ATTENTION, ALERTE ! AVALANCHE MASSIVE DE CHAP A VENIR ! NE ME FAITES PAS DE DDB POUR FLOOD S'IL-VOUS-PLAIT !
Chapitre 108 :
Les tentes étaient secouées dans tous les sens comme de vulgaires morceaux de tissus au milieu d’une bourrasque. Le camp de l’organisation était totalement désert, le danger pour les marchands étant trop grand à proximité de l’Aonyados.
La monstrueuse tempête de sable avait beau souffler à trois kilomètres de là, le vent ici était déjà incroyablement puissant. Sandre et Roderick avançaient déjà difficilement, se protégeant le visage avec leurs avant-bras, les yeux fermés.
Les deux hommes allèrent se réfugier, presque à l’aveuglette, dans la première tente qu’ils trouvèrent. Le sifflement du vent eut beau se faire moins fort, celui-ci s’infiltrait quand même à l’intérieur par de multiples ouvertures. Mais au moins, ils pouvaient souffler.
Un organisateur isolé se trouvait là, derrière un comptoir. Il était confortablement installé dans une sorte de petite cabine en bois qui le protégeait plutôt efficacement. Roderick s’approcha.
L’organisateur se pencha en avant pour pouvoir l’entendre. Le vieillard parvint à parler suffisamment fort pour couvrir le sifflement incessant.
-Nous souhaiterions passer cette épreuve mais il n’y a aucun panneau dehors pour nous indiquer les règles !
-C’est normal, expliqua l’organisateur. Il se ferait arracher par la tempête.
-Vos tentes tiennent bon pourtant.
-L’Aonyados se déplace légèrement au cours de la journée. Dans une ou deux heures, il se sera rapproché de l’endroit où nous nous trouvons, et la force du vent sera alors sans commune mesure avec ce que vous voyez là. Nous sommes donc obligés de déplacer le camp régulièrement pour ne pas être emportés. Et, vous vous en doutez, il est aisé de déplacer des tentes. Le panneau, c’est une autre histoire.
-Je vois… Mais je n’ai aperçus personne dans les environs…
-Toute l’équipe est dispersée dans les différentes tentes. Nous ne sommes pas vraiment nombreux ici. On ne dispose pas de l’équipement adéquat pour recevoir toute un régiment. D’ailleurs, nous sommes relayés deux fois par jour et nous allons rejoindre un petit village qui se trouve à dix lieux d’ici. Moi-même, je quitte l’endroit dans une petite heure.
-D’accord, et pour passer l’épreuve ?
-Une seconde…
L’organisateur se pencha sous son comptoir et disparut du champ de vision des deux hommes. Sandre baissa la tête et cracha en se rendant compte qu’une couche de poussière et de sable s’était amassée, sans qu’il ne s’en rende compte, tout autour de ses lèvres.
Il en avait d’ailleurs sur tout le visage.
La traversée de l’Aonyados allait être véritablement infernale.
L’organisateur réapparu avec deux petites coupoles en main. Elles étaient transparentes. La matière dans laquelle elles avaient été taillées ressemblait à du cristal.
Un petit couvercle, doté d’une chaînette en métal, permettait de « refermer » la coupole et ainsi d’empêcher son contenu de s’éparpiller. Cela serait sans doute particulièrement utile.
-L’objectif de cette épreuve, expliqua l’organisateur, est de rejoindre le centre du tourbillon. Il s’y trouve un endroit que les nomades appellent « l’Oasis des Bienheureux ». L’eau qui s’y trouve est réputée pour avoir des propriétés curatives magiques, mais cela nous importe peu. Pour valider l’épreuve, chaque participant doit ramener ici une coupole pleine de cette eau.
-Elles sont enchantées, comme le reste du matériel de la Grande Marche ?
-Absolument pas. Ces coupes sont aussi fragiles qu’elles en ont l’air. Un choc un peu brusque suffit à les briser. Tout l’enjeu de l’épreuve est donc, comme vous vous en doutez, de rapporter votre coupole intacte.
-Très bien.
-Je dois vous prévenir également qu’à cause de la dangerosité de l’Aonyados, aucun aéronef ne peut s’en approcher, et encore moins le traverser.
-Ce qui veut dire ?
-Ce qui veut dire que s’il vous arrive quelque chose « là-dedans », les équipes de secours ne le verront jamais et ne viendront certainement pas vous aider. Vous serez totalement livrés à vous-même. Je dois prévenir tous ceux qui se présente ici.
-Je comprends. Merci beaucoup. Nous serons de retours dans peu de temps.
-Mouais, répondit l’organisateur. Ils disent tous ça… Mais pour l’instant, j’en ai pas vu beaucoup revenir. J’sais pas si c’est l’Aonyados ou ce qui se cache dedans qui a eu raison d’eux mais… Enfin bon, bonne chance.
« Ce qui se cache dedans ? », pensa Sandre. La tornade en elle-même n’était donc pas le seul danger qu’ils allaient devoir affronter. Cela aurait été trop facile, et indigne d’une avant dernière épreuve de la Grande Marche.
Ça n’avait pas vraiment l’air d’inquiéter Roderick le moins du monde, surtout après la nuit qu’ils avaient passés avec le Var’Goth, puisque le vieillard était déjà sorti de la tente.
Sandre se dépêcha d’enfouir sa coupole dans ses vêtements, bien à l’abri, et se lança à sa poursuite.
A peine fut-il sorti qu’une violente bourrasque manqua de le projeter au sol. Il tint bon et fléchit les genoux pour garder l’équilibre. Etait-ce une simple illusion ou est-ce que la force du vent avait vraiment augmentée à ce point en l’espace d’une minute ?
L’Aonyados se déplaçait bel et bien de lui-même, et il avait dû considérablement se rapprocher pendant que Roderick et Sandre discutaient avec l’organisateur.
La Flèche Blanche s’était éloigné du camp. Sandre le rejoignit en courant. Il ralentit à son niveau.
-Tu sais où on va ?! cria le Bréton pour se faire entendre.
-Bien sûr. On va tout droit.
-Ah ouais ? Tu crois qu’on tombera miraculeusement sur l’oasis ?
-Il n’y a aucun moyen de se diriger efficacement à proximité du cyclone. Il masque complètement le ciel et on ne voit pas à plus de deux mètres devant soi. Donc à part si tu as le flair d’un Khajiit ou que tu es un magicien assez doué pour utiliser une incantation de Clairvoyance, nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire que d’avancer à tâtons et de croiser les doigts pour trouver notre cible au plus vite.
