En marge de sa venue à Paris pour le salon Japan Expo 2019, nous avons pu rencontrer Naoki Yoshida, producteur et réalisateur de Final Fantasy XIV. L'occasion de revenir avec lui sur la santé du MMO, sur son avenir et sur certains points précis concernant Shadowbringers, troisième extension venue injecter du sang neuf début juillet.
Comme à l'accoutumée lorsque Naoki Yoshida se prête au jeu de l'interview, cette rencontre s'est déroulée en compagnie d'un autre média. Nous avons ainsi partagé notre session d'interview de 45 minutes avec Melty.fr.
"Nous cherchons en permanence à nous améliorer"
C’est sans conteste l’une des rédemptions les plus remarquables de l’histoire du jeu vidéo. En septembre 2010, Final Fantasy XIV sortait en version 1.0. Un véritable fiasco : le jeu est décrié à la fois par la presse et les joueurs, à tel point que l'ex PDG de Square Enix, Yoichi Wada, estimait à l'époque qu'il a "grandement endommagé" la marque Final Fantasy. Neuf ans plus tard, il est l'un des plus gros projets de l'éditeur nippon : une équipe d'environ 250 personnes est constamment mobilisée, et il figure parmi les rares MMO à abonnement qui continuent d'attirer une forte communauté de joueurs.
Un succès sur la durée que Naoki Yoshida, appelé en urgence en décembre 2010 pour sauver le jeu du naufrage, explique de manière simple : "ce qui fait la réussite du jeu, ce sont les mises à jour régulières. Nous voulons que les joueurs aient quelque chose à se mettre sous la dent aussi souvent que possible. Nous devons proposer à notre audience ce qu'ils veulent. Cela semble assez simple, mais je peux vous assurer que proposer un contenu aussi riche et prolifique demande beaucoup de temps et d'efforts. Dans l'histoire du MMORPG, les jeux qui marchent le mieux sont ceux qui offrent du contenu de manière régulière", estime celui que les joueurs surnomment affectueusement "Yoshi-P".
Au fil des années, il a noué une relation particulière avec sa communauté. En compagnie des cadres de son équipe, il s'adresse régulièrement à elle dans les "Lettres du Producteur", un programme diffusé en direct. Avec un peu de chance, il est même possible de croiser son avatar en jeu. Son passif de joueur avide de MMO, de Dark Age of Camelot à Ultima Online en passant par World of Warcraft ou encore EverQuest, lui permet de répondre au mieux aux attentes. Il met un point d'honneur à surveiller les retours des joueurs : "le plus intéressant, ce sont les retours plutôt négatifs : nous cherchons en permanence à nous améliorer et à apporter le meilleur aux joueurs. Ce que nous voulons faire, c'est gagner leur confiance en s'inspirant de leurs retours, notamment car cela permet inévitablement à la communauté de grossir".
"Il faut voir Final Fantasy XIV comme une série"
Six ans après le déploiement d'une version 2.0 salvatrice (A Realm Reborn) qui a modifié le jeu en profondeur (gameplay retravaillé, nouveau moteur de jeu...), Final Fantasy XIV a aujourd'hui trouvé son rythme de croisière : une extension tous les deux ans, et de grosses mises à jour tous les trois ou quatre mois. Avec un tel suivi, son contenu est désormais massif et il peut être difficile pour un nouveau joueur de prendre le train en marche. La plupart des joueurs du MMO s'accordent sur ce sujet, les débuts du jeu peuvent se montrer décourageants, la faute à un gameplay qui tarde à se dynamiser, à un scénario qui se met lentement en place et à des quêtes souvent peu passionnantes. Yoshida et son équipe entendent ces critiques et, s'ils doivent avant tout satisfaire les joueurs actuels, n'oublient pas pour autant les néophytes : "avec la sortie de Shadowbringers, nous avons apporté des ajustements pour les nouveaux joueurs. Nous voulons faire en sorte qu'ils puissent progresser dans le jeu simplement en faisant la quête principale et qu'ils puissent accéder aux derniers contenus le plus facilement possible", assure-t-il.
La cinématique d'introduction de Final Fantasy XIV : A Realm Reborn
Pour les plus pressés, une solution existe : "nous proposons des objets payants qui permettent de passer l'histoire de A Realm Reborn et des autres extensions, mais nous ne les recommandons pas aux joueurs, car nous souhaitons qu'ils profitent un maximum de la narration qui leur est proposée. Il faut voir Final Fantasy XIV comme une série : chaque extension est une nouvelle saison, et il serait bête que les joueurs passent directement de la saison 1 à la saison 4", explique Yoshi-P. Il invite par ailleurs "les joueurs qui ont pu ressentir une certaine frustration lors de leur progression dans les précédentes extensions à revenir sur le jeu", en leur promettant une "expérience beaucoup plus agréable qu'auparavant".
Avec sa structure et son épopée narrative prenante, l'une des principales raisons pour lesquelles il est apprécié, Final Fantasy XIV est souvent perçu comme un JRPG solo auquel on aurait greffé des instances multijoueur. Avec Shadowbringers, Square Enix continue d'assumer cet aspect en intégrant le système d'adjuration. Derrière ce nom se cache la possibilité de parcourir les donjons de l'histoire principale de l'extension sans aucun autre joueur, en formant un groupe constitué de PnJ. Une fonctionnalité qui semble aller à l'encontre de l'esprit d'un MMO, mais qui prend son sens lorsque les files d'attente s'éternisent, ou pour les anxieux des instances en groupe qui veulent simplement profiter de l'histoire.
