L’humanité tente depuis ses premières incursions dans les domaines scientifiques de supplanter dame nature, de surpasser sa condition primaire. Le cyberpunk s’intéresse tout particulièrement à cette quête d’immortalité, aux avancées technologiques que cela implique, autant dans la médecine, l’informatique que la robotique. Par le prisme de la science-fiction, ce mouvement questionne la place de l’être humain ainsi que l’impact du transhumanisme ou encore du biohacking à l’échelle de l’individu et de son écosystème. Et si le futur était en marche ? En 2020, la science n’est plus une fiction. Nous sommes d’ores et déjà en 2077.
Attention, cet article n'a pas pour but d'être exhaustif, mais simplement de revenir sur les similarités entre la science contemporaine bien réelle et la science-fiction en s'attardant sur un genre bien précis... le cyberpunk ainsi que le transhumanisme qui en découle. La rédaction de jeuxvideo.com vous invite à échanger sur le sujet en commentaires.
Commençons par donner un cadre au sujet et donc par en définir le terme principal. Selon le dictionnaire Larousse, le transhumanisme est un “courant de pensée qui vise l’amélioration des capacités intellectuelles, physiques et psychiques de l’être humain grâce à l’usage de procédés scientifiques et techniques”. Ce mot fut créé en 1937 par Jean Coutrot, un ingénieur français amputé de la jambe droite lors de la Première Guerre mondiale, puis popularisé par Julian Sorell Huxley… biologiste britannique, théoricien de l’eugénisme, premier directeur de l’UNESCO et fondateur de la WWF (World Wide Fund for Nature).
Si le transhumanisme dans son sens premier s'avère récent, les premières traces archéologiques de "modifications corporelles thérapeutiques" remontent à l’Antiquité, bien avant les révolution industrielles ainsi que les avancées technologiques du XXIe siècle. Loin de transcender la condition humaine, ces dispositifs artificiels (ou prothèses) sommaires cherchent dans un premier temps à remplacer partiellement ou intégralement un membre ou encore une articulation. Nous pourrions citer la prothèse antique égyptienne de gros orteil (ou hallux) retrouvée dans la nécropole de Thèbes et datant de 600 av. J.-C., et la prothèse de jambe de Capoue en Italie remontant aux alentours de 300 av J.-C.
L’être humain parvient à pallier certains défauts sensoriels dès le XIII siècle. Dans la ville de Florence, le physicien Salvino degli Armati met au point la première paire de lunettes (sans branches) corrigeant la presbytie… une évolution de la pierre de lecture utilisée par les moines copistes au Moyen-Âge, et dont l’invention est attribuée à Abbas Ibn Firnas (IXe siècle). L'ouïe est également au centre des attentions. Le cornet acoustique, dispositif renforçant l’intensité sonore vers le tympan, est ainsi mentionné dès la fin du XVIe siècle par Giambattista della Porta dans l’ouvrage Magia Naturalis. Cependant, toutes ces inventions ne sont que les prémices d’un transhumanisme qui prend son essor avec les progrès de la technologie et de la médecine, deux révolutions intrinsèquement liées.
Le cornet acoustique ou sonotone à entonnoir laisse place désormais aux audioprothèses, communément appelées “appareils auditifs”. Cela implique selon les cas de fixer une tige en titane sur la voûte crânienne, de connecter directement le dispositif aux osselets ou encore d’insérer des électrodes (implant cochléaire) dans l’oreille interne avec pour finalité de compenser une perte d’audition. Que dire des stimulateurs cardiaques (ou pacemaker) fournissant des impulsions électriques destinées à stimuler le cœur ? Des pompes à insuline parfois automatiques conçues pour les diabétiques ? Des lunettes spéciales pour redonner de la couleur dans la vie des daltoniens ? L’être humain corrige certains défauts de “fabrication”, prolonge drastiquement son espérance de vie, mais nous sommes encore loin du transhumanisme imaginé par les œuvres dites "cyberpunk".
