La seule évocation des premiers volets de la saga Might & Magic suffit à faire frémir de nostalgie les joueurs les plus aguerris. La licence a récolté au fil des années une solide base de passionnés et ce malgré des déclinaisons pas toujours très heureuses, perdant les fans de la première heure tout en séduisant un nouveau public, pas nécessairement friand d'un gameplay à l'ancienne. 12 ans après son neuvième épisode, Might & Magic revient sur nos machines avec Legacy et annonce le grand retour du déplacement case par case, dans un univers en 3D riche en aventures périlleuses et clinquantes récompenses. Ce retour aux sources totalement assumé a-t-il été suffisamment maîtrisé pour satisfaire le fan nostalgique comme le joueur moderne ?
Avant d'aller plus loin, il faut garder à l'esprit que l'optique même de Might & Magic X Legacy était de façonner un jeu aux allures d'hommage aux 5 premiers épisodes de la série. Pour ce faire, Ubisoft et Limbic Entertainment ont collaboré main dans la main avec les joueurs afin de leur offrir un titre aussi fidèle que possible à leurs exigences, tout en tentant d'insuffler un peu de modernité à un principe de gameplay au tour par tour qui a résolument pris de l'âge. Tandis que l'early acces du titre suscitait des râles de bonheur des amateurs un tantinet nostalgiques, les joueurs friands des épisodes 6 et passés semblaient perturbés par ce qu'ils percevaient comme un grand bond en arrière. On ne pourra pas leur donner tout à fait tort, mais est-ce suffisant pour condamner MMX ? Non, bien au contraire.
Rendez-vous en terrain connu
L'histoire de MMX se déroule après les événements qui ont marqué Migh & Magic Heroes VI et pose ses fondements sur l'instabilité politique qui règne sur la péninsule d'Agyn. Au centre de ces intrigues et autres mystérieux complots se trouvent 4 valeureux aventuriers, chargés de déposer les cendres de leur mentor Owen dans la chapelle de Karthal, cité située au centre de la péninsule et malheureusement inaccessible, car sujette à une lutte de pouvoir qui oppose différentes forces pour sa prise de contrôle. Vous entamez votre aventure dans la petite ville de Sorpigal et vous devez, avant de prétendre aller plus loin, prouver votre valeur auprès des autorités locales. Mais avant de commencer votre première escarmouche, vous devez bien évidemment constituer votre groupe.
Passé le choix de difficulté (normal ou difficile), trois possibilités s'offrent à vous. Vous pouvez opter pour un groupe de 4 héros générés aléatoirement (pour les suicidaires), pour un groupe par défaut ou, nettement plus intéressant et indispensable à tout jeu de rôle qui se respecte : une équipe personnalisée. A chacune des 4 races proposées (Elfe, Humain, Orc, Nain) correspondent 3 classes et une compétence raciale passive. C'est le premier dilemme de MMX qui renvoie quelques années en arrière : devant l'exhaustivité des combinaisons races / classes, façonner son groupe est autant un plaisir qu'un crève-cœur au moment de le valider. Constituer un groupe équilibré n'est pas une chose aisée, d'autant que vous êtes totalement libre dans vos choix. Vais-je ériger un groupe constitué uniquement de mages, vais-je privilégier la résistance, le soin ou le dégât ? Autant de questions que vous vous poserez et qui sont un gage de qualité dans un jeu de rôle, preuve que ce dernier ne vous limite pas dans les approches des combats. Les feuilles de personnages sont très complètes et il vous appartiendra de distribuer à chacun de vos héros des points d'attributs, bien entendu en étudiant savamment les caractéristiques à booster en fonction de la classe choisie. Un régal, dans l'esprit direct des grandes heures de la série.
Techniquement daté, esthétiquement réussi
Arrive alors l'heure du plongeon dans le grand bain et de se frotter pour de bon à l'univers de Might & Magic X. La première chose qui saute inévitablement aux yeux est clairement la lacune graphique qui accuse un sérieux coup de retard. Textures baveuses, mal finies, clipping proprement hallucinant, les corrections promises sur ce point n'ont pas été suffisamment prononcées depuis l'early access pour que les joueurs en soient pleinement satisfaits. En outre, un gros travail reste à effectuer sur l'optimisation du titre qui, en plus de ne pas être franchement une claque graphique, s'offre le luxe de ralentir des machines performantes lorsque l'on fouine un peu dans les options et que l'on pousse le soft dans ses derniers retranchements. Si l'on compte sur les équipes de Limbic pour rectifier le tir, il faut également nuancer sensiblement le propos : s'il n'est pas techniquement au goût du jour, l'univers de MMX bénéficie d'une direction artistique plaisante et d'un univers franchement immersif. Il n'en faut souvent pas davantage pour que le rôliste passe outre les considérations techniques pour se plonger éperdument, mais pas à pas, dans l'univers qui lui est offert.
