Le premier tour de l’élection présidentielle 2022 en France arrive à grands pas. Le dimanche 10 avril 2022, les citoyens français inscrits sur les listes électorales sont invités à se rendre dans leur bureau de vote respectif et à déposer un bulletin dans l’urne. Face aux thématiques centrales de la santé, du travail, de l’économie, de la sécurité, etc., la culture, et plus particulièrement le jeu vidéo, n’est que très peu abordée par les 12 candidats en lice aussi bien dans leur programme que durant leurs interventions (TV, meeting, radio). La rédaction de JV s’est entretenue durant 30 minutes avec Ugo Bernalicis, membre de La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, afin de parler exclusivement de “jeu vidéo”.
En amont du premier tour de l’élection présidentielle 2022, la rédaction de JV a tenté de prendre contact avec les 12 candidats en lice ou l'un de leurs représentants via l’ensemble des canaux de communication mis à disposition de la presse (site officiel, email, formulaire de contact, Twitter, etc.). L’absence de plusieurs candidats dans nos colonnes résulte de l’impossibilité d’échanger avec eux sur la période du 04 avril 2022 au 08 avril 2022. Seuls les partis politiques ayant répondu favorablement à notre requête ont saisi l’opportunité de s’exprimer sur JV.
Sommaire
- Quel est votre point de vue général sur le jeu vidéo ?
- Comment soutenir l'industrie française du jeu vidéo afin de l'aider à rayonner à l'international ?
- Faut-il voir le jeu vidéo comme un art ? Comment le promouvoir sur notre territoire ?
- Souhaitez-vous renforcer l'enseignement du jeu vidéo en France (écoles, collèges, lycées, universités, études supérieures) ? Si OUI, comment ?
- Que pensez-vous de la polémique autour du manque de diversité dans le jeu vidéo ?
- Souhaitez-vous légiférer sur la création et la pratique du jeu vidéo (addiction, monopole, censure, microtransaction, etc.) ?
- Avez-vous un dernier message à faire passer à nos lecteurs ?
Ugo Bernalicis est député en poste pour la deuxième circonscription du Nord et membre du groupe La France Insoumise à l’Assemblée nationale. Il occupe également le poste de vice-président du groupe d’études parlementaire sur les jeux vidéo.
Notre échange avec Ugo Bernalicis s’est effectué via Discord. Nous vous proposons ci-dessous une retranscription fidèle de notre conversation.
Quel est votre point de vue général sur le jeu vidéo ?
Notre point de vue sur le jeu vidéo est très simple. Quand on fait de la politique et qu’on est candidat à l’élection présidentielle, on ne peut pas passer à côté du jeu vidéo pour deux raisons.
La première est factuelle et évidente. Le jeu vidéo est la première industrie culturelle du pays. A ce titre, on ne peut pas passer à côté. Ensuite, nous considérons, comme beaucoup de gens, que le jeu vidéo n’est pas simplement un loisir. C’est un art que l’on peut qualifier de total puisqu’il touche à tous les autres arts condensés en une seule et même production. Au sein de l'industrie culturelle et artistique, nous le considérons comme central et extrêmement important.
D’ailleurs, lorsque Jean-Luc Mélenchon a fait son passage sur France 2 dans l’émission ELYSÉE 2022, il y a eu une séquence avec Claire Chazal sur la question de la culture. Le jeu vidéo est arrivé tout de suite sur la table. Jean-Luc Mélenchon n'est pas un joueur. Il ne joue pas, mais il sait comment le domaine fonctionne. En tant que responsable politique, il s’y intéresse évidemment car c’est un fait de société. Quand plus de 50% de la population française joue régulièrement aux jeux vidéo, on ne peut pas passer à côté. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Comment soutenir l'industrie française du jeu vidéo afin de l'aider à rayonner à l'international ?
Nous proposons deux grands outils pour faire rayonner le jeu vidéo français à l’international.
La première proposition est la création d’un Centre national du jeu vidéo. Nous souhaitons sortir le financement subventionné du jeu vidéo qui est aujourd’hui géré par le Centre national du cinéma (CNC) pour le confier à un centre dédié au jeu vidéo. Notre analyse est la suivante. Le Centre national du cinéma, par son mécanisme de redistribution sur les tickets de cinéma, a permis de maintenir le niveau de production culturelle cinématographique français. Pour résumer, on n'empêche pas les blockbusters américains d’être diffusés en France, car en payant votre ticket de cinéma, vous financez la production du cinéma français. Tout le monde s’y retrouve, et cela finance notre industrie. L’idée est de faire la même chose sur le jeu vidéo en les taxant en tant que tel et en mettant en place un mécanisme de redistribution. Cela permettrait aux petits studios, qui voudraient faire des jeux un peu décalés, de se lancer et de pouvoir produire dans des conditions économiquement viables.
