Ces derniers temps, les RPG au tour par tour ont le vent en poupe. Cette mise en lumière d'un genre qui compte dans ses rangs de nombreux adeptes draine une généreuse quantité de jeux différents tant et si bien qu'il devient délicat de proposer quelque chose de neuf dans un registre déjà exploré à maintes reprises et depuis longtemps. L'exercice est délicat et Daedalic Entertainment s'octroie une couche de challenge supplémentaire en proposant Blackguards, un jeu bien éloigné de ce à quoi le studio allemand nous avait habitués.
Daedalic Entertainment est particulièrement prolifique, mais c'est essentiellement sur ses somptueux point'n click que s'est bâtie la solide réputation des Allemands. L'annonce de Blackguards aura donc surpris plus d'un amateur du studio car, loin de ses jeux d'aventure en 2D, Daedalic s'engouffre dans la brèche du RPG au tour par tour qui pose ses valises dans l'univers de l'Oeil Noir, jeu de rôle papier déjà adapté en jeu vidéo avec, par exemple, Drakensang. Reste à savoir si le studio est parvenu à transformer l'essai.
Un scénario prenant, une narration bancale
L'introduction à l'histoire est parfaitement simple. Vous retrouvez le cadavre d'une amie (qui est accessoirement une princesse) qui se fait tranquillement grignoter par un loup. Deux pichenettes plus tard, le loup passe l'arme à gauche et vous voilà accusé à tort du meurtre de la jeune femme. Condamné à mort, emprisonné, vous comprenez que le salut est dans la fuite et planifiez votre évasion en compagnie de vos potes de cellule, un nain pyromane et un mage coureur de jupons. Vous êtes donc relativement mal engagé, mal accompagné, mais cela ne vous empêche pas de partir à l'aventure avec vos deux compagnons d'infortune, en quête de vérité. Assez peu palpitant au départ, le scénario de Blackguards mérite qu'on lui accorde du temps pour qu'il développe son propos et que son univers nous intrigue. Il faudra aussi un peu d'abnégation pour passer outre les doublages qui semblent avoir été faits par une seule et même personne et pardonner les maladresses de narration, statique, trop bavarde, peu engageante. Malgré tout, il se dégage de l'intrigue de Blackguards ce je ne sais quoi qui donne l'envie d'en savoir plus et c'est bien là l'essentiel. Répartie sur 5 chapitres, l'histoire devient progressivement haletante et le jeu vous garantit une excellente durée de vie avoisinant, au bas mot, les 25 / 30 heures. Si le premier chapitre est un peu mou, les choses s'accélèrent dès le deuxième segment du jeu. Persévérance, donc.
La narration se fait par l'intermédiaire de cutscenes bancales et mal fignolées, qui sont émaillées de quelques choix de dialogues qui impactent peu l'intrigue linéaire de Blackguards, même si quelques embranchements de scénario sont à prévoir. La progression est simple : une cinématique, un combat, une cinématique, un combat etc. Ne cherchez pas la partie exploration de Blackguards, elle n'existe pas. Vos pérégrinations vous emmènent de ville en ville que vous débloquez au fur et à mesure puis que vous sélectionnez sur une carte. Les seuls écarts à la trame principale et à votre chemin tout tracé se manifestent par l'intermédiaire de quêtes annexes qui se débloquent en dialoguant avec les personnages situés en ville. La dimension RPG prend du plomb dans l'aile dans un Blackguards, qui préfère avant tout miser son intérêt sur ce qui constituera 90% de votre temps de jeu : les combats. Mais avant de vous lancer dans le grand bain, il est de bon ton de s'intéresser au personnage que vous incarnez et surtout à ses particularités.
Une création de personnage assistée ou totalement libre
Deux options s'offrent à vous pour créer votre personnage. Le première se fait automatiquement. Vous avez le choix entre 3 classes : Guerrier, Mage et Chasseur. Vous pouvez opter pour un avatar de sexe féminin ou masculin, chaque genre ayant 5 visages prédéfinis. A vous de choisir celui de votre préférence. La création est vite expédiée, mais chaque classe a bien entendu un impact sur votre type de jeu : le guerrier sera très efficace au corps-à-corps mais fragile face aux dégâts des archers et des sorciers, tandis que le mage sera très sensible aux dégâts, mais redoutable à distance. Le second moyen, nettement plus intéressant vous permet de répartir à loisir une quantité assez généreuse de points de compétence pour façonner plus précisément votre avatar mais également son équipement de départ. Une fois que vous avez opté pour le personnage de votre choix, il ne vous faudra pas attendre longtemps avant de vous frotter aux premiers combats et à l'interface de Blackguards, assez déroutante de prime abord.
