Ça y est, c'est fait. Duke Nukem Forever, le plus grand vaporware de l'histoire vidéoludique, est finalement sorti. Un mythe s'est brisé quand, la larme à l'oeil, nous avons enfin pu poser nos mains sur un Saint-Graal qu'on n'attendait plus. Alors oublions toutes les péripéties qui ont conduit le projet à échoir à Gearbox Software après plus de 13 ans de développement chez 3D Realms, et chaussons nos lunettes noires pour nous plonger dans la suite d'un des plus grands FPS de tous les temps. Come get some !
Sorti début 1996 sur PC, Duke Nukem 3D n'avait rien de la révolution technologique qu'incarnera un certain Quake quelques mois plus tard. Pourvu d'un moteur graphique en 3D mappée, le Build Engine, le FPS de 3D Realms représentait plutôt l'aboutissement d'un genre qu'il portait à son apogée (n'y voyez aucun jeu de mots !). Ses armes originales, son bestiaire décalé, son level design extrêmement travaillé et surtout, cette multitude d'interactions possibles (shake it, baby !) lui ont permis de rentrer dans l'histoire, là où Quake premier du nom, aussi révolutionnaire fut-il, a plutôt fait l'effet d'une grosse démo technique. Le moins qu'on puisse dire, c'est que sa suite, annoncée dans la foulée en 1997, se sera fait attendre. Mais quinze ans plus tard, à l'heure où le genre se caractérise plutôt par le souci du réalisme et de la mise en scène, qu'attend-on justement de Duke Nukem Forever ? La réponse est simple : du fun, du fun, et encore du fun !
Comme il faut bien que le couperet tombe, autant le lâcher tout de suite : Duke Nukem Forever est loin de nous avoir emballés. Et qu'on s'entende : cet aveu est celui de quelqu'un qui a trempé ses mains dans le cambouis du Build Editor, qui a séché ses cours à la sortie du Plutonium Pack et dont les yeux brillent encore à la simple évocation d'une LAN de Duke Nukem 3D. Et pourtant, on peut dire qu'au niveau du fan-service, Gearbox a méchamment assuré. Plus badass, macho et imbu de sa personne que jamais, Duke n'a rien perdu de sa superbe. Ses répliques font toujours mouche (certaines vont vite devenir cultes, comme son "va te faire voir les tentacules au Japon, connard !") et donnent lieu à des conversations irrésistibles avec les babes ou les soldats de l'Earth Defense Force, qui n'ont pas inventé la poudre. Gorgé d'humour, le jeu ne joue pas que sur les registres graveleux et scato, mais multiplie aussi les références et les clins d'oeil (Halo, Half-Life, Schwarzenegger... et même Sarkozy dans la version française !). Le scénario est inexistant ? Peu importe, du moment que la nouvelle invasion extraterrestre nous permette de retrouver le bestiaire typique de la série : les aliens à tête de chat, les Porcoflics, les pieuvres volantes... sans oublier les Battlelords hauts comme des immeubles. Quant à l'arsenal, qui inclut les RPG, shrinker, freezer et autre pipe bombs bien connus, il dépote toujours autant. Mais alors, quel est le problème ?
C'est bien simple : on a la sale impression que Gearbox a tout simplement "oublié" de concevoir des niveaux. Duke Nukem Forever comprend 23 chapitres, mais la plupart sont terriblement courts car ils prennent la forme d'une unique séquence très spécifique (un combat perché sur un container, un périple à bord d'un mini-buggy, une recherche d'objets dans un club de strip-tease...). On aurait préféré voir les concepteurs varier les phases de jeu dans un même niveau car en l'occurrence, les différents chapitres sont trop déconnectés les uns des autres et le rythme s'en ressent. Ce manque d'unité, cette sensation d'oeuvre composite tiennent à l'évidence au développement chaotique d'un titre que Gearbox a tenté de sauver en recollant les morceaux. Mais ce serait moins grave si l'ensemble s'appuyait sur un level-design digne de ce nom. Ici, on n'a droit qu'à une succession de couloirs débouchant généralement sur une arène où il s'agit d'éliminer toute opposition à l'aide d'une tourelle (certaines séquences ont même des relents de House of the Dead). Et dès que le jeu se fend d'un niveau plus consistant, celui-ci est alors scindé en plusieurs parties, multipliant des temps de chargement déjà horripilants sur console et cassant encore davantage le rythme de la progression. Mais où sont donc les niveaux vastes et travaillés de Duke Nukem 3D, offrant plusieurs approches possibles et regorgeant de zones secrètes à l'image du mythique Hollywood Holocaust ?
Duke Nukem Forever n'a même pas le charme d'un shooter old school à la Serious Sam tant ses emprunts à la modernité sont peu éclairés. On passera sur les scripts et la linéarité outrancière, sur l'énergie qui remonte toute seule (aussi vite qu'elle descend) et sur l'impossibilité de porter plus de deux armes à la fois. Mais voir le Duke leste et maniable du jeu d'origine évoluer comme un papi arthritique et emprunté qui peine à décoller du sol, c'est déjà plus fâcheux. Les déplacements de Duke Nukem 3D étaient quasiment aériens (surtout quand il s'agissait d'utiliser un jetpack, ce que ne permet plus le mode solo), ceux de Duke Nukem Forever sont d'une lourdeur prononcée. Du coup, si les affrontements réservent leur lot de challenge, c'est surtout parce que Duke manque de réactivité face à ses opposants, dont l'IA au ras des pâquerettes est compensée par une nervosité bienvenue. A côté de ça, quitte à profiter d'un parti-pris moderne, on aurait apprécié que le spectacle soit à la hauteur, ce qui n'est pas vraiment le cas. Le fait que la mise en scène soit relativement sobre n'est pas un défaut en soi, la médiocrité visuelle l'est déjà beaucoup plus. Le jeu n'est pas ignoble, mais la modélisation datée, les textures extrêmement pauvres, l'aliasing prépondérant et les effets de flous malvenus n'invitent pas vraiment à profiter des décors. On regrette aussi que les éléments destructibles et les démembrements ne profitent pas d'un moteur physique plus convaincant.
