Lorsqu'on se lance dans cette noble quête qu'est la découverte du RPG sur consoles, il y a un nom qui revient constamment, comme un écho lancé par des milliers de passionnés marqués au fer rouge par une expérience inoubliable. Ce nom, c'est celui de Chrono Trigger, et nul ne peut percer son mystère à moins de se résoudre à venir rejoindre ceux qui ont accepté de relever ce défi intemporel dont on continuera encore longtemps à chanter les louanges.
La raison pour laquelle Chrono Trigger occupe une place symbolique dans le coeur des joueurs n'est pas de celles qu'on peut expliquer. Ce qui est sûr, c'est que ce titre, issu de la collaboration entre Squaresoft et Enix pour la Super Nintendo, avait su faire l'unanimité absolue dès sa sortie, au point de rendre inexplicable et inexcusable sa non distribution sur le territoire européen. Et alors que son remake PSOne relançait encore plus l'impact du titre à travers le monde, nous passions à nouveau à côté de ce chef-d'oeuvre encensé par ceux qui avaient eu la chance de s'y essayer. Il est donc plus que probable que si l'on avait demandé aux amateurs de RPG sur consoles de choisir un seul et unique titre dont ils souhaitaient par dessus tout le portage sur une console actuelle, c'est le nom de Chrono Trigger qui serait ressorti, comme un ultime appel au secours de la bouche de ceux qui attendent patiemment la venue de ce titre depuis maintenant presque quinze ans.
Que feriez-vous si, demain, vous appreniez que votre monde va disparaître, englouti par une entité cataclysmique au-delà de toute résistance humaine, comme un fléau imposé par le destin pour mettre un terme au parcours chaotique de l'être humain ? Que feriez-vous si l'on vous disait qu'il existe peut-être une chance infime d'y remédier, mais que pour cela il va vous falloir braver le temps, depuis la création du monde jusqu'à sa destruction ? Combien de chances de réussir vous donneriez-vous si l'on vous demandait de réunir, au cours de votre voyage à travers les âges, une poignée d'élus détenant le moyen d'oeuvrer pour une cause commune sans aucune certitude de réussir ? Accepteriez-vous de croire une seconde au succès d'une telle entreprise, alors même que se dresse devant vous le pire cauchemar de l'humanité, un parasite géant connu sous le nom de Lavos ? Nous sommes en l'an 1000 du calendrier du royaume de Gardia, et vous vous tenez devant le portail inter-dimensionnel qui relie votre ère à celle des époques passées et à venir. Vous n'avez qu'un pas à faire pour passer de l'autre côté, mais plus rien ne sera jamais comme avant.
Il n'est pas question ici de partir à la découverte d'un monde unique, ni même de deux ou de trois comme se plaisaient à nous le proposer certains RPG contemporains à Chrono Trigger. En jouant sur le concept des voyages dans le temps, c'est bel et bien une multitude d'univers radicalement distincts que le soft nous invite à découvrir. De la préhistoire aux temps futurs, en passant par l'antiquité et le moyen-âge, l'aventure prend des airs d'épopée à très grande échelle, s'affranchissant de toute limite pour nous surprendre constamment. Chaque époque étant connectée aux autres via des portails spatio-temporels, on assiste de visu aux changements naturels opérés par le poids du temps sur un monde qui semble ne jamais afficher le même visage. A nous de comprendre comment tirer parti de ces transformations pour réaliser dans le passé les actes qui ne peuvent l'être dans le présent, et ce afin d'empêcher que certains événements ne se produisent. Si la liberté d'exploration offerte par un tel schéma de progression semble illimitée, le jeu nous met heureusement sur la voie et tout s'enchaîne, pierre après pierre, vers l'inéluctable. Ces contrées, que l'on arpente courageusement à pied à la recherche des précieux portails dimensionnels, gravitent toutes autour d'un noyau appelé la Fin des Temps. Un havre de paix où réside un mystérieux vieillard qui détient la clé de tous les portails et de toutes les époques. Après bien des errances, la récompense de nos efforts sera l'obtention d'une véritable machine à voyager dans le temps, sorte de vaisseau ultime permettant d'accéder librement à tous les âges révolus ou à venir, et à tous les endroits répartis aux quatre coins du globe.
Certes, le voyage est sans commune mesure avec ce que l'on a connu, mais qu'est-ce que cela donne concrètement ? Si tout le monde s'accorde à louer le gameplay de Chrono Trigger, c'est bien qu'il doit y avoir une raison. Peut-être que la qualité de la narration, le charisme des personnages et l'efficacité du système de jeu y sont pour quelque chose ? De la première minute à la dernière, les événements s'enchaînent sans la moindre perte de rythme, sans la moindre baisse de régime, sans le moindre risque de lassitude pour le joueur. En misant sur des environnements extrêmement nombreux mais jamais trop vastes, sur des rencontres non aléatoires avec une fréquence de combat raisonnable et une progression fluide, le jeu se déroule comme une partition parfaitement orchestrée. La course effrénée de Chrono et de ses compagnons n'est interrompue dans son élan que par des ennemis que l'on vient déranger dans leur environnement naturel et qui n'hésitent pas à appeler leurs congénères en ralliement lorsque la confrontation est inévitable pour les deux parties. Non contents d'être animés avec génie, ces monstres réagissent même de façon à s'adapter à votre façon de vous battre, par exemple en modifiant leur résistance physique et magique en cours de bataille. Ce n'est peut-être pas systématique, mais on constate tout de même que les affrontements nous incitent à jouer de manière tactique et subtile pour l'emporter le plus efficacement possible sur des adversaires intelligents.