Le livre du « petit combat au tour par tour illustré »
Comme nous l'évoquions plus haut, les combats interviennent après de brèves cinématiques qui posent le contexte et qui vous conduiront à affronter autant d'humains que d'hostiles créatures en fonction de votre avancée dans le scénario. Chaque carte de combat est divisée en une multitude d'hexagones qui vous seront utiles pour savoir jusqu'à quelle distance votre personnage peut se déplacer ou infliger des dégâts. Les cases bleu clair représentent la zone de déplacement dans laquelle vous pourrez effectuer une action supplémentaire, généralement une attaque, une fois votre avatar positionné selon vos souhaits. Si en revanche, vous déplacez votre héros dans les hexagones foncés, il faudra attendre le tour suivant pour attaquer l'ennemi. Vous dirigez donc à loisir votre personnage principal et vos compagnons de route avant de laisser l'ennemi prendre l'initiative, bref, un grand classique, la nouveauté n'est pas à chercher là. Pour attaquer, un simple clic sur votre avatar déploie une roue des talents qui vous permet de parcourir en un clin d’œil les sorts défensifs ou offensifs à votre disposition, qui diffèrent bien entendu d'un personnage à l'autre. Si passer par cette interface circulaire peut se révéler fastidieux à la longue, rien ne vous interdit de placer vos sorts dans la barre d'accès rapide placée en haut à gauche de l'écran, bien plus pratique. Sélectionnez ensuite l'adversaire à terrasser, observez le pourcentage de chance de le toucher et priez pour que votre coup porte au but.
De légers problèmes de probabilité...
Et c'est là la première chose qui choque sur Blackguards : le gouffre qui sépare les chances de toucher affichées des chances de toucher effectives. Voir chacun de ses 3 ou 4 personnages rater successivement des coups affichés à 65% voire 95% de chance de réussite est particulièrement rageant et à moins que je ne sois un poissard invétéré, il y a comme une incohérence quelque part. Même si ce point a été largement corrigé depuis l'early access du jeu, cela se produit encore trop souvent, si bien qu'il arrive que l'ennemi prenne l'ascendant sur vous parce que vos « héros » sont tout bonnement incapables de dégommer un éléphant dans un couloir. Certes, vos opposants ne sont pas forcément très malins et adoptent des comportements pas franchement éclairés, mais le challenge étant assez relevé, la mort décimera régulièrement votre groupe si vous avez le malheur de jouer de malchance, comme ce sera souvent le cas. Fort heureusement, les combats ne sont pas seulement conditionnés par la chance et proposent un défi tactique de chaque instant qui rend les affrontements agréables et variés.
… qui ternissent sensiblement un vrai plaisir tactique
L'un des points forts de Blackguards est son système d'éléments interactifs qui vous seront d'une grande utilité pour sortir rapidement victorieux d'un combat. En effet, une simple pression sur la touche V de votre clavier mettra en surbrillance tout un tas d'éléments du décor avec lesquels vous pourrez interagir. Si détruire une barricade ou faire chuter des caisses pour vous constituer un couvert se révèle assez classique, tirer sur une structure branlante afin de faire tomber les pierres qu'elle soutient sur un ennemi est nettement plus intéressant d'un point de vue tactique. A vous d'attirer les forces adversaires vers ces pièges qui leur ôteront un grand nombre de points de vie et vous permettront d'abréger grandement la durée de certains combats. Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres et Daedalic a abattu un gros boulot pour varier les cartes et les plaisirs. Il fallait au moins cela pour ne pas lasser le joueur et lui donner le sentiment que les combats se suivent et ne se ressemblent pas. Par ailleurs, de votre positionnement dépendra votre capacité de tir : si vous faites face à un ennemi lointain mais qu'un de vos compagnons se trouve dans votre ligne de mire, il faudra vous déplacer pour trouver le bon angle de tir. La hauteur des objets ou des personnages est également prise en compte : le mage ou le chasseur n'auront aucun mal à envoyer un sort ou à décocher une flèche qui passera par-dessus la tête du nain s'il se trouve dans la trajectoire.