-Vu comme ça… !
Roderick s’arrêta alors, comme s’il venait d’avoir une idée, et déchira un long morceau de tissu de sa cape. Puis, il en arracha un autre. Et un autre. Lorsqu’il en eut une dizaine dans les mains, il les noua les uns aux autres pour former une sorte de longue corde.
Sandre le regarda faire, perplexe. Roderick tendit une des extrémités de la corde à son compagnon.
-Maintenant que j’y pense, fit le vieillard, nous avons de grandes chances de nous perdre de vue dans cette tempête ! Pour l’instant ça va encore, mais lorsque nous nous y enfoncerons et que nous peinerons à distinguer nos propres mains, ce sera plus compliqué ! Le pire qui pourrait nous arriver là-bas serait de nous éloigner progressivement l’un de l’autre sans nous en rendre compte et d’être incapable de nous retrouver. Et si l’un s’arrête et commence à chercher l’autre, il va dévier de sa route et il lui sera impossible de retrouver la bonne direction. Il sera condamné à errer au milieu de l’Aonyados et finira sans doute déchiqueté par le vent et le sable au bout d’une heure ou deux.
-Pas très reluisant !
-C’est pour ça que nous allons nous attacher ! Afin de toujours rester liés !
-Oh ! Comme pendant l’épreuve du Pic du Fou !
-Exactement. Tiens, prend cette partie et enroule-là autour de ta taille. Il devrait bien y avoir un ou deux mètres entre nous deux. C’est largement suffisant !
Sandre s’exécuta. Roderick entreprit de s’attacher également.
-Nous allons alterner toutes les cinq minutes, expliqua le vieillard. J’ouvrirais la route en premier, puis ce sera à ton tour, et ensuite au miens, et ainsi de suite.
-Quel intérêt ?
-Celui qui sera derrière pourra éventuellement se protéger du vent, ne serait-ce que légèrement, mais celui qui sera devant va en prendre plein la figure. Ni toi, ni moi ne pourrons tenir bien longtemps dans ces conditions.
Sandre sourit de toutes ses dents. Il le regretta amèrement par la suite puisqu’il suffit d’une seconde pour qu’une impressionnante quantité de poussière pénètre dans sa bouche et se colle à ses gencives. Il passa dix secondes à cracher et à tousser.
-Tu es vraiment incroyable, finit-il par lâcher lorsqu’il se fut débarrassé du sable qui le gênait. Tu penses à absolument tout ! On dirait que tu as déjà participé à la Grande Marche des dizaines de fois !
-Oh, non, répondit Roderick. Mais la plupart des situations auxquelles nous sommes confrontées dans cette course, je les ai déjà vécues. Quand tu auras autant d’expérience que moi, toi-aussi tu sauras comment réagir face à à peu près tout et n’importe quoi. Bon, maintenant en route ! Ne perdons pas plus de temps à bavarder !
Les deux hommes se remirent en marche, solidement attachés par la corde de tissu. Et ils en avaient bien besoin. Ils n’étaient encore qu’à la périphérie du tourbillon que le vent était déjà assez fort pour les ralentir à tel point qu’il fallait bien une à deux secondes à Sandre pour mettre un pied devant l’autre.
Ce n’était pas de l’air. C’était un véritable mur infranchissable. Une force naturelle d’une puissance incommensurable qui le repoussait, tel un vulgaire insecte.
Les grains de sable le fouettait avec une violence inouïe, le griffant de toute part et traçant des sillons sanglants dans sa peau.
Le jeune homme gardait les yeux à moitié clos. S’il les ouvrait ne serait-ce qu’un peu, il serait immédiatement aveuglé. Bien vite, il décida de déchirer également un morceau de sa propre cape et de se l’enrouler autour de la tête. Ainsi, il parvint à se recouvrir plutôt efficacement la bouche, le nez et le front.
La poussière parvenait toujours à s’infiltrer légèrement, et ses yeux étaient encore exposés, mais le tout en était légèrement plus supportable.
Les vêtements du jeune homme claquaient furieusement sur son corps. Il se sentait comme un drapeau flottant au vent.
C’était dans ce genre de moment qu’on prenait réellement conscience de la futilité et de la fragilité de l’homme. Que représentait Sandre face à ce monstre qu’était l’Aonyados ? Un être minuscule que la tempête pouvait balayer quand il lui semblerait bon.
Une bourrasque plus forte que les autres et s’en était fini de lui. De même pour Roderick, tout guerrier légendaire qu’il était. Leurs corps finiraient ballotés par le cyclone, totalement désarticulés, livrés aux caprices des cieux.
Sandre avait beau avoir les oreilles recouvertes par son masque en tissu de fortune, le sifflement perçant du vent continuait à résonner dans son crâne. Comme si le tourbillon lui-même se penchait à son oreille et hurlait en continue. Pour le rendre fou.
Le jeune homme perdit la notion du temps. Une heure passa. Peut-être deux. Ou trois. Voire une journée entière, qui pouvait le dire ?
Il avait perdu tout repère, dans l’espace comme dans le temps. Sans s’en rendre compte, il avait véritablement pénétré à l’intérieur de la tempête, et celle-ci avait redoublée d’intensité.
Il n’y avait plus de haut, de bas, d’avant et d’arrière. Il n’y avait qu’un voile de poussière ocre, gémissant et vociférant autour de lui, balafrant impitoyablement sa peau nue sans même qu’il n’y prête attention.
C’est alors que, le faisant tressaillir, la main de Roderick se posa sur son épaule. Sandre releva la tête. Le vieillard était méconnaissable.
Sa longue chevelure blanche et soyeuse était secouée dans tous les sens. Ses vêtements ondulaient, comme une mer en furie. Il avait les yeux plissés et le visage recouvert d’une fine couche de sable, ce qui rendait ses traits presque indiscernables. Il avait les dents serrées, comme si chaque instant à se tenir debout au milieu de la tempête constituait un effort insurmontable.
Malgré le bruit, Sandre réussit à entendre la voix de son compagnon.
-Prends le relai ! Je passe derrière !
Un relai ? Quel relai ?
Sandre comprit qu’il ne s’était pas écoulé des heures ou des jours mais seulement… cinq minutes. Cinq minutes à progresser dans le milieu le plus hostile qui soit pour l’homme, qui lui avaient parus une éternité.
Le jeune homme, incapable d’articuler le moindre mot, hocha vigoureusement la tête pour faire comprendre à Roderick qu’il l’avait entendu. Il dépassa son compagnon et prit la tête.
