Il y a 17 ans, la joyeuse équipe des Bitmap Brothers offrait aux possesseurs d'Amiga et de ST une suite à leur jeu de sport futuriste ultra-violent : Speedball. Sur la musique de Nation XII, l'écran -titre affichait un speedballer aux portes d'une arène grondante : nos joysticks frétillaient d'impatience en attendant d'en découdre. Puis les deux équipes entraient sur la piste et le choc tant attendu pouvait commencer. L'objectif était de faire rentrer cette satanée boule de fer dans les buts adverses ; mais pour ça tous les coups étaient permis, même les plus bas. Les tacles fusaient, les armures s'entrechoquaient, les corps ensanglantés gisant sur le sol étaient évacués par des robots civières... Bon, c'était encore l'âge d'or de la 2D : l'imagination venait relayer les graphismes simples et le gameplay à base d'un seul et unique bouton. Mais ça fonctionnait, aidé en cela par une ambiance sonore tonitruante, où les clameurs du public laissaient parfois la place à la voix enjouée du marchand de glace : "Ice creaaam, Ice creaaam !". Qu'est-ce que c'était bon !

Aussi, à l'annonce du remake de Speedball 2, la plupart des fans du jeu ont montré les crocs et froncé les sourcils : on s'attaquait là à un mythe, à l'objet de leur adoration. Ces craintes étaient-elles fondées ? Hélas oui, car disons-le tout de suite : Speedball 2 Tournament n'est pas à la hauteur de son illustre modèle. C'est loin d'être un mauvais titre, mais il ne parvient pas à procurer le fun de l'original. La méthode des Français de Kylotonn, à qui l'on doit ce remake, semble avoir été la suivante : analyser le jeu d'origine, en extraire les ingrédients érogènes, et les incorporer à un nouveau mélange à la sauce 3D. Hélas, la mayonnaise ne prend pas, et l'on peut essayer d'en comprendre les raisons.

Tout d'abord, Speedball 2 Tournament casse un mythe : celui du mauvais garçon dans l'armure. Les équipes ne sont plus constituées seulement d'hommes, mais aussi de femmes et de droïdes. On sait bien que la mode est à l'égalité des chances, mais les femmes n'ont rien à faire dans un sport ultra-violent qui sent bon la testostérone et prône le coup de boule comme valeur fondamentale. Quant aux droïdes, c'est un peu pareil : on ne prend pas autant de plaisir à taper sur son prochain quand on sait qu'il n'est pas fait de chair et de sang. Et n'y voyez là ni misogynie ni sadisme. En outre, les faciès des joueurs se ressemblent tous et sont désespérants de platitude ; on se souvient alors avec nostalgie des gueules torturées et improbables des stars de Speedball 2, que l'on engageait rien que pour terrifier l'adversaire. Autre reproche sur l'aspect des joueurs : le design des armures laisse à désirer. Les développeurs ont beau prétendre avoir reproduit les armures d'origine, le rendu final se rapproche plus d'une combinaison ultra-sophistiquée d'un Unreal Tournament que des plastrons de héros grec du Speedball d'origine.

On gagne cependant la possibilité de personnaliser le look des armures en choisissant leur couleur et en y collant l'insigne souhaité pour son équipe. Ces possibilités de customisation prennent tout leur sens dans le mode league : il est toujours possible d'y manager son équipe en achetant des stars du Speedball et en augmentant les caractéristiques de ses joueurs (endurance, vitesse, agressivité...) grâce aux gains obtenus. On regrette au passage la disparition d'une interface simple et pratique au profit de menus vraiment mal fichus. Le championnat permet de conduire votre équipe de bras cassés des profondeurs du classement jusqu'au sommet de la première division. Tournament ajoute deux divisions au Speedball 2 original, tout en conservant les équipes aux noms plus opportuns les uns que les autres : Brutal Deluxe, Revolver, Violent Desires, Turbo Hammers, Explosive Lords, Fatal Justice... Qu'il est bon de retrouver ces vieilles connaissances !