Le transhumanisme cherche par définition à briser les chaînes imposées à l’Homme. Notre espèce souhaite s’émanciper du dictat de mère nature, et mise sur la science pour arriver à ses fins. Avant même de parler d’amputations volontaires et d’implants, certains casques, historiquement pensés pour écouter de la musique ou tout autre matériel audio, permettent aujourd’hui d’amplifier les sons qui nous entourent, et ainsi d’améliorer l’un de nos cinq sens. Il en va de même pour les lunettes à vision nocturne qui donnent la possibilité à l’Homme de percevoir dans le noir. Toutefois, ces équipements demeurent externes et ne font pas partie intégrante de notre être.
Grâce aux progrès dans le traitement de l’image et à la miniaturisation des systèmes de captation vidéo, les malvoyants peuvent en 2020 retrouver partiellement la vue selon les cas cliniques via des lunettes optimisant la perception de la lumière, et ajoutant des fonctions de zoom, de contraste et de mise au point proches de celles d’un objectif traditionnel. A terme, l'œil et/ou le dispositif associé deviendrait une caméra, un appareil photo capable de percevoir à plusieurs centaines de mètres peu importe les conditions. Et si cette technologie devenait un implant ? En 2014, des médecins de l'université de Duke à Durham implantent une prothèse bionique dans l'œil gauche d’un homme ayant peu à peu perdu la vue. La technologie de l’Argus II conserve un aspect “lunette-caméra”, mais se base principalement sur un faisceau d’électrodes au préalable greffées sur la rétine du patient afin de contourner sa cécité.
D’autres implants existent, non plus pour répondre à un besoin médical, mais pour faciliter le quotidien des citoyens. Ce sont majoritairement des puces NFC (Near Field Communication) ou RFID (Radio-Frequency Identification) qui remplissent diverses fonctions allant du porte-monnaie numérique au stockage de données en passant par la balise GPS ainsi que le badge et autres clés. La Suède est un pays en avance sur son temps dans le domaine de l’implant sous-cutané. La première société à expérimenter l’implantation de micropuces chez ses employés est donc sans grande surprise suédoise. En 2015, Epicenter organise l’implantation de puces NFC qui donnent facilement et sans autres contraintes accès aux services de l'entreprise. Three Square Market située dans l’état du Wisconsin lui emboîte le pas en 2017.
Même la Sécurité Sociale y songe, et lance l’année suivante un programme facultatif qui vise à remplacer la Carte Vitale par des puces RFID. Si le phénomène reste marginal en 2020, certains visionnaires se lancent dans cette aventure “connectée”. C’est le cas de la société Dsruptive et de ses capteurs vérifiant les paramètres vitaux de ses porteurs en temps réel ainsi que du projet Bionic Yourself v2.0 et de son implant B10N1C supposé transformer un individu en je cite “bionic super-hero”. Quant aux mélomanes habitués à perdre leur casque audio, ils peuvent suivre l’exemple de Rich Lee. Cet adepte du body hacking (aussi appelé Grinder) a subi une opération en 2013 chez un modificateur corporel pour se faire poser des écouteurs situés sous la peau. Ce pionnier possède à ce jour pas moins de cinq implants ce qui soulève plusieurs questions juridiques.
L’être humain n’utiliserait que 10% de son cerveau. Cette croyance commune et tenace laisse à penser qu’un potentiel latent sommeille sous nos boîtes crâniennes, et qu’il ne tient qu’à nous de le déverrouiller. Le dopage cognitif est une pratique répandue dans certains milieux. La prise de méthamphétamine pourrait développer la mémoire en favorisant la production de nouveaux neurones. Cette substance, considérée comme un stupéfiant aujourd’hui, était utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale pour améliorer les performances des soldats. La Ritaline, utilisée dans le cadre de troubles de l'attention, ou le Modafinil, utilisé dans le traitement de la narcolepsie, peuvent être détournés pour améliorer la concentration. D’autres scientifiques imaginent une stimulation via un corps étranger. Une bobine placée à l'extérieur du crâne influencerait l’activité électrique du cerveau, tandis que des électrodes implantées directement dedans permettraient une “neuromodulation invasive”. L'objectif avoué est de changer le fonctionnement cérébral.