L’avancée des deux hommes était lente et difficile. Ils étaient tous les deux courbés, penchés en avant pour offrir le moins de résistance possible au vent. Mais c’était inutile.
Les grains de sables les assaillaient de toutes parts, telle une gigantesque nuée d’insectes carnivores. Sandre gémit sous son masque de tissu lorsqu’il vit du coin de l’œil un morceau de peau sur son avant-bras se faire brutalement arracher par une vague de sable meurtrière.
Des gouttes de sang giclèrent et furent emportées au loin en une fraction de seconde.
Le jeune homme baissa les yeux et vit une forme ressortir d’une dune. C’était un squelette, à moitié enfoui sous le sable. Un participant ? Un aventurier ? Un simple voyageur ? Dans tous les cas, il était mort depuis un bout de temps.
L’Aonyados s’était chargé de lui offrir un tombeau.
Sandre l’enjamba, trop affaibli pour pouvoir se permettre de s’arrêter.
C’est alors qu’une forme fugitive passa dans la tempête, à quelques mètres de Sandre. Le jeune homme fronça les sourcils. Qu’est-ce que c’était ? Un homme ? Un animal ? Il n’avait pas été capable de la détailler mais la silhouette avait été assez haute. Humanoïde ou non, il était bien incapable de le dire.
Mais ce n’avait pas été un mirage, et cela s’était déplacé très rapidement.
Sandre voulut se retourner pour prévenir Roderick. Il hésita mais ne le fit pas. Toute halte, même brève, pouvait leur être fatale à tous les deux. Et puis, si lui l’avait vu, alors la Flèche Blanche l’avait forcément vu aussi.
Forcément.
Sandre estima que cinq bonnes minutes étaient passées. Il jeta un coup d’œil derrière lui et fit un signe à Roderick. Celui-ci hocha la tête. Désormais, ni l’un ni l’autre ne pouvait parler.
La tempête était trop intense.
Les bourrasques les cognaient tous les deux à un rythme frénétique et avec une brutalité incroyable. Sandre devait mobiliser toute la puissance qu’il avait hérité du Rôdeur pour tenir debout. Ses genoux étaient fléchis et tremblaient. Chacun de ses muscles était bandé au maximum.
Il avait rentré le plus possible la tête dans les épaules et avait replié ses bras contre sa poitrine. S’il les laissait pendre sur ses flancs, il avait peur de se les voir arracher.
C’est alors que la forme sombre qu’il avait aperçu précédemment repassa à côté de lui. Encore plus rapidement avant.
Il pivota et donna un coup dans le vide. Trop court. Elle avait déjà disparue au moment où il s’était animé mais, de toutes manières, elle était trop éloignée.
Comme si Roderick ne l’avait pas remarqué, ou comme s’il craignait de ne plus jamais pouvoir se remettre en marche s’il s’arrêtait une seconde, le vieillard passa devant Sandre. Le jeune homme lui en fut infiniment reconnaissait car son corps permit de bloquer une infime partie des grains de sable, et donc d’épargner Sandre.
Mais celui-ci, malgré son soulagement, garda en tête la forme fugitive qui lui tournait autour depuis quelques instants. Etait-ce… l’un de ces fameux habitants du désert qui hantait la tempête ?
Sandre ne pouvait pas concevoir qu’une quelconque forme de vie ait pu se développer et subsister d’une manière ou d’une autre dans un tel environnement mais, après tout, ce n’était pas complètement absurde.
Certaines espèces animales s’étaient bien adaptées pour survivre dans des milieux effroyables. Mais l’Aonyados ? C’était un peu extrême.
En tout cas, Roderick avait raison. Il était maintenant impossible pour Sandre de voir au-delà d’un mètre, et encore… De ce fait, seule la présence de la corde tendue entre eux deux lui permettait de connaître la direction qu’empruntait Roderick, et donc de le suivre.
C’est alors que Sandre vit une nouvelle forme se dessiner face à lui, rectangulaire et haute de trois mètres.
« Qu’est-ce que c’est que ça, encore ? » pensa le jeune homme en se préparant déjà au combat.
Mais il n’eut pas le temps de s’interroger plus que ça. Roderick… « pénétra » dans la forme et disparut à l’intérieur. La traction exercée par la corde força Sandre à le suivre.
Une seconde plus tard, il se retrouva dans une petite pièce carrée, au sol couvert de poussière et aux murs en briques ocre. Roderick ferma violemment la porte en haletant et le hurlement du vent se fit beaucoup plus étouffé, d’un seul coup.
Sandre se rendit compte que ce dans quoi ils étaient entrés n’était autre qu’une sorte de petite maisonnette au milieu du désert, une sorte d’abri pour les pèlerins et les voyageurs comme il était courant d’en croiser.
Elle était minuscule et son intérieur était dépouillé de tous meubles, mais au moins, elle protégeait efficacement de la tempête. C’était un miracle qu’une habitation aussi sommaire soit capable de tenir malgré le tourbillon.
Sandre ferma les yeux et soupira longuement. Il était épuisé.
Roderick se laissa tomber lourdement au sol en position assise, comme si ses jambes étaient incapables de le soutenir une seconde de plus.
A l’extérieur, les grains de sables cognaient violemment aux murs et aux fenêtres, et la porte était secouée à tel point qu’elle donnait l’impression de pouvoir exploser à tout instant. Sandre se demandait comment les gonds pouvaient résister à la pression de l’air.
Chapitre 109 :
Perdu. Sandre était complètement perdu.
Prisonnier de la tempête, incapable de se repérer le moins du monde, que ce soit en usant de sa vue, de son ouïe ou d’un quelconque autre sens, il errait tel un fantôme, criant vainement le nom de Roderick en sachant parfaitement que nul ne pouvait l’entendre.
L’écho de sa voix se perdait dans le sifflement du vent et à peine entrouvrait-il les lèvres que, de toutes façons, il se retrouvait avec la gorge emplie de poussière qu’il ne parvenait à extraire qu’à force de tousser et de cracher.
Qu’était-il arrivé à Roderick ?
Sandre ne pouvait en aucune manière se résoudre à le considérer comme mort. C’était une idée qui n’effleurerait pas son esprit tant qu’il n’aurait pas sous les yeux le cadavre du vieillard, bien réel. En revanche, ce qui était clair, c’était que celui-ci avait disparu.
Emporté ? Par quoi ? La mystérieuse créature qui les suivaient tous les deux depuis qu’ils avaient pénétrés dans l’Aonyados ? C’était le plus probable.