On se hâte donc de pénétrer sur le terrain, que ce soit par l'intermédiaire d'un championnat, d'une coupe, d'un match simple ou d'un entraînement, Speedball 2 Tournament ayant conservé à l'identique les modes de jeu originaux. Le premier contact est plutôt probant : visuellement parlant, le passage à la 3D est réussi. Les joueurs sont correctement modélisés et les stades sont vraiment magnifiques. Mais l'ambiance est quelque peu différente, plus proche de la légèreté d'une finale de SuperBowl que de la dramaturgie d'un Running Man ou d'un Rollerball, dans lesquels Speedball puisait son atmosphère. La musique techno fort dispensable qui rythme les matches, ainsi que la présence de ralentis lors des powershots, attestent de ce parti pris. Heureusement, le jeu lui-même n'a guère changé dans ses fondements : il est toujours aussi arcade et aussi accessible, et les actions ne nécessitent guère qu'un ou deux boutons pour être menées à leur terme.

La mise en jeu s'effectue à l'identique du jeu d'origine : la balle métallique est propulsée en l'air pour favoriser un contact immédiat entre les deux équipes. L'objectif est de s'en emparer et de la faire rentrer dans les cages adverses, mais il y a bien d'autres façons de marquer des points : en touchant les dômes situés dans chaque moitié de terrain, en allumant les étoiles murales (qui peuvent être éteintes par l'adversaire), ou encore en mettant K.O. un des joueurs de l'équipe adverse. En outre, deux rampes placées de chaque côté du terrain peuvent être activées pour multiplier les points marqués (par 1,5 ou par 2). Les parties prennent parfois l'allure de vraies batailles rangées pour la possession du multiplicateur. De plus, ce principe fort bien pensé permet de faire basculer le plus compromis des scores, pour peu qu'on se soit préalablement emparé du multiplicateur. Simple regret : ces bonus sont plus difficiles à activer que dans le jeu d'origine.

Si le jeu n'a que peu bougé, comment expliquer qu'il ait perdu beaucoup de son fun ? Pour une fois, le passage à la 3D n'est pas en cause ; il a même été plutôt bien négocié, si l'on excepte une gestion des collisions perfectible. Le problème vient du gameplay, qui avait été peaufiné dans ses moindres détails par les Bitmap Brothers, et se voit ici déséquilibré par quelques ajouts malvenus. Dans Speedball 2 Tournament, les joueurs sont dotés de mouvements supplémentaires : la course, le saut et l'esquive. Le premier sert à accélérer un court instant, le second à éviter un tacle ou à prendre de la hauteur pour tirer, le troisième à esquiver un adversaire. Les attaquants peuvent utiliser ces mouvements d'évitement pour passer facilement les lignes adverses. Et malgré un after-touch (effet appliqué à la balle après le tir) beaucoup moins convaincant, on n'a guère besoin de casser la figure du gardien pour marquer. L'IA va aussi dans ce sens : les joueurs se mettent systématiquement en quête de la balle, sans songer à rosser gratuitement leurs adversaires pour éclaircir les rangs, comme c'était le cas dans Speedball 2.

Conséquence directe : les chocs sont beaucoup moins nombreux, et les parties moins brutales et moins violentes. Il y a bien quelques casques qui volent, mais les blessés sont rares et les robots-civières n'ont que peu à intervenir. Ce manque de punch est encore plus évident en multi, où les joueurs n'hésitent pas à tirer parti des nouvelles fonctionnalités malgré la possibilité de revenir d'une simple touche au style de gameplay « classique ». Quelques mots sur ce mode multijoueur en ligne, qui constitue un des arguments de Speedball 2 Tournament. Il est construit autour d'une plate-forme communautaire, le Gamecenter. Il s'agit d'un espace de rencontre et de communication qui propose un système de ladder. Hélas, malgré la disponibilité du jeu sur Steam depuis fin 2007, les serveurs sont encore bien vides, et il est parfois difficile de trouver des adversaires. On se reporte alors sur la possibilité de jeu à 2 en hot seat, comme à la bonne époque du ST et de l'Amiga.

Au final, si l'on y réfléchit bien, ce Speedball 2 Tournament est un jeu plaisant tant qu'il repose sur les bases de l'original, mais déçoit lorsqu'il s'en éloigne (design, gameplay). C'est sans doute le propre des chefs-d'oeuvre que de ne pouvoir être modifiés sans voir leurs qualités altérées. Mais cela n'incitera pas les connaisseurs à troquer leur version d'origine contre ce remake. Quant aux autres, ils découvriront un jeu sympathique, mais qui ne manque pas de concurrence (on pense à Chaos League et au futur Blood Bowl) et pourrait pâtir de son manque de finition : bugs, plantages, loadings pénibles, difficulté à configurer le pad, lag en multi... La liste des problèmes techniques est longue et on espère que Kylotonn saura les résoudre au plus vite.