particulièrement douloureux sur le plan émotionnel. C’est véritablement grâce au choix de la 2D et à l’apport du CD-ROM (et son stockage plus important qu’une cartouche) que les développeurs ont pu donner libre court à leur imagination, faisant prendre à Alundra des tournants importants par moments.
UNE DIFFICULTÉ DÉLICATE À DOSER
Alundra est un titre particulièrement ardu et la difficulté a été longtemps un cauchemar pour l’équipe de développement. Le character design, passé par la série Shining Force et Landstalker, se souvient :
Alors que je m’approchais de la fin du jeu, je ne sais combien de fois je me suis mis en colère, en train de me demander à quoi nous pensions en créant un jeu de la sorte ! Je suis sérieux, je me demandais si c’est moi qui étais complètement nul ou si nous avions poussé la difficulté beaucoup trop loin. Mais j’ai fini par le terminer, et j’ai réalisé que ce n’était pas le cas.
Moqueur, son compère et scénariste Ichiro Tezuka lui répond :
À en juger par la sueur qui perlait sur son front, je peux vous dire que c’est un mensonge ! (Rires)
La difficulté a été vraiment l’un des fils rouges du développement. L’approche de Matrix Software rappelle un peu celles des créateurs de From Software. Les intéressés voulaient vraiment que les joueurs ressentent le sentiment d’accomplissement, même si ça devait passer par des moments difficiles et l’impression de subir les évènements.
UNE ŒUVRE REMARQUABLEMENT SOIGNÉE
Avec sa 2D détaillée, ses jolis effets et ses animations chiadées, Alundra est un jeu qui n’a rien à envier aux meilleurs titres du genre sur un plan visuel. Mêlant onirisme, magie et fantastique, il est différent d’un Zelda narrativement parlant, mais fait intervenir de multiples personnages (aux destins parfois tragiques) qui accrochent le joueur. La musique de Kohei Tanaka a également une grande importance. De mélodies douces et calmes, on passe à des thèmes beaucoup plus psychédéliques lorsque le personnage pénètre dans le cauchemar de Wendell. Le compositeur s’est inspiré de plusieurs groupes, comme Enigma et Deep Forest, pour mettre en musiques les péripéties du jeune Alundra. Et à l’inverse de beaucoup à cette époque, il a misé sur des thèmes longs :
J’ai pensé que ça serait bien si les pistes étaient longues. Dans un RPG, la musique change à chaque fois que la scène change et ça m’agace car je n’ai jamais aimé cela. Le thème du boss final dans Alundra dure 4 minutes de 44 secondes. En boucle, ça dure environ 10 minutes. Si le joueur passe beaucoup de temps dans une même zone, disons une demi-heure, et que la musique se répète toutes les minutes, cela signifie qu’il va écouter 30 fois la même mélodie !
En augmentant la durée des thèmes, Kohei Tanaka voulait gommer cette impression de répétition – surtout dans un titre à la difficulté prononcée. Ce jour, Alundra fête son vingt-cinquième anniversaire et beaucoup ont gardé un souvenir ému de leur découverte avec ce titre imprégné de Landstalker et Zelda. L’introduction animée, les sprites craquants, cette 2D sublime… autant d’éléments qui résonnent dans les esprits.
Alundra connaîtra une suite en 2000. Moins marquante et plus vieillissante, car répondant à l’appel de la 3D, elle est toutefois à découvrir pour son approche plus légère et ses scènes cinématiques (1h40 de mise en scène qui ont demandé un travail fou à l’équipe de développement).
À vous pour nous raconter vos souvenirs sur Alundra (et sa suite) !