Sans doute qu’en se défendant, Roderick avait été contraint d’avancer ou de s’éloigner légèrement. Et dans un tel environnement, s’éloigner de son compagnon d’un mètre ou de cinq-cents ne faisait guère de différence.
Seule la corde de tissu qui reliait les deux hommes leur permettait de connaître la position à peu près exacte de l’autre. Désormais déchirée, sans doute par un coup ou un choc trop brusque, c’était comme si Sandre et Roderick se trouvaient à des extrémités différentes du monde tant il était improbable qu’ils puissent se retrouver, quand bien même ils n’étaient séparés que d’une dizaine de mètres.
De plus, Sandre avait commis une erreur fatale lorsqu’il s’était mis à appeler son camarade. Il avait tourné sur lui-même deux ou trois fois et avait dévié de sa route initiale. Il lui était désormais impossible de la retrouver, sauf intervention miraculeuse d’un divin.
La situation du jeune homme n’aurait pu être plus précaire.
Epuisé, ensanglanté, ayant à peine assez d’énergie pour se maintenir debout, secoué par les bourrasques monstrueuses et à la merci d’une créature qui, visiblement, lui était hostile, Sandre ne voyait pas comment il pouvait s’en tirer.
Dépité, il se remit en marche. Ses bottes s’enfoncèrent dans le sable en crissant.
Ce n’était pas la première fois qu’il était séparé de Roderick ou de ses autres compagnons, et qu’il se retrouvait livré à lui-même, ça non. Ce n’était pas la première fois non plus qu’il avait affaire à un ennemi redoutable et invisible. Il pouvait gérer cela. Enfin, dans un tout autre contexte, il aurait pu le gérer.
Mais là…
Comme si tous les éléments s’étaient ligués contre lui, toute force le quitta et il s’effondra. Il ne comprit pas. Un instant, il était debout. Celui d’après, il était étendu au sol, le visage enfoui dans le sable.
Ses jambes ne répondaient plus. Elles étaient tétanisées. Une intense douleur lui vrillait la cuisse droite et toute sa jambe gauche, au-dessus du genou, était engourdie et dure comme du roc.
« Non, se dit-il. Pas maintenant ! »
Il ignorait si cette crampe, plus violente que tout ce qu’il avait connu jusque-là, était le résultat d’une contraction prolongée, et beaucoup trop intense, de ses muscles, et ce afin de résister à la tempête, ou si c’était simplement un coup du sort, une sorte de sentence prononcée par des dieux malfaisants au service des Ashyuks, comme pour se venger de ce que Sandre avait fait subir au Var’Goth, mais il n’aurait rien pu lui arriver de pire à ce moment-là.
Le jeune homme, frappé à intervalles rapides et réguliers par des vagues de sables meurtrières et par un souffle qui aurait pu déraciner un chêne, se contraignit à se redresser.
D’abord sur un coude, puis sur l’autre. Il se retourna sur le dos et, les yeux fermés et les dents serrées, frappa sa jambe droite avec le poing fermé. Rien. Elle ne tressaillit même pas.
-Bouge, grogna-t-il.
Il referma ses doigts sur sa cuisse et tenta vainement de la masser, comme le lui avait un jour montré son père. Sandre dut s’y prendre d’une manière particulièrement efficace sans le vouloir car la douleur qui irradiait jusque dans son mollet s’évanouit.
Mais sa jambe resta paralysée.
Il avait beau avoir les yeux à demi clos, il aperçut une forme sombre passer furtivement sur sa gauche et disparaître dans la tempête. Le monstre était revenu !
Maintenant qu’il avait eu Roderick, il le voulait lui !
C’est alors qu’un son parvint aux oreilles du jeune homme. Très faible et couvert par le hurlement du vent, l’ouïe affûtée de Sandre pouvait néanmoins y reconnaître une voix familière.
-Sandre ! fit la voix, si ténue et étouffée que Sandre était bien incapable de dire si elle provenait de très loin ou si son possesseur se trouvait juste à côté de lui.
Il n’y avait aucun doute, c’était Roderick.
-Roderick ! répondit Sandre.
Le vieillard était toujours en vie.
La forme sombre fila de nouveau dans la tempête. Aussi véloce qu’un smilodon et aussi silencieuse que Nocturne elle-même. Bien plus proche qu’auparavant, également.
Si proche que, Sandre en était certains, sa prochaine apparition serait une attaque.
Le jeune homme continua à masser furieusement sa jambe dans l’espoir qu’elle réagirait. Il ne faisait même plus attention aux grains de sables qui le griffaient et le fouettaient. Il était entièrement plongé dans sa tâche. Celle de faire bouger sa maudite jambe.
La gauche, d’ailleurs, s’animait de nouveau. Seule la droite était paralysée.
La forme sombre revint. Sandre abandonna sa jambe pour saisir sa chaîne. Un éclat d’acier luisit dans la tempête et une gueule s’ouvrit. Il y eut un éclair flou, puis une sorte de gémissement bestial résonna avant que la forme ne s’éloigne rapidement.
Sandre crut que sa faucille allait être littéralement arrachée de ses mains par le souffle de l’Aonyados mais il tint bon et ses phalanges blanchirent tant il serra ses doigts sur le manche de son arme. La lame recourbée de sa faux était rougie par le sang de la créature.
Il ignorait où il avait bien pu la toucher et s’il lui avait réellement infligé des dégâts. Il avait frappé à l’aveuglette, entièrement par réflexe. Cela avait fonctionné puisqu’elle s’était éloignée de lui, mais si elle n’était pas morte, elle reviendrait à la charge dans peu de temps.
La voix de Roderick retentit une nouvelle fois, plus distincte.
-Sandre !
-Je suis là ! répondit le jeune homme.
Et là, sa jambe bougea.
Pas le temps de se féliciter ou de se laisser aller à la joie. Sandre se redressa immédiatement et se plia en deux. La bourrasque le cueillit droit dans la poitrine et il eut l’impression que ses pieds allaient quitter le sol et qu’il allait être emporté par le tourbillon. Finalement, il résista. Il releva la tête juste à temps pour voir la forme se dessiner de nouveau face à lui.
Il était difficile de distinguer quoique ce soit à travers le voile ocre qui l’entourait, et surtout avec les yeux plissés, mais il aperçut nettement une paire d’yeux noirs et une silhouette humanoïde. Celle-ci leva un bras osseux et décharné avant de l’abattre.
Sandre se laissa tomber sur un genou et quelque chose frôla le sommet de son crâne avec assez de force pour le persuader que s’il n’avait pas réagi à temps, il en aurait eu la tête décollée des épaules.
