Si je vous dis : Spielberg, héros à chapeau et environnement hostile ? Indiana Jones ? Pas vraiment. Si j'ajoute que nous sommes en 1993, qu'une vague « dinosauresque » déferle sur le monde suite à une adaptation d'un roman de Michael Crichton, et que la licence connut elle aussi différentes déclinaisons sur consoles ? La réponse vous sera alors donnée par John Hammond lui-même : Bienvenue à Jurassic Park !
Sachez tout d'abord que les versions des trois plates-formes Nintendo, sur lesquelles Ocean fut en charge de développer le titre (Sega s'occupant des versions Megadrive et Master System) sont uniques, chacune proposant un style de jeu particulier. L'adaptation Super Nes qui nous préoccupe ici se veut être un cocktail original mélangeant de l'action/aventure à quelques touches de FPS. Vous serez donc propulsé dans la peau d'Alan Grant, paléontologue sans le sou qui, sur proposition (et contre rémunération) d'un milliardaire quelque peu loufoque, accepte de visiter pour donner son approbation de scientifique reconnu, un parc d'attractions nouvelle génération où des dinosaures clonés se chargent de l'animation… et plus si affinités car une série d'événements en cascade vont conduire à la panne généralisée du parc et ce sera à vous de trouver un moyen pour fuir à jamais cet enfer préhistorique. Car disons-le de suite : nonobstant un scénario connu de ceux qui auraient vu le film ou lu le livre, jamais le jeu ne vous fournira la moindre explication sur ce que vous devez réaliser. Tel un Link dans sa première aventure, vous vous retrouvez catapulté dans un monde que vous ne connaissez pas, sans carte, sans véritable arme (hormis une sorte de pistolet taser) et entouré de créatures qui rêvent de vous grignoter les orteils. Ce sera donc à vous de vous fixer des objectifs, en fonction des lieux que vous allez visiter. Isla Nublar, l'île sur laquelle se déroulent vos péripéties, est cependant fidèle dans sa géographie à son modèle original et les lieux emblématiques de l'œuvre sont tous présents. Seulement voilà, non content de vous forcer à avancer à l'aveuglette, le jeu vous gratifiera également de nombreux allers-retours entre les différentes installations car leur exploration complète (et la réalisation de certains objectifs vitaux) nécessitera diverses cartes magnétiques, appartenant aux plus illustres personnages de Jurassic Park, cachées un peu partout dans les bâtiments de votre aire de jeu relativement étendue.
La principale originalité du titre repose sur la dichotomie de son gameplay, composé de deux phases très distinctes, alternant en permanence entre une phase action à connotation RPG lors de vos déplacements en extérieur sur l'île, et une phase FPS lors de l'exploration des bâtiments. Dans la première, vous disposez d'une vue aux trois-quarts surplombante, signifiant que vous ne distinguerez guère que votre chapeau ou la cime des arbres. La liberté de mouvement est totale, le professeur Grant pouvant être déplacé dans n'importe quelle direction et chaque recoin de l'île étant accessible ou presque dès le début de la partie. Vous pouvez même sauter pour franchir les cours d'eau ou les lianes piquantes. Les choses se corsent néanmoins lorsque vous rencontrerez des créatures hostiles, ce qui ne manquera évidemment pas d'arriver très fréquemment. Bien que vous puissiez vous mouvoir de manière relativement rapide et fluide, les dinosaures en feront tout autant et cumuleront même pour certaines espèces l'avantage de surgir du décor lorsque vous le longerez. Vous devrez donc travailler vos réflexes pour réussir à ajuster votre tir en anticipant les déplacements non-linéaires des bestioles, ce cher Alan ne pouvant tirer que devant lui. Votre tâche n'est par ailleurs pas facilitée par une étroitesse d'écran assez pénible, nuisant à votre capacité de repérage des sentiers dans les dédales de la jungle mais surtout à la perception des dinosaures entre les feuillages, la vue n'étant pas suffisamment inclinée pour faciliter votre vision des prédateurs bondissants. Fort heureusement, bien que ces derniers puissent parfois réapparaître une fois éliminés, leur zone de « respawn » demeure toujours identique. Après quelques passages, vous ne vous laisserez donc plus surprendre par le cri féroce du vélociraptor surgissant des fougères. De plus, vous disposez d'un arsenal, certes peu fourni, mais efficace pour chasser le dino. Deux armes peuvent être simultanément portées en plus de votre taser, chacune ayant une efficacité et une zone d'effet propres. Par ailleurs, ne sous-estimez pas les non-létales comme les fléchettes tranquillisantes car ce sont les seules qui vous permettront de repousser temporairement les plus gros spécimens, comme le tyrannosaure. Pour vous aider un peu plus dans votre aventure, vous possédez en sus un capteur de mouvement (très brouillon) mais qui ne s'activera qu'une fois l'ordinateur du parc rebooté…
