Au cours de son voyage vers l'Europe, le phénomène Brain Training aura récupéré un nom à rallonge que l'on simplifiera par Programme D'entrainement Cérébral. Un intitulé scolaire, voire barbare, que n'aurait pas renié Aldous Huxley, ou n'importe quel auteur de Science-Fiction pour décrire le conditionnement des petites têtes dans ses écrits d'anticipation. Mais l'intention, ici, n'est pas de vous bloquer tout l'été, comme les anciens et haïssables cahiers scolaires de vacances. Non, Programme D'Entraînement Cérébral devrait, selon ses créateurs, établir un pont entre apprentissage et ludisme. Cette affirmation demande à être vérifiée dans les deux sens. Premièrement : gagnons-nous en réactivité mentale ? Deuxièmement : s'amuse-t-on ? Et surtout... euh, j'ai oublié ! Au secours, Kawashima !
Comme pour marquer sa différence de nature, le "logiciel" doit être manipulé en basculant la DS dans le sens vertical. On a ainsi l'impression de tenir en main un petit livre de poche, ou une de ces récentes formes d'E-Book. Le titre propose très rapidement à l'utilisateur d'indiquer s'il est gaucher ou droitier. Il lui est alors demandé de retourner la console afin de positionner l'écran tactile, seul support actif, sur la main dominante, tandis que l'autre écran servira toujours de panneau informatif. A vous de simuler cette prise en main inédite, et vous vous rendrez rapidement compte que l'on tient alors vraiment la console comme un bouquin, et que la main non dominante se positionne naturellement sur la base, à l'intersection des deux écrans. La présence d'un soutien vous permettra cependant de poser à plat la DS pendant les exercices où vous n'aurez pas à vous concentrer sur les deux écrans. Cette disposition ne tient pas du bricolage mais impose certainement son utilisation à des jeux qui n'utilisent aucun boutons.
Une fois la meilleure prise en main établie, notre regard est naturellement attiré par la tête flottante qui s'agite sur l'écran d'information. Ce souriant bulbe virtuel, à la Futurama, appartient au Docteur Ryuta Kawashima, neurophysiologiste avant tout, mais aussi féru de mathématique et de sociologie. Un bonhomme populaire, véritable figure de proue de la vulgarisation scientifique sur l'archipel nippon. Si nous autres européens ne connaissons pas vraiment de gourou d'un tel type, il faut sans doute voir Kawashima comme un équivalent de ces défricheurs scientifiques assez communicatifs, comme Stephen Hawking outre-Atlantique. En 2004, il écrit un célèbre ouvrage de remise en forme mentale :Train Your Brain: 60 Days to a Better Brain. Le jeu de Nintendo en est en quelque sorte l'adaptation vidéoludique, et tout le principe du jeu réside dans le titre de cet écrit.
Afin de mener à bien cet objectif, notre professeur a besoin de connaître l'étendue des dégâts par l'entremise d'une évaluation de votre âge mental. Ce concept qui ne convaincra certainement pas tout le monde, doit être perçu comme un barème symbolique, qui permet d'évoquer les ravages du temps, de tous ces quotidiens fastidieux pour l'esprit. Une usure qui, selon le logiciel, intervient à partir de 20 années d'existence. Revenons à l'évaluation. Trois exercices parmi les plus courts sont sélectionnés parmi la vingtaine qui en compose l'ensemble, et dont nous détaillerons les mécanismes peu après. Le joueur les remplit et la moyenne des résultats obtenus indique l'âge référence du début de son entraînement. Le professeur met alors en branle le programme, chemin du réveil mental qui permettra de retrouver vos vingt ans. Ses méthodes sont limpides : deux exercices par jour minimum, des graphiques vous donneront un retour visuel de votre progression et, tiens tiens, il vous sera laissé la disposition de recommencer une évaluation à tout moment. Ah, problème... Quel intérêt alors d'effectuer les deux exercices quotidiens ? Eh bien, tout simplement parce que peu d'entre eux seront disponibles au démarrage du programme. Outre la frustration de refaire les mêmes entraînements en permanence, ce paramètre est, assez finement, bloquant pour progresser. Un exemple : le calcul mental. On vous donne au départ un Calcul 20 qui vous fait réfléchir sur 20 opérations à la chaîne. L'exercice est court et frustrant, et il sera beaucoup plus confortable et prégnant de faire des progrès sur son extension, le Calcul 100. Globalement, les exercices de base sont soit trop réduits, soit trop simples pour espérer préparer l'évaluation efficacement. Le Mnémonique par exemple, présent dans l'évaluation, vous impose de retenir 30 mots pour les réécrire par la suite sous un délai de deux minutes. On retrouve un équivalent dans les premiers exercices, appelé Mémoire, mais il s'agit juste de récrire plusieurs suite de quatre chiffres qui apparaissent l'espace d'une seconde. Insuffisant pour améliorer les capacités de sa mémoire !