Le monstre frappa une deuxième fois. Et une deuxième fois, Sandre évita le coup de justesse.
La créature était lente, et heureusement. Ses mouvements n’avaient rien à voir avec ceux du Var’Goth. Sandre, même dans son état, pouvait les voir venir à des kilomètres. S’il en avait été autrement, il se serait fait massacrer sans pouvoir offrir la moindre résistance.
Ses mouvements à lui étaient tout aussi lents que ceux d’un vasard. Lutter contre le vent et se battre en même temps était un véritable calvaire.
Mais c’était étrange que la bête soit aussi peu rapide à frapper alors qu’elle se déplaçait aussi vite que l’éclair lorsqu’elle lui tournait autour.
Le troisième coup de la créature ne vint pas. Sandre avait pris l’initiative et venait de bondir dans sa direction –si on pouvait appeler cela bondir- en lui assénant un coup de faucille. Sa lame fendit l’air mais ne rencontra que le vide. Le monstre, lui-aussi, était capable d’éviter les assauts de son adversaire.
Imitant Sandre, il bondit également. Et cette fois, il ne fut pas lent du tout.
La forme fondit sur lui plus vite qu’un serpent passant à l’attaque et le percuta de toute sa masse, se moquant de la puissance du vent et des grains de sable assassins.
Un autre que Sandre aurait été plaqué au sol sur le champ, la cage thoracique enfoncée par la charge du monstre. Sandre, lui, ne broncha pas. Il écarta les bras et reçut la créature de plein fouet. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sable et il émit un juron, mais il demeura solide comme un roc et referma ses bras sur son adversaire.
A cette distance, même en fermant à moitié les yeux, il pouvait détailler la partie inférieure de la bête qui lui faisait face –car il avait la tête baissée et ne pouvait pas apercevoir ce qui se trouvait au-dessus.
Elle ne possédait pas de jambes mais deux pattes identiques à celles d’une mante religieuse, dotées de trois articulations, recouvertes d’une épaisse couche de chitine grisâtre et parsemée d’épines. Elles étaient terminées par des sortes de pieds étranges constitués de trois longs orteils griffus fichés dans le sable, évoquant ceux d’un insecte.
Les deux pattes étaient gonflées de muscles impressionnants, traversés par des veines bleuâtres. La créature devait posséder une force incroyable dans les jambes. C’était cela qui lui permettait de se mouvoir avec une telle rapidité, sans doute par des sauts successifs très rapides, et cela expliquait également pourquoi ses coups n’étaient pas aussi vifs que ses déplacements.
La bête possédait également une longue et fine queue qui pendait derrière elle.
Elle grogna et Sandre la sentit lever les deux bras, comme pour le frapper à la nuque ou dans le dos.
Le jeune homme inspira profondément et fit appel à toute la puissance du Rôdeur pour repousser son adversaire. Ses propres bras se détendirent violemment et, avec qu’elle n’ait pu passer à l’attaque, la bête se retrouva projeté en arrière. Elle fit un vol plané et, alors qu’elle n’avait pas touché le sol, le vent la happa et elle disparut dans la tempête.
Sandre entendit de nouveau la voix de Roderick l’appeler. Il pivota sur le côté.
-Roderick ?!
Le vieillard apparut enfin. Il surgit du voile de sable, courbé, le dos rond et la tête rentrée dans les épaules. Une longue balafre traversait son visage en diagonale et du sang coulait sur sa face, dégoulinant sur son torse.
-Où est-il passé ?! cria le vieillard. Où est passé le monstre ?!
-J’ai réussi à le vaincre !
-Tu l’as tué ?!
-Non !
-Alors tu ne l’as pas vaincu, imbécile !
Effectivement, il semblait à Sandre avoir vu quelque chose fuser sur sa droite.
-C’est lui qui t’a fait ça ?!
Il fixait la blessure de Roderick qui le défigurait. Le vieillard hocha la tête.
-Il a failli m’avoir tout à l’heure ! Désolé de m’être éloigné !
-Tu crois qu’il est seul ou qu’il chasse en meute ?!
-Je ne sais pas ! Celui qui t’a attaqué avait-il une flèche plantée dans la poitrine ?
-Non !
-Alors nous sommes mal !
Les deux hommes devaient s’époumoner pour se faire entendre et ils avalaient une quantité écœurante de sable à chaque syllabe qu’ils prononçaient.
Très difficilement, Roderick avait tiré son arc. Le vent faisait vibrer la corde à une vitesse folle sans que le vieillard n’ait besoin d’y toucher. Sandre ignorait comment il comptait s’en servir. Après tout, la tempête était si forte qu’à peine un trait serait-il décoché qu’il serait emporté des kilomètres plus loin. Le jeune homme pouvait en revanche très bien imaginer que Roderick avait usé de sa première flèche comme d’un poignard, face à son adversaire, l’empoignant à main nue et l’enfonçant directement dans la chaire de la créature en la frappant violemment.
Roderick saisit Sandre par l’épaule et le rapprocha de lui pour qu’il l’entende.
-On continue ! Chaque seconde qui passe nous affaiblit et si nous restons immobile, ce sera encore pire !
Ils se remirent en marche, bravant l’Aonyados qui s’acharnait sur leurs deux pauvres carcasses. Ils ne devaient plus être très loin du centre désormais. Ce n’était pas possible autrement. S’ils n’y parvenaient pas dans les prochaines minutes, alors ils mourraient.
Car Sandre le sentait bien. Sa crampe de tout à l’heure n’était rien d’autre que les prémisses de ses prochaines souffrances. Et lorsque, pour la deuxième fois, ses muscles se tétaniseraient, alors les monstres de la tempête le réduiraient en charpie.
Cela ne devait pas arriver. Il devait atteindre son objectif avant.
Son souffle était irrégulier et interrompu par des quintes de toux, causées par sa gorge desséchée. Malgré tout, il ne ralentissait pas.
Roderick, de plus en plus mal en point, peinait à mettre un pied devant l’autre. Sa dangerosité au combat et son expérience tendait à vous faire oublier son grand âge. Et sa nature humaine. Car oui, Roderick restait un humain.
Sandre l’attrapa par les épaules et le poussa à avancer. S’arrêter maintenant, c’était la mort assurée.
Ce fut ce moment que la créature choisit pour repartir à l’assaut. Celle qu’avait blessé Sandre ou une autre, peu importe. Le jeune homme la vit arriver du coin de l’œil et lui présenta son coude. Elle chargea et reçut le bras plié du Bréton droit dans le bas-ventre. Sa propre vitesse lui infligea la majorité des dégâts.