Retour aux fondamentaux
Might & Magic X Legacy est un RPG qui n'a pas oublié d'où il vient et le fait immédiatement savoir. Comme annoncé, le déplacement de votre petit groupe d'aventuriers s'effectue case par case et chaque déplacement implique un écoulement du temps. Il faut reconnaître qu'il n'est pas toujours évident de se réapproprier les codes de déplacement qui faisaient loi il y a de nombreuses années de cela. Pour autant, les réflexes reviennent vite et votre première mission, rapidement obtenue, vous entraînera dans une grotte infestée d'araignées, histoire de prouver votre valeur au combat et accessoirement vous servir de didacticiel. Les règles d'affrontement, si elles sont bien connues, méritent pourtant d'être rappelées. Si vous apercevez un ennemi à quelques encablures de votre position et que l'indicateur de menace devient rouge, le combat est amorcé. Ce sera alors au tour de l'ennemi d'attaquer ou de se déplacer. Une fois le tour adverse achevé, vous pouvez donner des ordres à chaque membre de votre groupe, en gardant à l'esprit que seul le premier ordre autorise un déplacement supplémentaire. Si vous ordonnez à votre mage d'attaquer la cible à distance, n'espérez pas demander à votre guerrier de se rapprocher de la cible dans le même tour, il en sera incapable. Vous devrez donc faire patienter vos génies du corps-à-corps et attendre la prochaine action de l'adversaire avant de pouvoir vous déplacer à nouveau.
Ainsi, avant même de considérer la nature de vos attaquants, il vous faudra évaluer leur nombre, leur positionnement et vous placer en conséquence, l'idéal restant bien entendu de vous placer à un endroit où les opposants seront contraints de s'agglutiner en face de vous plutôt que de vous attaquer sur les flancs et par l'arrière. Car, à l'exception des DPS distance, les corps-à-corps ne peuvent attaquer que les ennemis se trouvant sur les cases adjacentes à votre position, d'où l'importance d'avoir un groupe bien équilibré avec un membre affecté à une tâche particulière. En somme, les combats sont féroces, tactiques et l'on retrouve des sensations que l'ont croyait perdues depuis bien longtemps. Nous évoquions plus haut la nature des attaquants, elle est indispensable à connaître pour élaborer votre plan de bataille. Les dégâts comme les attaques sont répartis autour de 4 éléments : Terre, Eau, Air, Feu auxquels viennent s'ajouter des dégâts primordiaux, de ténèbres et de lumière. Un Golem vous inflige des dégâts de Terre ? Demandez à votre rôdeur d'utiliser un sort renforçant la résistance à ce dégât. Un ennemi est coriace et inflige de lourds dégâts ? Lancez un sort de protection dès que nécessaire. Les possibilités tactiques sont nombreuses et il n'est pas rare, au prix d'une stratégie et d'une coordination rondement menées, de sortir victorieux d'une bataille que l'on croyait perdue d'avance. Joie.
Bien entendu, chaque victoire apporte à nos protagonistes une certaine quantité d'expérience, leur permettant de gagner des niveaux. A chaque niveau gagné, 4 points d'attributs par personnage sont à répartir, ainsi que 3 points de compétences, à distribuer selon vos envies. Le choix de ces derniers s'avère déterminant pour le bon déroulement de votre périple. Outre l'augmentation de la puissance de vos sorts, vous devrez songer, entre autres, à parfaire votre aptitude à porter des armures plus performantes si vous ne voulez pas y rester dès qu'un mage claque une étincelle avec ses doigts. Les choix sont cornéliens, mais les niveaux montent suffisamment vite pour rectifier un choix un peu hasardeux de compétence, l'équilibrage est en cela bien pensé. Ceci vous permettra aussi de passer expert dans un domaine précis. Une fois passé chez un instructeur qui vous enseignera ce rang, vous débloquerez de nouvelles skills, pourrez manier de nouvelles armes ou infliger davantage de dégâts. Ce ne sera pas de trop si vous ne désirez pas passer votre partie à mordre la poussière.
Des donjons, de l'open world, des allers-retours
Si les premières escarmouches de MMX font plus office de parcours de santé que de véritable défi stratégique, les choses se corsent dès les premiers donjons, si vous avez eu le malheur d'y aller les mains dans les poches. Au gré de vos premiers pas dans la péninsule d'Agyn, vos quêtes vous conduiront à affronter des créatures pas spécialement amicales dans un phare situé en périphérie de la ville de Sorpigal. Sortir vivant et en un seul morceau des donjons tient certes à votre façon de penser le déroulement des combats et à la pertinence des sorts à lancer, mais aussi de vos ressources en potions de soins et de mana. Les jauges se réduisent à vitesse grand V et il arrivera que la pénurie de potions et autres parchemins destinés à anéantir toute affliction qui frappe votre groupe vous coûtent la victoire. Un peu frustrant lorsque, lors d'un combat contre un boss assez retors, les ressources viennent à manquer et qu'il devient nécessaire de faire un aller-retour chez le marchand pour revenir dans la bataille. Rien qui ne gâche vraiment le plaisir pris à boucler les donjons, mais la lourdeur des déplacements par case ne se prête absolument pas à un monde (semi) ouvert.