Puisque nous sommes dans les exercices, faisons le tour. Outre le calcul mental et la mémoire, sont aussi abordés la reconnaissance des couleurs et des syllabes, l'articulation dans la lecture, l'observation et la dextérité. Tout est fait pour que l'utilisation soit rapide et instinctive en se reposant tout le temps sur l'écran tactile ou le micro de la DS. Vous écrivez ainsi réellement vos résultats numériques ou littéraires, et annoncez de vive voix vos solutions. La reconnaissance des chiffres et des lettres n'est pas parfaite puisque plusieurs symboles se confondent assez souvent, comme le 2 et le 5, où le H et le R. Il faut donc faire avec un temps d'adaptation assez conséquent avant de sortir à coup sûr le caractère désiré. En ce sens, il ne faut pas hésiter à utiliser toute la surface de l'écran tactile pour bien détacher le dessin d'un chiffre. Dans le même ordre d'idée, comme le logiciel reconnaît aussi bien les minuscules que les majuscules, une bonne méthode est d'alterner les deux formes selon ses convenances avec tel ou tel caractère. La reconnaissance vocale est par contre irréprochable, à condition d'éviter les murmures. Pour finir sur la description des exercices, certains souffrent malheureusement de quelques coquilles de difficultés. Le Mnémonique, par exemple, ne dispose pas de suffisamment de mots pour se renouveler et éviter les redondances. Le Tracé, où sont disposés aléatoirement des nombres à joindre dans l'ordre croissant à l'aide d'un "fil", peut être réglé très rapidement si la disposition est trop favorable. Ces quelques problèmes d'équilibre de la difficulté influent logiquement sur l'évaluation, qui est elle-même faussée selon les exercices sélectionnés. La solidité de ce programme d'entraînement mental est donc faillible, ce qui n'est pas franchement surprenant, cela dit.
Pour débloquer l'ensemble des exercices, il vous faudra donc passer plusieurs journées sur le programme en respectant la première règle de la méthode indiquée plus haut : effectuer au moins deux exercices quotidiens. En fait, Kawashima valide chaque journée dûment exécutée en la tamponnant sur un calendrier. A ce moment-là, le pénitent respectueux et patient attendra le lendemain pour continuer son programme. Les évolutions des exercices apparaissent alors tandis que certains nombres prédéfinis de tampons sont atteints : 2, 5, 7, etc... Retenez bien qu'il suffit juste de passer les exercices et non d'exploser les records ! Le logiciel n'est jamais rédhibitoire. En réalité, le seul feedback que vous aurez pour une performance remarquable sera une association au mode de déplacement qui illustre le mieux votre efficacité : piéton, vélo, voiture, train, avion. Je laisse dans l'ombre le plus puissant d'entre eux, et qui gonflera votre coeur d'une intense fierté. Ce cheminement pour parvenir à la jeunesse mentale tient la route puisque les progrès dans l'évaluation, par le biais des journées passées à s'exercer, sont bien là et il faudra compter sur une petite vingtaine de jours effectifs, à raison d'une petite dizaine de minutes quotidiennes, pour que le Docteur vous gratifie d'un commentaire élogieux au terme d'une évaluation. Et on aborde ici l'un des grands traits de caractère du titre, ce qui fait son aspect unique. Car les joueurs pressés, auront tôt fait d'aller directement changer l'horloge de leur portable pour valider journée sur journée sans interruption. Subitement, le logiciel n'a plus vraiment de sens et ne délivre plus aucun plaisir. Les exercices se répètent trop souvent puisque l'obtention de nouveaux exercices ne se fait qu'avec un certain nombre de tampons. De toute façon, de tels utilisateurs ne feront sans doute pas davantage que deux ou trois journées, juste le temps en fait de se rendre compte que le titre souffre d'une grande misère graphique. Il s'agit encore une fois d'une vrai distinction entre jeu et logiciel, puisque cette austérité pousse l'utilisateur à s'intéresser au contenu, et uniquement au contenu.