Sandre ne l’entendit pas mais un craquement sinistre retentit lorsque la chitine de la bête explosa sous le choc. Roderick écarta légèrement le jeune homme et balança une des extrémités de son arc au visage de la créature, courbée en deux à cause de la douleur.
L’arme devait être composée d’un matériau au moins aussi solide que l’ébonite puisqu’en percutant la face du monstre, ou ce que Sandre devinait être sa face vu qu’elle était dissimulée par le rideau de sable, des morceaux d’os volèrent. Ou alors peut-être qu’il restait à Roderick bien plus d’énergie que ne le pensait Sandre.
Dans tous les cas, le troisième coup, cette fois porté par Sandre, fut fatal au monstre. La faucille laboura violemment sa chaire et la cloua au sol, d’où elle ne bougea plus.
L’escarmouche n’avait duré que deux à trois secondes, et ni Sandre ni Roderick n’avaient stoppés leur progression.
Un autre monstre se présenta à eux. Sa patte fusa et Sandre comprit comment l’un d’eux avait balafré Roderick de la sorte. Leurs bras étaient semblables à des mandibules géantes, dotées d’articulations, et donc longées par des crochets aussi tranchants que des lames de rasoir.
Sandre se baissa et gémit quand une nouvelle douleur éclata dans sa jambe droite et inonda sa cheville. Il faillit trébucher mais cette fois, ce fut Roderick qui le soutint. Néanmoins, la patte passa au-dessus de son crâne sans le toucher.
Le monstre disparut d’un bond pour jaillir derrière Roderick. Le vieillard, de la même façon que Sandre avec son coude, avec préparé son arc et l’avait positionné de façon à ce que la bête imprudente aille presque s’empaler dessus en tentant de le prendre à revers.
Il fallait dire que l’arc du vieillard disposait en ses extrémités de deux pointes acérées dont Sandre, jusqu’ici, ne voyait pas l’utilité.
Il en comprit tout le sens lorsque l’une d’elle perfora le poitrail de la créature idiote.
La puissance contenue dans ses jambes suffit pourtant à propulser Roderick vers l’arrière. Sandre, méprisant la souffrance, se plaça de profil et réceptionna le vieillard. Le monstre n’eut pas cette chance et une bourrasque l’arracha littéralement de l’arc avant de le souffler comme une feuille morte.
Tant que le sable masquait leur présence, il pouvait conserver une concentration optimale, mais maintenant qu’il prenait conscience de l’horreur de sa situation et du nombre d’ennemis qui l’encerclait, l’angoisse le gagnait.
Combien pouvait-il en compter ? Cinq, six, sept… Une bonne dizaine. Et ce n’étaient que les plus proches. Il ne voulait pas imaginer la foule de créature qui devait s’amasser aux alentours mais qui étaient encore trop lointaines pour être distinguables.
Le cœur de Sandre se mit à tambouriner dans sa poitrine.
Il lui semblait que les monstres évitaient de trop s’approcher de lui, ayant vu ce qu’il avait fait à leurs semblables. Ils le sondaient.
Leur intelligence devait être fortement limitée, mais ils finiraient forcément par se rendre compte que Sandre était bien trop affaibli et trop encombré pour les affronter de nouveau, surtout s’ils se jetaient sur lui à plusieurs.
Quand cela arriverait, il pourrait se considérer comme mort.
-Allez, lança-t-il, autant à Roderick qu’à lui-même. Tiens-bon !
Le vieillard ne répondit pas. Il s’était évanoui.
« Est-ce qu’il respire encore ? se demanda Sandre. Je n’ai pas le temps de vérifier ou de prendre son pouls. »
La Flèche Blanche ne pouvait pas mourir ici. Pas comme ça. Pas un héros de sa stature. C’était tellement risible.
Une créature tenta une approche vicieuse par l’arrière. Sandre, maintenant que le sifflement n’était plus aussi intense, l’entendit arriver et tourna la tête vers elle. La bête se stoppa et exécuta un rapide demi-tour avant de disparaître. Une autre profita du manque d’attention de Sandre pour se faufiler sur sa gauche et lever sa patte.
Sandre gronda et pivota en agitant sa chaîne. Un geste ridicule, dénué de la moindre dangerosité, mais qui suffit à faire peur au monstre. Il disparut également en couinant.
« Ce manège ne va pas durer bien longtemps, songea Sandre avec fatalisme. Ils s’impatientent, je le sens. Ce n’est qu’une question de minutes, voire de secondes, avant qu’une créature plus téméraire que les autres ne… »
Le cri d’un monstre, juste derrière lui, le tira de ses pensées. Sandre se jeta en avant et la patte griffue de son assaillant déchira la chaire de son dos sur une vingtaine de centimètre, lui arrachant un gémissement de douleur.
Sandre tituba dans le sable. Il se maintint dans un équilibre précaire et serra les dents. Le monstre, profitant de son avantage, attaqua une deuxième fois dans la foulée. Le crissement de ses pattes dans le sable parvint aux oreilles du jeune homme. Celui-ci balança Roderick sur le sol au dernier moment et reçut le bras dentelé du monstre de plein fouet, au niveau de l’épaule.
La bête émit un grognement perplexe, se demandant pourquoi sa patte n’avait pas fendu la clavicule de sa proie et ne l’avait pas tuée sur le coup. Il se rendit alors compte qu’elle avait heurtée un objet particulièrement résistant.
Sandre considéra l’arc de Roderick d’un œil fatigué. Si l’arme du vieillard ne s’était pas trouvée pile à cet endroit-là, coincé entre le bras de Sandre et le corps de Roderick, le jeune homme serait désormais mort. La Flèche Blanche venait de lui sauver indirectement la vie.
Un sourire dépité se dessina sur le visage de Sandre.
« Alors même évanoui, tu ne peux pas t’empêcher de me venir en aide, hein ? pensa-t-il en tournant la tête vers Roderick. »
Le monstre grogna. Puisque ça n’avait pas fonctionné la première fois, ça marcherait la seconde !
Il dégagea sa patte et la leva au-dessus de sa tête avant de la laisser retomber lourdement. Sa proie était lente et faible. Etrangement, elle ne faisait plus preuve de la même vivacité que plus tôt, face aux autres membres de son espèce. Elle devait être blessée quelque part. Tant mieux, ça n’en serait que plus simple de l’achever !
Mais pour la deuxième fois consécutive, la patte de la créature fut stoppée nette. Et cette fois, pas par la présence providentielle d’un arc en ébonite.