Notre deuxième proposition est liée à l'enseignement. Si on veut continuer de rayonner à l’international, il faut des créatrices et créateurs français ce qui sous-entend une formation. Aujourd’hui, la difficulté réside dans le fait que l’essentiel de la formation est gérée par le secteur privé. Il existe une seule école publique française du jeu vidéo (CNAM-ENJMIN). Dans la plupart des autres arts, comme le cinéma ou le théâtre, il existe des filières de formation publiques. Il y a un gros enjeu à ouvrir des voies de formation universitaire, mais aussi de bacs professionnels dans le domaine du jeu vidéo. C’est la formation qui nous permettra de produire en France et d’avoir les reins suffisamment solides pour le faire. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Faut-il voir le jeu vidéo comme un art ? Comment le promouvoir sur notre territoire ?
Évidemment, c’est un art et il faut le considérer comme tel. Ce n’est pas simplement un loisir. Pour le soutenir et le promouvoir, cela passe aussi par l’éducation et l'éducation nationale. Il doit y avoir une sensibilisation à l'univers du jeu vidéo. Cela peut paraître étrange, car nous vivons le jeu vidéo à la maison et non à l’école, mais certains jeux se prêtent au milieu scolaire. Certains ne sont pas connus, sortent du style des blockbusters, et permettent de montrer la création d’un jeu… ses mécaniques et ses règles, le game design, les graphismes, etc. Tous ces éléments mériteraient d’avoir leur place au sein de l’éducation nationale.
Un archivage dans des musées et des évènements publics permettraient aussi sa valorisation. Il existe d’ailleurs des studios tels qu’Ubisoft qui utilisent l’univers du jeu vidéo à des fins pédagogiques, et cela fonctionne. Il s’agit de faire attention, car il ne faut pas non plus que les enfants passent leurs journées - 24h/24 - devant un écran. Cependant, il y a des aspects extrêmement positifs. Je pense aux déclinaisons pédagogiques de la saga Assassin’s Creed (Discovery Tour) dans lesquelles on expurge tous les éléments violents et de gameplay, et où on se balade dans un monde ouvert afin de découvrir les pyramides, la Grèce antique, etc. C’est génial pour apprendre et partager du savoir. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Souhaitez-vous renforcer l'enseignement du jeu vidéo en France (écoles, collèges, lycées, universités, études supérieures) ? Si OUI, comment ?
A l’école, on va facilement faire un jeu de société avec les petits ou de jeux de rôle au collège et au lycée en acceptant la création d'un club dédié. Il faut que des clubs de jeux vidéo puissent être créés dans les écoles pour que cette activité soit encadrée et pas “freestyle” avec des élèves qui se couchent à 5 heure du matin et qui arrivent explosés en cours. Il ne faut pas fermer les yeux devant les problématiques humaines, sociales et d'addiction que la pratique du jeu vidéo engendre. Pour mieux les appréhender, il ne faut pas se voiler la face. Il faut en discuter afin que cela devienne un objet éducatif. En réalité, c’est une évidence. Quand vous voyez que plus de 50% des gens jouent régulièrement à des jeux vidéo, et bien plus encore si on considère les joueurs occasionnels dans la population française, c’est juste énorme. C’est un fait de société à côté duquel on ne peut pas passer, pareil pour l’école. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Que pensez-vous de la polémique autour du manque de diversité dans le jeu vidéo ?
Il y a des polémiques autour de l’art en général. Le jeu vidéo étant un art, c’est dans l’ordre des choses. L’art provoque des polémiques, fait réfléchir, laisse à penser… d’où l’utilité de l’art. Ce n'est pas juste une expérience du sensible. C’est aussi une expérience du soi et du questionnement. Etant donné que le jeu vidéo est un art dominant car très pratiqué, on doit se poser la question suivante. Est-ce qu’il diffuse une culture toxique, sexiste, patriarcale, conservatrice ? Ou au contraire, sommes-nous dans une culture du progrès ? Si les joueurs se plaignent du fait qu’un jeu diffuse des idées différentes des leurs, il y a suffisamment de choix sur le marché pour qu’ils y trouvent leur compte. Ils n'ont qu'à jouer à autre chose. Vu que nous évoluons dans une société avec des normes dominantes, la question est : Comment faire pour que puissent exister des jeux en dehors des normes tout en étant économiquement viables ?
On en revient à la proposition initiale du Centre national du jeu vidéo inspirée du fonctionnement du Centre national du cinéma qui permet à des films d’auteurs et des documentaires d’exister. En vertu des lois classiques du marché, de l’offre et de la demande, ils n’auraient jamais vu le jour autrement. C’est la même chose qui doit s’appliquer aux jeux vidéo. C’est comme ça qu’on favorise la diversité et non pas en obligeant le média à aller dans telle ou telle direction.