Plus le jeu avance, et plus il faudra penser votre stratégie avant le grand saut pour être certain de ne pas tomber en rade de flèches ou d'énergie astrale (équivalent de la mana) en plein affrontement. Effectivement, il est impossible de s'équiper ou de se réapprovisionner en cours de combat : si vous venez à manquer de ressources pour attaquer l'adversaire, il ne faudra vous en prendre qu'à vous-même et prier pour que vos attaquants au corps-à-corps viennent à bout des adversaires restants. Néanmoins, vous pouvez au préalable vous constituer 3 sets d'armes différents, que vous équiperez lorsque ce sera à votre tour de jouer. Ainsi, le chasseur peut s'être équipé de flèches traditionnelles en set de base et de flèches incendiaires en set secondaire, tandis que le guerrier pourra par exemple s'équiper successivement d'une masse à deux mains ou d'une épée et d'un bouclier. Les emplacements dits « de ceinture » sont quant à eux destinés à accueillir des armes de jet, des potions de soins ou des pièges, bref, autant d'éléments fort utiles à votre survie et également consommables en combat.
Faites évoluer votre personnage... lentement
Mais toutes ces rixes ne sont pas qu'un prétexte au déploiement tactique du jeu, elles rapportent aussi des points d'aventure (PA) vous permettant d'optimiser chacun de vos personnages. La défaite de l’adversaire offre une quantité de PA à chacun de vos personnages, mais aussi un peu d'or et de l'équipement. L'inventaire est assez classique et fonctionnel, l'arbre des talents, lui, est plus riche : dextérité, résistance à la magie, coups spéciaux, les choix de personnalisation ne manquent pas et les options mises en place garantissent un vaste panel de possibilités pour affiner votre personnage à votre convenance. Malheureusement, la faible rémunération en PA par aventurier rend la progression de votre personnage particulièrement lente, et le sentiment de devenir plus puissant de combat en combat est très faible, à moins de ne concentrer votre attribution de PA que dans un sort en particulier, en négligeant les autres. De plus, dans cette multitude de choix, il est tout à fait possible de rater un personnage, ce qui pourra s'avérer handicapant pour progresser dans l'aventure. Il sera donc parfois nécessaire de recommencer la partie si vous vous trouvez bloqué à cause d'une mauvaise distribution de points. Frustrant.
Ces quelques défauts qui ternissent l'expérience pourtant très agréable procurée par Blackguards risqueraient fort de diviser les joueurs en deux. Les fervents défenseurs de la stratégie au tour par tour et les amateurs de l'Oeil Noir passeront outre ces écueils et savoureront les affrontements variés et la progression d'un scénario qui devient de plus en plus palpitant à mesure que l'on avance dans l'histoire. Les autres seront rebutés par ce manque de finition qui s’avérera sans doute trop rédhibitoire pour qu'ils prennent plaisir à arpenter le monde de Blackguards et à percer les arcanes de sa trame principale. Espérons que Daedalic assurera un suivi digne de sa réputation et qu'il peaufinera son titre afin de rendre justice au travail louable accompli jusqu'à présent.
Points forts
- La diversité des arènes et leurs éléments interactifs
- La stratégie des combats
- La richesse de l'arbre des talents
- Un scénario agréable
- Bonne durée de vie
- Griffe artistique plaisante
Points faibles
- De nombreuses incohérences statistiques
- Quelques problèmes de visibilité en combat
- Doublages à revoir
- Trop faible rémunération en points d'aventure
- Progression lente et déséquilibrée des personnages
- Narration mal fichue et de prime abord rédhibitoire
En s'éloignant très largement de son espace de confort, Daedalic s'en sort pourtant plutôt bien avec Blackguards, un RPG au tour par tour qui a de sérieux arguments à faire valoir, mais qui souffre d'un manque de finition qui en rebutera plus d'un. Les chances de toucher trop aléatoires, la progression lente, les doublages ratés et la narration bancale pourraient avoir raison des moins persévérants. Ceux qui passeront au-dessus de ces détails et qui laisseront à Blackguards le temps de poser les bases de son scénario et de son gameplay parcourront sans déplaisir cette aventure palpitante, qui offre, pour ne rien gâcher, une excellente durée de vie.