En effet, la notion d'open world dans MMX est toute relative. En premier lieu, la première portion du jeu, assez linéaire, ne vous permet d'accéder qu'à une petite portion de la carte, et ce n'est que par une avancée dans le scénario que vous pourrez aller et venir selon vos envies. L'autre limite se trouve assez logiquement dans les multiples obstacles infranchissables qui se dressent devant votre route. C'est pourquoi la lecture « d'open world » ne doit pas enthousiasmer les plus jeunes : un monde entier à explorer librement oui, mais avec les contraintes inhérentes au style du jeu. En revanche, passé le premier acte (sur 4) du jeu, la carte du monde vous tend les bras et vous offre son généreux lot d'exploration et de quêtes même si, bien entendu, vous arpenterez des endroits bien trop dangereux pour votre niveau. A vous de continuer d'accomplir les (nombreuses) quêtes secondaires pour gagner du galon et vous frotter aux ennemis les plus féroces un peu plus tard.
Un peu de modernité peut-être ? Juste un peu, merci
MMX est, nous l'avons dit plus haut, un hommage vibrant aux RPG à l'ancienne même s'il s'autorise quelques concessions à la modernité. Entre autres, les classes ont été repensées, les donjons sont plus accessibles en ce qu'ils ne contraignent pas le joueur à y passer des heures pour dénicher tel ou tel levier. Des efforts assez louables, mais mal pensés, ont également été faits au niveau de l'interface. Par exemple, la présence de la barre de raccourcis est pertinente mais pas assez étendue pour limiter les nombreux allers-retours entre grimoire et action en cours de combat. Finalement, MMX tente de ne pas se contenter de vernir les meubles du grand-père et tente d'insuffler à son jeu une touche de « 2014 » qui ne parviendra pas pour autant à rameuter le jeune public. Là n'était pas son but certes, mais dans sa noble volonté de restaurer un prestigieux héritage, MMX a trop oublié que nous nous trouvons en 2014 et que même les joueurs les plus nostalgiques ne pardonneront pas pour autant des écueils qui ne devraient plus exister à notre ère.
Les erreurs sont trop nombreuses pour faire passer MMX du rang de jeu particulièrement plaisant à celui de jeu excellent. La réalisation générale pique tout de même la rétine, l'optimisation est aux abonnés absents, les temps de chargements sont nombreux et particulièrement longs, les maigres concessions au dépoussiérage de mécaniques de gameplay datées sont louables mais trop mal pensées pour satisfaire pleinement. Les quêtes secondaires sont quant à elles franchement peu passionnantes, les nombreux allers-retours entre une ville et un donjon sont pénibles, bref, autant de points qui ternissent l'expérience de MMX. Pour autant, la durée de vie du titre, assez colossale, l'intensité des affrontements et le plaisir pris à parcourir l'univers tellement riche de Might & Magic font de ce dixième volet un titre qui ne plaira pas à tous, qui n'est pas annonciateur d'une démocratisation du genre, mais qui plaira largement à tous les rôlistes en mal de challenge et de gameplay old-school.
Points forts
- Le retour aux sources réussi
- Excellente durée de vie
- Affrontements tactiques
- Evolution des personnages complète
- Une vraie rejouabilité
- La diversité d'approches des combats
- Immersif à souhait
Points faibles
- Techniquement daté
- Mal optimisé
- Quelques lourdeurs d'interface
- Temps de chargements affreusement longs
- Quêtes peu passionnantes
Might & Magic X Legacy est un jeu de niche. Elaboré et proposé comme un hommage vibrant au gameplay traditionnel des jeux de rôle qui faisaient rage fin 80 / début 90, Legacy a tous les arguments pour rallier à sa cause les plus nostalgiques des rôlistes. Dans la droite lignée des premiers volets de la saga, particulièrement respectueux des balises que Might & Magic a lui-même posées, Legacy est un titre résolument old-school, qui fleure bon le passé tout en conservant un pied dans la modernité. Malheureusement, le manque d'optimisations, les lacunes graphiques presque choquantes, les lourdeurs du gameplay qui gagneraient à être corrigées et le manque d'intérêt des quêtes gâchent le plaisir des retrouvailles. Ces dernières ne seront de toutes façons destinées qu'à un public restreint qui, lui, prendra incontestablement du plaisir à retrouver le challenge des jeux de rôle d'antan.