Pratique, mais Square Enix ne permet pas, pour le moment, d'utiliser cette fonctionnalité pour le contenu bas niveau. "Nous avons conçu une nouvelle intelligence artificielle pour les PnJ, et il faut l'adapter à chaque contenu. Cela demande beaucoup de travail. Avec les ressources que nous avons, c'était impossible de rendre cette fonctionnalité compatible avec tout le contenu d'un seul coup", justifie Yoshida. "Mais nous savons que les gens l'adorent et qu'ils l'utilisent beaucoup alors nous aimerions l'étendre. Cela se fera étape par étape, selon les retours des joueurs et les améliorations qu'ils souhaitent voir en priorité", annonce-t-il.
"Il reste tellement d'idées à réaliser"
Entre les Primordiaux / invocations (Shiva, Ifrit, Garuda...) à affronter lors de combats épiques à souhait, les musiques, le Gold Saucer, le Triple Triade, les références aux autres opus de la série... tout est mis en oeuvre pour séduire les fans de Final Fantasy. Les collaborations avec d'autres jeux sont également courantes : après Yo-kai Watch, Monster Hunter ou encore Dragon Quest X, c'est NieR Automata qui va s'inviter dans le MMO. Au programme : une série de raids à 24 joueurs conçus avec la participation de Yoko Taro et Yosuke Saito, respectivement réalisateur et producteur du jeu de PlatinumGames. Un contenu forcément alléchant, dont la parution débutera avec le patch 5.1 d'ici quelques mois : "puisque Yoko-san est avec nous sur ce projet en tant que scénariste, l’essence de NieR sera fortement présente. Nous discutons beaucoup avec lui et nous pensons que les joueurs trouveront tout ce à quoi ils s’attendent avec ces raids. Nous voulons que tout le monde soit satisfait : à la fois ceux qui ont joué à NieR ou à NieR Automata et ceux qui n’y ont pas joué. Cette collaboration va apporter de nouveaux éléments au système de combat ainsi qu'en termes de présentation visuelle, ce genre de choses", tease Yoshida.
En digne héritier de Final Fantasy XI, premier MMO de la licence toujours en service après 17 années d'existence, Final Fantasy XIV semble bien parti pour vivre encore longtemps. D'abord lancé sur PC, puis successivement sur PS3 et PS4, il devrait logiquement perdurer sur la prochaine génération de consoles. C'est du moins ce que laisse penser Yoshida : "nous voulons que le plus de joueurs possible puissent jouer à Final Fantasy XIV. S’il y a une plateforme sur laquelle nous pouvons aller, nous voulons bien entendu que le jeu soit compatible. Ce n’est pas une confirmation, mais nous avons cette idée et l’espoir de pouvoir nous étendre afin d'attirer plus de joueurs".
Lorsqu'on lui demande si le passage à ces futures machines plus puissantes représenterait une opportunité idéale pour retravailler le moteur du jeu et apporter d'importantes améliorations graphiques, il ne cache pas la difficulté de la démarche : "si nous retravaillions le moteur de jeu, cela nous demanderait plus de ressources. La question est de savoir si nous pouvons le faire tout en conservant notre rythme de mises à jour et d'ajouts de contenu. Aussi, si nous apportons des améliorations, ceux qui utilisent des PC peu performants pourraient ne plus être en mesure de jouer. Il y a tellement de choses à prendre en compte et nous y réfléchissons sérieusement", explique Yoshida.
En attendant, les développeurs sont déjà à la tâche pour préparer les mises à jour de Shadowbringers, extension accueillie plus que positivement par la communauté. De son côté, Naoki Yoshida continue de tenir les rênes et prend du galon petit à petit chez Square Enix. Il est désormais l’un des cadres de l'entreprise : entré au conseil d’administration en 2018, il dirige également la 3rd Development Team. Notamment responsable de la série Dragon Quest Builders, cette équipe a récemment terminé la pré-production d’un projet d’ampleur "relevant le défi de la prochaine génération". Autant dire que les journées de Yoshi-P sont bien occupées : "avec le lancement de Shadowbringers, je ne dors plus. Je passe mes jours et nuits à travailler sur le jeu". Après quasiment neuf années à travailler d'arrache-pied sur Final Fantasy XIV et avec ce cumul des responsabilités, serait-il alors possible de le voir confier la direction du MMO à quelqu'un d'autre ? Sa réponse est claire : "je ne suis pas lassé pour autant. Je n’ai aucune intention de passer le flambeau à quelqu’un d’autre. Il reste tellement d’idées que je souhaite réaliser. Et puis, le fait que nous travaillons sur un projet non annoncé n’affecte pas Final Fantasy XIV. En tant que chef de cette équipe, je dois m’assurer que le développement des différents projets avance sans encombre. Pour ce qui est de l'identité du jeu, je ne peux rien vous dire sinon elle (il pointe du doigt l'attaché de presse de Square Enix) me tuerait".
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