Tous ces écueils contribuent hélas à rendre cet opus nettement moins fun que son illustre ancêtre. Gearbox a pourtant multiplié les efforts pour rendre l'expérience agréable. A commencer par le remplacement de l'énergie vitale usuelle en jauge d'Ego, dont Duke peut augmenter la capacité maximale en effectuant des actions nombrilistes comme se regarder dans le miroir, soulever des haltères ou encore battre le high-score au flipper. Ce type d'interactions avec l'environnement, que l'on en vient vite à rechercher, est en soi fort appréciable mais paraît superflu au vu du naufrage en matière de level design. Dans le même esprit, les fréquentes petites énigmes, plutôt atypiques dans un FPS bourrin, nuisent au rythme d'un jeu qui n'en avait pas vraiment besoin. Quant aux boss, ils s'avèrent particulièrement pénibles à affronter dans la mesure où on ne peut généralement les vaincre qu'avec une arme précise, le challenge se résumant alors à courir d'un stock de munitions à l'autre. Les différentes séquences de jeu se montrent donc d'un intérêt très inégal. Duke Nukem Forever profite bien de quelques moments de grâce, comme la visite délirante du Duke Burger (remake d'un niveau du Plutonium Pack) où les protagonistes sont réduits à la taille d'une souris, mais ces moments sont bien trop rares. Du coup, au bout d'une douzaine d'heures de jeu, on boucle la campagne solo en plaçant de gros espoirs dans le multi.
Et là, c'est un peu la douche froide pour ceux qui s'attendaient à un tant soit peu d'inventivité, car le mode multijoueur de Duke Nukem Forever est d'un grand classicisme. Il offre quatre types de parties : du Deathmatch simple ou par équipes, de la Capture de babe (c'est toujours plus sexy qu'un drapeau) et du Roi de la colline ; bref, des modes de jeu éprouvés mais toujours aussi efficaces. Les maps elles-mêmes n'ont rien de sensationnel si ce n'est qu'elles font la part belle à la verticalité (avec l'appui de tremplins aliens moins hors-sujet qu'en solo). On apprécie d'y retrouver de vieilles connaissances, comme l'Holoduke, le Jetpack ou encore le Devastator. Mais l'ensemble, reliquat d'une époque où l'équilibrage des armes n'était pas la priorité, reste tout de même assez archaïque, surtout que les parties n'accueillent pas plus de 8 joueurs (comme il y a 15 ans !). Là encore, Gearbox a tenté de moderniser le propos en intégrant un système d'expérience et de progression très à la mode, qui permet entre autres de débloquer des éléments de customisation pour son Duke. Mais le résultat est loin d'être aussi accrocheur que Duke Nukem 3D en son temps, d'autant que l'absence de serveurs dédiés, pénalisante sur PC à l'heure où l'on affronte des joueurs à l'autre bout du monde, rend l'action assez chaotique . Duke appartiendrait-il donc à une époque révolue, comme le lui lance un haut gradé au début du jeu ? Quoi qu'il en soit, ce Duke Nukem Forever marque le retour d'un roi bien fatigué. Hell to the King ?
- Graphismes10/20
Si d'un point de vue graphique, Duke Nukem Forever n'a pas 15 ans de retard, il en a au moins une bonne demi-douzaine. Le rendu visuel n'est pas hideux mais terriblement ingrat et la scission des niveaux est juste une énorme blague sur PC. Heureusement, contrairement aux versions consoles, le jeu reste fluide et modéré sur les temps de chargement.
- Jouabilité11/20
Certains s'accommoderont sans doute du maniement un peu lourd de Duke, ainsi que de certains emprunts pas toujours judicieux aux FPS modernes. Mais le level-design désastreux est absolument impardonnable pour un jeu qui prétend succéder à Duke Nukem 3D.
- Durée de vie14/20
La campagne solo vous tiendra occupé une douzaine d'heures en mode normal, ce qui n'est pas si mal par les temps qui courent. En revanche, on fait vite le tour du multi, classique voire archaïque et à réserver en priorité aux fans inconditionnels de la série.
- Bande son15/20
Les thèmes musicaux, qui revisitent pour certains ceux de Duke Nukem 3D (Grabbag, Stalker...), illustrent l'action avec efficacité. Et si les bruitages sont un peu en retrait, c'est aussi pour vous laisser savourer les nouvelles répliques de Duke, qui deviendront vite cultes.
- Scénario/
On évitera gentiment de noter ce critère, même si on apprécie par ailleurs la présence de l'esprit irrévérencieux de la série et d'un humour omniprésent.
Duke Nukem Forever est un FPS médiocre doublé d'une amère déception pour ceux qui attendaient cette suite depuis 15 ans. Gearbox a méchamment assuré sur le plan du fan-service en restituant l'esprit de la série, mais c'est bien tout. Emprunté, mal rythmé et affublé d'un level-design catastrophique, Duke Nukem Forever ne parvient jamais à procurer le fun de son ancêtre, que ce soit en solo ou en multi. Amateurs de FPS, passez donc votre chemin. Si vous êtes un fan inconditionnel de Duke, ajoutez 2 ou 3 points à cette note mais n'en attendez pas la lune.