En fin de semaine dernière, nous avons assisté au sacre de The Last of Us Part II lors de la cérémonie des Game Awards organisée par Geoff Keighley. Élu jeu de l’année 2020 et gagnant dans cinq autres catégories (dont meilleure réalisation et meilleure performance d’acteur), le titre de Naughty Dog continue une longue tradition presque jamais bafouée : celle de voir le couronnement d’un soft d’action/aventure solo à tendance narrative. Quand le jeu vidéo fait son grand cinéma, il a décidément toutes les chances de décrocher la plus haute des distinctions.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
D’aventures en aventures…
Depuis la création des Spike Video Game Awards en 2003 jusqu’à la cérémonie largement diffusée des Game Awards de 2020, nous avons vu se succéder une pelletée de jeux d’action/aventure solo ayant décroché le sésame ultime du “GOTY”, acronyme de “game of the year”, “jeu de l’année” dans notre douce langue. En 17 ans, seules 8 créations couronnées n’étaient pas du genre action/aventure ou strictement narratives. Ce chiffre descend à 3 si nous retirons les Action-RPG et si nous considérons Resident Evil 4 comme un jeu d'action/aventure. En 17 ans, seulement un jeu de sport (Madden NFL 2004 ), un FPS (Bioshock ) et un jeu multijoueur compétitif (Overwatch ) ont décroché le prix suprême lors de l’événement. En 17 ans, aucun jeu de course, de combat, de plates-formes ou encore de stratégie n’a réussi à s’imposer à la tête des suffrages. Et pourtant, les candidats aux genres variés furent nombreux, avec Street Fighter IV , Diablo III , Ori and the Blind Forest , Forza Horizon 3 , Super Mario Odyssey , Flight Simulator , ou encore Animal Crossing : New Horizons . Des jeux aux succès critiques et commerciaux qui ne se démentent pas.
Année des Spike/Video Game Awards | Jeu élu “jeu de l’année” (genre) |
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2003 | Madden NFL 2004 (sport) |
2004 | GTA : San Andreas (action aventure) |
2005 | Resident Evil 4 (TPS/survival horror) |
2006 | The Elder Scrolls IV : Oblivion (Action-RPG) |
2007 | BioShock (FPS) |
2008 | GTA IV (action aventure) |
2009 | Uncharted 2 (action aventure) |
2010 | Red Dead Redemption (action aventure) |
2011 | Skyrim (Action-RPG) |
2012 | The Walking Dead (Interactive Drama) |
2013 | GTA V (action aventure) |
2014 | Dragon Age : Inquisition (Action-RPG) |
2015 | The Witcher 3 : Wild Hunt (Action-RPG) |
2016 | Overwatch (FPS multi) |
2017 | The Legend of Zelda : Breath of the Wild (action aventure) |
2018 | God of War (action aventure) |
2019 | Sekiro : Shadows Die Twice (action aventure) |
2020 | The Last of Us : Part II (action aventure) |
C’est un fait, les jeux de sport, les FPS, les expériences VR, et les softs multijoueur passent très régulièrement à côté de la distinction “GOTY” au profit d'un genre qui brasse large. Si des excuses peuvent être trouvées quant à l’absence des jeux service, qui sortent généralement avec un contenu assez faible avant de multiples mises à jour, il est plus délicat d’expliquer cette suprématie du jeu d’action/aventure, qu’il soit très accès sur la narration ou non. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Est-ce que le sentiment d’immersion qu’il procure le placerait de facto au-dessus de la mêlée (Sekiro Shadows Die Twice , The Legend of Zelda : Breath of the Wild ) ? Serait-il universellement plus accessible et compréhensible que n’importe quel autre genre (The Walking Dead , Uncharted 2 : Among Thieves ) ? Est-ce que sa réalisation flatterait un joueur éternellement à la recherche du métissage parfait entre jeu vidéo et cinéma (God of War , Red Dead Redemption ) ? Dans un billet publié sur le site disparu Overgame.com, le journaliste François de la Boissière attendait “une autre façon de réaliser le jeu vidéo”, qui malgré ses efforts, ne faisait selon lui qu’une sorte de “sous cinéma”. Aujourd’hui, avec la compréhension des règles de narratologie par des “Cinematic Artists” professionnels et la technique mise à disposition des développeurs, les productions ne souffrent plus de ce complexe d’infériorité. Au point que les festivals de films américains, comme celui de Tribeca, s’intéressent désormais au média vidéoludique. En outre, certaines catégories des Game Awards mettent en avant des disciplines qui ne sont pas intrinsèquement liées au monde des pixels, à l’image de “la meilleure narration/le meilleur scénario” et “la meilleure performance d’acteur”, deux catégories très inspirées de ce que l’on retrouve dans l’univers du cinéma. Ces deux catégories ont été remportées par The Last of Us Part II cette année.
