Lollipop Chainsaw, Guild 01, Sine Mora... Grasshopper Manufacture est de tous les projets en ce moment, et se montre particulièrement actif sur les plates-formes de téléchargement. Dirigé par Suda 51 et co-développé par les Hongrois de Digital Reality, ce Black Knight Sword prouve que le créateur japonais n'a rien perdu de sa verve créatrice.
N'êtes-vous jamais tombé sur des œuvres dérangeantes, dont l'aspect étrange, grotesque voire un peu glauque vous ont mis mal à l'aise ? Je pourrais personnellement citer le travail de Roland Topor, qui de La Planète Sauvage au cultissime Léguman (une séquence de Téléchat dont on vous recommande le visionnage sur Youtube), hanta bon nombre des nuits de cauchemar de mon enfance ! Il y a un peu de Topor dans ce Black Knight Sword, un jeu d'action et de plates-formes dont l'inspiration principale reste toutefois le théâtre japonais et son étrangeté intrinsèque. Ici, les protagonistes ne sont que marionnettes démembrées, ombres furtives, chimères animales saugrenues et formes patatoïdes dont on devine la laideur derrière le masque inquiétant. L'univers n'est guère plus consensuel, puisqu'on navigue sans transition d'un environnement médiéval lugubre à un quartier chaud un peu cradingue, en passant par une autoroute dans le désert mexicain, bordée de toasts géants. Inutile de chercher la moindre cohérence, il n'y en a pas.
L'histoire elle-même ne se base sur les contes de fées que pour mieux détourner leurs conventions. Le chevalier noir que l'on incarne, un pendu ramené à la vie grâce au pouvoir de l'épée Hellebore, a pour mission de retrouver une princesse dont la cruauté est légendaire, et de la tuer. Inspirée du théâtre pour enfants, comme en témoigne le rideau rouge qui masque une partie de l'écran, la narration s'appuie sur une voix off pour nous conter les péripéties absurdes de ces figurines de carton, mues par des tiges et des fils dans des décors qui changent parfois en pleine action. Chapeauté par un marionnettiste de renom (Suda 51) et par une équipe d'accessoiristes inspirés (Digital Reality), le spectacle est une vraie réussite visuelle. Et si on aurait volontiers troqué certaines textures dégueulasses et certains arrière-plans minimalistes contre les motifs léchés d'un LittleBigPlanet ou d'un Puppeteer, il faut avouer que leur côté crasseux renforce le malaise dans lequel on est plongé.
Original sur la forme, Black Knight Sword l'est bien moins sur le fond. Le gameplay évoque celui des platesformers des années 80 (on pense notamment à Ghost'n Goblins). Le chevalier noir peut sauter et double-sauter, s'accroupir et esquiver, effectuer des moulinets d'épée lui permettant d'occire ses ennemis dans de généreuses gerbes de sang, mais aussi propulser l'esprit d'Hellebore pour activer des mécanismes à distance. Au fil de la progression, il gagnera quelques pouvoirs et mouvements supplémentaires. Mais qu'il s'agisse d'avancer en massacrant tout ce qui bouge, d'évoluer sur des engrenages mouvants ou d'échapper à l'eau qui monte, les phases de jeu proposées sont globalement vues et revues. Le level design n'est pas très recherché ; au moins s'efforce-t-il de nous surprendre en nous collant des boss sur le râble à n'importe quel moment. On a bien droit à quelques séquences délirantes, comme celle où l'on incarne une poule géante dans un manic shooter sous acide, mais rien qui n'ait un arrière-goût de déjà joué.
On prendrait ça comme un hommage s'il n'était pas parfois difficile de faire la distinction entre les emprunts volontaires à un gameplay désuet, et ce qui témoigne d'une jouabilité quelque peu poussive, tels les déplacements assez lourds, le double-saut trop rigide et le mouvement d'esquive souvent réalisé par erreur. Cela renforce la difficulté du jeu, qui nous réserve déjà un challenge non négligeable dès le mode normal. Ceci dit, même si les 5 niveaux sont assez consistants, la durée de l'aventure reste un peu limitée (comptez de 3 à 4 heures pour boucler le titre). Digital Reality a donc inclus deux modes alternatifs : Arcade permet de rejouer les niveaux bouclés, et Défi propose une série de challenges qui confirment que le gameplay n'est pas dénué d'une certaine technicité (coup vers le bas, esquive arrière...). Peut-être aurait-il fallu exploiter davantage celle-ci, au risque d'accentuer le clivage entre l'extravagance de la forme et les conventions de fond. En l'état, et en dépit de toutes ses qualités artistiques, Black Knight Sword n'a rien de vraiment mémorable.
- Graphismes15/20
Doté d'une identité graphique forte, Black Knight Sword exploite le thème du spectacle dans le spectacle et s'inspire de l'étrangeté du théâtre japonais pour aboutir à une esthétique absurde et dérangeante, proche de l'oeuvre de Roland Topor, de Terry Gilliam, voire de Richard Kelly.
- Jouabilité12/20
On ne se refait pas, surtout quand on s'appelle Goichi Suda : Black Knight Sword ne brille pas par son gameplay, relativement convenu, là où on l'attendait plus original et plus transgressif. Qui plus est, le maniement un peu poussif du personnage rend l'expérience parfois pénible.
- Durée de vie13/20
Les cinq niveaux ont beau être plutôt longs et proposer un challenge non négligeable dès le mode normal, l'aventure se boucle en 3 à 4 heures. Des modes Arcade et Défi avec leaderboards, ainsi que des items à collecter (les "herbes à tête de chat") viennent donc consolider la durée de vie.
- Bande son15/20
La bande-son est réussie : si le volet musical se résume le plus souvent à quelques thèmes atmosphériques aussi discrets qu'angoissants, la narration en français très poétique et les effets sonores qui font parfois froid dans le dos nourrissent l'ambiance particulière du titre.
- Scénario/
Dirigé par un marionnettiste de renom (Suda 51) et par une équipe d'accessoiristes inspirés (Digital Reality), Black Knight Sword est un anti-conte de fées doté d'une identité visuelle forte, qui exploite à merveille l'étrangeté du théâtre japonais. Mais sous le masque absurde et dérangeant de ce spectacle extravagant, se cache un gameplay bien trop conventionnel, qui finit par susciter une certaine lassitude – assez pour condamner ce jeu de plates-formes à une apparition éphémère, avant que ne retombe le cruel rideau de l'oubli.