L’existence des prothèses remonte à l’Antiquité, même si ces dernières se démocratisent bien des siècles, pour ne pas dire deux millénaires plus tard. L’ouvrage artisanal fait de bois, de métal et de cuir laisse place au XXIe siècle à une science susceptible d’améliorer les performances des êtres humains. L’exemple d’Oscar Pistorius (en dehors de ses déboires judiciaires) est on ne peut plus parlant. Ce sud-africain, surnommé “The Blade Runner” en référence au film de Ridley Scott, est le premier athlète amputé à se qualifier pour les jeux Olympiques (de 2012) avec les "valides". Les prothèses de course sont si évoluées et performantes que l'athlète Blake Leeper s’est vu refuser sa demande de participation aux épreuves qualificatives des JO de Tokyo parmi ces mêmes "valides". Le Tribunal Arbitral du Sport estime alors que les prothèses du coureur lui donnent un “avantage injuste sur ses concurrents”.
“Toujours plus loin, plus fort, plus vite”, les prothèses des générations futures devraient selon Steve Hartley Collins, professeur en génie mécanique à l’université de Stanford, surpasser le corps humain via des systèmes robotiques avancés et une “intelligence artificielle” capable d’analyser en temps réel la réponse de l'individu afin d’en optimiser les performances. Il ne s’agit plus de dispositifs statiques, mais bien de membres 100% robotisés. En 2013, l’Institut de Réhabilitation de Chicago et plus particulièrement son centre dédié à la médecine bionique fait de ce vieux rêve de science-fiction une réalité avec la première jambe prothétique contrôlée par l’esprit de son porteur. Un an plus tard, le laboratoire de physique appliquée de l’université John Hopkins parvient à donner l’usage de bras mécaniques à une personne amputée grâce à une interface cérébrale homme-machine et une opération chirurgicale.
Bien souvent, les prothèses bioniques se contentent de mouvements basiques tels que tendre l’index et aggriper. La gestion de chaque doigt individuellement est bien plus complexe, et exige une longue rééducation. Cependant, l’université John Hopkins citée ci-dessus révèle en 2016 une technologie permettant à un individu de contrôler par la pensée et avec une très grande précision un bras et une main mécaniques équipée de 5 doigts. Mieux encore… et si ces membres artificiels reconnaissaient le toucher ? La DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) fait d’énormes progrès dans ce domaine. En 2015, l’une des prothèses développées est ainsi capable de reproduire le sens du toucher après avoir relié un réseau d’électrodes au cortex sensoriel ainsi qu’au cortex moteur du patient. Un an auparavant, une équipe européenne parvenait à des résultats sensiblement similaires avec une main mécanique.
La prochaine étape serait de revêtir les prothèses d’une peau artificielle ayant les mêmes propriétés que celle humaine, et une fois de plus la science se confond avec la fiction. En 2006, un chimiste de l’université du Nebraska met au point un matériau sensible à la pression. Neuf ans plus tard, deux chercheurs de l’université de Stanford parviennent à convertir la pression statique d’un objet en signaux numériques comparables à ceux perçus par une peau humaine. Et si cette même peau artificielle pouvait ressentir la chaleur et même la douleur ? En combinant plusieurs innovations, des scientifiques du Royal Melbourne Institute of Technology réalisent une surface électronique souple captant les variations de pression et de température afin de simuler le comportement des nocicepteurs (ou récepteurs sensoriels de la douleur). Une machine pourrait en théorie souffrir.