Pianoter sur une console informatique au fond d'un dédale de couloirs sera d'ailleurs une activité indispensable si vous souhaitez avancer dans le jeu. Pour cela, vous devrez vous rendre dans les différents complexes de l'île. La caméra bascule alors en vue subjective, dans un mode FPS basique. Par basique, comprenez que ces phases de jeu sont loin d'être réussies. Certes, Alan est libre de ses mouvements et , contrairement à la version de Doom sortie sur Super Nes, tout cela ne se fait pas avec le Super FX mais uniquement à la force du Mode 7. Cependant, le prix à payer est une visibilité fortement réduite, compensée maladroitement par des pièces étroites, vides d'éléments et de textures. De même, alors que la maniabilité en extérieur restait tout à fait honorable, les passages intra-muros relèvent souvent de la crise de nerfs. Les mouvements sont approximatifs et lents, Alan Grant se déplaçant par saccades avec un décalage d'une demi-seconde après pression de touches directionnelles et si cela n'est pas assez pour vous, vous pourrez tenter de jouer à la dure en tentant des déplacements à la souris (le jeu étant compatible en intérieur avec l'accessoire de Mario Paint). Alors que vous avez le choix de ramasser les items ou non à l'extérieur, la collecte sera ici automatique, vous forçant à repasser une nouvelle fois sur l'objet que vous venez de troquer si celui récemment obtenu ne vous convient pas. Mais à vrai dire, cette lourdeur sans commune mesure ne nuira guère à votre espérance de vie. En effet, le vide ambiant évoqué plus haut ne compte aucun élément de décor capable de vous blesser de quelque manière que ce soit et les rares dinosaures présents dans les complexes sont d'une stupidité affligeante. Ne daignant bouger que lorsque vous serez à portée pour leur caresser le museau, ils ne prendront pas la peine de venir vous charger si vous vous contentez de les canarder à distance, restant plantés là à vous observer d'un regard aussi vide que leur cerveau de reptile amorphe. Autre ligne sur le cahier des lourdeurs, vous ne disposerez là encore d'aucune carte. Les complexes étant relativement grands (souvent sur plusieurs niveaux), il ne sera guère difficile de se perdre et, cerise sur le gâteau, vous ne manquerez pas d'être bloqué devant diverses portes si vous ne possédez pas les cartes magnétiques des protagonistes du titre. A vous donc les joies des allers-retours entre les diverses zones de l'île afin de glaner les précieux sésames nécessaires à votre avancée. Cette façon artificielle de rallonger la durée de vie du titre, qui pousse inexorablement à la lassitude, est d'autant plus frustrante que vous ne disposez d'aucun système de sauvegarde, hormis celui automatique lorsque vous entrez dans un bâtiment ou actionnez une balise dans le parc, mais qui ne sera actif que tant que votre console est en marche…
Graphiquement, le titre ne brille pas non plus par ses exploits visuels alors que les braves gens de chez Ocean nous avaient habitués à quelques belles performances. Les environnements tendent à se ressembler, la faute à un manque cruel de textures, et l'abus d'ombres (incohérentes pour certaines) ne plaide pas en faveur du jeu. Le professeur Grant est assez bien représenté mais ses petits compagnons de jeu à écailles n'ont visiblement pas joui de la même attention. Certes, on reconnaît assez aisément les (peu nombreuses) espèces qui grouillent dans le parc mais leur modélisation reste trop approximative pour vraiment marquer les esprits. Pire encore, dans les complexes, les deux seules espèces présentes (les autres étant visiblement trop bêtes pour franchir une porte grande ouverte) sont pixellisées à outrance et tout juste reconnaissables. Autre petit moment de plaisir visuel : vous aurez occasionnellement la surprise de voir un message apparaître sur votre écran comportant une « astuce » qui, au-delà du fait d'être sans intérêt, ruinera votre visibilité. Vous pouvez fort heureusement le faire passer en appuyant sur la touche « L ». Ces aléas graphiques desservent intrinsèquement l'ambiance du titre et ce dernier ne peut par ailleurs guère compter sur sa bande sonore minimaliste pour relever le niveau. Les rares thèmes ont toutefois le mérite de coller avec les environnements qu'ils illustrent mais leur extrême redondance vous poussera rapidement à couper la musique lors de vos parties suivantes. Les bruitages ne s'en sortent pas mieux. Un son pour chaque dino, un son pour Alan, un son pour le ramassage d'objets et quelques autres petits titillements de tympans. Il n'y aura au moins pas de jaloux de ce côté-là.