La main de Sandre venait de se refermer sur le bras osseux de la bête, au niveau de l’articulation, évitant ainsi les crochets aiguisés qui parsemaient tout l’avant de la patte.
Que se passait-il ? D’où l’humain tirait-il cette force ?
Le monstre était incapable de bouger. Il avait l’impression d’être pris dans un carcan de pierre inébranlable.
Les doigts de sa proie se serrèrent et la chitine craqua bruyamment. Un filet de sang visqueux jaillit en cascade du moignon de la bête. Sandre tenait encore fermement l’autre partie du bras. D’un geste nonchalant, il le jeta à ses pieds. Puis, il releva la tête.
Quelque chose avait changé radicalement chez lui en l’espace d’une seconde. Le monstre en était certains. Peut-être ses yeux qui étaient verts et qui venaient de se teindre de gris. Ou alors ses jambes qui ne tremblaient plus. Ou peut-être le sang qui avait subitement cessé de couler des multiples estafilades qui le recouvraient ?
La capacité de réflexion de la bête étant extrêmement peu développée, il ne poussa pas plus loin son investigation et se jeta en avant, tête baissée, dépliant ses pattes arrières en y mettant toutes ses forces.
Il ne parcourut pas un seul mètre. Le jeune homme avait été plus rapide que lui.
Là encore, le monstre ne se posa pas de question. Pas parce qu’il était trop idiot pour cela, non. Cette fois, la raison pour laquelle il ne réfléchit fut que son crâne venait d’éclater sous la pression de la main de Sandre.
Le jeune homme se rétablit souplement dans le sable et entendit le cadavre de la créature s’effondrer, à côté de lui.
Envolée, la douleur. Envolées aussi, la fatigue et la peur. Sandre contempla ses mains.
Voilà ! La même sensation que face au Var’Goth revenait ! Une chaleur intense dans la poitrine et un profond bienêtre. Un frisson de puissance qui parcourait tout son corps, de la tête jusqu’aux pieds en passant par chaque parcelle de son organisme. Des sens amplifiés et une perception de tout ce qui se déroulait autour de lui, presque comme si le temps avait subtilement ralenti.
Il ne fallait pas que cette sensation disparaisse. Pas encore !
Sandre ignorait ce qui l’avait amenée. Sans doute un sentiment violent de peur, de résignation ou de colère, identique à ce qu’il avait ressenti en affrontant le Var’Goth ou lorsqu’une créature aquatique avait manquée de tuer Zimo au fond du lac des Caeycinandres. Ce n’était pas volontaire mais il s’en moquait.
Il ignorait combien de temps cet état pouvait durer mais tant qu’il était comme ça, rien ne pouvait plus l’arrêter. Quelque soit le nombre de ses ennemis, il les massacrerait tous.
-Alors ? souffla-t-il en se relevant, sa voix ayant retrouvée un ton impérieux. C’est déjà terminé ?
Une créature fondit sur lui en le prenant à revers. Sandre fit volte-face et frappa avec l’arc de Roderick, trois fois. A la tête, au buste et au bas-ventre. La bête fut projetée en arrière avec violence et alla rouler dans le sable, morte.
Sandre exécuta une pirouette et esquiva habilement la patte tranchante d’un autre monstre, dissimulé dans la tempête, qui venait de le charger.
Il laissa passer son adversaire devant lui, emporté par son élan. Puis, alors qu’il n’était même pas encore retombé, il détendit sa jambe. Son talon percuta la créature dans le dos et pulvérisa sa carapace chitineuse, lui broyant la colonne vertébrale au passage.
Sandre roula au sol et se redressa rapidement.
Il se jouait de l’Aonyados. Le vent ne lui inspirait plus aucune crainte et il ne sentait même plus la morsure des grains de sable.
Quant à son instinct et à ses sens, ils étaient si performants désormais que Sandre pouvait parfaitement se battre avec les yeux à demi clos.
Il se surprit à sourire.
Et à espérer qu’un autre monstre allait l’attaquer.
-C’est tout ?! lança-t-il. Vous abandonnez ?! Je ne vous intéresse plus ?!
Les monstres avaient tous reculés face à ce déchainement de violence, comprenant malgré leur faible intelligence qu’ils faisaient maintenant face à un adversaire trop dangereux pour eux. Sandre ne pouvait s’empêcher d’être frustré. Il serra les poings à s’en faire blanchir les phalanges.
Après tout ce que ces salauds lui avaient fait subir, il allait accepter d’en rester là alors qu’il avait les moyens de leur rendre la monnaie de leur pièce ?
« Très bien, pensa-t-il. S’ils ne viennent pas à moi, c’est moi qui vais venir à eux ! »
Mais un gémissement attira son attention, sur le côté. Il se tourna et pâlit. Roderick ! Il l’avait complètement oublié.
Il se précipita vers le vieillard et s’agenouilla à ses côtés. La Flèche Blanche était réveillée. Elle leva lentement la tête vers lui.
-T… Tes yeux, murmura Roderick. Ils sont gris… Il te faut… du sérum….
-Ne t’en fais pas pour ça, le rassura Sandre d’une voix nerveuse. Ce n’est rien !
-Les monstres…
-Je m’en suis occupé.
-Et… mon arc ?
-Il est là. Je ne l’ai pas laissé derrière moi. Maintenant évite de parler ! Nous sommes presque arrivés !
Roderick hocha la tête. Sandre l’aida à se relever, puis le remit sur son épaule. Il crut pendant un moment qu’il s’était de nouveau évanoui mais le vieillard fut pris d’une quinte de toux.
-C… Ce qu’il fait froid, lâcha-t-il.
Froid ? La chaleur ambiante était pourtant étouffante.
Sandre inspira profondément. Il n’y avait plus de temps à perdre désormais.
-Ça risque d’être un peu brutal, alors accroches-toi !
Roderick, malgré son état passablement critique, comprit l’avertissement et se cramponna mollement à la tunique de Sandre.
Le jeune homme s’élança.
Il atteignit, en quelques secondes, une vitesse telle que tout devint flou autour de lui. Même un cheval de course au grand galop ne l’aurait pas rattrapé.
Il avait l’impression de voler. Ses jambes, emplie d’une puissance nouvelle et incommensurable, le transportaient sans même qu’il ait besoin d’y penser. Chacune de ses foulées, soulevant un immense nuage de poussière derrière lui, le propulsait sur plusieurs mètres.