De par sa condition d’être vivant, un humain est voué à s’éteindre, mais la science cherche désespérément un moyen de lutter contre cette fin naturelle. La transplantation (ou greffe) est une “opération chirurgicale consistant à remplacer un organe par un autre du même type.” A l’heure actuelle, ce procédé est réservé aux interventions médicales avec pour objectif d’augmenter l’espérance de vie des patients ayant un organe malade en le remplaçant par un organe sain. Ces greffons (ou transplants) sont en général d’origine humaine, mais pas seulement. La xénotransplantation qui consiste à greffer un “organe” d'une espèce biologique différente de celle du receveur est une solution. Le porc est une source potentielle de xénogreffes de par ses similitudes génétiques avec l’être humain. Entre les échanges d’insuline et les valves aortiques, nos voisins porcins ont démontré par le passé une certaine compatibilité grandissante avec l'Homme, grâce notamment au clonage et à une sélection minutieuse des sujets.
Une autre approche consiste à fabriquer les organes et toutes autres parties du corps humain. Pour cela, l’impression 3D pourrait s’avérer fort utile. Le Wake Forest Baptist Medical Center parvient en 2016 à assembler des cellules vivantes via une imprimante d’un genre nouveau pour former des tissus humains composés de gel et de matières semblables au plastique. Les premières expérimentations et greffes en laboratoire donnent des résultats prometteurs. Les organes bioartificiels sont une autre alternative encourageante car ils répondent aux mêmes prérequis que ceux imprimés, à savoir l'absence totale de rejet. Ces “Ghost Organs” possèdent la structure extracellulaire d’un donneur ainsi que les propres cellules du patient qui vont régénérer et réensemencer l’organe fraîchement “usiné”. Quid des cellules souches ? La cellule souche, identifiée en 1981 chez la souris puis en 1998 chez l'être humain, est une cellule capable de générer des cellules spécialisées (sanguines, musculaires…) par différenciation cellulaire, et de se maintenir dans l’organisme.
Aux débuts des années 2010, Masahito Tachibana et son équipe située en Oregon produisent pour la première fois une cellule souche embryonnaire humaine en affinant une technique autrefois à l’origine du clonage de la brebis Dolly (1996). Les recherches sur ce sujet permettent de créer des tissus et des organes humains dans un but thérapeutique afin de remplacer ceux endommagés. Ce fut le cas lors d’une greffe de trachée en 2013, un organe fabriqué à partir de la moelle osseuse de la patiente. Les cellules souches ouvrent ainsi les portes du clonage humain. Élever un être vivant pour en sauver un autre tel un simple produit… où quand le gain d’espérance de vie se confronte à l’éthique. Les cellules souches pourraient même réveiller les morts. Derrière ce concept sensationnaliste se cachent la société américaine Bioquark et son projet de réanimation de personnes en état de mort cérébrale. Le protocole implique d’injecter lesdites cellules souches en provenance du patient, puis de favoriser la croissance de neurones dans l’espoir d’établir de nouvelles connexions nerveuses. Jeunesse éternelle et immortalité… la Boîte de Pandore pourrait en réalité renfermer des cellules souches.
Impossible d’aborder le transhumanisme sans évoquer Elon Musk (Tesla, SpaceX...) et la start-up Neuralink. Cette entreprise développe un implant cérébral externe, comparé par le milliardaire à une montre connectée, qui pourrait dans un premier temps traiter les maladies neurologiques (Alzheimer, Parkinson…). D’autres applications sont envisageables, mais restent encore à l’état de chimères. Cette interface neuronale directe pourrait rendre leur mobilité à des personnes paraplégiques ou encore doter le cerveau d’une véritable puissance informatique. Grâce à cet implant connecté, l’être humain peut espérer accroître ses capacités cérébrales, exploiter tout type d’information en direct, et même fusionner son esprit avec celui d'une intelligence artificielle. Tout cela reste en 2020 hypothétique, mais pour combien de temps encore ?
Les progrès technologiques réalisés dans les années à venir permettront de gagner en force, en précision, en compétences, en espérance de vie, et donc de dépasser notre propre condition d‘être humain. Mais le souhaitons-nous vraiment ? De là à se faire sectionner volontairement un membre, de subir une énucléation, ou pire encore… il n’y a qu’un pas, et c’est le cyberpunk.
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