La troisième personne à la première place
Entendons-nous bien : je ne cherche pas à amoindrir les superbes qualités des titres nommés et élus depuis plus d’une décennie. Ces œuvres sont évidemment exceptionnelles et méritent de figurer sur le podium. Mais le fait de voir quasiment un seul et unique genre servi par la récompense ultime n’est pas forcément sain. Il montre une certaine incapacité de la sphère jeu vidéo à dépasser ses intimes convictions. Car le “GOTY” des Game Awards est un pur produit de l’industrie. Pour les nominations, les organisateurs de l’événement envoient par courriel la liste de la plupart des catégories à plus de 95 médias/influenceurs mondiaux (dont fait partie Jeuxvideo.com). Ces médias ont alors la lourde tâche d’inscrire cinq jeux, par ordre de préférence, dans chacune des catégories évaluées. Les titres les plus cités par les organismes sondés font partie des nommés pour lesquels le public peut voter. Mais l’ultime gagnant est déterminé par un vote mixte non-équitable entre le jury (90 %) et les fans (10 %). Il est précisé que le conseil consultatif, composé de grands éditeurs et de personnalités allant de Phil Harrison à Hideo Kojima, n’est quant à lui pas impliqué dans les nominations. Les sites spécialisés et les influenceurs ont donc tendance à mettre en avant les jeux d’action/aventure (ou action/RPG) plutôt que d’autres genres. Par habitude ou par facilité. Nos propres récompenses, intitulées “Pixel d’or”, honorent depuis plusieurs années des jeux d’action/aventure solo (Death Stranding , God of War , Uncharted 4 : A Thief's End , etc.).
Ce système ne laisse finalement que peu de chances aux projets d’excellente qualité adressés à une niche d’utilisateurs, à cause de leur genre ou du matériel requis pour les faire fonctionner. Half-Life : Alyx , pourtant acclamé par la critique, ne figure même pas dans la liste des nommés au “jeu de l’année 2020”. Il possède pourtant la même note Metacritic que le soft de Naughty Dog, à savoir 93/100. Le fait d’être dédié à la réalité virtuelle, et donc à un pourcentage négligeable des joueurs, semble l’avoir disqualifié d’office dans la course au “GOTY”. Animal Crossing : New Horizons , vendu à 26 millions d’exemplaires et considéré comme étant le jeu du confinement, n’a pas non plus décroché le prix ultime. Le fait de n’être qu’un simulateur de vie a sûrement joué contre lui.
Les jeux d’action/aventure ou les softs action/RPG laissent peu de place aux autres genres lorsqu’il s’agit de dégoter la distinction de “jeu de l’année”. Quand bien même un jeu de combat serait exceptionnel, ou qu’un simulateur de vol serait incroyable, c’est presque toujours l’inarrêtable film dont vous êtes le héros qui remporte les suffrages. Consciemment ou non, les professionnels et les joueurs ont du mal à plébisciter des styles différents pour briguer l’ultime récompense. Pourtant, certaines statistiques montrent que si le jeu d’action est bel et bien un des genres les plus joués dans le monde, le jeu d’action/aventure, lui, ne fait pas aussi bien que le jeu de sport, ou encore les titres multijoueur. Ce qui laisse penser que ce genre populaire auprès des professionnels et des joueurs prévaut un peu trop sur les autres.