Il y a un enjeu sur la formation initiale et sur la parité dans le monde de la production de jeux vidéo. Quand vous voyez que la production de jeux vidéo est constituée de 22% de femmes, ça explique sans doute l’ambiance et les stéréotypes que l’on retrouve dans ce média. J’ai beaucoup apprécié et relayé la campagne faite par Women In Games. C’est une association de femmes travaillant dans l’industrie du jeu vidéo qui par le passé a appliqué les mouvemments de personnages féminins sur des personnages masculins. (...) Là on se dit : ok, il y a un problème. On peut quand même faire un jeu Batman et Catwoman sans être dans les clichés matin, midi, et soir. Ce n’est pas interdire les clichés. Ils existent et existeront toujours, mais si on peut faire évoluer les pratiques en favorisant les jeux indépendants qui sortent de l’ordinaire, faisons-le. Rendons ces jeux économiquement viables par le Centre national du jeu vidéo. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Souhaitez-vous légiférer sur la création et la pratique du jeu vidéo (addiction, monopole, censure, microtransaction, etc.) ?
Sur la plupart de ces sujets, il existe une législation. En l’état actuel de la loi, il y a déjà beaucoup de choses qui peuvent être faites sur les questions d’addiction. Il n'y a pas besoin d’en rajouter ou de faire une nouvelle loi, mais il faut y mettre des moyens. On en revient encore à la question de l'éducation nationale et de sa place… la manière dont elle peut détecter les jeunes qui passent trop de temps derrière leur PC ce qui nuit à leur vie sociale et scolaire. Il faut se donner les moyens de mettre le paquet là-dessus. Pour le coup, quand vous voyez l’état de la médecine scolaire dans ce pays, vous vous dites qu’il y a des marges de progression substantielle, autant sur la question du cadre que des moyens.
Par contre, sur les achats complémentaires dans les jeux et la grande mode des NFT, je pense qu'il y a des améliorations à faire au niveau de la loi. C’est un sujet qui va bien plus nous intéresser car ces produits là ne cherchent pas à fidéliser les joueurs ou à créer une addiction. Ils cherchent vraiment à faire du pognon de manière malsaine. En réalité, le modèle économique dominant sur smartphones, c’est le free to play. Pour se solvabiliser, les jeux vont avoir besoin de quelques joueurs “pigeons” afin de gagner du pognon et de se rendre rentables économiquement.
Si on sécurise un Centre national du jeu vidéo, qu’on arrive à établir une taxe afin qu’elle puisse aider les petits producteurs de jeux, ils n’auront peut-être plus besoin de faire ces petits jeux dans le seul but de faire un jeu meilleur qu'ils iront vendre. Je ne crois pas que les producteurs et passionnés de jeux vidéo se disent : “Je suis là pour me faire pognon.”. Ça va plus loin que ça. Ils ont envie de raconter une histoire, de faire de beaux jeux et de belles choses. Il y aura un sujet.
Du coup, ces microtransactions, est-ce qu’on les interdit ? Es-ce qu'on les taxe ? On ne peut pas faire comme si cela n’existait pas. Il y aura besoin d’une forme de réactivité de la part du législateur. Les microtransactions, on y est pas trop favorables car à la fin, ce sont toujours les mêmes, les plus démunis et les plus pauvres, qui se serrent la ceinture car ils sont rentrés dans un cercle d’addiction. Il faut a minima taxer les microtransactions pour financer le Centre national du jeu vidéo. Vu qu’ils sont free to play, ils ne sont pas taxés, mais ils ne sont pas gratuits pour autant à cause des microtransactions. On peut se dire qu'elles doivent être lourdement taxées. C’est une manière d’appréhender le sujet. Nous n’avons pas encore de position tranchée, définitive, mais nous suivons ce sujet avec une grande vigilance. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
Avez-vous un dernier message à faire passer à nos lecteurs ?
J’ai suivi pendant 5 ans le dossier du jeu vidéo à l’Assemblée (nationale). Un groupe d’études du jeu vidéo avait été lancé par Denis Masséglia et dont je suis le vice-président. Je veux m'adresser aux personnes politiques de ce pays en leur disant que le jeu vidéo n’est pas un sujet de ricanerie ou annexe. C’est un sujet central. J’en ai ras-le-bol des responsables politiques qui déclarent après un acte terroriste ou une interpellation d’un jeune suite à un délit : “il paraît qu’il jouait à des jeux vidéo violents”. Le jeu vidéo, quand il arrive dans la sphère publique, c’est souvent sous un aspect négatif. J’aimerais que le regard du monde politique change. C’est pourquoi je pense qu’avec Jean-Luc Mélenchon nous apportons notre contribution. - Ugo Bernalicis (député - La France Insoumise)
La France Insoumise a lancé son propre jeu vidéo pour soutenir sa campagne 2022. LAEC est toi s'inspire ouvertement de Baba is You.