Ce qui fait l'attache avec cette réalisation de prime abord austère, c'est d'abord le lien qui va nous rapprocher progressivement de notre "mentor", Kawashima. On ne peut pas vraiment le considérer comme affectueux. Avec son panel de phrases limitées et ses intentions presque perpétuellement didactiques, sa personnalisation montre rapidement ses limites. Mais, pourtant sous cette couche très formelle se cache une interaction constante avec le scientifique. Toujours sous prétexte d'améliorer votre mémoire, le voilà vous demander ponctuellement de dessiner un robinet de mémoire, ou de lui indiquer ce que vous avez mangé hier soir, ce qu'il ne manquera pas de vous redemander une semaine après. Ses conseils en fin d'exercices sont toujours fortement ancrés dans le quotidien le plus banal, et si certains sont vraiment incongrus, on se surprend à les appliquer inconsciemment ! D'autre liens ont été imaginés avec le Docteur : des mots à prononcer à l'écran titre pour observer ses réactions, des changements d'attitudes selon des dates événementielles, comme Noël ou le début d'une saison, des attentions particulières si notre homme constate que le joueur use plus que mesure du programme. Ces dernières sont d'ailleurs à mettre en relation avec les relances ironiques après un exercice ou une évaluation ratée. Assez mordantes, ces petites attaques finissent de construire une relation faite d'orgueil, de rire, de surprises... D'amusement en somme. Et c'est finalement là que s'arrête le logiciel pour laisser place au jeu.
Dans l'incapacité de prendre nos propres images, les visuels qui accompagnent cette page proviennent de la version anglaise du jeu. Rassurez-vous, la version française est bien en français. Logique.
- Graphismes6/20
Alors, deux postulats. Soit vous n'avez jamais eu la phobie du grand tableau noir, de ses craies étincelantes et de la prof si monstrueuse dont ne voit plus que la tête, voire les yeux. A ce moment là, vous pourrez sans doute passer outre l'austérité rugueuse du titre. Ou alors, le traumatisme est trop profond et vous rebrousserez chemin bien vite. Remarquez, vous pouvez aussi trouver ça vide et moche, et personne ne vous en tiendra rigueur.
- Jouabilité15/20
De sa prise en main à la verticale jusqu'à la subtilisation de toute commande par les touches au profit du stylet et du micro, Programme D'Entraînement Cérébral fait preuve de caractère dans son utilisation. On ne joue pas, on utilise. Il n'y a pas de gameplay mais un programme. Et celui-ci s'avère tout à fait cohérent et accrocheur. A condition d'abord de respecter ce principe de petites sessions de jeu quotidiennes, mais aussi de s'adapter à une reconnaissance écrite faillible.
- Durée de vie14/20
Exploité au jour le jour, le titre vous demandera une vingtaine de tampons sur le calendrier pour baisser votre âge mental à 20. Cela dit, la validation des journées n'est non seulement jamais bloquante, mais de plus, seule une année entièrement remplie constitue une date burtoir à l'accomplissement de votre programme. Un titre qui a donc été conçu pour être repris en main ponctuellement, selon l'envie de réestimer sa réactivité mentale.
- Bande son13/20
Un peu électro lo-fi, franchement cheap et sautillante, la musique n'a cependant pas été conçue pour une écoute en boucle, la faute à un manque de renouvellement. Les bruitages associés aux exercices et aux menus sont très convaincants par contre. Et, surtout, ils sont disposés très intelligemment et prosaïquement, afin de faciliter la concentration de l'utilisateur.
- Scénario/
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Si Programme D'Entrainement Cérébral ne se substitue certainement pas à l'apprentissage personnel, par le biais de la consultation d'ouvrages écrits ou d'émissions télévisées, il peut être perçu comme une remise à niveau réussie de nos facultés intellectuelles premières. Jamais envahissant ou contraignant, assez maniable malgré un temps d'adaptation non négligeable, ce logiciel divisera cependant les joueurs car son utilisation ne peut être pensée autrement que sous formes de petites sessions quotidiennes. Les pressés et les joueurs purs et durs seront donc exclus, tandis que les autres finiront rapidement par esquisser un sourire, voire davantage, à l'idée de retrouver l'espace d'un moment leur ami Kawashima. Et alors, subitement, étrangement, le programme devient jeu. Concluant.