Le tableau n'est donc guère saisissant pour ce Jurassic Park sur Super Nes mais paradoxalement, il se dégage du titre une aura particulière qui, malgré ses nombreux défauts vous pousse à avancer ou du moins, à recommencer diverses parties que vous ne finirez sans doute jamais. On se surprend même à évoluer dans ce parc en proie à l'anarchie totale, en éradiquant des espèces jadis éteintes à l'aide de bolas ou de lance-roquettes le sourire au coin des lèvres. Cette invraisemblable alchimie arrive à fonctionner tant bien que mal grâce à une ambiance assez glauque (volontaire ou non) et une certaine appréhension de la mort qui peut vous tomber dessus au détour de chaque buisson, sachant qu'elle arrive relativement vite malgré une barre de vie qui semble conséquente. De là à savoir si tout cela reste suffisamment motivant pour tenter de vous échapper de cette île maudite, il n'y a qu'un pas de diplodocus que vous serez libre ou non de franchir.
- Graphismes10/20
Tout juste moyen, les environnements et la modélisation des dinosaures corrects en extérieur sont contrebalancés par le vide intersidéral des complexes. Les textures demeurent grossières et l'ensemble manque cruellement de variété.
- Jouabilité11/20
Relativement fluide et offrant une bonne liberté de mouvements en extérieur, la maniabilité est une horreur durant les phases 3D. Néanmoins, le jeu possède le mérite de ne pas fabriquer une difficulté peu scrupuleuse sur les lacunes de son gameplay. La linéarité du jeu et la redondance des actions par contre, devraient triompher de la patience des plus acharnés d'entre vous.
- Durée de vie12/20
Jurassic Park doit être joué d'une traite si vous souhaitez avoir le fin mot de l'histoire, la faute à une absence de véritable sauvegarde. Le titre n'est cependant ni très long (comptez entre 6 et 8 heures pour en voir le bout si vous savez à peu près quoi faire) ni véritablement difficile car vous disposez de « Continues » illimités. Le principal handicap à la progression sera votre volonté à endurer les affligeantes traversées de l'île pour chercher les différentes cartes œufs de raptor.
- Bande son11/20
Des bruitages minimalistes et des musiques d'assez bonne qualité mais trop peu nombreuses pour ne pas pousser à la saturation. Dommage car elles contribuent tout de même à l'ambiance en collant assez bien aux décors qu'elles illustrent. Mention spéciale pour celle accompagnant l'arrivée du tyrannosaure.
- Scénario8/20
Les heureux élus qui ont vu le film ou lu le livre auront la chance de savoir globalement quoi faire et dans quel ordre. Les autres se verront plongés dans cet enfer tropical sans aucune indication pour essayer tant bien que mal de s'en sortir. Néanmoins, on ne manquera pas de sourire (jaune) à l'affichage des diverses astuces de nos « amis » apparemment présents sur l'île mais bien trop faignants pour nous donner un coup de main.
Comme Spielberg nous l'a souvent dit au travers de ses films, il y a des secrets qu'il vaut mieux laisser reposer en paix. N'ouvrez pas l'Arche d'Alliance, laissez les gènes de dinosaures dormir dans l'ambre, et laissez les cartouches du jeu d'Ocean hors de portée de vos consoles… Ou presque. Car à la manière de son gameplay, Jurassic Park est un jeu à double facette. Oui les décors sont monotones, oui les déplacements en intérieur sont un calvaire, oui on ne sait pas ce qu'il faut faire et oui, si le titre ne possédait pas sa licence, il serait sans doute passé totalement inaperçu. Pourtant, autant que la laideur peut fasciner, les péripéties du professeur Grant arrivent tout de même à séduire les joueurs masochistes qui auront su passer outre la multitude d'éléments agaçants que constitue ce titre. Cependant, le faible contenu ne vous occupera que pour toute la période du Mézoique et l'ennui risque de vous rattraper aussi rapidement qu'une meute de gallimimus poursuivie par un tyrannosaure. Vous voilà donc prévenu.