Avec le gain constant de nouvelles techniques spécifiques à chaque personnage, mais aussi de magies élémentaires et d'attaques combinées, le gameplay de Chrono Trigger possède tout ce qu'il faut pour se rendre délectable. Mi temps-réel, mi tour par tour, les combats permettent de faire à-peu-près tout ce que l'on veut en choisissant quel membre de l'équipe entre en action à quel moment, et surtout avec qui. Si un personnage seul ne peut porter que des attaques classiques, physiques ou magiques, il suffit d'attendre qu'il soit rejoint par un second compagnon pour accéder aux techniques en duo, puis par un troisième pour accéder aux techniques en trio. Voir ses personnages mettre leurs talents en commun est d'ailleurs l'un des principaux attraits de Chrono Trigger, surtout quand on sait qu'il existe une multitude de combinaisons possibles qui s'acquièrent en fonction du temps que chacun aura passé avec les autres. On a donc tout intérêt à faire tourner régulièrement les membres actifs de son équipe pour développer le plus possible les techniques solos et combos de chaque personnage, ce qui est facilité par la possibilité de réorganiser son groupe librement à n'importe quel moment du jeu.
Si l'aventure, en ligne droite, peut être parcourue en une vingtaine d'heures seulement, elle comporte pas moins de 13 fins différentes qu'on ne peut découvrir qu'en reprenant la quête plusieurs fois de suite. L'aventure est également agrémentée d'un nombre très intéressant de quêtes annexes et de mini-jeux, auxquels viennent s'ajouter les donjons optionnels inédits et autres suppléments propres à la version DS. Depuis le havre de la Fin des Temps, on a également accès à une arène inter-dimensionnelle où l'on peut faire combattre ses propres monstres dans des tournois ou dans des matches à deux joueurs. Les aptitudes de votre créature devant être renforcées régulièrement, vous pourrez, tout au long de votre aventure, revenir la voir de temps en temps pour aiguiller son évolution en l'envoyant s'entraîner dans différentes époques en vue du prochain duel. Là encore, le nombre de combinaisons que l'on peut obtenir est suffisamment important pour inciter les joueurs à y passer du temps. Un bonus intéressant, tout autant que le Songe Obscur, le Sanctuaire Oublié et le Vortex Dimensionnel qui rallongent de manière considérable la quête principale. En bonus, vous aurez droit à une encyclopédie complète de tous les trésors disséminés dans le jeu, de toutes les techniques combinées, mais aussi un bestiaire, une galerie d'artworks, sans oublier un listing complet des cinématiques et des musiques !
Déjà splendide graphiquement dans sa version originale, le soft n'a pas subi de refonte sur le plan visuel, mais il inclut toutes les séquences animées qui avaient été réalisées pour la version PSOne. La cartouche propose deux types d'interface différents : le premier est identique à l'original et le second est adapté au maniement tactile. Ce dernier a l'avantage de placer tous les menus sur l'écran inférieur et de dégager ainsi complètement l'écran principal, sans pour autant obliger le joueur à se rabattre sur le gameplay au stylet. On peut donc très bien jouer à l'ancienne à l'aide des boutons, tout en optant pour l'interface DS. Autre atout non négligeable de cette version, une traduction française de qualité qui se permet toutefois quelques écarts au niveau de certains noms, mais rien de bien méchant. Difficile de conclure autrement que par un grand merci à Square Enix d'avoir concrétisé cette sortie, ce genre d'initiative étant le seul moyen pour certains titres de se faire découvrir et apprécier par les nouvelles générations de joueurs.
- Graphismes17/20
Conserver la réalisation du soft telle qu'elle était à l'époque semblait indispensable, non seulement pour préserver l'aura nostalgique du titre mais aussi parce que le rendu visuel était déjà réellement bluffant sur SNES. Le design des monstres et des personnages profite du savoir faire d'Akira Toriyama, le papa de Dragon Ball, et ressort encore mieux avec la présence de séquences animées.
- Jouabilité19/20
Cette version DS a le bon goût de proposer deux types d'interface distincts sans pour autant nous imposer le maniement tactile au stylet. Le double écran permet de dégager complètement l'action et offre un confort de jeu optimal. Quant au gameplay, il représente pour beaucoup la formule idéale de ce qu'on peut attendre d'un RPG sur console.
- Durée de vie16/20
Haletant d'un bout à l'autre, Chrono Trigger se dévore beaucoup trop vite en à peine une vingtaine d'heures en ligne droite. Fort heureusement, l'aventure comporte suffisamment de compléments pour décupler sa durée de vie : 13 fins différentes, une multitude de quêtes annexes, des donjons inédits propres à la version DS ainsi que la possibilité de livrer des duels par créatures interposées.
- Bande son17/20
Les musiques composées par Yasunori Mitsuda et Nobuo Uematsu pour Chrono Trigger font encore aujourd'hui référence auprès des amateurs d'OST vidéoludiques, et on comprend pourquoi dès les premières minutes.
- Scénario17/20
Avec son concept de voyages inter-dimensionnels, le scénario de Chrono Trigger contribue en grande partie à l'efficacité de l'aventure, caractérisée par sa diversité et sa liberté d'exploration. Bien qu'on soit relativement guidé dans le cheminement, on a bel et bien l'impression de mettre nous-mêmes en marche les rouages qui permettront de déjouer le funeste destin réservé à la race humaine.
Une note qui traduit simplement le caractère universel d'un jeu qui fait depuis toujours l'unanimité auprès des joueurs. Son arrivée sur DS lui permet de se doter d'une traduction intégrale en français et de nombreux suppléments inédits qui relancent son intérêt sur la durée. Inégalé pour beaucoup, et surtout insaisissable car jamais sorti en Europe, Chrono Trigger reste plus que jamais ce chef-d'oeuvre intemporel dont n'importe quel fan de RPG saura vous vanter les mérites.