C’était grisant et s’il avait été seul, il se serait sans doute abandonné à cette impression d’invincibilité qui l’enveloppait. Mais il y avait Roderick qui se mourait sur son épaule. Impossible de se réjouir de quelque manière dans ces circonstances.
Sandre était totalement focalisé sur sa course.
Il accélérait imperceptiblement à chaque pas. Ses muscles n’avaient plus de limite. Il ignorait si c’était de la magie ou s’il s’était transformé en monstre sans s’en rendre compte mais il avait dépassé depuis longtemps tous les records humains jamais établis en Tamriel.
En l’espace de quinze secondes, il avait parcouru deux à trois fois plus de distance que pendant les trente minutes qui avaient précédées, depuis son arrivée dans l’Aonyados jusqu’à son… changement.
Il lui avait suffit d’un clignement d’œil pour semer l’ensemble des créatures qui le cernait.
Et, soudain, le vent cessa.
C’était comme passer une sorte de frontière invisible, un mur immatériel qui délimitait le calme et la tempête.
Derrière lui, les bourrasques meurtrières et le hurlement incessant du tourbillon. Devant lui, une atmosphère tranquille et silencieuse.
Sandre se stoppa. Il dérapa sur une dizaine de mètres dans le sable, les jambes pliées, tâchant de freiner le plus efficacement possible. Quand il se fut stabilisé, il se plia en deux et reprit son souffle.
Puis, il leva la tête et resta bouche-bée devant le spectacle qui s’offrait à lui.
C’était un véritable petit paradis terrestre qui se trouvait là, au cœur de l’Aonyados. Une vaste clairière d’une centaine de mètres, délimitée par le tourbillon lui-même. Le sable y était d’une couleur dorée magnifique et d’une finesse telle qu’on avait l’impression de marcher dans de la farine.
Des arbres et une végétation verdoyante poussait là. Des palmiers gigantesques aux larges feuilles, des fleurs multicolores aux pétales somptueux, des buissons touffus pleins de fruits et de baies juteuses.
Un étang se trouvait en plein centre à l’intérieur duquel s’ébattaient des petits animaux ressemblant à des lapins, que Sandre n’avait jamais vus jusque-là.
L’eau était cristalline et luisait sous le soleil.
Un paysage idyllique. Une vision de bonheur et de paix.
Trois individus familiers était présents, accroupis au bord de l’étang, occupés à remplir des coupoles en cristal. Une jeune Nordique aux longs cheveux noirs, un vieux Bréton étrangement ressemblant à Roderick, portant une rapière à la ceinture, et un homme au visage dur et au regard froid, dont les yeux brillaient d’un éclat bleu acier.
C’est celui-ci qui les aperçut en premier. Il écarquilla les yeux et afficha un air stupéfait. Tous se retournèrent alors.
-Sandre ? fit Edwin.
Toutes forces quittèrent alors le jeune homme. Comme si le contrecoup de l’énergie qu’il avait utilisée venait de lui revenir à la figure, avec une brutalité extrême. Et malgré ça, il était empli d’un soulagement immense à l’idée d’avoir retrouvé ses compagnons.
L’arc de Roderick lui échappa des doigts en même temps que sa chaîne. Le vieillard bascula sur le côté et s’écroula au sol. Sandre perdit pied.
Il vacilla, puis chuta en arrière avant de s’évanouir à son tour, le sourire aux lèvres.
Après tout, il l’avait bien mérité.
Il venait d’atteindre l’Oasis des Bienheureux et de boucler l’avant dernière étape de la Grande Marche.
Je vais lire, mais avant ça j'aimerais bien savoir ? la fiction est finie?
Excellent ! Superbe épreuve, et les retrouvailles qui font plaisir à la fin
Tithon : Non pourquoi ?
"avalanche"
"chapitre 108", "chapitre 109"
Publicité mensongère naméoh
Bon, troll mis à part, c'est comme toujours aussi bien, du Peil quoi ! ^^
chapitres géniaux, en tout cas je me demande comment des humains normaux auraient pu venir a bouts de cette épreuves et surtout ce que réserve la dernière épreuve, ca promet d'être particulièrement épique
Cette dose de chapitre
Peil : non je croyais parce que j'ai été suprit par tout ce texte d'un coup,
Mais sinon ces deux chapitre ont vraiment été extraordinaire, je crois qu'ils rentrent dans mon top des chapitres écrits par Peil Non sérieux pendant 20-30 min j'étais vraiment là aux cotés de Rod et Sandre au coeur de l'Aonyados
Bandant ces chapitres, vraiment!
EDIT : j'ai vraiment cru que roderick allait mourir
Il n'est pas encore sauvé
Le passage où Sandre se la joue Rôdeur-like est vraiment au-dessus. Quand bien même c'est dit clairement, l'impression que rien ne peut lui arriver est omniprésente. Je voyais plus Sandre, mais le Rôdeur lui-même passer cette épreuve
Et puis la fin quoi. Les retrouvailles de la team Flèche Blanche. Je sais pas pourquoi, mais je m'en doutais. Et même en m'y attendant, ça m'a touché.
Maintenant je parie que l'eau de l'oasis a des propriétés curatives, du coup Rod' & Sandre vont être comme neufs; et pour le chemin inverse, c'est ce bon vieux Edwin qui va faire tout le boulot, à grand renfort de bulles protectrices et de sorts de clairvoyance
En tout cas chapeau. Tu ne cesses de t'améliorer
Il n'y a que moi qui est envisagé que ce soit Lynris la forme inconnu qui se baladait dans l'Aonyados?
Sinon, chapitres géniales avec un Sandre excellent et surtout une atmosphère extrêmement bien travaillé, on s'y croirait réellement
"Non sérieux pendant 20-30 min j'étais vraiment là aux cotés de Rod et Sandre au coeur de l'Aonyados"
J'approuve.
Mais sinon maintenant que j'y pense Jenna me rappelle beaucoup Kahlan dans l'épée de vérité
Le 21 février 2015 à 12:49:40 astonvillapark2 a écrit :
Il n'y a que moi qui est envisagé que ce soit Lynris la forme inconnu qui se baladait dans l'Aonyados?
OMG J'y ai pensé aussi en plus !
Vous si imaginer un moment si Peil nous sort un truc comme que Sandre rentre en God Mode avec Tout les pouvoirs du Rôdeur
Rhoooo Peil, on vas être encore plus toxico à tes fics après une double dose comme ça
Bravo et merci
;)
waooo, j'aime quand tu enchaine les chapp comme çà. Que du bon. La dernière épreuve va vraiment etre violente.
Bravo